Prologue

   Nouvelle ville, nouvelle vie. Qu'est-ce que je vais devenir ? Qu'est-ce que je vais faire ? Heureusement, je peux compter sur ma mère. En fait, j'ai toujours pu compter sur elle. Et elle, sur moi. Du coin de l'œil, j'admire ses magnifiques cheveux bruns, lissés, comme tous les jours. Sa couleur a été faite il n'y a pas longtemps : elle les as fait teindre en brun, comme les miens. Sinon, naturellement, les siens sont plutôt châtain clair, comme l'écorce d'un arbre que l'on appelle communément "arbre cannelle".

Je ne suis pas très plantes... mais, j'avoue que j'adore ce nom. Et j'adore aussi comparer sa couleur à celle naturelle de ma mère. Désormais, la couleur qui lui sied est le brun chocolat avec des reflets brillants dûes à la patine du coiffeur. Les miens sont légèrement moins brillants, mais quoi qu'il en soit, ça ne nous empêche pas de nous ressembler comme deux gouttes d'eau. Ou... encore... comme deux doigts de la même main.

J'aime nous comparer comme deux sœurs. Ma mère m'a eu jeune, elle avait à peine seize ans. Elle s'est faite agressée sexuellement par un homme bien plus âgé qu'elle. Ce dernier n'a jamais été retrouvé, malheureusement et n'a jamais pu payer pour ses crimes. Oui, ce n'est pas très glorieux de dire que je suis issue d'un viol. Mais ma mère n'y est pour rien. Et cela fait partie de mon histoire, je dois vivre avec. Ce que j'espère, au fond de moi, c'est que lorsqu'elle me regarde, ce n'est pas le visage de son agresseur qui se superpose au mien.

Ce qui me hante, c'est que je n'ai malheureusement pas hérité des yeux bruns de ma mère. Elle ne cesse de me répéter que le bleu des miens vient de mon grand-père maternel que je n'ai jamais connu et dont je n'ai d'ailleurs pas vu de photos. Autant dire que j'ai beaucoup de peine à y croire. C'est dur de vivre avec le fait qu'on soit la descendance d'un homme aussi horrible, capable de violer une femme.

Mes mains se resserrent sur mes genoux, tandis que je tente de me concentrer sur le paysage qui nous entoure. Une forêt, immense. Bientôt, nous serons en ville. Les pins sont nombreux mais, malheureusement, leurs pieds sont envahis de ronces et d'autres plantes parasites. Je remarque aussi quelques hautes fougères dont le vert se ternit. Nous sommes bien arrivés en automne. Je finis par me détendre un peu. La musique qui passe à la radio m'aide en ce sens : Fear of the water de SYML. Mon groupe préféré !

Ma mère le déteste, pour elle, je cite, ce sont des "chansons pour dépressifs". Bien que je porte beaucoup d'importance à ce qu'elle me dit d'habitude, sur ce coup-là, je n'en ai absolument rien à faire. J'entends ma génitrice soupirer, ce qui me fait sourire. Je la connais par coeur, ma mère, ma soeur.

— Madeline ? finit par demander ma mère.

— Oui ?

— Tu veux toujours aller au petit coin ?

— Sérieusement ? M'man, ça fait une heure que je te le dis.

Un petit rire s'échappe de ses lèvres, tandis qu'elle met son clignotant. Elle s'arrête dans une petite aire de forêt, sur un parking désert. En même temps, la nuit est tombée bien vite et nous n'avons croisé aucune voiture depuis vingt minutes. Sur la route, il n'y a pas âmes qui vivent. Sur ce parking obscur éclairé seulement par la lumière de ses phares, que nous deux. Mais, et dans la forêt ? Qu'en est-il ?

Je secoue la tête, mais je ne peux retirer cette sensation de malaise. Vivement que nous arrivions à notre logement.

— Vas-y, je t'attends, fait ma mère. Je vais me dégourdir un peu les jambes.

— Ok. T'éloignes pas.

— Oui, cheffe !

Je sors donc du véhicule et me dirige vers les toilettes, une simple cabine en bois qui a connu des jours meilleurs. Ici, pas de pièces à mettre pour pouvoir utiliser ces sanitaires. Et pas non plus de distinction de genre. J'ouvre la porte dans un grincement, aussitôt une odeur de moisi me frappe et je recule. Sauf que j'ai vraiment envie de faire pipi. Alors, je me rapproche et cherche à allumer la lumière. Après quelques tâtonnements, je finis par trouver l'interrupteur. Cependant, j'ai beau l'enclencher, rien ne se passe.

— Merde...

Je prends mon téléphone et utilise la lampe torche. Ce que je vois alors me paralyse d'effroi. Dans les toilettes sèches, se trouvent d'énormes champignons à collerettes noires, ressemblant à des trompettes de la mort. Mais, ceux-là, ont un aspect visqueux, presque... purulent. Et l'odeur de moisie semble s'en dégager. Je me bouche le nez en grimaçant. Hors de question que je pisse là-dedans.

Alors, je fais demi-tour. Ma mère n'est pas loin, je lui explique la situation.

— Tu peux attendre jusqu'à ce qu'on arrive ? fait-elle en croisant les bras contre sa poitrine.

— Non, vraiment pas. Et, franchement, c'est un coup à choper une infection. Je préfère encore aller dans les bois.

— Ok, mais je veux que tu restes visible.

Je soupire.

— Non, mais, sérieusement ? Il n'y a pas un chat ici. Ne t'inquiète pas. S' il se passe quelque chose, je crie.

Ma mère semble soudainement contrariée. Ses sourcils se froncent et ses rides s'accentuent.

— Parfois, j'aimerais tellement que tu prennes au sérieux ce que je te dis.

Je sais de quoi elle parle. De la fois où elle est sortie, contre l'avis de ses parents pour aller à l'anniversaire d'une amie. Qu'elle est passée dans cette ruelle sombre et que cet homme l'a suivie. Et tout ce qu'il lui a fait ensuite, tout ce qu'elle a dû vivre quand elle a appris qu'elle était enceinte. Toutes ses peurs, ses angoisses. Des fois, son visage se teinte de ces émotions. Et je déteste ce visage.

— Je t'aime, maman. Pour toujours.

Comme seule réponse, son visage se détend un peu et un mince sourire se dessine sur ses lèvres maquillées. Elle se détourne et part s'appuyer contre la portière de la voiture. Pendant ce temps, je traverse les fourrés afin de trouver un endroit propice à mon affaire. J'aurais pu le faire à côté de notre véhicule, tandis que ma mère a le dos tourné. Mais l'idée même qu'une voiture passerait à ce moment-là, me glace le sang.

Cependant, peut-être que j'aurais dû. Peut-être que j'aurais dû écouter la mise en garde de ma mère. Car, de cette nuit, je n'ai jamais rien oublié.

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