Chapitre 3
Bonne lecture et ! En bonus, un petit dessin de notre pauvre Aline quand elle débarque chez sa sœur. 😂
Monsieur Elys fut convaincu plus facilement que ne l'avait envisagé Aline. En deux jours le sujet était clos, Émilie et lui préparaient leur départ et cherchaient un logement à Hélioport, à proximité de la roseraie la plus proche. Ils comptaient offrir leur service d'embellisseurs de jardin au plus offrant, ce qui, d'après ce que prétendait maîtresse Renika, était grandement recherché par les citadins. La prime offerte par le royaume, la location de leur établissement ici, à Tropicapolis, plus l'argent qu'ils gagneraient en embellissant les parcs et jardins de leur ville d'adoption serait suffisant, Aline l'espérait, pour éponger leurs dettes et rétablir leur situation financière.
Maïline avait pris la nouvelle de l'évaluation de ses fils par sa sœur aussi mal que cette dernière l'avait craint. Elle accueillerait Aline par nécessité, mais ce ne serait pas de gaieté de cœur. La jeune aspirante supervisait le déménagement. Ce n'était pas une tâche facile, car il y avait le stock de plantes à liquider, leurs affaires à empaqueter, du tri à effectuer, des graines à placer chez d'autres botanistes. Elle espérait secrètement que leur situation, d'ici quelques années, se serait suffisamment améliorée pour qu'elle puisse rouvrir la boutique.
Ces occupations auraient été éreintantes, n'eut-elle souhaité avoir l'esprit occupé. L'installation des nouveaux locataires, qui aurait lieu dans moins d'une semaine, garantirait l'arrivée de leur famille proche. Faôlan serait de la partie. Elle le souhaitait autant qu'elle le craignait. Depuis leur rupture, il avait obtenu sa maîtrise et était devenu l'un des aéronautes les plus connus et les plus prestigieux de la décennie. Aline avait pu suivre l'avancée de sa carrière sans problème, puisqu'il était devenu la coqueluche des tabloïds, ayant révolutionné l'aéronautique. Il était rare qu'il mette pied à terre plus de quelques semaines, mais il se murmurait qu'il souhaitait prendre ses premiers congés depuis sa maîtrise.
Aline ne soupçonnait que trop bien la destination de ses vacances.
La jeune femme termina les préparatifs en une semaine et, la mort dans l'âme, traîna sa valise jusqu'à la porte d'entrée du manoir des Mith. Elle rassembla son courage ainsi que sa patience et sonna à la porte. Sa sœur et son beau-frère habitaient dans la banlieue nord de Tropicapolis, au sein d'un quartier calme et agréable. La maison de Carl était une résidence ancestrale, dotée d'une serre qu'il avait reconvertie en entrepôt pour le commerce familial. Commerce florissant, songea Aline avec une pointe d'envie. Si seulement son père et sa sœur avaient un tiers de son sens des affaires...
Aline patienta une minute avant que la porte s'entrouvre sur le visage suspicieux de Maïline. Elle s'efforça d'offrir un sourire chaleureux à sa petite sœur qui, en la reconnaissant, tira franchement le battant avant de poser ses poings sur ses hanches.
- Ah ! Te voilà enf...
Elle s'interrompit, examina plus attentivement Aline.
- Par tous les dieux, Aline, tu es passée dans une lessiveuse à soixante-dix degrés, ou quoi ?
Aline grimaça.
- J'ai pris de multiples coups de soleil, ces derniers jours et j'ai très peu dormi. Le déménagement m'a demandé beaucoup d'efforts et de temps.
- Je n'en doute pas... il n'empêche que tu ressembles à un vieux bout de viande bouillie. Entre, tu me fais de la peine.
Reconnaissante de ne pas être laissée une seconde de plus sur le pas de la porte, Aline s'introduisit dans la confortable maison de sa sœur. Maïline avait l'air beaucoup moins agacée qu'elle ne l'avait craint. Elle l'installa dans l'une des meilleures chambres d'amis et lui proposa immédiatement un rafraîchissement, visiblement inquiète de son état.
- Tu ne devrais pas t'exposer ainsi au soleil sans protection, la houspilla-t-elle en lui servant un verre de limonade. Je vais demander à Nina d'apporter un peu d'aloès verra. Nous autres, rousses, sommes plus que jamais ses victimes préférées.
Elle soupira dramatiquement tout en jetant ses magnifiques boucles par-dessus son épaule. Des trois sœurs, Maïline était la moins jolie, mais certainement pas la moins attirante. Plantureuse, animée et drôle, elle avait toute sa vie attiré l'attention et l'admiration de la gent masculine. Si Émilie était la beauté de la fratrie, avec sa tignasse auburn, ses traits délicats et sa silhouette gracile, Maïline était la favorite auprès des hommes. D'ailleurs, elle la soupçonnait d'avoir séduit Carl pour la seule et unique raison que ce dernier avait préféré Aline en premier.
- Où sont les garçons ? s'enquit Aline en sirotant sa limonade.
- À l'école. Ils rentreront en fin d'après-midi. À ce propos, leurs leçons se tiendront de dix-sept à dix-neuf heures, pas plus. Je ne veux pas qu'ils soient exténués et dégoûtés de la botanique.
Aline approuva.
- Bien sûr. Deux heures par jour pendant deux mois suffiront amplement pour l'évaluation.
Maïline secoua la tête.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi Maîtresse Renika t'a envoyée toi pour évaluer mes garçons. Elle devrait se charger de ce genre de tâches importantes elle-même. L'avenir de mes fils est en jeu, après tout !
Aline posa une main rassurante sur celle de sa sœur.
- Je serai Maîtresse Botaniste moi-même en fin d'année, tu sais. Renika n'aurait jamais confié cette mission à quelqu'un en qui elle n'a pas absolument confiance. Je te promets que je ne ménagerai aucun effort pour déterminer avec honnêteté le potentiel de Nicolas et Louis.
Maï émit un « hmpf » sceptique, mais n'ajouta rien. Nina, la domestique, arriva sur ces entrefaites avec un jus d'aloès verra frais, que Maïline appliqua sur la peau brûlée de sa sœur, tout en maugréant des paroles inintelligibles.
- À ce propos, reprit la benjamine en étalant une épaisse couche de gel sur la pommette d'Aline, quand les Chaumaur ont-ils prévu de venir s'installer chez nous ?
- Si je ne me trompe pas, ils sont déjà en train de déménager.
- Qu'est-ce qu'un couple d'aéronautes vient donc faire à Tropicapolis ?
L'idée paraissait visiblement incongrue à Maïline.
- La même chose que père et Émilie vont faire à Héliopolis, je suppose. On a terriblement besoin d'aéronautes, ces temps-ci. L'aéromissive que je t'ai écrite a mis plus de trois jours à être classée et transmise ! De plus, je crois que Monsieur et Madame Chaumaur préfèrent le climat tropical de notre ville à celui d'Hélioport. Tu sais que c'est très venteux, là-bas.
- Hmmm... c'est de notoriété publique que notre belle cité est la plus agréable de toutes celles du royaume.
Aline et ses coups de soleil avaient un point de vue plus nuancé sur la question, mais elle se garda bien de l'exprimer.
- Il n'empêche, reprit Maïline, que je crains que les Chaumaur ne fassent faillite en installant leur commerce ici. Tu dis qu'ils souhaitent ouvrir une aéroposte ?
- Tout à fait. Et je ne partage pas ton avis. Je pense au contraire qu'ils vont vite être débordés de travail.
- Seul le temps nous dira qui a raison, rétorqua Maïline d'un ton hautain. Va t'installer et te reposer, Aline. Tu as l'air exténuée et je veux que tu sois en pleine forme ce soir, quand les garçons arriveront.
La jeune femme se décomposa un peu.
- Je pensais commencer leur évaluation demain...
- Allons, allons ! Une bonne sieste, une nouvelle couche d'aloès verra, et tu seras fraîche comme une pivoine. Je veux que Louis et Nicolas aient toutes les chances de leur côté pour devenir aspirants Botanistes.
Aline n'insista pas. Elle savait que, lorsque sa sœur avait une idée en tête, il était quasiment impossible de la raisonner. Elle se dirigea, pas traînants, dans sa chambre et s'effondra sur le lit. En une petite minute, elle dormait déjà.
***
Six ans plus tôt.
La fête des lanternes approchait à grands pas. Il avait fallu une petite semaine à Aline pour se remettre de la rencontre avec Faôlan Wintaker. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait le béguin pour un homme à qui elle n'avait pas parlé plus de cinq minutes... cependant, le célèbre festival avait fini par lui remettre les idées en place. Elle avait un tas de lanternes à concevoir. Elle arrivait à en produire une petite cinquantaine par jour, et était en rupture de stock le soir venu. Maîtresse Renika, comme tous les maîtres Botanistes de la ville, avait donné une semaine de libre à son apprentie pour qu'elle puisse se consacrer à cet événement joyeux. Non seulement Aline adorait la fête, mais en plus, cette dernière rapportait énormément aux boutiques de botanistes spécialisées. Pour l'occasion, son père et Émilie avaient consenti à laisser de côté leurs rosiers afin de participer à l'effort commun. Ils créaient de magnifiques lanternes colorées, en pétales de rose, qui se vendaient comme des petits pains. Malheureusement, ils n'en produisaient pas suffisamment pour que cela soit lucratif. Les Lanternes d'Aline, en feuilles d'érable, de catalpa et de paulownia, étaient certes moins colorées, mais tout aussi jolies que celles de son père et sa sœur. Et elles étaient infiniment plus simples à créer.
La petite cloche de la boutique sonna, indiquant qu'un client venait de rentrer. Maïline, celle qui possédait le flux le plus pauvre de la famille, était chargée de tenir l'échoppe pendant que ses autres membres travaillaient dans la serre. Aline ne prêta pas attention à ce qui se passait de l'autre côté, concentrée sur sa tâche. Les trois feuilles d'érable, fraîchement cueillies, devaient être modifiées tant qu'elles étaient encore vivantes. Aline les cajola, les guida, jusqu'à ce que leurs bords respectifs se joignent et forment une petite, mais très jolie lanterne. La jeune femme était ravie de l'effet obtenu. On discernait toujours la forme originelle des feuilles, ce qui conférait à l'objet final un rendu biscornu adorable.
- Une véritable lanterne de lutin ! gloussa-t-elle en admirant son travail.
Soudain, alors qu'elle reposait son œuvre sur la table à côté d'elle, Aline perçut l'intonation d'une voix qu'elle crut reconnaître. Le cœur battant à tout rompre, elle se glissa jusqu'à la porte entrouverte de l'arrière-boutique et jeta un œil au comptoir. Son cœur bondit violemment et se heurta contre sa cage thoracique.
Faôlan Wintaker était là, en train d'acheter trois de ses lanternes. Il plaisantait avec sa petite sœur. Maïline était charmée par le jeune homme, Aline pouvait le constater, même de dos. Elle n'arrêtait pas de balancer ses cheveux roux par-dessus son épaule et de glousser à la moindre parole de son client.
Aline se sentit soudain très malchanceuse. Si c'était elle qui avait été à la vente, elle aurait pu reparler avec lui ! À tous les coups, Faôlan allait céder au charme ensorcelant de la petite dernière. Néanmoins, et à son plus grand plaisir, Aline remarqua son regard qui balayait la pièce, à la recherche de quelque chose. Il continuait de plaisanter avec Maï, mais la cadette ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer qu'il la cherchait, elle.
- Comment se passe votre installation ? minauda Maïline.
- Plutôt bien, même si je dois admettre que le festival ne me facilite pas la tâche.
- Oh ?
- L'atelier où je me suis installé a été réquisitionné par la mairie, comme tous les autres, pour stocker les lanternes. Me voilà au chômage technique !
Malgré cette exclamation, Faôlan ne paraissait pas irrité le moins du monde. Comme la fois précédente, son ton était enjoué, hilare, même. Aline n'y tint plus. Elle saisit sa dernière création et, priant d'être frappée par l'inspiration divine, s'introduisit dans la boutique comme si de rien n'était.
Son regard se posa immédiatement sur le client et, feignant une surprise qu'elle ne ressentait pas du tout, se figea dans ses mouvements.
- Oh ! Bonjour aspirant Wintaker !
Le sourire cordial de Faôlan se mua en expression de joie pure.
- Bonjour aspirante Elys. Quel plaisir de vous revoir !
Aline déposa sa lanterne sur une étagère de présentation, les joues flamboyantes.
- Je vois que vous êtes venus acheter vos munitions pour demain soir, déclara-t-elle en désignant les trois objets en feuilles de paulownia et catalpa.
- En effet. Il paraît que, la semaine précédant le festival des lanternes, personne n'a le droit de travailler ou de penser à autre chose qu'à l'événement. Je me plie donc à la coutume locale.
Aline ignora les coups d'œil suspicieux de Maïline et joignit ses mains moites devant elle.
- J'espère que cela ne vous pénalise pas trop ?
- Non, pas du tout. Je suis en avance sur mon projet et une semaine de festivités ne peut que me faire du bien. Mon seul véritable problème, c'est qu'il paraît que se rendre au festival sans cavalier est une humiliation.
Faôlan avait déclaré cela d'un ton égal, mais Aline s'empourpra davantage. Maïline ouvrit la bouche pour mettre son grain de sel, mais sa grande sœur, pour une fois, ne lui laissa pas l'occasion de s'introduire dans la conversation.
- Oh, non, ne vous inquiétez pas ! s'exclama-t-elle en ignorant le coup d'œil outré de Maï. Ce n'est pas tant une cavalière qu'il vous faut qu'un guide. Le festival des lanternes n'est apprécié à sa juste valeur que lorsqu'on connaît les meilleurs endroits où y participer.
- Aline ! Tu dis n'importe quoi ! répliqua Maïline en se déhanchant. Évidemment qu'il faut une cavalière à l'aspirant Wintaker ! Il s'avère que...
- Tu es déjà prise, c'est bien dommage, la coupa Aline sans l'ombre d'un remords. Tu as de la chance qu'Antoine t'ait demandé. Enfin, c'est lui qui a de la chance. Tu avais au moins six ou sept prétendants, non ?
La mine déconfite de Maïline aurait pu être drôle, si Aline n'était pas aussi perturbée par les yeux pétillants de Faôlan... et la perspective de la punition qu'elle allait recevoir de la part de sa sœur.
- Six ou sept prétendants ? rebondit Faôlan, en jouant le jeu. C'est effectivement impressionnant. Enfin, je suis fort aise que vous parliez de guide, aspirante Elys. Je cherchais justement quelqu'un pour m'accompagner et me montrer les plus beaux coins de Tropicapolis. Seriez-vous d'accord pour relever le défi ?
Aline crut défaillir. Il était bien en train de lui demander de sortir avec lui, n'est-ce pas ? Elle était naïve, mais là, c'était un peu gros ! Sans trop oser se faire de faux espoirs malgré tout, la jeune femme hocha la tête, de son air le plus ingénu possible.
- Avec grand plaisir. Il s'avère que je n'ai pas de cavalier donc pas d'engagement. Je me ferai un plaisir de vous faire visiter Tropicapolis. Retrouvons-nous demain soir à dix-huit heures devant la boutique. Cela vous convient-il ?
Elle avait déblatéré sans reprendre sa respiration. Faôlan s'inclina, un sourire ravi aux lèvres.
- Je serai au rendez-vous.
Il paya les trois lanternes et s'éclipsa en saluant les deux jeunes femmes. Aline écouta à peine les récriminations de Maïline dès qu'il fut hors de portée d'oreille. On pouvait dire ce qu'on voulait, mais elle, Aline Elys, éternelle célibataire, avait un rencard.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top