Chapitre 36: la planification de l'opération


Je hausse les sourcils, en lui souriant avec sarcasme. Je n'y ai pas cru un quart de seconde, j'espère qu'il s'en rend compte. Nous libérer ?Je n'ose même pas imaginer ce que nous allons devoir faire. Sans compter que je n'ai aucune garantie qu'ils tiennent parole. C'est donc un non, ferme et définitif. Enfin, je suppose ne pas avoir le choix. Mais je m'oppose par principe.

-Vous rêvez. Vous allez devoir nous mettre sous sédatifs, aucun de nous n'acceptera. Notre cerveau n'est pas encore assez ravagé pour croire à de telles sottises. Nous libérer ?

J'éclate d'un rire tonitruant et lui jette un regard assassin.

-Savez-vous ce que nous avons enduré, avant de vous rencontrer ? Savez-vous ce que nous avons subi ? Vous n'avez pas le droit de lancer ça, l'air de rien. Vous n'avez pas la moindre idée de ce que ça représente pour nous quatre, la liberté.

J'ai serré les poings, et je me suis levé. Je peux entendre mon pauvre petit cœur s'affoler, en parlant de liberté. Je ne l'ai jamais connu, ou je ne m'en souviens plus. Je ne connais même pas cette sensation, et il s'octroie le droit de me faire miroiter une fausse liberté, qu'il n'a aucune intention de m'accorder ? C'est un monstre.

-Vous avez raison. Vous n'avez aucune raison de me croire, et je n'ai aucune garantie à vous offrir, si ce n'est ma parole.

Mon cerveau cogite intensément. Il y a forcément un moyen de m'assurer de sa bonne foi.

-Je vais vous exposer l'opération Perseus, venez, approchez-vous. Sachez que vous êtes filmée, et retransmise en direct dans votre studio. Vos amis ont les yeux rivés sur vous, me chuchote t-il.

Quel crétin. Qu'est-ce qu'il veut que ça change ? Abruti. Je m'avance tout de même vers un des nombreux écrans géants qui tapissent la salle du sol au plafond. L'opération Perseus ? Ce nom me dit quelque chose, je suis sûre de le connaître ! A mon grand désarroi, je ne parviens pas à me souvenir qui m'en a parlé, et la puce ne m'a apparemment pas injecté d'informations à ce sujet.

Violet Aristée frôle l'écran d'une main experte, et une maquette apparaît aussitôt entre nous deux, à la manière d'un hologramme. La lumière bleue est translucide, je peux nettement distinguer les étoiles dans les yeux du « génie militaire » en face de moi. C'est répugnant, on dirait un enfant qui vient de découvrir son nouveau jouet. Ses sourcils se sont légèrement détendus, et il gratte désormais l'ombre de barbe qui parsème sa mâchoire d'un air satisfait. Je ne le lâche pas des yeux, et il s'en rend compte car il me fait signe de me concentrer sur la maquette qui tourne lentement sur elle-même, laissant voir une immense forêt bleutée.

-Une forêt. C'est ce que vous vouliez me montrer ? Je demande, aussi désobligeante et méprisante que possible.

-Une forêt. Exact. Vous êtes bien perspicace, qui aurait pu le deviner ?J'ai moi-même eu du mal à m'en souvenir.

Sarcastique, en plus d'être désagréable ? On se ressemble peut être plus que je ne veux bien l'admettre. Je ne lui réponds rien. Qu'il parle, et vite. Cette pièce suréquipée commence à me peser un peu.

-Venez, approchez-vous, dit-il en me posant une main sur l'épaule.

Je sursaute, et dégage aussitôt sa main, dédaigneuse. J'essaie de garder la face, mais je n'ai pas supporter qu'il me touche, mon corps a été plus rapide que mon cerveau. Il l'a dégagé violemment avant que mon cerveau m'empêche de montrer mon dégoût. Il fait comme si de rien n'était, et m'invite à me rapprocher un peu plus de la maquette.

-Vous ne mesurez pas le caractère exceptionnel de ce que vous voyez. La dernière forêt primaire du monde. L'Amazonie. Elle est située en Amérique du Sud. L'État du Bolsionario, qui occupe près des trois quarts du continent, nous as autorisés à parachuter nos meilleurs éléments sur le terrain, dans le but d'exterminer les derniers rebelles opposés au nouveau système du Serveur centralisé en Europe. Ils sont dangereux, armés, et sournois. Honnêtement, vous n'avez pas de grandes chances de réussir, c'est pour ça que j'ai réussi à marchander votre liberté en cas de victoire. Ne me mettez pas dans le même sac que les autres, je vous en prie, votre sort m'importe.

Je suis tétanisée par ce que je viens d'apprendre. Nous allons être parachutés à l'autre bout de la planète, dans un milieu hostile, peuplé de gens qui n'auront qu'une envie : nous égorger le plus vite possible ? Ils veulent notre mort ? Ah oui. Suis-je bête. Nous ne sommes que de simples tarés, dont personne ne veut. Idéalement, nous mourrons sur place en tuant le dernier rebelle. A cette pensée, je promet d'en ressortir vivante. Pour le plaisir de voir leur têtes.

-Épargnez-moi le baratin habituel du gentil scientifique qui veut libérer ses cobayes. Vous même manquez de conviction en disant ça.

A mes mots, ses épaules s'affaissent. Qu'il arrête son cinéma, je suis à deux doigts de me laisser avoir !

-Dites-moi tout. Ce que nous risquons, qui sont nos ennemis, quelles seront nos conditions de vie sur place, quel matériel aurons-nous a disposition, qui sera parachuté avec nous, combien de temps avons-nous, n'omettez aucun détail. Pas même la manière dont vous compter nous libérer et nous réinsérer à la vie extérieure. Je vous écoute.

J'ai tout dit d'une traite. Mon cerveau méfiant a été remplacé par celui d'une habile stratège militaire.J'examine la maquette avec attention. Des points rouges se sont mis à clignoter à divers endroits. Souvent sous une grotte, en haut d'un arbre ou à l'abri d'un talus. Ils représentent peut être les points où nous seront en sécurité. Une ligne pointillée surgit de l'arbre le plus haut de la forêt.Comme un drapeau, trois phrases apparaissent à son sommet. « Point culminant du danger. Ne pas s'en approcher, repère de Souleymane, niveau quatre. »

-Vous risquez de mourir à chaque instant. Vos ennemis sont des rebelles sanguinaires, qui se nourrissent de ce qu'ils trouvent. Et quand ce qu'ils trouvent ce sont vous, ils vous passe au feu de camp, avant de se partager les meilleurs morceaux de votre chair. Ils ont renoncés à toute humanité, toute trace de civilisation. Leurs règles sont bien particulières : ils n'en ont pas. Chacun est libre d'aller et venir à sa guise, sans surveillance. On suppose qu'ils ont aboli le viol, le meurtre et le vol, mais nous n'en savons rien. Ils vivent organisés autour de plusieurs chefs, qui changent régulièrement. Ils n'ont pas de dirigeants à proprement parlé.

Il s'arrête en me glissant un regard inquisiteur, comme si il s'attendait à ce que je l'interrompe, mais je n'en fais rien. Je suis curieuse de découvrir comment vivent ces barbares. Je me demande ce qui empêche le Serveur de tous les décimer d'un simple missile nucléaire.

-Vous vivrez sous terre. C'est l'endroit le plus sûr. Les barbares évoluent avec une aisance déconcertante dans les grottes, les lianes, les arbres, le sol, l'eau... vous seriez tués en quelques secondes, si vous aviez le malheur de dormir à l'air libre. Vous aurez à disposition chaque arme que nous jugerons utiles de vous donner, ne vous faites pas de soucis de ce côté-là. Vous évoluerez seuls. Les puces et le programme qui vous a été injectés est de loin le plus puissant à ce jour. Vous ne mesurez pas encore l'étendue de vos capacités, elles se réveilleront en présence d'un danger mortel. Les autres agents d'élite ne feraient que vous gêner. Vous aurez deux semaines pour tuer un maximum de rebelles. Nous ne pouvons pas vous laisser plus de temps, ça serait dangereux. Vous ne recevrez aucune aide extérieure, mais vous avez besoin d'un sérum pour bien assimiler les notions que nous envoyons via la puce. Sans ces doses de sérum, vous risqueriez de vous tuer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Le sous-entendu est clair. Ils ont dépensés bien trop d'argent pour nous laisser mourir loin d'eux, et ne pas savoir qui du coeur ou du poumon s'arrêtera en premier. Ce serait du gâchis, voilà ce qu'il s'est retenu de dire. A cet instant plus que jamais j'ai la sensation d'être totalement dépossédée de mon corps.

Je hoche la tête plusieurs fois, le regard rivé sur la maquette. Mes yeux commencent à me picoter : je n'ai pas cligné les yeux durant toute son explication. J'évalue chaque angle de la maquette, chaque centimètre, je me projette avec Marius, Gabriel et Victoire dans la jungle, entourés de dangers mortels. Je nous imagine tuer. Tuer ? Cette idée ne m'avait même pas fait tiquer tout à l'heure ! Je vais devoir tuer , Gabriel va devoir tuer ! J'inspire profondément et garde la face. Mes iris se plantent dans ceux de Violet Aristée. Il a omit un détail, et il me semble avoir été précise sur ce point là.

-Comment comptez-vous nous libérer ? Avec la puce ? Sans la puce ? Comme des fous ? Comme des citoyens normaux ?

-Comme vous le souhaiterez. Si vous tenez à garder la puce, vous devrez intégrer les unités spéciales du Serveur, pour rester sous contrôle. Si vous n'en voulez pas, nous vous la retireront. Je préfère vous dire qu'on ne sait pas ce qu'il vous restera comme souvenirs, comme capacité, si vos troubles mentaux s'accentueront...ce sont des données variables et incertaines. Vous êtes l'expérience Alpha, les premiers.

Ouch. Je voulais de l'honnêteté, de la franchise ? Me voilà servie ! Il ne m'a rien caché. Si je sors, je serais un véritable zombie sans souvenirs et sans famille. Sinon, c'est l'armée ? L'armée. Je ne cache pas mon mépris. Hors de question d'être à nouveau sous les ordres de quelqu'un. Nous devrons choisir entre la peste et le choléra. Etre réduit à l'état de légume ambulant, ou à celui de machine à tuer ? Dans tous les cas, je ne serais pas vraiment libre. Ce n'est pas très aguicheur, comme plan. Violet semble en avoir conscience, car il me jette un regard contrit avant de reprendre se tirade.

-Les points rouges qui s'allument représentent les principaux points stratégiques des rebelles, ceux que vous devrez à tout prix éviter si vous tenez à la vie.

Ah. Ce ne sont donc pas « nos quartiers », comme je l'avais supposé. Je passe ma main au travers de l'hologramme, là où demeure un certain Souleymane.

-Un des plus puissants guerriers. Nous ne connaissons pas son nom, il vit à la marge des autres. Souleymane est son nom de code. Prenez garde, il est extrêmement dangereux. Il refuse de faire partie d'une organisation. La nôtre, la leur, peu importe. Il se bat à leur côté au besoin, car les rebelles le laisse tranquille.

J'acquiesce en silence. Ils vont nous tuer, et le pire, c'est que ça à l'air de leur faire ni chaud ni froid. Enfin, ça les embêterai de perdre autant d'argent. Ils ont l'air, a contrario, de considérer la perte humaine comme un dommage collatéral. Je prend une voix un peu plus grave, involontairement.

-Et si nous refusons ?

Les écrans et les divers hologrammes se reflètent sur nos visages. Le châtain des cheveux de mon interlocuteur est parsemé d'un bleu virtuel, ses traits se confondent un peu dans la pénombre. Je n'avais pas remarqué que les autres blouses blanches avaient désertés. Tout comme l'affreux vigile, d'ailleurs. Il se tourne vers un autre mur où défile une quantité d'informations surprenantes, et énonce d'une voix claire.

-L'équipe chargée de votre expérience n'a pas mesuré la puissance de la nouvelle puce. Nous finiront l'expérience. Et si vous survivez, ce dont je doute fort, c'est l'injection létale. Vous ne pourrez pas rejoindre les unités de l'armée, on estimera, à raison, que vous serez trop ravagés par les épreuves.

Je mets du temps à assimiler ses paroles. La souffrance, la folie, et enfin... la mort. Une mort rapide, une mort indolore.

Est-ce que j'accepte de mourir, après tout les efforts que j'ai fais pour survivre ? Je me suis promis d'arrêter de me cacher, de me noyer dans la lâcheté. C'est le moment. Non. Non, et mille fois non. La puce nous as rendu, nous rends et nous rendra de plus en plus puissants. La révolte des robots. C'est presque ça. La révolte des cobayes. Voilà, c'est ça mon plan.

On va s'en sortir, je me le promets. A cet instant, je sais que nos quatre cerveaux se sont accordés, je n'ai pas besoin de leur parler pour connaître leur choix. Nous sommes d'accord, nous allons nous battre.

-C'est d'accord, je déclare froidement.

Ma mâchoire se serre un peu plus fort quand je vois le sourire du militaire en face de moi.

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