Chapitre 30, ou le moment où j'aurais du comprendre
La porte coulisse silencieusement, et nous arrivons d'un pas peu assuré dans la nouvelle salle. Attendez, il n'y a pas de nouvelle salle. Enfin, pas à proprement parlé. Seulement un espèce de petit cagibi tout noir, où trône deux chaises qui sont, en toute objectivité, dans un sale état. Elles sont petites, ce sont des chaises pour enfant. Leur dossier sont faits d'un bois miteux, tellement branlant que je doute sérieusement de sa capacité à soutenir mon dos fourbu. C'est leur nouvelle farce ? Je cligne des yeux pour m'habituer à l'obscurité ambiante, mais ne décroche pas un mot.
Marius m'en veut, et moi aussi. Ça ne sert à rien de ressasser mon incartade, bien que j'en sois peu fière. Je m'affale lourdement sur une des chaises, qui résiste étonament bien à mon imposante masse exténuée.
Chacun de mes membres parait dix fois son poid, la seule pensée de l'esquisse du moindre geste me parait incommensurable. La dernière épreuve n'était pas éprouvante physiquement, et je n'ai eu non plus à me triturer les méninges. Non, j'ai du faire face à un énorme mur émotionnel, un raz-de-marée de sentiments. C'est ça ! Une immense vague de sentiments, de resentiments a déferlé sur moi. La première épreuve, la corde, c'était la partie physique qui visait à nous affaiblir pour la suite des opérations. D'ailleurs, je ne suis pas sûre que nous ayons vraiment franchi cet obstacle avec brio : la brûlure dans mon dos paralyse le moindre geste comprenant de près ou de loin mon buste, mes bras et mes épaules.
Ensuite, ils nous ont à chacun implanté des informations : j'ai eu la partie informatique, et Marius le côté astronome. Enfin, j'ai du faire un gros travail de réflexion sur moi-même, dans une pièce littéralement... polaire. En y repensant, Marius n'a pas eu l'air de si mal vivre cette épreuve, il avait ses étoiles, il paraissait comme hors du temps. Enfin, jusqu'à ce qu'il ait à me sauver de l'ouragan de colère qui menaçait de m'engloutir. Je ne vois pas ce qu'il peut nous rester. Tout y est passé, le physique, l'intellectuel, le mental.
Qu'est-ce qu'ils ont bien pu nous inventer, cette fois ? Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de vous préciser que je suis pétrifiée d'avance. Ni qu'il soit indispensable de décrire mon impassibilité apparente. Nous sommes tous les deux assis en silence. Marius évite mon regard, il est blessé. L'idée qu'il puisse êre autant touché par ma fausse manoeuvre de rapprochement n'avait même pas effleuré mon brillant esprit. La culpabilité commence lentement à grignoter le peu d'estime qu'il me restait envers moi-même. Nos mains se touchent toujours, cordelette oblige, mais notre seule contact est désormais la croûte de sang qui a définitivement bien séché entre nos épidermes. Les entailles de nos poignets ont pour l'instant arrêté de déverser leur liquide carnin sur nos avants-bras, à mon plus grand soulagement. Je veux tuer, je ne veux pas me faire tuer. Et encore moins par une ficelle de malheur.
La pièce est vraiment exigüe. Je crois qu'on ne pourrait rien y ajouter d'autres que ces deux misérables chaises usées jusqu'à la corde. On se touche inévitablement ; il a de longues jambes, mais je suis avec un fantôme. Je prie pour ne pas avoir éteint la dernière flamme, la dernière braise d'espoir qui le maintenait en vie. Il m'avais bien fait comprendre que cette étincelle vacillait, tremblotait déjà dangeuresement, et je n'ai pensé à rien d'autre que la balayer d'un simple baiser dans le cou. Il y croyait trop. C'était ça, le problème, le vrai.
La voix déformée par les hauts-parleurs trafiqués coupe court à l'affreux sentiment de culpabilité qui commençait à m'envelopper de ses larges bras.
-Coupez votre corde. Tout contact physique est désormais proscrit. Olympe, vous allez quitter la pièce avec Ken. Marius, vous serez escorté de Zack.
La voix est sérieuse, beaucoup trop. Depuis le début de la série d'épreuves, elle s'applique à nous railler, nous rabaisser, nous moquer. Pas une fois elle n'a manifesté une telle indifférence, un tel sérieux.
-Nous passons à la phase deux des épreuves. Tenez-vous prêts, c'est généralement la partie la plus intéressante.
Mon cerveau choisi apparement de faire abstraction du fait que je vais être séparée de mon acolyte de toujours, et se focalise uniquement sur le "généralement" prononcé par le très pompeusement dénommé "Monsieur". Nous ne sommes pas les premiers. Pas les premiers cobayes, pas les premiers ados sacrifiés "pour faire avancer la science". D'autres ont déjà subi tout ça. Sont -ils vivants ? Sont-ils devenus fous, ont-ils cédé à la folie ? Les as t-on tués ? Ils se sont peut être enfuis !
Une main rugueuse saisit fermement mon bras nu et me tire le plus fort possible vers lui ; mes poils se hérissent. Je supplie de toute mon âme pour que ce ne soit pas les mains baladeuses de l'immonde gorille, mais c'est peine perdue, je le sais. On fait de même avec Marius, Zack fait de même avec Marius. Ils sont musclés, les bougres ! La cordelette qui nous relie est tendue à son maximum, les entailles fraîchements refermées de mes poignets se sont rouvertes. Le sang est chaud, il me réchauffe un peu. J'essaie de transmettre toute l'estime et l'amour que je suis capable de ressentir par une dernière oeillade larmoyante lancée à Marius, mais je crois que je suis beaucoup trop pitoyable pour qu'il puisse interpréter quoi que ce soit.
Je me laisse trainer sans un infime souffle d'honneur ou une once de fierté. Je fais la serpillère, et c'est tout. La pièce, qui me paraissait bien exigüe, était en fait plongée dans une pénombre trompeuse. En réalité, je crois qu'elle est immense. Ken me traine par les deux bras, derrière lui. Il me hisse sur son dos, en me tenant toujours les coudes. Comprenez ma douleur. Mon esprit est comme atrophié, la moindre ébauche de début de réflexion me prend plusieurs secondes. Ils ont du me droguer, je pense mollement. Cette idée ne provoque aucune réaction chez moi, pas un mouvement.
-Je suis molle, je déclare pâteusement dans le vide.
Une main qui glisse sur mon ventre, jusqu'à mes fesses est ma seule réponse. Je me laisse faire. J'ai envie de vomir, mais je suis incapable d'esquisser le moindre geste. Mon esprit est coincé sous l'eau, je n'arrive pas à briser la glace qui m'empêche de prendre une bonne goulée d'air frais. Je martèle rageusement contre la paroi glaciale, mais rien à faire. Je suis bloquée.
La grosse main rugueuse se déplace enfin et quitte mon cher postérieur, à mon plus grand soulagement. Avec son amie, elles me jettent au sol sans ménagement, et un gros ricanement d'une voix inconnue retentit. Cette voix. Elle ne m'est pas si étrangère, je crois. Mon brillant cerveau maintenant paralysé par je ne sais quelle substance ne parvient pas à l'identifier avant qu'elle ne commence sa tirade.
-Ma chèèèère Olympe. C'est un véritable plaiiiiisiir de vous vooiir iciiii.
Par pitié, qu'il se taise. Je déteste déjà l'homme qui prend de fausses intonations aigües pour me parler. Je le reconnais, je crois.
-On se connait. Je te connais très bien, trop bien.
Il appuie sa déclaration d'une légère pression sur mes cicatrices derrière les oreilles, celles que personne n'a vu. Je sursaute imperceptiblement, mais pas asssez pour que ça lui échappe.
-Non, je ne t'espionnais pas sous la douche, si tu te poses la question. Enfin, pas moi. Mais disons que...il se pourrait, par un pur hasard évidemment, que je sache plutôt précisément ce qu'il vous est arrivé. Je serais même, éventuellement, capable de vous dire qui en est le responsable. Curieuse ?
Je ne peux lui répondre que d'un grognement digne d'un ours. Tant mieux, il ne mérite pas mieux. Il a intérêt à aller droit au but, où je lui ferais payer son petit plaisir sadique dès que je serais en état de lever un bras.
-Suis-je bête ! C'est moi, hahahaha ! Secondé par votre cher ami, Ken le gorille, comme vous vous plaisez à appeler mon fils.
C'est lui qui m'a fait ça ? Je vais le sclaper sur le champ, droguée ou pas. C'est un vrai malade, ma parole ! Et en plus, qui appelle son fils Ken ? J'ai assez de preuves pour conclure qu'il est complètement frappé. Je l'ignore royalement, pour lui signifier clairement qu'il ne jouit en aucune façon d'un quelconque pouvoir, juste parce qu'il s'est amusé, dieu sait pourquoi, à m'inciser les oreilles ! Je réprime chacun de mes frissons, il ne fait pas donner satisfaction à ce sadique. Il ne m'a pas eu, et il ne m'aura pas.
-Enfin, entamons la partie révélations de choc, c'est ça qui nous intéresse, pas vrai ? On commence ! Il claque thétrâlement des doigts, et un écran sort de l'ombre. Allez, on ne traîne plus ! Je la sens déjà impatiente.
Sur ces mots, je sens une épaule s'affaler à côté de moi. Il vient de coller son corps répugnant au mien. Je sens une remontée acide serpenter le lond de ma gorge.
Une vidéo démarre sur l'écran. Il susurre à mon oreille.
-Que le spectacle commence, chérie. Je t'ai maté, même si ça as pris plus de temps. Tu vas vite t'en souvenir.
D'où il me tutoie, lui ? Et puis, comment ça, il m'a maté ? C'est quoi son délire de pervers narcissique ? Je suis enfermée avec un fou prêt à me sauter dessus à tous moments, c'est ça leur épreuve ?
L'image de la vidéo est encore floue, mais je perçois nettement des bruits de claque, de cris réprimés. L'image se stabilise enfin. Deux personnes sont dans une pièce rouge, du sol au plafond. Je reconnais enfin la voix de l'homme. C'est le dénommé "Monsieur". Le gros sadique qui contrôle l'expérience, le chef de la secrétaire.
Une jeune fille brune est menottée à un des murs. D'ailleurs, vu l'état de son corps, je ne suis pas sûre qu'elle puisse tenir debout seule. Ses mèches châtains sont collées à son visage par le liquide carnin qui s'échappe de son cou et de son arcade sourcillière. Sa lèvre aussi semble fendue. Je ne peux pas distingier ses traits. Une chose me saute maintenant au visage. Elle est presque nue. Ses seins sont découverts, elle ne porte qu'une petite culotte. Je crains le pire, vu le regard lubrique de l'immonde homme en face d'elle. D'ailleurs, si son corps entier semble avoir été malmené, sa poitrine est totalement immaculée. Je descend mon regard et retiens ma respiration. Une énorme balafre mal recousue barre son ventre, de la côte à la cuisse. Elle est fraîche, boursouflée, mais je la reconnais, cette putain de balafre.
C'est moi.
Cette jeune fille, c'est moi. J'ai les cheveux beaucoup plus courts, je suis un peu plus maigre, je suis parsemée de bleus, mais je reconnais cette putain de cicatrice. Et l'homme qui se tient en face de moi, c'est celui qui m'a fait tout ça.
Des éclats, des fragments de ces horribles moments me reviennent. Surtout des sensations, des émotions, de la douleur, de la colère, de la révolte, mais rien d'heureux. Rien du tout. Des cris, des crises de larmes, des crises d'angoisses, et puis lui. Lui. Encore et toujours lui. L'homme qui est accoudé sur mon épaule, celui dont je sens le sourire malsain s'étirer dans mon cou à l'instant.
-Ça y est. On a enclenché le vrai processus. Tu vois, ce que tu t'apprêtes à voir dans cette vidéo. J'aurais pu continuer à le faire plusieurs années, mais ma secrétaire m' a parlé d'un programme financé par le gouvernement. Ce programme. Celui auquel tu participes avec ton petit ami. On vous étudie, pour essayer de vous guérir.
-Ôte ta main de mon épaule ! Tout de suite ! Je me met petit à petit à crier. Dégage ! T'es qu'un immonde porc ! Un fumier !
Les pires souvenirs me reviennent, je n'ai pas besoin de voir cette putain de vidéo. J'aimerais voir Marius, juste pour qu'il m'aide à comprendre. J'ai du mal à supporter le contact de l'haleine putride de mon geôlier sur mon cou. L'endroit même ou Marius m'a fait un baiser. Je ne peux pas, ça me dégoûte. C'est au-dessus de mes forces. Je lui donne raison, en vrillant, en ne supportant pas sa vue, il est content. Je me déteste de ne pas être capable de controler mes émotions. Je suis faible, et je lui montre. Je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme là.
-T'es qui putain ? D'où tu sors ? Pourquoi tu me fais ça, à moi, A NOUS ? On a fait quoi, bordel ? Je suis qui moi ?
-Enfin ! J'ai bien cru que tu ne demanderais jamais. J'ai reçu des consignes de la part des Savants pour ne rien te dire avant que tu demandes. Je vais enfin pouvoir m'amuser ! Se galvanise t-il.
Je fulmine, je bouillone, je tremble de rage. Qu'il parle, et vite. Je vais vriller.
-Je suis directeur d'...
Il est coupé par le son de la vidéo, poussé au maximum. L'homme s'approche de la jeune fille, lui tourne autour, balade ses doigts un peu partout. Il dessine la ligne de ses seins, de mes seins. Un gloussement retentit, juste à côté de moi.
-C'est ma partie préférée ! T'imagines même pas à quel point ils m'ont manqués, ces deux-là !
Je ne réagis pas, ou du moins pas ostensibement. En mon for intérieur, je bouillone, je tourbillonne, je m'embrase. J'ai compris que ce cher "Monsieur" de mes deux se nourrit, se réjoui de la moindre de mes réactions. C'est un malade, un psychopathe.
L'homme de la vidéo parle.
-Alors, petite sotte. On m'a raconté qu'hier soir tu nous as faits une grosse crise, un gros caca nerveux. Dit-moi, tu te souviens de ce que je suis obligé de faire, dans ces cas-là ?
La jeune fille relève fièrement les yeux.
-Assouvir tes besoins de grizzly en rut sur une jeune fille attachée ? Je t'ai toujours trouvé un vrai côté viril, annone t-elle d'une voix où subsiste un brin d'assurance.
Je ne peux m'empêcher de sourire, malgré le morbide de la situation. Je suis fière de moi, je ne le laisse pas gagner. Je dois faire honneur à mon ancien comportement, que tous mes efforts ne sois pas réduits à néant par une faiblesse passagère.
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