Chapitre 2, le réveil. [corrigé]
L'après
Je me réveille avec une sensation de vide intense. Mon cerveau n'est qu'un vaste trou noir, qui peine à maintenir mes lourdes paupières entrouvertes. Elles glissent presque aussitôt devant mes iris, à mon grand désarroi.
Je suis comme empêtrée dans un état semi-comateux qui m'empêche de reprendre conscience pleinement. Un discret parfum d'insécurité s'insinue doucement dans mon corps, à mesure que je sors de ma torpeur, mon cœur s'emballe un peu.
Malgré mon état peu reluisant, je conclus rapidement que je suis dans un hôpital, au vu de l'odeur chimique qui me chatouille les narines, et des néons blanc qui m'aveuglent.
Je tente de lever la tête mais le martèlement dans mes tempes me cloue sur place, et mon regard dérive sur mes poignets parsemés de bleus. Je ne suis pas tout-à-fait réveillée, alors je ne m'affole pas vraiment. Je crois qu'à cet instant, on pourrait me faire avaler n'importe quoi, je goberais tout sans poser de questions. Il y a quand même une chose qui me chiffonne. Je n'ai aucune idée de ce que je peux bien faire ici !
Pour être honnête, je ne suis pas sûre de me souvenir de grand chose.
Je suppose que je devrais paniquer, m'affoler, remuer ciel et terre pour comprendre à quoi tout cela rime, mais je ne parviens qu'à maintenir ouvertes mes paupières pesantes.
Je cherche faiblement à me rappeler de quelque chose, un détail, n'importe quoi, mais rien. Ma mémoire semble avoir pris congé. Je ne parviens à visualiser qu'un interminable mur blanc, griffonné d'un code.
Une pauvre suite de chiffres, sans signification apparente.
Juste à côté, sont inscrites quelques lettres tracées à la hâte. Elles scintillent d'un bleu virtuel, dans un faible halo de lumière. L'écriture est un peu bâclée, mais les lettres sont bien lisibles. Le mot « Olympe », voilà ce qu'elles forment. Il me semble que c'est un prénom, un vieux prénom d'avant l'Évolution. C'est peut être le mien ?
La sensation de vide revient à la charge, et me happe, m'aspire au fond de ce trou noir ou tout n'est qu'inconnu, en passant par ma propre identité.
Pourquoi suis-je amnésique ? Ai-je simplement eu un accident ? Suis-je vraiment dans un hôpital ? Toutes ces questions se bousculent furieusement dans mon esprit toujours embrumé. J'ai l'impression que je devrais savoir quelque chose, qu'un détail devrait me sauter aux yeux, mais impossible de mettre le doigt dessus. La frustration prend le dessus sur la peur.
Des bruits de pas se font entendre et me sortent soudainement de mes réflexions. La porte s'ouvre et mon premier réflexe est de fermer les yeux et de feindre un lourd sommeil. Une voix féminine semble s'adresser à moi, mais étant de nature méfiante, je ne bronche pas.
– Olympe chérie...tu nous manques tellement à ton père et à moi...le Savant dit que certaines personnes dans le coma entendent ce qu'on leur dit... commence la femme.
C'est étrange, les intonations de cette voix ne me rappellent rien. Cela dit, deux doigts de la main seraient de trop pour lister les choses qui me semblent familières. Rien d'alarmant, alors.
Cette voix est grave, un peu mélodieuse et parfois même chantante. Elle semble me connaître, ce qui ferait au moins une personne qui sait ce que je fais là. J'entrouvre les paupières, plus par stratégie que par attendrissement.
– Ma puce ! Tu te réveilles ! Tu me manquais tellement ! Vite, un Savant ! S'exclame t-elle en effleurant la table de nuit digitale.
La femme qui semble être ma mère me prend les mains, puis m'étreint dans un soupir de soulagement. J'aime bien son parfum, sa peau est douce comme de la soie et elle n'arrête pas d'enfouir ma tête dans son foulard orangé, un geste qui a un je-ne-sais-quoi d'étouffant mais qui me rassure un peu. Entre deux embrassades, je me permet de la détailler. Elle a des yeux marrons-verts, légèrement cernés et encadrés de petites pattes d'oies. Ses sourcils finement épilés et son nez droit lui donnent un air altier. Les traits fins de sa bouche me sourient et sa légère fossette me rassérènent un peu, car ils me donnent l'impression qu'elle s'inquiétait sincèrement pour moi.
Le vide dans mon cerveau se fait un peu moins menaçant ; j'ai un premier repère.
Apparemment, elle semble à peine réaliser que je n'ai qu'une vague idée de qui elle peut bien être, et sa mine tantôt chaleureuse se décompose net.
– Olympe mon amour, c'est moi, ta maman, tu as avalé quelque chose à la fête de ton amie, il y a trois semaines, tu te souviens ?
C'est l'électrochoc qu'il me fallait. Je m'appelle bien Olympe, alors, mais je ne peux pas croire qu'on m'ait droguée. C'est trop gros, trop romanesque ! Et je serais restée trois semaines dans le coma ? Pittoresque ! Je suis comateuse, pas stupide...D'un autre côté, je n'ai aucune autre théorie qui expliquerait mon amnésie. Et puis, il y a cet affreux mur blanc, qui se dresse farouchement entre moi et mes souvenirs ! Je ne sais même pas si ce sont bien mes souvenirs, derrière. Une forte intuition, on va dire. La sensation que ce que je cherche est sur le bout de ma langue, ou plutôt sur le bout de mon mur, mais que je l'oublie sans arrêt.
La femme au foulard orangé s'effondre d'un coup devant ma mine incrédule.
– Olympe mon enfant, ma chérie, nous... nous allons t'aider d'accord ? Ce n'est pas ta faute, sanglote t-elle, tu vas te souvenir ma puce.
Elle est interrompue par l'arrivée d'un homme en blouse blanche, qui se tient plus droit qu'un balai.
– Mlle Gougeon, enchanté. Madame, pouvez vous nous laisser un instant ? Demande t-il d'un air poli.
La femme sort, non sans lui lancer quelques œillades meurtrières,me pressant une dernière fois la main.
– Mademoiselle, reprend le médecin, vous êtes une miraculée ! Malgré les progrès récents en matière de comatologie, nous désespérions de vous revoir un jour.
Si tantôt la blouse blanche qui me fait face me paraissait tout à fait sympathique, je suis maintenant convaincue du contraire, allez savoir pourquoi.
Ses lèvres sont si pincées qu'on ne fait que les deviner, barrant d'un mince trait ses joues rendues flasques et molles par l'âge. Ce disgracieux ensemble est surmonté d'un bec crochu ressemblant à s'y méprendre à celui d'une sorcière, de deux fentes perçantes toutes ridées, et de deux rouleaux de poils noirs comme du charbon, parsemés de petits grains blancs.
Définitivement, ce Savant me fait froid dans le dos.
Le plus singulier chez ce drôle d'homme reste sans doute ses mains qui tressautent et s'entortille nerveusement, dans un tic incontrôlable.
Il interrompt mon inspection d'un raclement de gorge.
– Je disais donc que vous avez été intoxiquée par quelques...produits illicites qui semblaient circuler à votre soirée. Tachez d'éviter ça la prochaine fois, conclut-il d'un air méprisant.
J'avais raison, cet homme est un vrai sorcier. Et si il croit qu'il peut porter des accusations sans preuves, fondées sur du vent, il rêve. Je n'aurais pas fait ça ! Je ne suis pas stupide à ce point. Enfin j'espère. Malgré le doute, ma fierté l'emporte et je ne résiste pas à l'envie de lui rabattre le caquet.
"Toujours aussi fière, Olympe", me souffle une voix. Je suis donc le genre de personne à converser avec sa conscience. Étrange, vraiment.
– Écoutez, vous n'avez pas trouvé les raisons de mon accident, et bien que cela vous fasse passer pour un incapable, ce n'est pas une raison pour tout me mettre sur le dos. Je ne vous en veux pas, moi ! Alors, gardez vos commentaires, vous seriez aimable.
L'orgueilleux en face de moi reste coi quelque secondes, sans doute peu habitué à ce qu'on lui parle ainsi, puis tourne les talons, la tête haute, en me jetant une dernière œillade condescendante.
Enfin seule, je songe avec soulagement. J'espère qu'ils ne sont pas tous comme ça, ici. Sinon mon séjour risque d'être compliqué.
Force est de reconnaître que je suis d'une curiosité maladive, et ne rien savoir à le don de me rendre particulièrement irritable. J'essaie donc de me remémorer ce que je viens d'apprendre, malgré l'état d'extrême fatigue où je me trouve.
Alors, a priori je me nomme Olympe Gougeon, j'aurai été droguée par un idiot à qui il doit manquer quelque neurones, et je suis à l'hôpital. Et le Savant du service est un abruti. Et une femme qui serait peut-être ma mère porte des foulards oranges.
C'est peu pour reconstituer l'histoire d'une vie.
Je sens le désespoir pointer le bout de son nez, mais je le chasse d'un poing rageur sur ma couverture. Tiens ! Mes liens ont été défaits, et mes bleus ont disparu. Comment ont-ils pu disparaître si vite ? A peine un quart d'heure auparavant, j'en étais parsemée... il faut que je me lève pour me voir dans un miroir.
Je m'extirpe avec peine du lit inconfortable de l'hôpital, toute ankylosée par trois semaines de sommeil. Quelque chose tire mon bras. Je tourne la tête vers les liens qui semblent me retenir à mon lit, m'attendant presque à voir un démon de l'hôpital qui s'applique à me faire rester au lit. Ce sont juste mes perfusions. Je les arrache d'un geste désinvolte, et titube jusqu'au miroir mural. Quelques gouttes de sang perlent sur le sol, après mon passage. J'ai tellement mal à la tête que je suis sûre que les martèlements incessants qui me vrillent les tempes s'entendent à l'autre bout du corridor.
Déterminée, j'ignore les supplications de mes muscles engourdis qui crient au désespoir. Après ce qu'il me paraît être une épopée, j'arrive devant le fameux miroir, tire difficilement le siège virtuel rangé dans le mur et m'affale devant mon reflet.
En étant objective, j'ai peut être un nez un peu trop long, mais je suis plutôt jolie. Enfin je crois. Rectification : j'ai dû être plutôt jolie à l'époque où la masse hirsute qui me sert de cheveux était à peu près présentable. Un regard rieur, des yeux verts, une fossette discrète et des lèvres charnues trônent sur mon visage, mais pour ce qui est des cheveux...une touffe épaisse châtain claire qui n'a sans doute pas été démêlée depuis bien longtemps me donne un air de sauvageonne.
Je devine aisément que je dois vraiment faire peur. C'est vrai, de quoi à l'air une folle qui glousse d'une voix enrouée à la vue de ses cheveux qui ont décidés de faire leur vie indépendamment d'elle ? Un démon pareil, ça ne rassure personne.
Je suis rappelée à l'ordre par les douleurs lancinantes qui m'assaillent et je continue mon inspection. Malgré l'immonde tenue hospitalière, je parviens à distinguer un corps rendu flasque par des semaines d'inaction. Bon finalement, je ne suis pas si jolie que ça, je conclut après mon inspection. "Trêve de futilités, tire toi d'ici miss-je-m'aime-trop" me souffle la voix malicieuse qui a apparemment élu domicile dans mon cerveau. Alors je suis bien le genre de personne qui se parle à soi-même. Intéressant. C'est drôle, je ne l'aurais pas cru.
Quelqu'un toque doucement à la porte de ma chambre, et n'attend pas mon autorisation pour rentrer. La porte laisse apparaître une femme métissée d'un certain âge en blouse blanche. Elle a des cheveux caramel, entortillés dans un chignon banane, et me fait un grand sourire.
– Salut ma grande ! Moi, c'est Martha, je suis ton infirmière référente. Le Savant t'a t-il expliqué ton accident ?
Je grommelle une réponse peu enthousiaste et elle entreprend de m'expliquer l'incident qui m'a conduite ici, tout en me soulevant sans effort jusqu'à mon lit. Diable ! Cette femme est vraiment musclée ! Je lui glisse un regard étonné, qu'elle feint de ne pas voir.
-Tu faisais une soirée chez ton amie, pour ses 17 ans. A priori, tu n'as pas tenu l'alcool, mélangé à d'autres choses. Tu as fait un coma éthylique de plusieurs semaines ! Ses parents t'ont trouvé le matin, dans le garage, effondrée au sol, avec personne pour te surveiller. Les Services de Santé du Serveur sont arrivés quelques minutes après, alertés par la puce implantée dans ton bras.
Elle rebranche mes perfusions sans poser plus de questions, me demandant simplement de ne pas quitter le lit.
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