8.

Ca fait maintenant quelques dizaines d'heures, quelques jours, peut être même une semaine, que je suis enfermée avec Marius dans une nuit éternelle. Nous n'échangeons pas beaucoup. 

Lui passe son temps à regarder les étoiles par la fenêtre, il semble toutes les connaître. A vrai dire, je n'en sais rien, mais il est tellement fasciné que je n'ose pas lui poser la question. Il ne détourne le regard que pour dormir, ou pour se jeter sur la misérable écuelle de filmolégumes bouillis et sans doute périmés (vu l'épouvantable odeur de chaussette en putréfaction qui émane de l'assiette) qu'on nous sert quotidiennement. 

Je ne savais pas que ces légumes périmaient, je l'ai découvert en même temps que mon premier "repas" dans la cellule. En fait, je suis même persuadée qu'ils ont été conçu pour ne pas périmer.

 Marius ne s'en occupe pas. Marius ne s'occupe de rien. Marius ne pense qu'à ses étoiles. Marius est un rêveur. 

J'aimerais bien être comme lui, mais force est de constater que je suis beaucoup plus terre-à-terre. Enfin j'en ai l'air. 

Je me retourne le cerveau dans tous les sens pendant des heures pour trouver un moyen de sortir d'ici. Et de recouvrer ma mémoire. Important, la mémoire. Sans doute plus que les effluves nauséabondes qui émane de notre "nourriture". J'avoue qu'elles me préoccupent aussi; est-ce normal qu'un bouillon reconstitué pue autant ? 

 Je commence sérieusement à penser qu'on se tape les restes des chiens de garde. A supposer qu'il y en ai. 

Le bâtiment à première vue ressemblait à un hangar militaire. Plus quelque chose qui sert à stocker des marchandises, un entrepôt, qu'un lieu de détention pour mineurs amnésiques. 

Un frisson me parcourt le dos.

Et si c'était nous, les marchandises ? 

 Impossible, je me suis réveillée dans un hôpital, tout ce qu'il y a d'officiel et de règlementaire.

Et cette cellule, elle te paraît règlementaire ? 

Et ce type, avec toi, il te paraît réglo ? Regarde-le, tantôt on dirait un môme de six ans, tantôt  l'homme le plus froid du continent. 

Je stoppe net les pensées envahissantes qui s'insinuent dans mon esprit. Marius est le seul à m'avoir témoigné un peu de sympathie sans m'enfouir la tête dans ses seins, c'est pas le moment de faire ma parano ! 

Je le regarde un instant. Il ne paraît plus si paisible. 

Ses sourcils se sont froncés, il a replié ses genoux dans ses bras, et son regard s'est perdu dans le vide. J'ai remarqué que lorsqu'il me croyait endormie, il prenait souvent cette posture.

 Le retour du Marius préoccupé. Je peux presque voir la fumée sortir de ses oreilles. Monsieur réfléchit. Il est beau comme ça, l'air si sérieux, comme si il avait de gros tracas qu'il ne pouvait pas partager. 

 Je ne sais pas au final si je le préfère dans les étoiles ou à terre avec moi. L'idéal serait que je sois dans les étoiles moi aussi. 

Non, il en faut bien un de nous deux qui joue au raisonnable. C'est étrange, j'aurais tout de suite pensé que ce serait lui qui endosserait ce rôle. 

Je suis allongée par terre : c'est mon tour de dormir. Généralement, j'essaye de me réveiller vite. Je ne sais pas combien de temps on va rester, et Marius semble exténué, alors je lui ménage en douce de plus grande plages de repos.

 Enfin, j'en ai l'impression.

 On a mis en place ces tours de garde, parce qu'aucun de nous n'est rassuré à l'idée de ce qu'on pourrait nous faire si nous dormions tous les deux profondément. Je veux dire, on m'a bien volé ma mémoire, alors je pars du principe que tout est possible maintenant.

Je lui glisse un dernier regard, l'imaginant avec une poitrine proéminente, prêt à m'enfouir la tête dedans au moindre signe de vie de ma part. 

Je ne parviens pas à étouffer un rire, et pour la première fois depuis des heures, il me regarde droit dans les yeux.

-Alors la folle, t'es de retour ? 

Je marmonne dans un langage fleuri  toutes sortes  d'insultes à son égard, quelque chose parlant d'un phacochère en tutu, pour finir par lui répondre clairement.

-Je ne suis pas...

-Partie, oui je sais. En fait, si. Et pendant plusieurs heures au moins. T'avais le regard rivé dans le vide, c'était limite flippant. Sois sympa et évite moi l'obligation de vivre avec un zombie plusieurs heures s'il te plaît. Je donne déjà assez avec ta tronche tous les jours depuis quatre jours à deux mètres de moi pour que t'en rajoute.

Je le fusille du regard et me redresse fièrement. 

-Espèce de muffle ! C'est toi qui passe des heures devant la fenêtre comme l'abruti que t'es. Je fais des efforts moi ! 

-Content de te retrouver Olympe, ça me tue de l'avouer mais, je commençais à me sentir un peu seul !

-Ouais ben je te propose d'aller bien te faire cuire le cul puis de prendre une bonne douche avant de revenir me parler, je finis.

Je suis plutôt fière de moi sur ce coup là. Je l'ai tué ! En toute modestie, bien sûr.

- Tant d'amour ! Ça me bouleverse ! Fais attention à mon petit coeur, miss, je suis fragile, me raille t-il en prenant un air vulnérable.

Je dois avouer qu'il est  plutôt adorable, comme ça. En  fait, je préfère largement me pouiller avec lui plutôt qu'on s'ignore, ça occupe mon temps au moins.

Je pousse un soupir excédé et roule des yeux, avant de me remettre à lui tourner le dos.

-Eh, c'est mon tour, chère petite limace écervelée ! C'est toi même qui a dit que je ressemblais à un cadavre, tu veux pas avoir ma mort sur la conscience ? 

-Hum, laisse moi réfléchir... Ah oui, c'est bon j'ai trouvé : je m'en tape. 

Je suis toujours dos à lui, un sourire aux lèvres. Il m'amuse. Mais ça, il ne peut pas le savoir.

-Faux et archifaux. Un, tu t'ennuierais mortellement sans ma face de dieux grec à contempler. 

Je me retourne vers lui, un sourire carnassier aux lèvres.

- Sûr, face d'escargot ?  

Je l'embête.

-Deux, mon cadavre empesterait encore plus fort que la bouffe de clebs qu'on nous donne, continue t-il, imperturbable.  Eh, mais c'est moi qui ai utilisé les gastéropodes ! Désolé le bigorneau, mais tu vas devoir trouver autre chose.

Il plisse les yeux et esquisse un air satisfait. Pas pour longtemps, je peux lui assurer.

-L'odeur dépend de combien de temps je mettrais à manger ton cadavre, en fait, je lui réponds d'un air blasé. 

Je lime mes ongles pour lui signifier clairement mon désintérressement.

-Remarque t'as raison, ça risque d'être bien meilleur que leur pseudo nourriture. Surtout vu le spécimen exceptionnel qui se tient devant toi.

Je me lève et fait semblant de l'examiner comme un meuble que j'hésiterai à acheter. 

-Chuis pas convaincue par ce modèle là, et tu peux m'indiquer l'endroit ou je peux trouver un spécimen exceptionnel, je fais en tournant sur moi même pour chercher. De préférence un peu plus beau gosse, j'ai pas que ça à faire.

Il explose de rire. J'ai gagné.

 Bon, je vais quand même le laisser dormir, après qu'il se soit tranquillement bidonné grâce à mon humour exceptionnel.

-Dors, homme faible, dans ma miséricorde je te laisse t'assoupir. 

Cette fois-ci, il me fusille du regard. Oups. Ça doit être le "homme faible" qu'il a moyennement apprécié. 

Tant pis pour lui. Je lui fais un léger clin d'oeil, qu'il n'a sans doute pas vu, et lui tourne le dos.

Cela fait à peine quelques instants qu'il s'est endormi que des cris étouffés résonnent dans le couloir.

 Je jette un regard inquiet à sa silhouette endormie et me rapproche de la porte pour y coller mon oeil. Je perçois les cris sauvages d'une fille qui se débat. D'un coup, les cris s'arrêtent. La fille a t-elle été assommée ? 

Je suis stoppée net par un violent élancement dans ma nuque qui m'oblige à baisser le cou, comme si une force invisible me maintenait le regard rivé au sol. Il faut que je réveille Marius. 

-Mar...

Un léger bruit me confirme qu'il est réveillé, et qu'il subit exactement la même épreuve que moi. Je me traine vers lui pour m'élogner de la porte. 

Une tension extrême tire mes tendons si fort que j'ai l'impression que ma tête a été arrachée sans sommation.

Des points valsent devant mes yeux. Ma tête s'effondre contre l'épaule de Marius, qui cherche désespérément à me parler. Ou plus exactement me crier quelque chose. Je n'entends plus rien.

J'ai à peine le temps de voir l'ouragan de rangers noires qui fracasse la porte de ma cellule, avant de plonger dans le noir total, toujours affalée sur Marius. 

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