7.

On me réveille d'une pichenette dans la joue. Le temps de connecter mes neurones, et je réalise que je vais devoir commencer ma journée en étranglant quelqu'un. Génial.

  Un visage rieur apparaît dans mon champ de vision. Il se marre bien le con ! 

Je suis donc enfermée avec un ado complètement frappé, mi-homme des cavernes, mi gosse de dix ans. J'adore ma vie, c'est officiel. 

Il continue de se marrer en regardant ma tête ensomeillée. Je lui marmonne de fermer sa grande bouche pour que je puisse dormir : le soleil n'est même pas levé.

Bien sûr, Monsieur n'en as rien à curer. 

 Je me demande quand même ce qu'il y a de compliqué dans "laisse moi dormir" . Trop de mots pour lui peut -être ? 

-J'ai bien réfléchi, commence t-il. 

Il souffle légèrement pour repousser la mèche caramel qui lui barre le front.

-Oula. Tous aux abris, je raille, agacée.

Il continue, imperturbable.

-On devrait mettre le peu de choses qu'on sait en commun, pour que je puisse me tirer d'ici. 

-Qu'on puisse se tirer d'ici, je rectifie.

Loin de moi l'envie de m'imposer à ce grossier personnage, mais il a un peu trop tendance à m'occulter quand ça l'arrange. 

-Oui. Bien sûr. 

Je commence rapidement avant qu'il n'ai le temps de dire quoi que ce soit de désagréable. Il est plutôt fort pour ça. 

-Alors, je m'appelle Olympe Gougeon, j'ai 16 ou 17 ans. Enfin ça j'en sais rien.  Une femme qui serait ma mère porte des foulards oranges parfumés et aime enfouir ma tête dans ses seins. Je suis arrivée dans un van, il y a des barbelés dehors et je suis amnésique. A toi, je récite d'un trait. 

Il fronce les sourcils. 

-Moi c'est Marius Bézilet, j'ai 17 ans, je me suis réveillé dans ce bâtiment quelques temps avant que tu n'arrives, et ma nuque me gratte, conclut-il avec une moue boudeuse. Ah, et cette fenêtre est une Fenonoctem, elle est constamment en mode "nuit". 

-Merci pour l'info, je commençais à me poser des questions sur l'état de mon horloge biologique. 

Je tente l'humour. 

Tentative ratée. 

-De rien. 

Je ne réponds rien. En fait, il semble hésiter à parler. 

Il inspire un coup, prêt à se lancer, mais les mots restent en suspend, prêts à jaillir de sa bouche quand il se sera décidé.

J'ébauche un sourire. 

- Tu... Tu n'aurais pas comme quelque chose... d'inhabituel dans ta tête ? 

-Tu veux dire, à part un cerveau ? Je sais que c'est un concept étrange pour toi, mais il va falloir t'y faire, c'est vraiment très utile à l'occasion. 

Bon ok, j'avoue, c'était gratuit. Mais pour une fois que j'arrive à lui rétorquer quelque chose ! 

-Hin hin très drôle miss-je-sais-tout-j'ai-tout-vu, je te parlais plutôt de quelque chose d'i...

Je le coupe. 

-Eh mais c'est ton surnom ! Il te va beaucoup mieux à toi qu'à moi ! 

Il me fusille du regard. Je l'ai encore interrompu. 

-Je pensais donc à quelque chose comme un...

Il semble gêné. Dans ma grande mansuétude, je décide de l'aider à finir sa phrase. Sinon je sens qu'on y est encore demain.

-Mur blanc. Qui paraît incassable. Et qui te bloque totalement l'accès à tes souvenirs. Il y a quand même quelque chose d'écrit, un...

C'est son tour de me couper. 

-Numéro, ouais je sais. Comment ça qui paraît incassable ? Il l'est, non ?

Il est attentif, le petit. Je suis un peu bloquée : je parle trop. Je m'étais promis de ne pas lui dire deux choses : primo, que je me suis réveillée à l'hôpital, secundo, que  le mur s'est brisé une fois mais que je n'ai pas été capable de récupérer mes souvenirs. Seulement des vieux cours d'histoire.

-En réalité, quand j'étais, je veux dire, quand je me suis réveillée, j'ai cherché à tout prix un moyen de démolir cette enceinte. Je suis restée des heures à essayer de la fissurer. Il se trouve que j'y suis arrivée. Enfin je ne sais même pas si j'y suis pour quelque chose. Sans doute pas, en fait.

Il hausse un sourcil, sans doute pour m'encourager à continuer. Ou pour me dire quelque chose comme "vas-y, je t'écoute, pas la peine de m'obliger à t'arracher les mots de la bouche".

Je reste silencieuse. J'ai honte de ne pas avoir réussi à le refaire, de ne pas avoir réussi à extraire les bons souvenirs, de ne pas avoir reconnu ma mère. De ne pas être capable de me barrer d'ici. Mes yeux me piquent. 

Remarquant mon trouble, Marius se rapproche doucement. Nous sommes désormais à un mètre l'un de l'autre. Il reprend d'une voix calme.

-Mais alors tu ...

-Non. 

Ma voix tremble. Je relève la tête et plante mon regard droit dans ses yeux. Pas question de flancher ! 

-Je ne me souviens pas. La seule chose que j'ai réussi à extraire du mur est un vieux cours d'histoire. 

Je m'attends à ce qu'il se moque de moi, au vu du léger sourire ébauché. 

-Une première de classe ? Intéressant. Je ne l'aurais pas dit, comme ça, se moque t-il gentiment. Je t'aurais plutôt classée dans la catégorie rebelle casse-pieds. 

Étrangement, je ne me sens pas du tout insultée, attaquée, ou offensée. Il rit. Il veut juste détendre l'atmosphère, me détendre.

 Parce qu'il est tout à fait serein. 

Comment fait-il ?

-Rebelle casse-pieds ? Ça me va. Je préfère largement être une insoumise qu'une intello. Quoique les deux ne sont pas incompatibles

Je fais un large sourire. Je lui suis très reconnaissante de ne pas s'être moqué de moi une nouvelle fois. Je me sens vraiment incapable sur ce sujet et j'ai du mal a l'admettre. 

Je devrais me méfier de lui. On ne se connaît pas, je ne me souviens de rien, et comme par hasard, il a exactement les mêmes symptômes que moi. Amnésie, mal de tête, ce fichu mur blanc...

 Mais pour une obscure raison, j'ai envie de lui faire confiance. Je ne suis visiblement pas de nature méfiante, et c'est tant mieux. J'estime avoir assez de pensées sombres à ruminer pour ne pas encombrer mon cerveau avec la stupide crainte que mon compagnon d'infortune n'en soit en fait pas un. 

Mais il serait quoi, au juste ? Un espion à la solde de mes ravisseurs ? Et puis qui sont-ils, eux d'ailleurs ? Et quel est ce bâtiment ? Et puis comm... 

Je soupire.

Vous voyez, j'ai déjà largement de quoi me prendre la tête sans rajouter  la crainte du seul être humain qui semble s'être fourré dans la même galère que moi !

Marius m'interromps tranquillement dans mes élucubrations.

-Ton numéro ? 

Il relève la tête du mur où il s'était adossé, et viens me faire face. 

Je peux maintenant distinguer un peu mieux ses traits. Des mèches châtains clair s'échappe de son éternelle capuche. Sa bouche est plutôt fine, mais ses lèvres ne sont pas pincées. Au contraire, elle s'étire en un timide sourire. Il a de grands yeux verts émeraudes, surmonté de longs cils mais cerclé de cernes. Son teint est presque blafard, les couleurs ont délaissé ses joues.

Je suis frappée par la fatigue indescriptible qui émane de lui.

-Je n'ai pas de num...

Son front barré d'un pli d'anxiété se relâche instantanément, et il lève les sourcils. 

-C'est ça, et moi je suis le fils du numéro Un ! Allez miss-je-n'aime-plus-parler, s'il te plaît.

Wow. Pour une fois, je passe le détail futile du surnom ridicule qu'il n'a pas manqué de m'affublé. Il a parlé du numéro Un. Il connaît donc l'histoire du pays, ou au moins les grandes lignes. Je commençais à lui faire confiance. Il a omis certains détails visiblement.

Marius comprend au silence qui lui répond qu'il a dit un mot de trop. 

-T'aurais pas oublié de me dire deux trois trucs par hasard, monsieur-j'adore-interrompre-les-autres ? 

Il soupire.

-Écoute, je suis désolé, mais je n'ai rien d'extraordinaire à te raconter. Il s'est passé la même chose que toi. Je cherchais une faille dans le mur, une faiblesse, n'importe quoi. Puis j'ai commencé à m'endormir, à arrêter de chercher. Et le mur s'est brusquement ouvert, ne laissant sortir que des cours d'histoire. 

Son regard se tourne vers les étoiles, que je sais maintenant artificielles.

-Un petit intello ? Intéressant, je t'aurais plutôt classé dans le genre grand ténébreux je m'en foutiste. 

Je le comprends parfaitement, voilà pourquoi je choisi de ne pas en rajouter une couche.

Il rit silencieusement en m'entendant reprendre ses mots.

-Grand ténébreux je m'en foutiste ? Ça me va. J'aurais préféré beau gosse ultra-perspicace, mais on ne peut pas tout avoir dans la vie, hein ?

Je me fends d'un énorme sourire, hilare. Je résiste à l'envie de me moquer de lui. Allez Olympe, c'est pas sympa, il a fait des efforts, lui ! 

Oups.

Je laisse échapper un premier gloussement étouffé, qui à le malheur de ressembler à un cri de cochon qu'on égorge plus qu'à un rire. Ce qui ne manque pas de lui faire perdre ses grands airs. Il lui faut une seconde et demi pour se mettre à rire avec moi.

-T'es pas sympa ! dit-il entre deux rires. J'y ai cru pendant plus d'une minute ! 

-Tu tends le bâton pour te faire battre ! C'était...irrésistible ! 

Nous mettons quelques minutes à retrouver notre calme. 

-2.2.A'. 

Je me retourne vers lui. 

-C'est tout ce que je sais sur moi et que je ne t'avais pas dit.

-Enchantée, moi c'est 4.1.A. ! Oh non. tu sais quoi ?  Garde Olympe, ce numéro me fait penser aux plaques d'imatriculation des derniers androïdes !

Il sourit et étouffe un baillement.

-Dors, je dis simplement. Tu à l'air d'en avoir besoin.

-C'est une façon polie de me dire que je ressemble à un cadavre ?

-C'est toi qui le dit ! 

Sur ces mots, il s'allonge et je ne dis plus rien.


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