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On nous a littéralement plongés dans un four géant. Les murs de la salle sont couverts de braise, il fait vraiment très chaud. Les garçons semblent mieux supporter la chaleur que Vic et moi, pour une raison obscure. Ils nous empoignent chacun sous le coude, quand une voix robotique retentit. Une voix d'homme, grave, effrayante malgré la déformation de l'ampli.

-Bonjour. Je suis Monsieur, votre maître d'expérience, je dirige l'équipe de Savants chargée de votre surveillance.

-Je vous suggère de changer immédiatement d'équipe. Ne le prenez pas mal, mais nous avons déjà failli mourir un bon nombre de fois !

Je n'aurais peut être pas du l'interrompre. Ma seule réponse est une braise ardente qui se détache du mur et fonce sur moi. Elles sont commandées à distance ou quoi? C'est impossible! Je l'esquive de peu, elle frôle mon oreille déjà endommagée par le coup de fouet du molosse quelques jours avant. Marius me fait les gros yeux pour m'intimer, pour une fois, de me taire.

-Votre objectif est de sortir de cette salle. Et de celle d'après. Et sans doute de celle qui suit. Malheureusement, quelques obstacles risquent de vous gêner. Débrouillez-vous avec ça, aha! Dernière chose, vous serez menottés par deux. Vous choisissez les binômes, même si je suppose que l'écervelée de tout à l'heure à une préférence, ahaha! Et n'oubliez pas de serrer les ficelles, si elles se détachent, un de mes collaborateurs se chargera de vous faire voir le mur d'un peu plus près.

Marius se retourne vers moi et hausse les épaules. Je réponds à son regard sur un mouvement du menton et nous menotte avec les ficelles prévues à cet effet juste à nos pieds. Je fais attention à ne pas trop nous serrer, mais à solidement nous attacher pour ne pas risquer le baiser avec un mur ardent de braise.

-Je vous rappelle aussi que beaucoup de nos hommes sont cachés dans la salle, y compris vos deux amis, qui sont rétablis ! Je voudrais bien vous souhaiter bonne chance, mais je ne pense pas que la chance vous suffise, cette fois-ci ahahahaha!

Il éclate une dernière fois dans un rire sadique et tonitruant qui me glace le sang. Un malade, c'es un vrai malade ! D'un autre côté, à quoi je m'attendais de la part de l'homme qui nous comme enfermés ici et qui a sans doute inventé toutes ces épreuves ?

Je survole d'un oeil la salle. Hormis les murs qui pullulent de braise, je discerne certains pièges, comme des flèches appliquées sur le sol, qui s'enfoncent sans doute dans votre jambe au moment même ou vous posez votre pied, des aiguilles empoisonnées qui nous barre le passage, et j 'ose espérer que ce sont que des somnifères. Je jette un oeil au parcours que nous devons traverser. Victoire et Gabriel sur le leur, à notre droite. Des cordes tendues au-dessus d'une marre de magma en ébullition, des piques d'acier acérés, des fusils automatiques déclenchables à distances, des boules adhésives qui se collent à toi et pullulent en quelques minutes jusqu'à t'étouffer, en s' engouffrant dans le moindre orifice qu'elles trouvent (oreilles, nez, bouche, nombril, parties génitales, etc ...), et autres tortures plus ou moins douloureuses. Bien sûr, des braises bouillonantes se détachent du mur régulièrement et foncent sur nous, et des boules de lave saute du sol. Je ne parviens pas à distinguer la suite du parcours, car la chaleur qui émane du sol et des murs rend floue toute vision.

J'échange un regard avec Marius et nous soupirons ensemble. Je détache l'élastique à mon poignet, et il m'attache les cheveux sans trop de difficultés, je vous rappelle que nous sommes menottés. Je commence vraiment à haïr mes cheveux longs!

Après un dernier coup d'oeil à Victoire et Gabriel, nous entamons notre parcours, lorsque la voix grésillante reprend.

-Avais-je oublié de préciser que vous aviez un temps imparti pour chaque salle?

Je lève les yeux au ciel et tire Marius vers notre parcours. Il esquive de peu un braise rougeoyante décollée du mur par je ne sais quelle magie, et il me tire au sol avec lui par la même occasion. J'avais presque oublié ses fils à nos poignets. Il suffit que l'un de nous deux bouge pour que l'autre suive! On va devoir se parler en permanence, prévenir l'autre à chacun de nos mouvements ... Ça s'annonce laborieux.

La première épreuve à traverser me parait déjà insurmontable. Une lave de magma s'étend sous nos pieds, je peux voir les bulles éclater à travers la grille où nos pieds reposent. Pour la traverser, nous devons utiliser les cordes, enfin je suppose. Je me demande si nous devons tenter de marcher en équilibre dessus, de faire les funambules, mais je ne suis pas convaincue par l'idée. Marius non plus, mais nous devons faire vite. Je passe la première, tente un pas mal assuré sur la corde, qui se rencontre à tanguer dangereusement. Elle doit faire moins de cinq centimètres d'épaisseur, est en descente et à peine tendue!

Je soupire une dernière fois, essuie mon front moite, dégage les mèches collées dessus avec ma main libre, et tente de poser un deuxième pied. La corde tangue de plus belle. Je ne vais pas pouvoir, je suis pétrifiée par l'angoisse.

-Nous sommes de ceux qui ne renoncent pas, des chiens enragés, des teigneux, ne l'oublie jamais. On va trouver une solution pour traverser, comme toujours.

Il m'a murmuré ça, les yeux dans les yeux, et ça m'a suffit. Ça m'a suffit pour réactiver mes neurones paralysés par la peur, ça m'a suffit pour y croire une dernière fois, pour me battre, pour ne pas les laisser gagner. Car ils ne gagneront pas.

Je hoche la tête. J'ai compris.

Je scrute attentivement la corde. Elle n 'a pas l'air assez solide pour nous deux, mais nous devons rester menottés. Elle est plutôt haute par rapport au magma, peut être à un mètre dix. Mes méninges remuent à plein régime, je dois trouver, et vite! Une idée lumineuse me traverse l'esprit, suivie d'une autre et d'une suivante, mais aucune ne me parait satisfaisante.

J'ai trouvé quelque chose, enfin je crois. Il faut qu'on s'en sert à la manière d'une tyrolienne, ou quelque chose du style. Qu'on coulisse, qu'on glisse. J'explique ça à Marius, qui acquiesce vigoureusement.

-Pas de t-shirts! Enfin le treillis pour moi. On peut les faire glisser,  je prend ton t-shirt comme poulie, et toi le mien. Il joint le geste à la parole. Regarde!

Il a fait glisser son treillis le long de son torse; il est maintenant relevé au dessus de sa tête, mais toujours attaché à son poignet droit. Il me passe l'éxtrémité gauche de la veste et je comprend son système.

-On va avoir les poignets en compote, mais pourquoi pas! Tu penses que mon t-shirt sera assez solide?

-Y'a qu'un seul moyen de le savoir. Je suis tellement content que tu n'es pas mis cette combinaison ! On n'aurais pas pu fonctionner comme ça.

-Tu parles  ! J'aurais mieux fait de mettre en dessous de mes vêtements, comme vous ...

Je lui réponds en m'activant à relever mon t-shirt. Ma peau est maintenant directement exposée à la chaleur, sans tissu protecteur. Je vois le regard de Marius remonter discrètement ma cicatrice, mais je me tourne vite.

-J'y vais en premier?

-Bascule les pieds d'abord, nos deux têtes seront collées, et tu auras les bras au dessus de ta tête. N'oublie pas, tes pieds doivent être accrochés à la corde, pour ne pas toucher le magma.

Je souris et moi positionne sur la plateforme. Je gaine mes abdos et bascule sur la corde en cochon grillé, les pieds en premier. Marius me suit de près, dans l'autre sens. Je coulisse lentement grâce à une veste transformée en poulie, et lui grâce à mon t-shirt. J'espère qu'il ne va pas le déchirer, je compte vraiment finir le parcours habillée.

Je glisse avec difficulté, comme un asticot le long de la corde. La ficelle me scie le poignet, mais je serre les dents. Ma plus grande peur est de me prendre une bulle de magma sur mon dos nu. Marius me murmure des encouragements. On a fait un mètre depuis la plateforme. Mes muscles sont bandés à leur maximum, je sue à grosse gouttes. La corde est penchée, et le poid de Marius pèse sur moi, je dois mobiliser mes jambes au maximum pour ne pas qu'on glisse trop vite et risquer de nous brûler sur la corde ou pire, de lâcher notre bout de t-shirt qui nous maintenons tant bien que mal au dessus du feu.

C'est le silence le plus complet. Les seuls bruits sont ceux de nos respirations saccadées, et des bulles de magma qui éclatent de plus en plus près de moi. Je prie pour qu'il n'y ait pas d'autres pièges qui viennent se défouler la corde ou pire, se planter dans notre chaire plus exposée que jamais . Je commence à sentir distinctement la morsure de la chaleur sur mon épiderme nu. Elle m'agresse, me donne envie de lâcher, met mes nerfs à rude épreuve. Je lâche un râle sonore quand une bulle magma me manque de peu, je suis quand même brûlée. La morsure dévore mon dos, irradie dans ton mon corps, je ne dois pas lâcher! 

Mes bras et mes jambes tremblent, mon dos me fait affreusement mal. Marius ne dit rien, je sais qu'il souffre comme moi. Plus qu'un mètre à me tortiller sur cette corde de l'enfer. Je continue ma démarche asticot, tentant de plus belle d'ignorer les cris de souffrance de ma peau brûlée et les supplications de mes muscles tendus. Je tente d'accélérer un peu, mais Marius ne suit pas, et notre ingénieux mais fragile mécanisme couine. 

Je suis sûr que c'est une couture de mon feu t-shirt. Je respire bruyamment et tente d'encourager mon ami, mais ma phrase ressort plus comme un grognement d'animal étouffé. Il y a de ça, remarque.

Mon pied heurte enfin quelque chose. Mes abdos sont tendus à leur maximum, la pression monte, je vais lâcher. Je plie mes jambes contre le métal et œuvre une dernière fois à la mobilisation de mes muscles pour le relever. Mon pied glisse. Les battements de mon coeur résonnent dans la pièce comme une grosse caisse, j'ai peur. Ma jambe n'est qu'a quelques centimètres du magma en fusion.

Je suspend ma respiration et fait un ultime bond sur la paroi, entrainant Marius à ma suite. Il continue de glisser, toujours en cochon grillé, mais la tête la première. La tête la première ! Il va s'éclater ! J'arrête son crâne en course au dernier moment, assied ses fesses comme je peux sur le bord de la paroi métallique, décrispe sa main de mon t-shirt, et lui caresse gentiment le front avant de m'écrouler à ses côtés.

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