15.
On est collés l'un contre l'autre. Pas seulement à cause des parois.
Nos corps entrelacés protègent la dernière étincelle d'espoir, le dernier souffle de vie qu'il nous reste à tous les deux.
La paroi se presse contre mon dos. On est presque écrasés l'un contre l'autre.
Un petit craquement retentit. On rive nos yeux vers la porte. Un faible regain d'assurance nous maintient debout. Mon coeur bat à cent à l'heure. Nos mains scellées sont moites, mais nous ne les libérons pas pour autant. On y croit une dernière fois.
La porte s'entrebâille enfin de quelques centimètres, et nous nous engouffrons dans la brèche sans demander notre reste.
On se tient par le bras, mais ça ne suffit pas. Je claque la porte de notre cellule, et nous nous effondrons d'un même mouvement, dos au mur.
J'ai encore du mal à réaliser ce qu'il s'est passé. On s'en est sorti.
Je me tourne vers Marius, et lui sourit faiblement, sans le lâcher des yeux. Il me rend mon sourire. On reste ainsi quelques instants, quelques minutes. Pantelants, ruisselants, le front couvert de mèches trempées, mais vivants. Aucun de nous ne parle, on profite d'être encore là. On ne peut plus se plaindre de rien, tout nous paraît royal en comparaison avec cette demi heure de l'enfer.
-J'ai toujours su qu'un génie sommeillait en toi, tu sais, juste à côté de l'homme des cavernes, il me dit.
Des pas résonnent dans le couloir.J'ai à peine le temps d'identifier la tornade rousse qui court vers nous avant qu'elle ne se jette sur nous, en poussant un cri de soulagement. Une voix retentit derrière elle.
-Vic ! Tu vois pas que t'interromps LE moment ?
-M'en fous ! Ils ont failli trépasser Gab.
Il s'apprête à rétorquer, quand une voix grésille, interrompant leur échange de romantiques en transe.
-Ravie de vous revoir mes mésanges, j'aimerais bien vous dire que tout cela est derrière vous, mais on m'a appris à ne jamais mentir.
Je souris. Je suis sûre que tout le monde me croit folle, maintenant. Jupe-crayon m'a fait pensé à Marius, au premier jour dans notre cellule à deux. Il m'avait répondu quelque chose du genre. Je me tourne vers lui, il grimace ; il s'en rappelle aussi. Il m'adresse un regard pour me signifier qu'il ne réemploierai plus jamais cette expression, promis. Je me reconcentre sur jupe-crayon.
- Pour la suite des opérations, vous n'aurez rien à faire. Oh, ne vous réjouissez pas trop vite, ça risque d'être un peu moins agréable que la bronzette et le massage des vertèbres dont vous venez de profiter. Vous serez de nouveau avec votre binôme. Accrochez-vous bien à vos amis, ricane t-elle.
Je la prends au mot et me colle contre mes trois acolytes, qui ont apparemment eu la même idée.
Des pas lourds retentissent au bout du couloir. Ma nuque me lance affreusement. Une force invisible projette ma tête entre mes genoux, et je ne vois plus rien.
La première chose que je vois, c'est une silhouette noire qui me tourne le dos, allongée au sol. Je secoue la tête, et me frotte les yeux.
Je suis dans une autre pièce, blanche du sol au plafond. Cette pièce sent le produit chimique, le désinfectant, et il n'en faut pas plus pour déclencher les martèlements dans mes temps.
Je secoue la silhouette en noir.
- Ça a commencé ? me demande t-il d'une voix enrouée.
-Je ne sais pas. Lève-toi, ça vaut mieux.
Il se frotte les yeux à son tour, et m'adresse un regard las.
-Ouais, t'as sans doute raison.
Je hausse les épaules pour masquer mon amertume. On n'en finira donc jamais ? Ils nous prennent pour leur joujou, et je ne sais pas ce que nous avons fait pour être choisis, mais on devait franchement être embêtant pour qu'ils se donnent tant de mal à nous pourrir la vie.
Marius me parle. C'est important qu'il me parle.
Il me raconte les étoiles, les constellations, le cosmos. Sa voix en tremble presque. Il est fier d'avoir compris tout ça en lisant tout à l'heure. Je n'écoute qu'à moitié, bercée par le son de sa voix.
Je crois qu'il le sait.
Pyxis est une constellation, une constellation c'est un groupe d'étoiles, une étoile, c'est une boule de gaz qui chauffe très fort et qui brille la nuit. Il aimerait bien voir les étoiles, un jour, les vraies étoiles, tu sais, celles qui brillent dans le ciel, mais le vrai ciel, hein, pas leur faux panorama. Il doit y en avoir tellement, il ne pourrait jamais les compter, mais il les regarderait toutes les nuit. Je pourrais les regarder avec lui, il me dirait leur nom, il connait les principales, grâce aux documents de l'épreuve.
Je ferme les yeux. Quand je les réouvre, un liquide poisseux coule dans mes cheveux. J'ouvre les yeux. Mes mains sont pleines d'un liquide écarlate. Les battements e mon cœur s'accélère. Je me suis endormie en pleine épreuve, je suis blessée. Pourtant, je n'ai pas mal.
Je remonte le file de sang qui serpente à travers la pièce. Marius est allongé au sol. Il a une grosse plaie sur le torse. Qui lui as fait ça ? J'ai été endormie si longtemps ? Je n'ai rien entendu !
J'ai mal, ça y est. Une douleur fulgurante me transperce, de mon cœur à la pointe de mes ongles.
Il faut que je stoppe l'hémorragie. Le sang coule, ma main ne sert à rien ! Je sens l'odeur métallique du sang sur mes doigts. Je pleure. Il bat des cils.
-Marius ! Marius ! S'il te plaît, reste avec moi. Ne parle pas, tu vas te fatiguer !
Ma voix monte dans les aigus. Le désespoir me serre la gorge.
-On... on a perdu. C'est pas grave. Ils... ils sont plus forts.
Je fronce les sourcils. Ca ne lui ressemble pas de dire ça. Il faut que je l'arrête. Qu'il se taise.
-Olympe. Ecoute. Ne te bats pas. Ils sont plus forts. C'est pas grave, regarde, on aura tenu quelques jours. Non, ne pleure pas s'il te plaît.
La peine dévore mon cœur, les larmes dévalent mes joues et finissent leur course sur le corps désormais inerte du jeune homme. C'est donc ça, un homme à l'article de la mort. Il perd la tête, pas vrai ?
Je m'active frénétiquement autour de lui, dans l'espoir vain de le sauver. J'enlève mon t-shirt, lui fait un garrot. Je ne sais toujours pas d'où me viennent ces gestes, mais je dois les faire, c'est tout.
Il se vide de son sang devant moi. Je ne peux rien faire. Je suis impuissante. Mon cœur se serre encore un peu plus. Mon estomac se soulève, je vais vomir.
Je retiens mon souffle et tâte son pouls. C'est fini.
Un homme est mort, pour faire avancer la science. Est-ce la première fois ? Quelle excuse vont-ils nous donner ? De quoi est-il mort ?
Il m'a laissée. Non, pire : ils me l'ont pris. Tout s'effondre autour de moi. Je n'ai jamais eu aussi mal. C'est horrible, une sensation de vide envahit tout mon corps. Mon enveloppe corporelle n'est plus qu'une coquille vide. Moi, je suis partie. Loin. Avec lui, c'est là que je veux être.
Je le vengerai.
Je suis recroquevillée en boule depuis plusieurs heures. Tétanisée, assommée, incapable et coupable. C'était ça leur épreuve du jour. Tu regardes partir la personne la plus chère à tes yeux, sans pouvoir rien faire. Je ne bouge pas, et je ne veux pas bouger. Cela ne sert plus à rien. Je me demande ce qu'ils mesurent. Notre capacité à encaisser les coups ? Marius n'était là que pour que je le regarde mourir ?
Quand il s'est endormi, une réalité que j'avais toujours refusée de voir m'a frappée de pleine face. Ils ne comptent pas nous laisser repartir. Dans le meilleur des cas, il n'y a qu'un survivant. Seulement un. Les autres mourront. C'est ça leur programme.
Je ne veux pas être la survivante. Je ne suis pas capable de regarder mes amis s'éteindre les uns après les autres. Je préfère largement partir avant. Je ne suis pas courageuse comme ils le croient. C'est lâche, je sais. Mais ce qui est encore plus lâche, c'est de faire semblant de se soutenir, pour se contempler se faire tuer les uns les autres à chaque épreuve, un peu soulagé que ça ne soit pas encore notre tour. Voilà ce qui est lâche.
Ma décision est prise, c'est fini. Je ne me bats plus, à quoi bon ?
Je n'arrive plus à pleurer. Je me sens trop coupable, c'est ma faute. Pourquoi est-ce que je m'endors tout le temps ?
Mon corps n'est plus qu'un loque toute sèche.
On secoue mon épaule. On m'appelle très fort, on crie mon nom.
Cette voix, je la connais. Ils s'amusent à me torturer. Ils sont cruels. Je me recroqueville encore un peu plus, si c'est possible. Cette voix attaque mon cocon de souffrance. Elle le lacère, le lamine, le détruit, le réduit en lambeaux. Je ne veux plus l'entendre. Je veux qu'elle s'arrête, qu'elle cesse de me hanter.
Je plaque mes mains sur mes oreilles, en vain. Elle ricoche dans ma tête, ne veut plus me lâcher.
Elle change de timbre, elle me supplie, se fais plus inquiète. Je n'entends presque plus rien. Seulement le bourdonnement lointain de cette voix. Elle se casse, s'enroue, faiblit. J'ai gagné, elle va partir. Me laisser m'apitoyer sur mon sort en paix.
Mais non, elle revient, infatigable, inépuisable. Cette fois-ci, elle est accompagnée de deux mains vigoureuses, qui me secoue avec acharnement. Le bourdonnement dans mes tympans cesse enfin.
-C'est toi ?
C'est impossible.Ils se moquent de moi. J'ai été droguée, j'ai des hallucinations, je ne vois pas d'autres options.
Des bras m'attirent de force contre un torse. Je suis toujours dans un autre monde. Je repousse ces bras. Je ne veux pas tomber dans leur piège.Il est mort, et je le serai bien tôt aussi. N'est-ce pas le but même d'une vie ?
-Olympe bordel. Je ne sais pas ce qu'ils t'ont fait voir, mais je suis là, et toi aussi. Tout va bien ! Je crois que l'épreuve n'a même pas commencé ! Olympe !
J'ouvre les yeux, retour dans les monde des vivants.
-Tu mens. T'es qu'une putain d'illusion. T'es mort dans mes mains y a quelques heures. Laisse moi en paix. Je sais que c'est de ma faute.
Il me rapproche de lui. J'ai la tête enfoui dans son torse. Son sweat sent la vanille et la transpiration.
-Tu veux savoir ce que j'ai vu, moi ? Je t'ai vu.
Je plaque une main sur sa bouche. Je ne veux pas savoir.
-Laisse moi, j'ai besoin d'en parler. Que tu comprennes qu'ils nous manipulent. Qu'il ne faut pas que tu baisses les bras si facilement. Une image de synthèse projetée dans son cerveau et la Olympe maligne que je connais se laisse avoir ? Tu ne peux pas. T'as pas le droit. Je t'ai vue avec un homme, il te voulait. Il te déshabillait, te frappait. Tu te débattais sauvagement. Je ne pouvais rien faire. J'étais immobilisé à une chaise. J'étais complètement impuissant. Tu criais, tu hurlais, et ça me déchirait un peu plus le cœur à chaque fois. Tu était mour...
Je l'arrête. Cette fois-ci, il ne reprend pas.
J'ai compris.
Une énorme vague de rage s'empare de mon corps. Je fulmine contre ceux qui nous ont imposé ces visions, contre moi d'y avoir cru, de m'être laissée avoir si facilement. Je suis prête pour la prochaine épreuve, le prochain test. J'ai l'impression d'avoir vu si souvent la mort aujourd'hui que plus rien ne me fait peur.
Marius songe à voix haute.
-"Accrochez-vous à vos amis". Mais quelle sorcière.
-Au plaisir, jeune homme, résille une voix familière. L'autre groupe s'est mieux sorti de cette épreuve.
Je soupire de soulagement. Victoire et Gabriel en ont vu d'autres, ils ont réussi !
-Enfin, tenez-vous prêts pour la suite.
A peine a t-elle fini son dernier mot, qu'une énorme brèche s'ouvre dans l'enceinte de ma tête. Un flot d'informations m'assaillent. Je vais me souvenir !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top