13.


Finalement, on s'est tous endormis dans la pièce aux coussins. On s'y sent plus en sécurité, sans doute l'aspect exigü, et ils sont tout aussi confortables que les matelas du studio. 

A ma droite, Victoire commence à agiter son corps chaud dans de petits spasmes incontrôlés. De l'autre côté, c'est Marius et sa capuche noire. Pour une fois, il semble avoir un sommeil paisible. Ses traits sont décontractés, et je jurerais avoir vu passer l'ombre d'un sourire sur sur ses lèvres. J'espère qu'il fait de beaux rêves, il faudra que je lui en parle demain. 

Je le fixe encore quelques instants. 

Il ouvre brusquement les yeux et réprime un rire moqueur. 

- Tu sais que tu fais vraiment peur ? C'est un rituel chez toi de regarder les gens dormir ? Ou alors c'est mon charisme naturel qui t'hypnotise ? 

Il a commencé en chuchotant, mais parle maintenant presque à voix haute. Je lui mime de baisser d'un ton, et lui décoche mon meilleur regard meurtrier. Je suis sûre qu'il a vu les éclairs sortir de mes yeux, malgré la pénombre. 

Victoire pousse un petit cri dans son sommeil. Je me retourne vers elle. Elle est brûlante. Je passe une main glacée sur son front trempé. Elle se calme un peu, et j'en profite pour dégager son front moite de ses mèches. 

Je jette un regard inquiet à Marius qui fronce les sourcils et hausse les épaules.

-Je devrais la réveiller ? 

-Je ne sais pas. Elle paraît faire un mauvais rêve, mais on est tous tellement fatigué que je ne pense pas que ça soit une bonne idée. On ne sait pas ce qui nous attend demain. 

Victoire s'est un peu calmée. Dans son sommeil, elle a saisi la main de Gabriel, allongé juste à côté. J'espère qu'elle se souviendra de son rêve, et qu'elle pourra me le raconter. Les paroles de Marius résonnent dans mes oreilles. "Ici, rien n'est anodin". Ils contrôlent nos souvenirs, pourquoi ne contrôleraient-ils pas nos rêves ? 

Je suis frappée par une pensée. Je ne rêve pas. J'en suis sûre, je suis incapable de me remémorer un seul de mes rêves. Est-ce possible ?

-Tu rêves, toi ? 

Je m'adresse au sweat noir en face de moi. Il relève la tête, la mine soucieuse. Il a pensé à la même chose que moi. 

-Je ne sais pas, Olympe. Rendors-toi, je surveille Vic.

Tous les voyants lumineux qui s'étaient alertés dans mon cerveau s'éteignent aussitôt et je ne proteste pas. Je manque sans doute encore plus de sommeil que Marius : je n'ai pas l'impression de dormir plus de deux ou trois heures par "nuit", et ça ne me suffit vraiment pas. C'est pourquoi je ne proteste pas et m'endors sur le champ.

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Je suis tirée de mon sommeil sans rêves par un énorme bruit rocailleux à rendre fou le plus stable des hommes. Je sursaute, et écarquille grand les yeux. Je suis incapable de formuler la moindre pensée. Pendant un instant, je ne me souviens même plus d'où je suis. 

Je saute sur mes jambes, et cherche les autres du regard. 

Gabriel est au sol. Il se tord de douleur. Je m'agenouille aussitôt à ses côtés. Je le secoue, prend sa température avec ma main, crie. Seulement, personne ne m'entend. Victoire fait de incessants aller-retours entre la pièce principale et la pièce aux coussins, et Marius semble avoir disparu. La panique me serre la gorge. Il faut que je me calme. 

Le bruit continue. C'est insupportable. Un homme crie très fort, accompagné d'un grattement amplifiés par je ne sais quelle machine qui ricoche dans ma tête comme une balle rebondissante contre un mur. J'ai presque l'impression que l'homme crie au creux de mon oreille. Je vais vriller. Je me relève pour aller chercher Marius, ou Victoire, n'importe qui qui puisse m'aider à gérer Gabriel. Il a complètement vrillé. Il s'est levé, et a commencé à se taper la tête contre les murs (matelassés, à mon plus grand soulagement). Un cri strident plus fort que les autres retentit au milieu de cet infernal vacarme. Je tombe à genoux. Cette fois-ci, mes tympans vont lâcher. 

Le bruit s'atténue d'un coup, comme si on avait plaqué un coussin contre les amplis. Il est toujours là, mais semble étouffé par quelque chose. Gabriel s'est assis, il a replié ses genoux contre son torse et à commencer à se balader d'avant en arrière, sur les fesses. Son regard est vague, ses yeux brillants.  

Il faut que je trouve quelqu'un. Vite. 

Je me rue en dehors de la cuisine, et percute violemment quelque chose. Je lève les yeux et pousse un soupir de soulagement. C'est Marius. Mes genoux tremblent. Il ne me lâche pas du regard, comme pour sonder mon état et m'attrape le bras. Il me soutient. Je bredouille quelque chose. 

-Gabri...

Il plisse les yeux. Les bruits stridents résonnent encore dans mes oreilles. Il ne faut pas qu'il parle. Il semble penser la même chose, puisqu'il ne dit rien et hoche la tête.

Je m'affale sur les coussins de la pièce. Marius s'est agenouillé au chevet de Gabriel. Il l'a allongé, lui a soutenu la tête avec un coussin et semble l'asperger d'eau sur le front. 

Personne ne parle, personne ne le peut. 

Je me lève, légèrement titubante. Il faut que je voie Victoire. Marius me glisse un regard, et je lui répond d'un hochement de tête. Ça va. 

Je traverse le furtifo en faisant abstraction des nausées qui me prennent d'assaut. Je balaie la pièce du regard. Une silhouette est allongée sur un matelas. Je me précipite aussi vite que possible vers elle, et retourne son corps qui me faisait dos. 

Elle est endormie.

Enfin, je l'espère de toute mon âme. Mon coeur se tord dans un spasme affreux. 

Je passe deux doigts sur sa gorge, cherchant sa veine. Je ne sais pas d'où me viennent tous ces gestes, mais je dois les faire, c'est tout.

Son pouls bat encore. Je lâche un soupir de soulagement. Je ne sais pas combien de temps a duré le doux réveil qu'ils nous ont imposé, mais cela a largement suffi à presque tous nous faire perdre la tête. Presque. Je me demande ce que Marius faisait, comment il a réussi à garder son sang-froid. 

Victoire bat des cils. Elle se réveille. Elle commence à se lever sur ses coudes, mais je repose sa tête d'un geste calme mais ferme sur le matelas. Il faut qu'elle recouvre ses esprits avant d'envisager de se lever. 

Durant les instants qui suivent, personne ne parle. Victoire et Marius semblent finalement être ceux qui ont été le plus épargnés par cette torture sonore. Gabriel et moi gardons le regard dans le vague, encore secoués. Je ne pourrais pas supporter qu'ils recommencent.

 Par moments, des bribes de cette cacophonie me reviennent en écho dans les oreilles, et je n'entends plus rien d'autres. Impossible. Mon esprit reste focalisé sur ces quelques secondes de bruits intenables. La plupart du temps, j'entends comme un essaim d'abeilles dans le creux de mes oreilles, qui bourdonne et fait des allers retours d'un bout à l'autres de mon crâne. 

Le premier à briser le silence que nous nous étions imposé d'un accord tacite est Gabriel. À ma grande surprise, il semble aller mieux. Il me fait un gentil sourire et me presse l'épaule. 

-Allô la Terre, ici Gabriel. Nous demandons à retrouver Olympe de toute urgence. C'est vital. 

Victoire et Marius lève les yeux aux ciel quand je lui adresse un faible sourire. 

Je suis exténuée, mais je n'en montre rien. Il ne manquerait plus que ça. Je crois qu'on a tous des sifflements dans nos oreilles, plus ou moins intenses, plus ou moins persistants, mais personne ne s'en plaint. On serre les dents, c'est tout.

-J'ai faim, déclare Marius à demi-voix. 

-Moi aussi, répondent en choeur Gabriel et Vic. 

-J'y vais. 

Cette fois-ci, c'est à Mister capuche et moi de nous lever d'un même élan. On se regarde, étonnés. Je hausse finalement les épaules avant de me diriger vers la cuisine transparente. 

Je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'oeil à la fenonoctem. Les mêmes nuages gris qu'hier soir. Exactement les mêmes. Je soupire discrètement avant de me diriger vers le placard à caméra. 

-On a faim. 

Oui, j'ai recommencé à parler aux placards, mais c'est bien comme ça que notre dîner est apparu hier, non ? 

C'est totalement blasée que je regarde l'hologramme réapparaître. J'appelle Marius d'un grognement digne de l'ours grincheux qui sommeille en moi. Vic nous rejoint, talonnée par Gabi. 

- Bonjour à tous. J'espère que vous avez bien dormi. 

On lui jette tous un regard meurtrier. 

-Pas si bien ? Comme c'est déplaisant. Nuisance sonore ? C'est drôle, les voisins sont plutôt calmes.

Je vais l'étrangler. Sur-le-champ. Tant pis s'ils me tuent. Ça abrègera mes souffrances. Non, je rigole, ça leur ferai gagner du temps. Mais je compte quand même me jeter sur elle. 

Mon voisin tout de noir vêtu semble avoir remarqué mon trouble, puisqu'il pose une main sur mon bras. Merde. Suis-je bête ? C'est un hologramme ! Elle n'a même pas le courage de venir nous voir en face ! 

-  Monsieur a décidé de dépêcher son meilleur agent sur le terrain pour superviser votre emploi du temps du jour, c'est-à-dire moi, Mademoiselle. Je disais donc que j'espère que vous êtes reposés, car nous commençons immédiatement avec la partie qui va nécessiter le plus votre matière grise, mes rossignols. 

Je veux lui faire fermer son clapet, avec une de mes répliques cinglantes. Quelque chose de bien senti, comme... euh... 

Rien ne me vient. Moi, Olympe, je n'ai rien à rétorquer à cette mégère ! C'est le retour du trou noir dans ma tête. Le seule repère qui paraît plutôt fixe pour moi, c'est Marius, Gabriel et Victoire. Le reste est en perpétuelle rotation autour de moi, semblant ne jamais vouloir s'arrêter. Je dois me sortir de là. Je ne dois pas rester dans ce trou, où je continue à m'embourber dans l'inconnu. Je ferme les yeux, pour que rien d'autre n'occulte mes pensées.

Je mobilise toute la force mentale qu'il me reste pour me hisser hors de ce tourbillon effrayant. Je me hisse avec peine, glisse, trébuche, recommence et re-glisse un nombre incalculable de fois. J'ai l'impression que cela fait des heures que mon esprit est coincé dans le vide. C'est l'ultime effort, après, je ne pourrais plus résister aux bras invisibles qui me tirent vers le fond du trou.

J'ai réussi.

 Je recule d'un pas. Je suis maintenant face à l'horrible mur blanc peint de mon prénom et de mon numéro. Je n'ai jamais été aussi soulagée de le voir. J'ai réussi à m'extirper de l'enfer mental où l'horripilante secrétaire m'avait replongée. Était-ce volontaire ? 

Un couac à peine audible retentit. Je me reconnecte avec le monde réel. L'hologramme a disparu. Et je n'ai aucune foutue idée de ce qu'elle a bien pu nous annoncer. Mais ça ne doit rien augurer de bon vu les mines angoissées qu'arborent mes compagnons.

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