12.


La grande nouveauté pour moi, ce n'est pas le studio-cellule, ni mes nouveaux compagnons. 

Non, c'est beaucoup plus beau, plus magistral, plus  impressionnant. Cela fait peut -être dix jours que je me suis réveillée, et je n'avais vu du ciel qu'un amas de nuages gris, ou des constellations artificielles. Je suis absorbée par la contemplation du camaïeu de rose tirant sur l'orangé qui s'étend devant moi. Mon premier coucher de soleil. 

Des oiseaux dansent devant moi un véritable ballet devant le disque orangé qu'est devenu le soleil, et je suis sûre que je peux les entendre discuter. Le ciel, lui, offre un dégradé de rose, passant du rose profond d'une fleur au rose pâle des joues d'un visage ému. Des nuages le parsèment tels de petits moutons mauves, suivant bien sagement le disque orangé. Une odeur iodée m'emplit la gorge.

Une sensation de bien-être envahissante me tire loin du vide de ma mémoire, me happe vers d'autres contrées où je serais libre, avec une famille et des souvenirs heureux.

Je sens mes yeux devenir humides, mais je refoule aussitôt mes larmes. Je ne dois pas être faible. Ça ne m'apporterait rien. Et les autres le verrait, de quoi j'aurais l'air ? Olympe, alias la fille qui pleure comme une madeleine devant un coucher de soleil ? 

Je sens une présence à côté de moi. Un bras vêtu de noir s'accoude avec moi à la fenêtre, et une légère odeur corporelle mêlée à un peu de vanille me chatouille les narines. Je ne me retourne pas, je connais l'identité de mon visiteur. J'espère juste qu'il ne compte pas se rire de moi, la guerre serait déclarée. J'ai un léger moment de faiblesse, c'est vrai.

-Olympe. Je crois que... ce n'est qu'une fenêtre artificielle. 

-Comment tu peux en être sûr ? 

Ma voix tremble, je m'en veux. Bien sûr ! Je me sens bête. 

Ils contrôlent tout, de notre alimentation à nos souvenirs. Ils savent parfaitement ce que leur foutue Fenonoctem me montre. 

J'inspire, pour dispenser à mon visiteur de me répondre ; j'ai compris seule. A l'instant où j'ai semblé prendre conscience que le paradis que je voyais n'était qu'image 5D, le paysage s'est couvert de nuages gris et sombres, recouvrant mon échappatoire en quelques instants.

Je courbe le dos. Ils sont ignobles. Des micros, des caméras, tout n'est qu'illusion dans cette cellule.

L'épaule du jeune homme se presse contre moi, comme pour me maintenir la tête hors de l'eau. Je lui en suis reconnaissante.

- Ne leur donne pas raison. Ils nous pensent faibles. En nous empêchant de nous souvenir, ils nous volent une partie de notre identité, mais ça ne suffira pas à nous détruire. Je ne sais pas pourquoi on est ici, ni quel lien nous relie, mais on doit toujours garder à l'esprit qu'ils n'ont pas pour objectif de nous faciliter la vie. Donc le moindre échappatoire que tu pourras te trouver, un coucher de soleil, une nuit étoilée, des matelas, des camarades, rien n'est laissé au hasard. Ne te laisse pas envahir par leur faux cocon de réconfort, la chute n'en sera que plus dure. 

Je relève les yeux, et je rive mon regard sur l'horizon devenu une interminable ligne noircie par les nuages orageux.

-Ça ira. On s'en sortira la tête haute.

Mes mots résonnent entre nous et je fais face au jeune homme. 

Il voit le verre à moitié vide, moi à moitié plein. Il a beau ne se souvenir de rien, il n'a pas du vivre des choses faciles. Il a le regard bien trop souvent assombri par des démons qui tentent de le tirer au fond d'un trou noir. Celui dont j'avais réussi à m'extirper. Toute ma rancœur semble s'être envolée, où du moins celle que je gardais contre lui. Le silence entre nous dure encore un peu, comme un petite main cherchant à stopper l'hémorragie d'une plaie béante.

-Tu crois qu'on devra passer des sorte d'épreuves physiques ?

-J'en ai aucune idée, mais je ne pense pas qu'il ne soit question que de performances sportives.

-Des tests sur notre QI ? On est pas des androïdes, qu'est-ce qu'ils peuvent mesurer ? 

-Aucune idée, c'est toi le génie ! Je faisais juste une hypothèse.

Je fusille les pupilles grises du jeune homme entièrement vêtu de noir. 

- Ouais. Bon, j'aimerais bien me changer, me laver, je me sens sale. 

Il recule d'un pas,  et inspire une bouffée d'air, soulagé. 

-Bonne idée ! Je n'osais pas le suggérer. 

Il conclut d'un grand sourire.

Ma parole, mais ce mec est vraiment hilarant. Je tourne les talons en lui demandant de quitter la pièce pour que je puisse me déshabiller. Il entraîne Gabriel avec lui, tandis que Victoire somnole sur un matelas. 

Le coin d'eau est sommaire, mais je suis contente de pouvoir me rafraîchir un peu. Je me déshabille et plie soigneusement mes vêtements en les posant sur le coin du digilavabo. C'est plutôt un bon modèle. Il ne dispose pas de bras massant, mais le mécanisme qui le transforme en douche n'est pas rouillé. Je fais pivoter la paroi transparente et pénètre dans l'habitacle. La paroi se trouble instantanément pour me laisser de l'intimité.

Il n'y a pas d'eau chaude, seulement de l'eau à peine tiède, mais je suis tellement soulagée que je ne m'en soucie pas. Il y a même un gel douche, une brosse propre, et un pot beige, dont j'ignore l'utilité.

Mes muscles se détendent, la crasse quitte peu à peu mon corps. Mes ongles et ma peau recouvrent une couleur à peu près normale, et je me frotte partout. Mes mains se baladent sur ma peau désormais propre pour découvrir mon corps. J'évite soigneusement ma nuque, j'ai compris la leçon. En passant en bas du dos, mes doigts rencontrent quatre plis de peaux laiteux,  qui semblent délimiter la démarcation entre mon dos et la naissance de mes fesses. J'appuie dessus, ils ne sont pas douloureux. Je m'interroge, comment ai-je eu ces cicatrices ? 

Je recommence à explorer la moindre parcelle de ma peau, intriguée. J'en ai peut-être d'autres.

Mes doigts rencontrent une estafilade plutôt épaisse, blanche comme du lait, qui barre mon ventre du nombril à la naissance de ma cuisse. Là encore, aucune douleur, seulement une étrange sensation. Celle là est plutôt voyante, il faudra que je fasse attention. Je continue, en remontant mes mains le long de ma nuque. Je m'arrête derrière mes oreilles. Même cicatrices qu'en bas de mon dos. Quatre plis de peau alignés, espacés par quelques centimètres. 

Ceux-là m'embêtent plus : il suffit que je m'attache les cheveux pour qu'elles soient exposées. Il faudra que j'y pense. J'appuie dessus. Aucune douleur. J'en déduis qu'elles doivent être anciennes. Qui m'a fait ça ? 

Une question de plus laissée en suspend.

Je m'arrache avec déplaisir à la douche qui m'a fait tant de bien. Je passe ma tête en dehors de l'habitacle, pour vérifier que les garçons ne sont pas dans la pièce, et active le mode séchoir du digilavabo. Je m'apprête à sortir pour de bon, lorsque je me décide à lire la notice du pot beige. A peine ai-je le temps de le saisir, qu'une voix de femme presque robotique envahit l'habitacle de la douche-séchoir. 

"Pot de correcteur longue durée. A appliquer sur vos imperfections. Prenez-en du bout de vos doigts, et appliquez sur la zone à cacher. Il prendra automatiquement la couleur de votre peau. Attention, ce produit n'est pas waterpr... "

Je la fais taire en reposant le pot. Je ne veux pas que tout le monde sache. Il ne manquerait plus que ça ! 

Je m'en applique rapidement sur les cicatrices derrières mes oreilles, et repose rapidement le pot. Comment savent-ils ? Ce sont eux qui m'ont fait ça ? Suis-je la seule ? Les autres ont-ils des cicatrices aussi ? 

Je cherche du regard mes vêtements. Je les enfile rapidement, et remarque qu'ils ne semblent plus empester comme tout à l'heure. On dirait même qu'ils sentent meilleurs. Je suppose que le tissu absorbe les odeurs.

Je me brosse les cheveux, et je remarque qu'ils sont trop longs à mon goût. Ils m'arrivent au milieu du dos lorsqu'ils sont mouillés. J'espère qu'ils ne me gêneront pas, je les attacherais quand ils seront secs. 

Je ne m'attarde pas devant mon reflet et signifie à Victoire qu'elle peut aller se doucher, et que je vais rejoindre les garçons, dans la pièce aux matelas. Elle me répond d'un grognement peu enthousiaste et je lui souris avant de chercher le couloir qui se déplace autour de la pièce.


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