•} Jour 2 {•

Mercredi 15 janvier 2025

Je suis retournée travailler, aujourd'hui. En tentant de faire abstraction de la douleur qui me colle à la peau. En tentant de ne pas montrer ma peine. Une élève de T2 – Elena, il me semble – m'a demandé si j'allais bien. Je n'aime pas quand les élèves sont trop perspicaces. À moins que ma fatigue ne soit plus visible que je ne le pensais.

À midi, j'ai mangé seule. Les autres, mes collègues, me regardaient. Certains avec pitié , d'autres avec interrogation, et d'autres encore, plus rare, avec dégoût.

Les ingrats. Ils ne savent pas ce que j'ai vécu.

Je n'ai eu qu'une heure, cette après-midi. La classe était calme. Nous avons discuté de la bonté humaine. C'est un sujet que je trouve intéressant. Jusqu'où l'homme est-il bon ? Jusqu'où aidera t-il son prochain ? J'ai donné une production écrite aux élèves, à rendre pour la semaine prochaine.

Travailler me fait du bien. Je n'oublie pas, mais j'ai d'autres pensées au premier plan, je ne peux plus broyer du noir, faute de temps. En rentrant, mon cœur s'est serré. Comme si je laissais mon malheur entre les murs de mon petit appartement le matin, en partant travailler, et que je replongeais dedans le soir, à mon retour. Certes, elle n'a jamais vécu ici mais je vois quand même l'ombre de son fantôme pâle glisser entre les meubles, le long des murs.

J'ai fermé les yeux. Avancé. Ne surtout pas penser à elle, ne pas entendre son rire cristallin tenter à mes oreilles. Ne plus chercher sa voix fluette, ne plus espérer sa silhouette frêle.
Je me suis mise à la table du salon. J'ai essayé de me noyer dans le travail. J'avais des copies à corriger. J'ai lu, barré, commenté, approuvé, noté. Certains textes sont très bons, d'autres moins. Il y a deux ou trois élèves qui sont en difficulté, il faudra que je les aide. En posant la dernière copie, j'ai vu mes mains se mettre à trembler. Je n'ai pu en détourner le regard. C'est étrange de le dire comme ça, mais j'aime mes mains. Elles ont toujours été là pour m'aider, pour tout ce que j'ai fait. Ce sont elles qui ont posé des fleurs, déjà à sept reprises, sur une dalle de marbre blanc gravé de son nom.

J'ai serré les poings. Mes os affleurent à la surface de ma peau. Je maigris, lentement mais sûrement. J'ai perdu ma joie de vivre en même temps que l'être que j'aimais le plus au monde.

Il est maintenant 22h passées. La nuit est tombée depuis longtemps. Les piles de copies d'élèves, de cours, et mes deux pots à crayons sont soigneusement organisés sur le bureau. Et au milieu, ce journal. J'avais déjà commencé à écrire un journal il y a quelques années, mais je ne l'avais pas tenu longtemps. Hier, en rentrant de Lyon, j'ai ressenti le besoin d'écrire. Besoin fondamental de coucher mes tourments sur le papier, de faire naître sous la plume de mon stylo les mots qui sauraient, je l'espère, me libérer. Hier soir, ça a fonctionné. Je me sentais vide, vide de toute émotion, de tout sentiment. J'avais la tête vide. Le cœur et l'âme vide. Je n'étais plus qu'une coquille, ne vivant que parce que mon cœur continuait de battre. Mais ce matin, j'étais à nouveau assaillie de pensées noires. La nuit a fait revivre ma douleur, et j'essaie à nouveau de m'en défaire. Je ne sais pas comment j'ai fait pour vivre comme cela depuis six ans. Je ne sais pas pourquoi la douleur est aussi forte aujourd'hui. Je ne sais pas si elle a toujours eu la même intensité ou si elle a augmenté au fil des mois.

J'ai déjà pensé à mettre fin à mes jours. Après tout, rien ne me retient en ce monde. Je ne sais pas ce que sont devenus mes parents. Ça fait plus de dix ans que je ne leur ai plus parlé. Se souvient-il seulement de mon existence ? Je l'ignore. J'ignore aussi pourquoi je reste. J'ai l'impression d'attendre. Attendre quoi, je ne sais pas. Le bonheur peut-être. Mais pour ça, il faudrait croire. J'ai connu le bonheur, dans ma jeunesse. Mais la souffrance qui l'a suivi était aussi forte, si ce n'est plus, que ce bonheur.

Je vais aller dormir. Je sais que je chercherai longtemps le sommeil avant de le trouver. Si toutefois je le trouve. J'ai peur du noir. Peur de la nuit. Elle rend les souvenirs réels. Et je la revois. Mais elle disparaît quand je me réveille. Alors je redoute les rêves autant que je les espère.

***

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