Chapitre 1

Le cliquetis des couverts était le seul bruit qui rompait le silence. Ce repas se voulait pourtant jovial, différent de ceux qu'elle avait l'habitude d'avoir seule dans la gigantesque salle à manger du manoir. Bien que les autres clients conversent, le bruit ne l'atteignait pas dans la terrasse où seules deux tables étaient occupées. Au moins, elle pouvait se changer les idées en observant le flot des passants couler dans les rues de la ville. Un spectacle anodin mais si exceptionnel pour elle. Ça changeait des hordes d'hommes et de femmes armés qu'elle voyait chaque jour.

Ses trois gardes du corps n'avaient pas bougé, assis à une table derrière la sienne pour la surveiller. Il y'en avait bien évidemment d'autres. Le premier groupe surveillait l'étage du restaurant où elle déjeunait, habillés en civil pour ne pas attirer l'attention tandis que le reste longeait la ruelle devant l'établissement. Elle les ignora. La terrasse était belle, le temps aussi, pas la peine de ruiner son humeur à cause de cette protection abusée dont elle n'avait absolument pas besoin.

Elle aurait aimé partager ce moment avec des amis, mais ce n'était pas évident d'en avoir en étant la fille de deux des plus grands mafieux du monde. Il fallait être constamment en alerte, car souvent nos fréquentations cherchaient soit à se servir de nous, soit à nous tuer. Deux options loin d'être alléchantes.

La brise estivale fit virevolter sa robe de satin noire et les rayons de soleil faisaient scintiller son collier de diamant. C'était son plus récent caprice, et comme tous ceux qui avaient précédé, son père n'avait pas mis longtemps avant de s'y plier. Après tout, ce n'était pas grand-chose. L'argent n'était pas ce qui manquait. Tant que ses demandes ne touchaient pas les affaires familiales, ses parents ne s'y opposaient jamais.

Un bruissement dans un arbre proche attira l'attention des gardes qui se dressèrent comme un seul homme, les mains sur leur arme. Une tête se fraya un passage parmi le feuillage et alors qu'ils s'apprêtaient à tirer, Amaris leva la main pour les arrêter. Avec ses réflexes surhumains, il aurait pu facilement esquiver des balles dans une situation aussi attendue, mais mieux valait ne pas prendre de risque.

En un bond, il prit place devant elle après avoir tiré une chaise inoccupée, pas le moins du monde perturbé par les armes pointées dans sa direction. Il adressa même un clin d'œil à l'un des hommes et envoya un bisou à l'unique femme du groupe de gardes.

Il ne pouvait pas faire son entrée comme tout le monde, par la porte ?

-"Ma chère Perséphone. Toujours aussi sublime à ce que je vois. »

Elle dut faire preuve de tout le self control du monde pour ne pas le poignarder sur le coup.

-"Qu'est-ce que tu me veux ? »

-"Oh mais voyons, mon ancienne amie m'a manquée, n'ai-je pas le droit de venir la saluer ?" Il se détourna d'elle une seconde et dirigea son regard vers ses gardes, "Roberto ! Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas croisés ! Alors, tu as toujours autant envie de me trucider ?"

Le sexagénaire ne répondit pas, mais son regard noir en disait long sur ce qu'il pensait du brun.

-"Je sais pas pourquoi, mais ce bon vieux Roberto et moi nous sommes toujours entendus à merveille !"

Il se foutait clairement de la gueule de l'homme, sachant pertinemment que celui-ci ne pouvait pas le toucher. Après tout, il était aussi nécessaire qu'elle à l'équilibre du monde de l'ombre, aussi intouchable aussi.

-"Qu'est-ce que tu me veux ?"répéta-t-elle en détachant chaque syllabe.

-"Rien voyons. Juste une petite conversation en privé."

Roberto esquissa sans s'en rendre compte un pas vers le jeune brun duquel l'insolence commençait vraiment à lui taper sur les nerfs, mais la mafieuse s'en rendit compte et lui fit signe de s'approcher d'elle.

-"Tout le monde part m'attendre en bas. Tu restes devant la porte."

Il hésita mais face au regard autoritaire de la femme ne put qu'abdiquer.

Elle se détourna vers l'invité surprise le temps que Roberto donne les ordres et que tout le monde s'en aille. Il portait une chemise noire dont deux boutons étaient ouverts, rentrée dans un pantalon de tailleur de la même couleur. Comme à son habitude, il s'aidait d'un bandana pour dompter ses boucles. Une feuille tomba de sa tignasse où elle s'était probablement coincée pendant ses galipettes aériennes. Pourtant, bien que son accoutrement ne laisse pas deviner l'ampleur de la menace qu'il représentait, son regard prouvait le contraire. Des prunelles glaciales dans lesquelles se reflétait l'éclat de la lame du couteau papillon avec lequel il jouait nonchalamment, le temps que la terrasse se vide.

Cet homme était si dangereusement insouciant. Mais elle savait qu'il était assez menaçant pour être le seul qu'elle pouvait appeler son rival.

Berkay ne se gêna pas pour la reluquer à son tour en voyant qu'elle ne tentait pas d'être discrète. Ses courts cheveux lui arrivaient au-dessus de l'épaule, mettant l'accent sur la coupe asymétrique de sa robe. Sa manucure parfaite rendait presque impossible de deviner qu'elle n'hésiterait pas une seconde à dégainer sa lame et la manipuler comme une extension d'elle même, si seulement l'envie lui en venait. Tout en elle criait l'élégance. Elle était tirée à quatre épingles, presque irréelle. Seuls ses piercings à l'oreille et ses mitaines de cuir, posées entre un pistolet et une fourchette troublaient le tableau.

Entre les deux, ce n'était pas une simple question de rivalités entre héritiers. Cela aurait été trop simple. Elle représentait tout ce qu'il détestait, tout ce qui le poussait à fuir la vie qu'on lui avait octroyé à la naissance. Et la jeune femme ne le portait pas dans son cœur non plus. Son côté rebelle et mystérieux l'exaspérait. C'était la vraie vie, pas un roman de Bad-boy motard. À ceci s'ajoutait un passé commun que les deux avaient implicitement convenu d'oublier.

-"Ewan et Oriel comptent se marier." lança t-il de but en blanc.

Elle manqua de cracher la gorgée de cocktail qu'elle venait de prendre, ce qui en disait long sur son état de surprise.

-"Ton sens de l'humour est en constante dégradation à ce que je vois."rétorqua-t-elle. Non... Ils n'oseraient pas... Pas alors qu'elle était si près du but.

-"Crois le ou non, faire rire la petite mégère que tu es est loin de figurer sur ma liste de priorités."Maintenant qu'ils étaient seuls, même ce rictus sarcastique et méprisant qu'il arborait tout le temps quand il narguait les autres disparaissait. Il n'y avait plus que ses iris froids et son regard impassible.

-"Mais... On en aurait entendu parler. Ils ne peuvent pas cacher un truc d'une telle ampleur."

-"Ils sont moins cons qu'on ne le croyait. Le Parrain les a gardés en course pour une raison."

Si les différentes familles les plus influentes contrôlaient chacune un secteur du marché noir, le Parrain était le mafieux emblématique qui veillait à ce que l'ordre continue à régner dans ce monde si prompt à céder au chaos au moindre conflit.

Pour assurer sa continuité en vue de l'absence de progéniture, il avait choisi un enfant de chacune des cinq grandes maisons pour être éduqué dans le seul et unique but de lui succéder. Depuis leur plus tendre enfance, Amaris, Berkay, Ewan, Oriel et Alex avaient grandi dans la perspective de devenir un jour les prochains dirigeants. Ceci avait tout naturellement fait naitre une concurrence et une rivalité entre eux. Mais à force de se côtoyer, ils avaient fini par s'apprécier et se rapprocher. Du moins ce fut le cas pour tous les candidats sauf Berkay et Amaris.

Et de toute évidence, certains parmi eux s'étaient trop rapprochés, plus que raison.

-"Ils n'ont pas le droit."Trancha-t-elle, toujours secouée.

-"Pourquoi ? La seule personne qui peut leur dicter quoi faire est le Parrain, et il reste toujours en dehors de nos vies privées."

Amaris garda son expression stoïque même si elle bouillait au fond. La situation était déjà suffisamment désastreuse. Pas la peine de rajouter une autre couche en paraissant vulnérable devant l'autre énergumène.

-"Et ? Pourquoi viens-tu m'en parler ?"

Il la regarda comme si elle était la dernière des imbéciles.

-"Parce qu'aussi détestable que tu sois, et même si la seule chose qui me retient d'enfoncer mon poing dans ton visage agaçant est l'ordre du Parrain de m'abstenir, on sait très bien que cette situation ne bénéficie aucun d'entre nous. Il n'y a pas vingt milles solutions."

Amaris voyait bien où Berkay voulait en venir, mais elle savourait bien le moment. Ça n'arrivait pas tous les jours que l'héritier Fulmen vienne demander de l'aide.

Techniquement, il proposait une alliance, mais ça revenait en même.

-"Ils s'unissent contre nous. On doit donc en faire de même."conclut-il.

-"Tu comptes faire quoi ? Attendre qu'on dise 'Si quelqu'un s'oppose à cette union qu'il parle ou qu'il se taise à jamais' pour sauter et crier non ? Si le Parrain ne peut pas trancher dans ce genre de sujets, ce n'est pas nous qui le ferons."

-"Mais ma chère Perséphone, qui t'as dit que je compte attendre aussi longtemps avant de les séparer ?"

Son regard déterminé piqua sa curiosité. Il avait un plan.

-"Arrête de m'appeler ainsi."

-"Si je ne peux pas te buter, autant t'agacer, non ?"

Elle roula des yeux et il s'approcha d'elle.

-"Alors ? Prête à semer un peu d'anarchie et de chaos dans leur plan ?"

Amaris se pencha davantage. Ils étaient maintenant à peine quelques centimètres l'un de l'autre.

-"C'est ce que je fais de mieux."Souffla t-elle.

Et pour la première fois depuis des années, un rictus étira les traits du visage du brun. Un rictus en sa présence. Un rictus destiné pour elle.

Si se battre contre lui pour la première place était amusant, œuvrer à ses côtés pour écarter d'éventuelles menaces allait l'être encore plus.

Voici le premier chapitre ! Comme vous pouvez le constater, ce n'est pas l'amour fou entre Berkay et Amaris ! Que pensez-vous d'eux ? De ce chapitre ? Dites moi tout !

~Caporal Neko

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