-Esteban, demain, on part à 7 h.

Le pilote hausse les sourcils de surprise.

-Mais on va où ?

Son père rit.

-Bah, pêcher. Ça fait un mois qu'on en parle. On part avec tonton et sa troupe. On va au lac, tu sais, on y va souvent pour se balader après les repas de famille.

Esteban hoche la tête : il voit exactement de quel endroit son père veut parler, et effectivement, depuis son arrivée, il a souvent entendu parler de cette sortie. Pourtant, il n'a jamais internalisé la date, trop occupé à se concentrer sur celle du retour du stock de perles. En Formule 1, il est habitué à se concentrer sur une seule date à la fois, principe qu'il applique visiblement aussi à sa vraie vie.

Se lever tôt ne le dérange pas vraiment ; il n'a jamais été un gros dormeur. Il préfère se coucher tôt que traîner au lit le matin même les matins sans réveil. S'il se réveille trop tard, il n'aura pas le temps de prendre un petit-déjeuner, et il en a besoin pour réussir à garder son poids réglementaire pour le sport. Le départ à 7 h du lendemain ne lui fait ni chaud ni froid : ce qui l'embête, c'est plutôt de réaliser que la journée de demain sera une journée sans aller à Action.

Les journées pêche sont des vraies journées pêches. Du lever du soleil à son coucher, il faut surveiller sa canne à pêche. Le seul moment de pause accordé et celui du pique-nique du déjeuner, mais qui se déroule évidemment sur le lieu de la pêche. Ça se passe en famille et Esteban sait que c'est assez important pour eux pour ne jamais oser refuser. Ils en font quand il n'est pas là, et il s'en veut toujours un peu de les rater. Alors quand il est disponible, il y va. Exceptionnellement, ce jour-là, il ne répond même pas à son téléphone. D'habitude, il s'arrange pour n'avoir aucun engagement médiatique ce jour-là et ne fait jamais de story sur Instagram par rapport à cette journée spéciale.

Bon, de toute façon, il commençait à être à court d'excuses pour justifier le déplacement ainsi que la déambulation dans les rayons du magasin. Encore une fois, il doit être honnête avec lui-même : il n'a rien à faire chez Action le lendemain. Les perles seront livrées le jour d'après, il ne va pas mourir s'il ne voit pas la vendeuse qu'il aime bien pendant 24 h.

Pourtant, pendant toute la journée, il ne peut pas s'empêcher de penser à elle et au peu d'interactions qu'ils ont eu jusqu'à présent. Elles ne sont pas nombreuses, mais Esteban a bien remarqué qu'elles étaient de plus en plus longues et de moins en moins formelles. Peut-être qu'aujourd'hui, l'échange aurait été plus long que celui d'hier. Il aurait commencé tout de suite avec un tutoiement, ce qui change beaucoup de choses. Ils auraient rigolé, sûrement.

-Tu as passé une bonne journée ? lui demande sa mère le soir, quand ils sortent le matériel de la journée du coffre de la voiture, et Esteban sourit.

-Ben oui, mam. Je passe toujours des bonnes journées pêche.

-Oui, mais d'habitude, tu es moins dans tes pensées.

Il ne sait pas quoi répondre, mais heureusement, sa mère n'attend pas de réponse. Elle lui sourit d'un air bienveillant avant de commencer à faire des aller-retours vers le garage.