9 - Le miraculé
"Un jour, tu seras mienne.
Et ce jour là, je te regarderai de haut comme tu l'as fait pour moi toute ma vie."
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Ce matin là, le village fut réveiller par un cri de terreur en provenance de la Grande Place. Il ne fallut qu'une poignée de minutes aux habitants pour sortir de leurs demeures et venir s'agglomérer autour de la source du bruit, échangeant messes-basses et regards inquiets. Le spectacle n'était pas commun.
Du sang. Du rouge encore moite, peint en couches épaisses sur le sol blanc. Le cadavre gisait sous les cris des corbeaux. Effondré près du mort, les genoux plein de poussière, se trouvait un jeune homme bien vivant. Ses pleurs alimentaient le voil d'ombre qui flottait sur la Grande Place. Son apparence était semblable à celle d'un ange tombé du ciel. Ses boucles blondes rebiquaient sur son visage arrondi, ses yeux d'un érable profond luisait de larmes salées. Sorën s'extirpa de la foule pour venir s'agenouiller à ses côtés.
- Que s'est-il passé? demanda t-il tout bas.
L'ange ravala plusieurs hoquets larmoyant avant de parvenir à prononcer un mot. Ses épaules graciles tressaillaient d'émoi.
- Je n'ai rien pu faire, sanglota t-il. Mon ami, il a...
Il jeta un regard au corps mutilé et étouffa un hoquet de dégoût, une main plaquée sur la bouche.
- Raconte moi, murmura Sorën en lui frottant doucement le dos du plat de la main. Je peux t'aider.
- On se balladait, Arthur et moi. Il faisait encore jour, alors on s'était dit que... Je ne comprend pas comment il...
Le jeune homme essuya ses joues d'une main tremblante. Il lui fallu plusieurs secondes pour retrouver contenance.
- Nous avons été attaqué. Une bête énorme. Je n'ai pas réfléchit et je me suis enfuit en courant, le plus vite que j'ai pu. Je... je l'ai abandonné.
Il éclata en sanglot une fois de plus et vint nicher sa tête au creux de l'épaule de Sorën. Sans hésiter, celui-ci enroula ses bras autour de son corps frêle, accueillant sa peine comme si elle était la sienne. Ce n'était encore qu'un gamin.
- Shhh, tu n'y ai pour rien, murmura t-il, caressant ses boucles blondes.
Autour de lui, il sentait déjà la stupeur et le désarroi se changer en colère. Les représailles seraient brutales. Mais comment réparer ce désastre sanglant, quand chaque témoin de cet affreux crime brûlait d'une rage qui pouvait à tout moment se propager au village entier? Combien de morts pourraient-ils encore enterrer dans le sol des montagnes qui les avaient vu naître? Il ferma les yeux un moment, s'accordant quelques secondes de paix, puis se leva.
- Comment t'appelles-tu?
- Je suis Samaël.
Le jeunot essuya ses larmes. Sorën lui offrit un sourire amical.
- Bien, Samaël. Nous trouverons celui ou celle qui a prit ton ami, je t'en fais la promesse.
Il lui tendit la main et Samaël la prit avec délicatesse, se hissant sur ses deux jambes grêles. Il baissa les yeux. Hésita.
- Ce monstre, je... Je crois que je l'ai vu.
Le visage de Sorën afficha d'abord la surprise, puis un air bien plus grave et sérieux. Voilà qui changeait tout.
- Tu es sûr de ce que tu affirmes? Tu pourrais me le décrire?
Alors lentement, Samaël étendit son bras gracile devant lui. Son poignet s'éleva avec souplesse, dépliant chaque osselet dans une mécanique parfaite et, enfin, son index accusateur se déroula vers...
- Lui. C'est lui que j'ai vu.
Sorën tressaillit en croisant le regard d'Erian. Non, impossible. Il avait passé toute une nuit en sa compagnie, il était bien placé pour savoir que ce n'était pas lui. Durant un très court instant, il fut prit d'une crainte dévorante à l'idée de voir son allié monter sur le bûcher, puis une voix le sortit de ses sombres pensées.
- Quoi? C'est ridicule, j'étais avec ma femme hier soir! Chérie, dit quelque chose!
Juste devant Erian, un homme d'une soixantaine d'années riait nerveusement. À bien y regarder, c'était bien lui que le blond pointait du doigt. Sorën ne pu contenir un infime soupir de soulagement.
- Je sais ce que j'ai vu, reprit Samaël. C'est bien toi qui nous a attaqué hier soir.
- C'est impossible, jeune homme. Vous avez des problèmes de vue!
La voix du vieil homme laissait transparaître sa crainte. Ses regards affolés cherchaient parmi la foule une aide, une main tendue... Mais personne ne répondit à son appel. Le vote eut lieu et, étant le seul suspect, il fut rapidement condamné par le reste du village. Sorën avait regardé les choses se faire sans trop savoir qu'en penser. Samaël semblait sincère... mais se pourrait-il qu'il se trompe ? Un échec de plus lui serait insupportable.
Il allait bientôt être fixé.
L'homme fut trainer jusqu'au bûcher. Il geignait et suppliait, mais seule sa femme pleurait son triste sort. Alors qu'un duo de fermières aux bras forts s'affairaient à le ligoter, Samaël fit une chose que Sorën n'aurait pu anticiper. Il se rua vers le condamné et l'empoigna par le col, le regard brûlant de haine. Ce dernier en fut si surpris qu'il cessa immédiatement sa complainte.
- Tu vas payer pour ce que tu as fait, démon.
Un mélange de peur et d'exaspération fila dans les yeux du vieil homme. Il lui cracha presque ses mots au visage :
- Je ne suis pas un loup, petit con.
Il utilisa ses dernières forces pour lui envoyer un coup de pied en plein ventre. Samaël roula dans la poussière, au moment même où une torche vint embraser le bûcher. Les flammes avalèrent la paille à une vitesse affolante, léchant les jambes du condamné qui se mit à hurler. Sorën se fit violence pour ne pas détourner le regard. Il voulait voir de quelle couleur seraient les flammes lorsqu'elles auraient consummé leur triste repas.
Les secondes passaient, aussi lourdes que le plombs. Chacun retenait son souffle. Sorën commençait à douter.
Et puis au terme d'une insoutenable attente...
Un cri de joie résonna dans la foule, bientôt rejoint par une multitude d'autres. Sorën sentit ses muscles se relâcher doucement. La fournaise brûlait d'un vert acide. Il jeta un regard à Samaël, toujours agenouillé dans la poussière. Quel étrange jeune homme... Il posa une main sur son épaule et lui adressa un sourire redevable.
- Tout va bien?
Aucune réponse.
- Je sais que c'est dur, mais dit toi qu'il y a un monstre en moins dans notre village et que c'est grâce à toi.
Samaël lui rendit un regard indescriptible. Un sourire. Une lame aiguisée, qui lui frôla la nuque dans un frisson glacé. Il s'en détourna bien vite.
D'ailleurs, où était Erian? Au loin, Sorën aperçut la silhouette du brun quitter la place. Il se lança à sa poursuite, esquivant la foule agitée, puis posa une main sur son épaule. Erian se retourna et lui adressa une moue assassine.
- Oh. Ce n'est que toi, marmonna t-il, l'air profondemment ennuyé.
Sorën ramena sa main à lui.
- Écoute, je... J'aimerais te parler. En privé.
- Alors tu tolères ma présence, maintenant ? Quel chanceux je fais.
- S'il te plaît, Erian, ne rend pas ça plus compli...
Le jeune homme fut interrompu par une voix à l'autre bout de la place. Il se retourna. Samaël courrait dans sa direction en agitant la main.
- Tiens, tu as un nouveau toutou, maintenant ? ironisa Erian.
Sorën lui lança un regard réprobateur.
- Il vient de nous débarrasser d'un loup, Erian.
- Et je suppose que ça suffit à ce que tu lui accorde ta confiance. Alors que moi, je n'ai fait que te sauver la vie, trois fois rien. Il a l'air de t'apprécier...
Sorën fut incapable de rétorquer. Était-ce de la jalousie qu'il percevait dans sa voix? Il n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps. L'instant d'après, Samaël arrivait à leur portée.
- Ah, désolé, dit ce dernier en reprenant son souffle. Je voulais simplement te remercier.
- Me remercier ? Mais je n'ai rien fait.
- Bien sûr que si, tu m'as offert ton soutien, ce n'est pas rien.
Le blond se tritura les doigts et abaissa les yeux, dissimulant son embarras sous le voile de ses longs cils. Un peu plus loin, Erian roula des yeux si fort qu'on aurait pu les entendre à l'autre bout du village.
- Tu sais, je t'ai toujours admiré, avoua Samaël. Je voulais faire le bien, comme toi, mais je n'avais pas le courage de me mettre en avant. J'en ai enfin eut l'occasion aujourd'hui et rien que pour ça, je suis heureux d'avoir survécu à cette nuit.
Sorën sentit son coeur se gonfler de joie. Il leva son pouce devant lui et lui offrit un sourire à faire pâlir les astres.
- Je suis heureux d'avoir pu t'inspirer à agir, Samaël! Et... je suis désolé pour ton ami.
Le blondinet fronça les sourcils d'incompréhension, puis son visage s'illumina.
- Que... Oh! Je... Merci, merci infiniment. Je suis encore bouleversé, pardon...
- Tu devrais partir, lança sèchement Erian.
- Oui, tu devrais aller te reposer, rattrapa Sorën. Tu dois être éprouvé.
L'adolescent les salua avec enthousiasme et prit congé.
Restés seuls, les deux comparses se gratifièrent d'un silence hostile. Ce fut Sorën qui le brisa le premier.
- Ah, il est bientôt midi...
Il leva le visage vers le ciel, massant sa nuque endolorit. Erian n'avait pas été très correct, mais Sorën se savait mal placer pour lui faire des reproches. Lui non plus n'avait pas bien agit. Il fallait réparer cela. Dans un soupire, il laissa retomber ses bras le long de son corps, puis se tourna vers Erian le sourire aux lèvres.
- Et si on allait manger un bout?
Le concerné haussa un sourcil.
- Ensemble?
- Oui, ensemble! Contient un peu ta joie!
Le brun fit mine de réfléchir, évitant volontairement les yeux verts posés sur lui.
- Je suppose que si tu me paye le repas...
- Mais quel pingre, plaisanta Sorën.
- Le pingre, grommela Erian, est déjà bien gentil de t'accorder une seconde chance. Et tu as intérêt à faire en sorte que je ne le regrette pas.
- Très bien dans ce cas...
Le châtain se plia en une profonde révérence et lui tendit la main, mimant une élégance qui en ces lieux paraissait ridicule.
- Me feras tu l'honneur d'accepter un dinner en ma compagnie et à mes frais, très cher cohéquipier ?
Le brun le toisa sans un mot, hésitant un instant à prendre cette main tendue. D'une nonchalance féline, il délaissa la vue de son compagnon et se dirigea vers une ruelle adjacente.
- Inutile de te ridiculiser. Allons-y.
Sorën profita qu'il ne le voit pas pour lui tirer la langue et lui emboîta le pas.
Pris dans leur petite querelle, aucun des deux compagnons n'avaient remarquer l'ombre qui les observait au coin de la rue.
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