8 - Cache-cache

La tasse fumante glissa doucement sur la table.

- Tiens. C'est de la camomille.

- Merci, répondit Sorën en soufflant sur le liquide brûlant.

Un long silence s'installa, le temps que chacun prennent ses aises. Ne restait plus que le bruit occasionnel de la porcelaine sur le bois et le chant lointain des oiseaux. Sorën observait l'intérieur de la demeure avec une certaine fascination. Il n'aurait jamais cru qu'un endroit si paisible puisse être la demeure d'une sorcière.

- Alors comme ça, vous vous êtes disputés...

Il releva les yeux et soupira, dissipant le nuage de vapeur qui s'élevait de sa boisson.

- Pas vraiment, enfin... Je crois que je l'ai vexé. J'ai voulu être honnête avec lui et je lui ai dit que je n'arrivais pas à lui faire confiance. Lui mentir aurait été contraire à mes principes. J'ai cru qu'il aurait le recul suffisant pour ne pas s'en offusquer.

Merinya se repoussa au fond de sa chaise, une moue songeuse au coin des lèvres. Son silence laissa Sorën perplexe, inquiet même. Les yeux bruns vissés sur lui dégageait une aura qu'il aurait été bien incapable de décrire.

- Et toi, quelles raisons lui as-tu donné de te faire confiance? énonça t-elle enfin.

Il s'étonna de la question.

- C'est lui qui est venu vers moi le premier, se justifia-t-il. Et puis tout le monde me connais au village, je ne suis pas un danger.

Merinya leva les yeux au ciel, excédée.

- Bon sang, tu as la délicatesse et la clairvoyance d'un sanglier ivre dans un magazin de porcelaine. Il a des sentiments aussi, tu sais?

L'affirmation le laissa dubitatif.

- Ce n'est pas vraiment l'impression qu'il donne, avoua t-il. On dirait que rien ne l'atteint. C'est à peine si la mort d'Erik l'a fait sourciller...

La sorcière le fusilla du regard et il comprit qu'un mot de plus aurait signé son arrêt de mort. Il se tu et, avec une lenteur assassine, Merinya s'accouda à la table.

- Je suis déçue, admit-elle. Je pensais que toi, au moins, tu serais capable de comprendre.

Marquant une pause, elle sirota une gorgée de son thé. Sorën sentit une goutte de sueur glisser le long de sa nuque.

- Erian n'a pas eut une vie facile, tu sais. Je ne l'ai pas toujours connu, mais je sais qu'il n'a jamais eut personne. Pas de parents, pas de famille pour prendre soin de lui.

Son regard s'adoucit et elle prit un instant pour songer à ses prochains mots, recollectant ses souvenirs avec un brin de nostalgie.

- Quand je suis arrivée au village, il y a sept ans, j'ai rencontré un jeune homme amer et renfermé, qui regardait le monde entier avec des yeux plein de haine. Moi aussi j'ai eut ce regard, autrefois.

Un léger rire franchit ses lèvres.

- Je me rappelle à quel point il rouspetait au début, quand Erik et moi avons commencé à venir le voir. On lui apportait un repas de temps en temps et, il avait beau râler, je voyais bien que ça lui faisait plaisir.

Elle releva les yeux vers Sorën et ses lèvres se fendirent d'un sourire tendre, emprunt d'une profonde tristesse. Toute trace de colère avait quitté ses traits.

- Il a traversé bien plus de choses que tu ne peux l'imaginer. Tu ne peux pas le juger avec tes propres critères, ça ne serait pas juste. Un jour viendra où il se sentira prêt à s'ouvrir à toi. Mais en attendant, il faut que tu sois patient.

Elle se pencha en avant et prit la main du jeune homme dans la sienne. Sorën frémit.

- Il t'as choisi, Sorën. Il a vu en toi quelque chose qui le pousse à te faire confiance, malgré tous les démons qui le retiennent encore. Ne va pas tout gâcher.

Il était convaincu qu'il s'agissait plus d'un avertissement que d'une simple recommandation. Mais ce n'était pas cela qui l'ébranlait le plus. Comment avait-il pu être à ce point à côté de la plaque? Il la dévisagea encore un long moment, interdit. Puis les doigts de la rousse quittèrent les siens et il se retrouva seul à seul avec le reflet d'un jeune homme confus, noyé au fond de sa tasse de thé. Le récit le taraudait.

Et puis, sans qu'il ne sache trop pourquoi, une douce chaleur envahit sa poitrine à mesure qu'il réalisait : Erian lui faisait confiance.

___

Il était désormais clairement établi que la nuit n'était un refuge pour personne, pas même pour un coeur noircit de sombres desseins. Celle-ci, d'ailleurs, s'approchait à grand pas. Le jour allait tomber.

Emily trébucha sur une racine. L'herbe humide accueillit sa chute, tâchant ses genoux d'un vert boueux. Dans sa course effrenée, le souffle court, elle tombait dans chaque piège que lui tendait la sylve. Un craquement la fit sursauter. D'un bond, elle se tapis dans un fossé et y demeura le plus silencieuse possible, dissimuler par les feuilles. Cette fois, la proie ne se laisserait pas attraper.

Un instant de silence lui laissa espérer qu'elle avait semer son poursuivant.

Puis une main s'abattit sur son épaule.

- Trouvé !

Elle se retourna à la hâte, contenant de justesse un cri de surprise. Son regard s'arrêta sur une rangée de dents luisantes. Trop tard. Un sourire résignée décora ses lèvres.

- J'ai perdu, soupira t-elle en haussant les épaules.

Et pour toute revanche, elle tira la langue au garçon qui lui faisait face. Oscar lui tendit la main et elle l'accepta volontiers.

- Tu m'as donné du fil à retordre, confia t-il en la tirant hors du fossé.

- Menteur, ça t'as pris moins d'une minute.

Il ricana et Emily ne put s'empêcher d'en faire de même. La malice du garçon à la tignasse hirsute avait quelque chose de contagieux. Mais alors que ce dernier trottinait un peu plus loin, en direction de la forêt, la fillette restait immobile. Quelque chose de lugubre embrumait son cœur. Cela n'avait pas échappé à son compagnon de jeu.

- Tu as peur? s'enquit-il en arrachant une feuille à un arbre innocent. Le soleil n'est pas encore couché, tu sais. Et puis on est en sécurité prêt de l'orphelinat.

Emily se retourna pour observer la grande bâtisse aux murs blancs qui trônait plus loin, à une dizaine de mètres de là. En toute honnêteté, celle-ci aurait bien eut besoin d'une remise à neuf.

- Ce n'est pas ça, soupira t-elle. Tu vas me prendre pour une folle...

Il l'a fixa un moment, détaillant son profil découpé face au ciel entre chien et loup.

- Je ne ferais jamais ça.

Se tournant de nouveau vers lui, elle lui adressa un doux sourire et il ne su trop comment y répondre. Lorsqu'elle s'allongea dans l'herbe, il vint simplement s'installer à ses côtés. C'était froid. Au dessus d'eux, la voûte céleste se paraît de rose et de bleu. Le chant des criquets était parfois interrompu par celui, plus lugubre, des hiboux. Mais pas de loups. Pas encore.

- J'ai vu son visage, confia Emily.

La main d'Oscar se referma doucement sur une poignée d'herbe.

- Le loup qui m'a attaqué, je l'ai vu se transformer, j'en suis certaine. Mais impossible de m'en rappeler. C'est comme si ma mémoire était bloquée.

Interloqué, le garçon se redressa sur ses coudes et la dévisagea longuement.

- Tu en es certaine, vraiment ?

Elle hésita, puis hocha la tête sans quitter des yeux les étoiles. Lui se laissa retomber dans l'herbe avec molesse.

- Si tu l'as vraiment vu, ça finira par te revenir.

- Tu... Tu me crois, alors ?

Il tourna son visage vers elle et lui adressa un large sourire effronté.

- Dire que je parlais à une sorcière depuis le début !

- Une sorc-... Oscar, c'est pas drôle !

Elle se redressa d'un bond, les poings serrés de fureur.

- Je suis sérieuse, je l'ai vu!

- C'est toi qui le dis, ricana le mauvais garnement en balançant ses pieds dans le vide. Mais il n'y a que les sorcières pour survivre à un loup. Admet que tu en es une et je te croirais!

Elle ouvrit la bouche pour parler, puis la referma aussitôt. Le garnement lui avait tendu un piège. Qu'importe ce qu'elle allait répondre, elle tomberait forcément dedans. Alors elle ne dit rien. Résignée, elle s'éloigna dans un soupir. La brise fraîche se glissa sur sa peau et elle croisa ses bras devant elle pour étouffer un frisson. L'amertume lui nouait la gorge. Il n'y avait donc que Sorën pour entendre ses tourments ? Dans ces moments là, la solitude lui devenait insupportable.

Des bruits de pas froissèrent l'herbe derrière elle.

- Excuse moi, j'suis un idiot.

Sans se retourner, elle devina qu'il l'avait suivit. Sa voix, pourtant, lui semblait bien distante.

- Je te crois, tu sais. Pour de vrai. Alors, tu me pardonnes, dis?

Un soupir franchit ses lèvres, qu'elle étouffa aussitôt. Puis lentement, la fillette aux cheveux blancs se retourna vers son locuteur et le gratifia d'un timide regard.

- T'es un idiot, c'est vrai. Mais je te pardonne.

- Je préfère ça! lança t-il en trottinant vers elle pour lui prendre les mains. On fait une nouvelle partie ? Cette fois c'est toi le loup !

Peu habitué à de telles familiarités, elle rougit jusqu'aux oreilles et acquiesça de la tête. Lorsqu'il la lâcha, elle alla se placer contre un tronc arbre pour entonner le décompte. Oscar ne perdit pas une seconde et se rua vers la forêt, avec un silence et une agilité de lutin. Vingt-huit, vingt-sept, vingt-six. La nuit chantait. Plus une trace du garçon ne subsistait. Vingt-cinq, vingt-quatre, vingt-trois. La lune se levait. Une nouvelle présence avait fait son entrée dans la nuit.

La patte griffue effleura la terre, sans un bruit. Plus loin, Emily effilochait son décompte, inconsciente du regard jaune vissé sur ses omoplates. Il aurait suffit d'un coup de crocs bien placé pour qu'elle se taise à jamais. Juste un seul.

La bête fléchit les pattes, prête à bondir.

Trois, deux, un...

- Prêt, pas prêt, j'y vais !

La fillette se retourna et se mit à fouiller les alentours avec entrain. Le loup grogna et recula. Il avait suffit d'un instant d'hésitation pour ruiner ses chances. Emily ne mourrait pas ce soir.

Crac.

La fillette se retourna. Dans l'obscurité, elle aperçut à peine le mouvement se dessiner entre les feuilles. Une ombre fuyait. Alors qu'elle ramenait ses mains contre son ventre, l'appréhension froissa son visage.

- Oscar?

Mais seul le vent répondit à son appel. Elle était seule.

~~~

À votre avis, combien de loups compte cette histoire, pour l'instant ?

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