6 - Oeil pour oeil
" Ma haine est née d'une injustice. Alors quel mal y aurait-il à la déverser sur toi, qui en est la cause? "
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- Bonjour, Sheïlah.
La jeune femme plissa les yeux, mais ne répondit pas. Elle semblait pourtant vouloir l'assassiner du regard, par la simple force de sa pensée. Sa colère de la veille était demeurée intacte, peut-être même s'était-elle envenimée davantage. Devant son silence, Sorën s'efforça de l'ignorer et s'avança vers le puits. Il était la pour remplir son seau, pas pour entretenir un conflit stérile. Mais le regard fixe de la brune commençait à le mettre mal à l'aise. Il pouvait sentir les relents de sa colère emplir la place d'une aura étouffante. La tension était à couper au couteau.
Au bout d'un moment, il n'y tint plus. Il savait qu'il méritait sa colère, mais il ne supportait pas de la voir le haïr en silence. Qu'elle fasse donc déferler sa rage sur lui, pourvu qu'il puisse en saisir la mélodie. Ses regards meurtriers darder sans mot l'irritait. D'un geste sec, il posa le seau sur le bord du puits et se tourna vers elle.
- Si tu as quelque chose à me dire, fais le maintenant, lâcha-t-il, soutenant son regard.
Sheïlah fronça les sourcils. Ses longs cheveux noirs oscillaient au vent, barrant son visage halé sans qu'elle ne s'en préoccupe.
- Qu'est ce qui te fais croire que j'ai envie de te parler?
- Je ne sais pas... tu me fixes comme si tu allais m'étriper.
- C'est le cas, oui. Et je ne m'en cache pas.
Les épaules de Sorën s'affaissèrent dans un soupire. Un air de regret sincère flottait sur ses traits.
- Je ne comprend pas ce que tu attends de moi, avoua-t-il. Mais s'il y a quoi que ce soit qui puisse t'apaiser, Sheïlah, je le ferai. Parle moi.
Un douloureux ricanement agita les épaules de la brune. Ses yeux brûlaient d'une flamme malade, un brasier d'amertume.
- Tu penses peut-être que tu peux réparer ce que tu as fait? questionna-t-elle. Ta pitié et tes belles paroles me débectes. Tu te fiches bien de ce que je ressens, tout ce qui t'importe c'est est d'obtenir mon pardon pour te conforter dans l'idée que tu n'as rien fait de mal. Mais je ne te ferais pas ce plaisir. Tu souffriras avec moi.
Sorën ne répondit pas tout de suite. Son regard se durcit, son poing se resserra plus fort sur la hanse de son sceau. Il se retenait d'exploser.
- La seule que tu fais souffrir en ce moment, c'est toi. Tu peux me détester tant que tu veux, rien de tout ça ne ramènera ton père.
Il poussa le sceau dans le puits et un plouf sonore se fit entendre. Sous ses doigts, la corde râpeuse se tendit. Il ne regardait plus Sheïlah, s'efforçant de rester concentré sur sa tâche. Il n'avait rien d'autre à lui offrir que sa compassion et ses regrets, mais si elle n'en voulait pas, alors il ne pouvait pas la forcer à les accepter. Cette discussion était dès lors inutile.
Tout de même... Plus il y pensait, plus la présence de la bohémienne ici lui semblait étrange. Les nomades avait installé leur campement à l'autre bout du village, prêt de la vieille muraille. Le puits du nord était bien plus proche de cet endroit. Alors pourquoi venir jusqu'ici, au puits du sud? Sorën se mordit l'intérieur de la joue, soucieux. Peut-être qu'il devenait paranoïaque. Ce regard planté dans son dos lui faisait douter de tout. Sheïlah le fixait comme un fauve prêt à égorger sa proie. Il pouvait presque lire dans ses yeux l'envie de lui arracher les siens.
- Cesse de m'ignorer, grogna-t-elle.
Des pas claquèrent dans sa direction, d'abord lents, puis de plus en plus rapides. Sorën eut à peine le temps de se retourner, que déjà Sheïlah était sur lui. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. D'un geste dicté par l'instinct, il tendit son bras et attrapa brusquement le col de sa robe, pour la maintenir le plus loin possible de lui. Le sceau de la brune roula au sol. Réagissant au quart de tour, elle empoigna son avant-bras et y rentra les ongles, mais Sorën ne broncha pas.
- Je n'ai plus rien à perdre, éructa-t-elle. Alors si je peux faire de ta vie un enfer, je le ferai. Profite de tes prochains jours de quiétude, ils te sont comptés.
Elle le lâcha et se dégagea de sa prise, lui lançant un dernier regard acerbe avant de s'éloigner. Elle s'en alla sans même avoir puisé l'eau qu'elle était venue chercher. Avait-elle seulement eut pour intention d'utiliser le puits?
Sorën resta crispé un long moment. Son cœur tambourinait sous ses côtes et le regard fou de douleur et de haine de la jeune femme restait gravé dans ses prunelles. Elle disait la vérité, il le sentait. Sa malédiction le poursuivrait et peut-être bien qu'il le méritait.
Il ferma les yeux. Inspirant un grand coup, il remonta le seau désormais rempli et rentra chez lui.
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Après avoir profité tant bien que mal d'un instant de détente, Sorën quitta la maison familiale pour rejoindre la grande place du village.
La réunion matinale fut brève et se solda par un vote nul. Sorën avait fait de son mieux pour apaiser les villageois malgré la nouvelle déchirante de la mort d'Erik. Il voulait à tout prix éviter de refaire son erreur de la veille, tuer un innocent en voulant aller trop vite. Il lui fallait plus que de simples soupçons pour désigner un coupable. Malheureusement, il se savait dans de mauvaises dispositions pour guider ses paires.
À présent, le jeune homme remontait les rues, pensif. Il s'appliquait à ressasser les derniers évènements, à la recherche d'un début de piste. Perdu dans ses pensées, il ne vit pas l'ombre arriver derrière lui.
- Tu fais peine à voir.
Le cri de surprise qu'il poussa à cet instant fit s'envoler des toits une nuée d'oiseaux. Il se retourna. Erian se tenait là, les bras croisés, l'air nonchalant. Il s'était approché si discrètement que Sorën ne l'avait pas entendu venir.
- Bon sang, tu m'as fais peur. Qu'est-ce que tu veux?
- Simplement discuter.
Les épaules de Sorën s'affaissèrent dans un soupire. Il était épuisé. Mais après tout, ce n'était pas une mauvaise idée d'apprendre à connaitre son nouvel allié.
- On peut faire un bout de chemin ensemble, je suppose, répondit-il en se grattant l'arrière de la tête.
Pour toute réponse, le brun se contenta d'un sourire, que Sorën trouva peu rassurant. Décidément, peu importe le contexte, il n'arrivait jamais à savoir ce qu'Erian avait derrière la tête.
Les deux comparses se mirent donc en route, côte à côte. Le silence se creusait et un certain malaise commençait à s'installer entre eux, puisqu'aucun ne se décidait à prendre la parole. Au bout d'un moment, Sorën n'y tint plus. Il ouvrit la bouche pour parler, même si ce n'était que pour prononcer d'affligeantes banalités, pourvu que cette gêne ambiante se dissipe. Mais Erian fut plus rapide.
- Tu ne m'aimes pas vraiment, je me trompe?
Le châtain referma la bouche, baissant les yeux d'un air songeur. Alors qu'il cherchait ses mots, il observa distraitement leurs pas claquant sur la chaussée. Leurs démarches étaient décalées, désaccordées.
- Ce n'est pas que je ne t'aime pas, répondit-il finalement. Mais pour être honnête, tu ne m'inspires pas confiance. C'est plus fort que moi, c'est une sensation qui me colle à la peau.
Il soupira, relevant les yeux vers le brun pour observer sa réaction. Même si c'était dur à entendre, il préférait être honnête avec lui, plutôt que de lui mentir sur ce qu'il ressentait. N'était-ce pas normal de tout se dire, au sein d'une équipe? Erian, quant à lui, demeurait impassible. S'il ressentait quelque chose en cet instant, impossible de savoir quoi.
- Je suppose que je vais devoir faire mes preuves, dans ce cas. Te sauver la vie ne devait pas être suffisant.
Le brun avait parler d'un ton acerbe. Sorën se mordit l'intérieur de la joue, commençant à se sentir coupable. Il s'empressa donc de rectifier.
- C'est pas ce que je voulais dire...
- C'est bon, j'ai compris, rétorqua Erian. Économise ta salive.
De toute évidence, il était vexé. Détournant le regard avec dédain, il accéléra le pas et commença à s'éloigner. Sorën s'arrêta, stupéfait. Il ne s'était pas attendu à une réaction aussi démonstrative de la part d'Erian, qui avait jusque là montrer un sang froid exemplaire. Rabattant sa capuche sur sa tête, le brun se tourna une dernière fois vers lui.
- Ah, au fait... je ne tiens pas à ce qu'on soit vu ensemble. Tu sais, pour éviter que nos ennemis puissent s'organiser contre nous. Je suis sûr que tu n'y verras aucun inconvénient.
Il lui adressa un regard foudroyant, puis disparu dans la ruelle adjacente. Sorën resta seul au milieu de la route, décontenancé. Il comprit alors qu'il était aller trop loin. Erian n'était peut-être pas aussi insensible qu'il en avait l'air.
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Le soir commençait doucement à tomber lorsqu'Emily se réveilla enfin. Encore embrumée, la jeune fille se redressa sur sa couche, observant la pièce dans laquelle elle se trouvait. L'endroit lui était parfaitement inconnu et, peu à peu, la peur et la confusion s'installèrent en elle. Elle n'avait jamais quitté sa maison si longtemps. Et si le soleil la touchait par mégarde ?
Le cliquetis de la porte la fit sursauter. Merinya était de retour. Effrayée, la fillette se recroquevilla dans l'ombre, sa couverture serrée contre elle.
- Où est-ce que je suis? demanda t-elle d'une toute petite voix.
La sorcière s'avança vers elle et la surplomba d'un regard glacial.
- Dans ma maison. Sorën t'as ramené ici alors que tu te vidais de ton sang. Je t'ai soigné.
La fillette la dévisagea avec incompréhension, tentant de rassembler ses souvenirs de la veille. Soudain, une douleur fulgurante lui transperça le crâne et elle plissa les yeux. La mémoire lui revenaient en images floues. Sorën avait oublié son écharpe, elle avait voulu la lui rapporter et ensuite... Un frisson d'horreur remonta le long de son échine. La mâchoire acérée du loup se dessina dans son esprit avec une vivacité terrifiante. Il avait tenté de la dévorer. Plaquant une main sur son épaule, elle réalisa qu'elle n'avait plus aucune trace de blessures, sinon un léger tiraillement dans les muscles. C'était impossible. Complètement impossible. Et pourtant... À moitié ailleurs, elle leva son bras devant elle pour en observer chaque détail, bougeant doucement ses doigts à la lumière des bougies.
- Mais comment...
Elle leva les yeux vers Merinya, perdue, terrifiée. La rousse la dévisagea en retour. Ses traits s'étaient durcit en un impénétrable masque de pierre. Mais derrière ce visage impassible, on devinait une amertume étouffante grandir à chaque seconde, obstruant sa poitrine, noyant ses veines d'une rage désespérée. Les mots lui nouaient la gorge. "J'ai du choisir entre mon mari et toi, j'espère que tu porteras le poids de sa mort pour toujours, comme je le porte également". Ç'aurait été si facile de la blâmer. Merinya n'avait pas eut une vie facile. Mais aujourd'hui, sa peine surpassait toutes celles qu'elle avait jamais connu. Elle voulait s'arracher le cœur et le jeter aux pieds de ses bourreaux, répandre sang et venin sur tout ceux qui avait permis qu'une telle tragédie se produise. Elle en mourrait d'envie, oui. Mais Emily n'était qu'une enfant. Ce qui était arrivé la nuit dernière n'était pas de sa faute. Il aurait été injuste de lui faire porter le poids de sa rancoeur.
Sentant ses yeux s'humidifier, la sorcière prit une lourde inspiration et détourna le regard, se dirigeant machinalement vers la cheminée. D'un geste sec, elle décrocha une louche pendue au mur et la plongea dans le chaudron fumant.
- Fais plus attention à toi la prochaine fois. Si tu gâches cette nouvelle vie que je t'ai donné, je ne te le pardonnerais pas.
Elle fit couler un peu de soupe dans un bol de bois et le tendit à la fillette.
- Mange. Tu dois reprendre des forces.
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Pas d'illustrations cette fois.
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