10 - Les blessures du coeur

"Au clair de lune,

Ce baiser que tu m'as voler,

C'est avec les dents

Que je te le reprendrai."

~~~

Le petit carillon placé à l'entrée de la boulangerie sonna et la porte s'ouvrit. Sorën s'avança vers l'étalage, tandis qu'Erian resta au fond en faisant mine d'inspecter les miches de pain trônant dans des paniers. Il ne fallut qu'un instant pour que le boulanger ne sorte de la remise en sifflotant, les bras chargés de viennoiseries en tout genre.

- Tiens, bonjour Sorën ! s'exclama t-il. Tu es en avances, ce coup-ci. Tu ne me présente pas ton ami?

Sorën jeta un bref coup d'œil à Erian. Mieux vallait éviter de rendre leur alliance trop flagrante, du moins pour l'instant. On ne savait jamais qui pouvait les observer.

- Oh, on ne se connait pas vraiment, répondit-il. Je l'aide juste à faire les courses pour sa, heu... ta quoi déjà, ta grand mère malade?

- Elle adore les miches, marmonna Erian d'une placidité implacable.

Jehan les observa d'un air dubitatif, mais se contenta de hausser les épaules. Ça ne le regardait pas. Après quelques échanges cordiales, il fut convenu que Sorën prendrait sa commande habituelle et le boulanger s'empressa de tout emballer. 

- Et voilà, tout y est! annonça ce dernier. Ça te feras 10 écus.

Mais Sorën était distrait. L'air soucieux, il lançait de discrets regards vers Erian, au fond de la boutique, et tapait nerveusement du talon sur le sol. Son agitation n'échappa pas au boulanger.

- Et bien jeune homme, tout va bien? Tu n'as pas l'air dans ton assiette.

Sorën hésita, puis se pencha vers son locuteur pour parler à voix basse.

- Jehan, qu'est-ce que tu ferais pour te racheter auprès de quelqu'un après avoir mal agit? J'ai... j'ai peur d'empirer les choses en voulant bien faire.

- Oh, je vois...

Le boulanger jeta un coup d'oeil vers Erian et son visage s'illumina comme s'il venait de comprendre quelque chose d'évident. Il fit mine de réfléchir. Puis à son tour, il se pencha vers Sorën avec un air des plus sérieux. 

- C'est une question bien difficile. Quand on a blessé quelqu'un par mégarde, il est normal de vouloir apaiser la douleur. Mais vois-tu, toutes les blessures ne cicatrisent pas de la même manière. Certaines sont plus capricieuses.

Pour illustrer son propos, il remonta sa manche et dévoila un avant bras enveloppé de bandages.

- Celle-là, par exemple... Je me la suis faite il y a déjà deux jours, en allumant les fourneaux. Comme quoi, même avec vingt ans d'expérience dans le métier, je me fais encore avoir. Et bien va savoir pourquoi, elle refuse de se refermer. Ça a l'air absurde, pas vrai?

Sorën acquiesça.

- Mais en vérité ça ne l'est pas. Tout a une raison d'être. Si cette blessure ne se referme pas alors que j'ai tout fait pour la soigner, c'est qu'une cause extérieure l'en empêche. Ma théorie personnelle, c'est que j'ai vexé ma femme et que depuis, sa malédiction me poursuit, haha!

Il laissa échapper un rire débonnaire et Sorën se surpris à sourire, lui aussi. La bonne humeur de Jehan était contagieuse.

- Bref, reprit ce dernier. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il n'y a pas de recette miracle pour la guérison. Parfois, on croit bien faire, mais certaines données nous échappe. Tout ce que tu peux faire, c'est agir en suivant ton coeur, afin de n'avoir aucuns regrets.

- Je vois, murmura Sorën. Merci Jehan, j'ai bien fait de te demander conseil.

Mine de rien, les paroles énigmatiques du boulanger l'avaient rasseréné. Il se sentait prêt à renouer avec Erian en bonne et due forme... même si l'étrange comportement du brun le prenait sans cesse au dépourvu. Mais Jehan n'en avait pas fini. Il lui fit signe de s'approcher encore. Une main en porte voix, il murmura sur le ton de la confidence :

- Si tu veux faire les choses bien, emmène le au lac du vieux fort. C'est là-bas que j'ai embrassé ma femme pour la première fois.

Il agrémenta ses paroles d'un clin d'oeil malicieux. Sorën recula d'un coup, les joues rouges d'embarras.

- Que.. quoi?! Non, ce n'est pas...

Il jeta un regard derrière lui et baissa un peu le ton, craignant qu'Erian ne les entende.

- Ce n'est pas ce que tu crois, on a pas ce genre de relation.

Jehan lui lança le sourire de celui qui n'y croit qu'à moitié, mais n'insista pas. Il lui tendit sa commande et lui donna une petite tape d'encouragement sur l'épaule, puis Sorën se dirigea vers la sortie avec une confusion palpable. Erian haussa un sourcil en voyant sa mine déconcertée, mais se contenta de lui emboiter le pas.

___

- Qu'est-ce qui t'as prit tant de temps? demanda le brun, une fois dehors.

Perdu dans ses pensées, Sorën mit une bonne poignée de secondes avant de réagir.

- Hein? Oh rien d'importants, on échangeait des nouvelles, c'est tout.

- Si tu le dis...

Le duo reprit la marche en silence. L'ambiance était tendue et Sorën avait beau ressasser des phrases d'accroches, rien ne lui semblait à la hauteur. Il se rendit compte qu'il ne savait rien de son partenaire. De quoi un homme comme Erian pouvait bien aimer discuter? Il était si dur à cerner... Risquant le tout pour le tout, Sorën entrouvrit la bouche pour parler, mais son compagnon le prit de court.

- Au fait, il faudrait qu'on discute d'un plan d'attaque pour les loups. C'est bien beau de collaborer, mais si on avance à l'aveuglette on arrivera à rien.

Sorën acquiesça. Maintenant qu'ils travaillaient ensemble, mieux vallait se préparer à toutes les éventualités.

- On peut déjà innocenter quelques personnes de confiance, répondit le châtain. Toi, moi, Merinya bien sûr, et puis Emily. Oh, et Samaël a fait exécuter un loup ce matin, donc il n'est probablement pas coupable.

Erian tiqua à l'entente de ce nom.

- Ça, on en sait rien. Il pourrait très bien agir ainsi pour gagner la confiance des villageois, avec l'intention de se retourner contre eux le moment venu.

Sorën resta médusé, puis porta doucement sa main à sa bouche.

- Je n'y avais même pas penser... C'est fourbe.

- Tu vois, c'est pour ça qu'il vaut mieux qu'on reste ensemble. Je vois des choses qui t'échappe, et vice versa.

Sorën commençait à être d'accord. Au début, il avait pensé que leur trop grandes différences les empêcheraient de former une véritable équipe, mais peut-être qu'Erian et lui avaient des choses à s'apporter, tout compte fait. Cette pensée lui arracha un sourire.

- Vraiment, qu'est-ce que je ferais sans toi, dit-il en lui décochant un coup de coude amical.

Erian ne réagit pas à son geste et Sorën se demanda s'il l'avait embarrassé. Soudain, le brun s'arrêta en plein milieu de la route.

- Erian? Tout va...

Ce dernier mit un doigt devant sa bouche, l'intimant au silence. Sorën se tut. Il se passa de longues secondes de silence, durant lesquels l'homme aux yeux verts brûlaient d'envie de lui demander des explications. Mais il se retint. Puis, Erian se rua dans la ruelle adjacente. Sorën le suivit. Un troisième bruit de course se superposa aux leurs. Sorën eut tout juste le temps d'apercevoir le pan d'une robe bleue disparaitre au coin de la rue.

- J'en étais sûr, haleta le brun après s'être arrêté. Quelqu'un nous suivait.

- Tu as pu voir son visage?

Erian secoua la tête par la négative. Dans la terre meuble, un éclat de lumière attira le regard de Sorën. Il se pencha et ramassa une fine cordelette reliant huit cerles de bois ornés de quartz. Chaque cercle semblait représenter une étape du cycle lunaire. La taille était grossière et maladroite, mais Sorën trouva la conception inspirée.

- Tu as trouvé quelque chose? interroga Erian.

Il lui montra le pendentif.

- Je crois que ça appartient à notre fuyard.

- Le cycle de la lune, hein... Alors c'est un bijou de femme.

Selon les traditions, la lune était associé aux femmes et le soleil aux hommes. Même si ces coutumes d'un autre temps semblait de plus en plus obsolètes, il y avait toujours des gens pour se parer de symboles lunaires ou solaires, afin d'exprimer leur appartenance.

- Je suis presque sûr que ça appartient à Sheïlah, affirma Sorën.

- Qui?

Il soupira et une ombre vint voiler le vert pétillant de ses yeux.

- C'est une longue histoire. Elle faisait partie du convoi de bohémiens venu s'installé ici, il y a une dizaine d'années. Au début on s'entendait bien, même si on ne se parlait pas trop. Mais... il y a quelques jours, j'ai fait exécuter son père en pensant tuer un loup. Il s'avère qu'il était innocent.

- Je vois. Je suppose qu'elle te déteste.

Sorën hocha faiblement la tête. Le brun soupira.

- Tu crois qu'elle t'en voudrait assez pour envisager des représailles ? Si elle nous traîne dans les pattes, ça risque de devenir problématique.

- Honnêtement, je n'en sais rien.

Erian croisa les bras, songeur. Quoi qu'il en pense, il ne semblait pas décidé à en faire part à Sorën, du moins pour l'instant. Ce dernier aurait tout donné pour savoir ce qui se tramait sous sa jolie tête brune.

- On avisera le moment venu, proposa Sorën. Pour l'instant on a d'autres chats à fouetter, tu ne crois pas ?

- Hmm.

- Aller, sors toi ça de la tête et détends toi! On réfléchira une fois le ventre plein.

Erian soupira.

- Je suppose que tu as raison... On reprendra cette discussion plus tard, si je ne suis pas mort d'intoxication alimentaire d'ici-là.

Sorën lui lança un regard de travers.

- Hey! On ne t'as jamais dit qu'il ne fallait pas contrarier le gars qui te sers à manger ?

- Pourquoi, tu comptes m'empoisonner?

- Fais gaffe, tu me donnes des idées.

Contre toutes attentes, Erian se mit à rire. Ses traits tirés se détendirent l'espace d'un instant. Ce n'était pas grand chose, tout juste un pouffement contenu, mais c'était la première fois que Sorën le voyait exprimer de la joie de façon sincère. Il se surpris à l'observer en détails, gravant ce rire dans sa mémoire pour toujours. Son ventre se mit à pétiller d'une agréable chaleur. En son fort intérieur, il fit le vœu d'être à nouveau témoin d'un tel tableau, si le destin le lui permettait.

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