1 - Rouges sont les flammes du bûcher

"Le vert est la couleur des Enfers. On dit que lorsque le mal est purgé par le feu, les flammes se teintent d'une lueur acide. C'est ainsi que l'on est certain d'avoir terrassé un véritable démon."

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Les derniers cris s'évanouirent peu à peu dans l'air emboucané. Partout, ça sentait la mort et la fumée, la terreur et la chair brûlée. La lueur des flammes obstruait celle, plus délicate, de l'aurore. Dans cet enfer terrestre, la foule demeurait figée.

Sorën attendait un signe. Un éclat de vert, une bribe d'absinthe, n'importe quoi qui puisse mettre un terme à cette insupportable attente. Mais les flammes du bûcher demeuraient d'un rouge sempiternel. L'effroi le saisit alors : il avait fait condamné un innocent à mort.

Au cœur du brasier, le corps charbonneux avait cessé de bouger. Les orbites calcinées fixaient encore leur bourreau et ce dernier, avec toute la volonté du monde, n'aurait pu en détourner le regard. Une sueur acide collait ses vêtements à sa peau et son cœur s'emballait. Le monde se faisait fiévreux.

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Un an plus tôt, les loups avaient fait leur apparition à Thiercelieux. Personne ne savait d'où ils venaient ni pourquoi ils en voulaient au village, mais ils avaient commencé à en dévorer les habitants les uns après les autres. Les persécutés avaient demandé asile aux seigneurs voisins, sans succès. Une nuit, une enfant avait surprit par hasard un voisin se transformer en une bête affreuse. Tout le monde avait alors comprit : les loups se cachaient parmi les Hommes. Cette nouvelle avait provoqué le chaos au village. La terreur et la paranoïa hantaient les rues, même le plus avenant des badauds pouvait s'avérer être l'ennemi. Il ne fallut pas longtemps avant que certains ne commencent à s'entre-tuer.

C'est alors qu'intervint un jeune homme au cœur pur et vaillant. Témoin de ces injustices, Sorën n'avait pu garder le silence. Mais comment leur faire entendre raison, quand la peur et la haine embrumaient leurs esprits? Il fallait les charmer par des moyens détourner, apaiser leurs cœurs terrifiés. Et c'est ce qu'il fit. De beaux sourires et de discours, il les nourrit sans compter. Aux foules égarées, il donna un idéal à suivre, un rêve de paix et de dignité. Il fit la promesse solennelle de leur rendre tout ce qu'ils avaient perdu. Et ils crurent en lui.

À compter de ce jour, le village se réunit chaque matin sur la Grande Place afin de débattre. Au terme de la discussion, un suspect était condamné à mort. On reconnaissait un loup aux flammes du bûcher sur lequel il était sacrifié : aussi verte que l'absinthe, aussi brûlante que l'Enfer. Ainsi, le village acquit l'espoir d'un jour retrouver la paix. Le cœur pur de Sorën était la lanterne guidant le navire, perçant de son éclat la mer houleuse. Son nom était devenu symbole de justice.

Mais un doute s'était immiscé en lui.

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Un murmure parcourait l'assemblée. Sans même se tourner vers la foule, Sorën comprit que personne n'avait envie de se sentir coupable. Qu'à cela ne tienne, il porterait ce fardeau pour eux. C'était aussi son rôle.

Ravalant ses doutes, l'homme se tourna vers les villageois, posant sur chacun d'eux ses grands yeux verts emplit de tristesse. Derrière lui, les flammes écarlates crépitaient, crachant une colonne de fumée noire qui s'élevait vers le ciel.

- La prochaine fois sera la bonne, finit-il par clamer. Ces monstres nous ont dupés aujourd'hui, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne disparaissent! Gardez courage, mes amis, ce n'est pas la fin!

Sa voix couvrait le craquement des flammes, claire et forte malgré le désarroi qui l'emplissait. Beaucoup acquiescèrent avec ferveur. D'autre préférèrent ruminer leur tristesse en silence. Puis, la foule se délita lentement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une poignée d'âmes sur la Grand Place.

Prêt de la fournaise, une jeune femme sanglotait, le visage enfouit dans les mains. Le châle usé qui l'enveloppait glissait de ses épaules tremblantes, ses cheveux défaits flottaient au gré du vent. Le cœur serré, Sorën s'approcha d'elle et posa une main compatissante sur son bras. Elle la chassa aussitôt d'un mouvement sec.

- Sheilah...

- Laisse moi, murmura-t-elle. Tu ne vaut pas mieux que les loups.

Il se tu et retira sa main, prenant malgré lui un air de chien battu.

- Je t'ai déçu, dit-il tout bas. J'aurais aimé être digne de ta confiance. Mais si on commence à se diviser, jamais on...

Un rire amer agita les épaules de la brune. Ses doigts fébriles carressèrent son visage, s'engouffrant à la racine de ses cheveux. La lumière matinale dévoila des yeux clairs comme le ciel, embués de larmes et de haine.

- Se diviser? Mais ouvres les yeux, on l'a toujours été. Les gens comme toi n'ont aucune honte à parler d'union et de justice quand ça les arrange.

Sorën sentit sa gorge se serrer. La femme qui lui faisait face avant toutes les raisons de le haïr et il ne pouvait rien y faire.

- C'était mon père, Sorën. Je ne te le pardonnerai jamais.

Il contempla ses traits froissés par la douleur et se sentit profondemment impuissant. Il ne pouvait pas lui demander de lui pardonner, ç'aurait été cruel. Alors il se contenta d'acquiescer.

- Je comprend. J'aurais voulu que ça se passe autrement, vraiment.

Elle lui lança un dernier regard amer, puis remonta son châle sur ses épaules, essuyant rapidement ses yeux pour se replonger dans la contemplation des flammes. Quand à lui, il quitta la place. Le chant des oiseaux se faisait entendre à mesure qu'on s'éloignait de la place enfumée. C'était presque paisible. Pourtant, dans bien des esprits, la fournaise grondait encore.

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Puis, les heures passèrent. L'après-midi ensoleillée effaça peu à peu l'angoisse de la matinée. Les enfants chahutaient dans les rues, les passants discutaient, les marchands vantaient à qui voulait l'entendre les mérites de leurs produits. Un voyageur aurait pu s'arrêter là et dire "quel charmant village!". Mais ce n'était qu'une façade. Il fallait bien tenir. Cette joie aussi exhubérante soit-elle, était factice. C'était leur moyen de ne pas se laisser happer par le désespoir.

Sorën ne faisait pas exception à la règle. Flânant dans les rues animées, il n'était pas aussi distrait et nonchalant qu'il en avait l'air. Ses pensées l'obsédaient. Une piste. Il lui fallait une piste pour le prochain vote. Une rumeur, un ragot, n'importe quoi... Quelque chose qui lui indique où chercher.

- Madame, lâchez-moi! Vous êtes complètement folle!

Le bruit d'un pot se brisant au sol lui fit lever les yeux. Plus loin, l'agitation commençait à naître autour d'un étal d'épices. Le jeune homme s'approcha, jouant habilement des coudes pour se faufiler en première loge. Devant la foule cancanière, un marchand était aux prises avec une véritable furie. Celle-ci le retenait avec force par le poignet. Sorën ne pouvait apercevoir d'elle que son abondante chevelure et les pans colorés de sa robe.

- Quel culot! s'écria-t-elle. Vous ne manquez pas d'air, sale escroc!

- Moi, un escroc? Si ma marchandise vous déplaît, allez donc voir ailleurs et laissez travailler les honnêtes gens!

Ce fut en l'entendant parler qu'il reconnu la fauteuse de troubles. Merinya. Sa réputation au village n'était plus à faire. On la disait perfide et rusée comme une louve, mais personne n'avait jamais eut le cran d'aller le lui dire en face. Certains racontaient même avec un mélange d'effroi et d'envie qu'elle aurait passé un pacte avec le malin pour obtenir la beauté éternelle. Sorën n'avait jamais considéré ces ragots très sérieusement, mais après tout il n'y avait pas de fumée sans feu. Il fallait bien admettre que cette femme avait quelque chose d'intriguant.

Dans un soupire agacé, la rousse relâcha le poignet de l'herboriste, renonçant à se donner en spectacle.

- Vous ne me le direz pas deux fois, marmonna-t-elle. Je ne dépenserai plus une seule pièce pour votre camelote.

- C'est ça, disparaissez de ma vue, sorcière!

Alors qu'elle s'apprêtait à repartir, elle se retourna soudain vers le marchand et lui lança un sourire glaçant. Quelque chose de mauvais luisait dans ses yeux bruns.

- Comment m'as-tu appelé?

L'herboriste déglutit, regrettant à moitié son insulte. Mais la foule l'observait, ce n'était pas le moment de se dégonflé. Il savait qu'il avait le soutien d'une bonne partie du village contre cette gueuse. Tout le monde serait bien content que quelqu'un lui dise ses quatre vérités. Qui sait, il serait peut-être même traité en héros?

- Tu m'as très bien entendu, répondit-il, les mains sur les hanches pour se donner une contenance.

Merinya sourit de plus bel, plissant les yeux.

- Tu emploi ce mot mais tu ne sais même pas ce qu'il veut vraiment dire. Ne crains-tu pas que je maudisse ta famille sur sept générations?

Une lueur d'inquiétude passa dans le regard du marchand. Incapable de soutenir le regard de la rousse, il se tourna vers la foule le visage éploré, les bras écartés.

- Tous le monde est témoin n'est-ce pas? s'exclama-t-il. Elle veut me lancer un sort!

Quelques voix indignées s'élevèrent ça et là. Sans demander son reste, Merinya rajusta sa cape et s'éloigna en marmonnant dans sa barbe quelques paroles inaudibles. Sorën la suivit. S'éclipsant de la foule, il se lança à sa poursuite, restant à dix bon mètres derrière elle pour ne pas éveiller sa vigilance. Il ne s'était rien passé de spectaculaire, mais il devait en avoir le coeur net. Il devait savoir si les rumeurs étaient fondées.

Il parvint à la suivre sur quelques rues. Elle ne semblait pas suspecter sa présence. C'est lorsqu'il la vit rabattre sa capuche sur sa tête et accélérer le pas qu'il fut certain qu'elle l'avait repéré. Elle cachait forcément quelque chose. Il accéléra la cadence, mais au détour d'une allée, Merinya disparut subitement. Où avait-elle bien pu aller? Elle n'avait pas pu se volatiliser, tout de même! Il n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps car soudain, une main lui attrapa le bras et l'attira dans les ténèbres d'un cul de sac adjacent. Une capuche noire. C'était elle. Par réflexe, il saisit son poignet et l'attira à lui pour l'empêcher de fuire. Sa capuche dégringola sur ses épaules.

- Qu'est-ce que...

Sorën se figea, déconcerté. La personne qui se trouvait face à lui n'était certainement pas Merinya. Le jeune homme à la chevelure sombre lui adressa un regard réprobateur.

- Dis moi Sorën, on ne t'as jamais appris qu'il ne fallait pas suivre les dames dans la rue?

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Et voici l'illustration du chapitre.

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