Saltation - 2 / 2


Fred


Dans un soupir de bien-être, je sors de la douche des vestiaires, une serviette autour des hanches. J'avais besoin de ça après cet entraînement intense.

— Tu ne m'as toujours pas donné ta réponse, lance Jae de la cabine d'à côté.

Il ouvre la porte pour me rejoindre. Je lui jette un coup d'œil et me retourne d'un mouvement sec, les joues en feu.

— Putain, Jae ! Ne te promène pas à poil !

Il s'esclaffe en s'approchant du banc où se trouve son sac, les fesses à l'air, sa serviette sur l'épaule.

— C'est pas comme si tu ne m'avais jamais vu nu.

Il me répond le plus calmement du monde pendant qu'il sort ses affaires.

— Déjà, sache que ça m'a toujours dérangé. Et tout est différent maintenant.

Je tourne la tête pour vérifier si ses attributs sont encore visibles. Comme ils le sont, je pivote aussi vite le regard devant moi.

— Pourquoi ? pouffe-t-il en enfilant un boxer.

— Parce qu'on danse ensemble. Je pose mes mains sur toi, bordel !

Je peux enfin me tourner vers lui, les poings sur les hanches. Il me dévisage avec une expression amusée, alors que sa serviette recueille les dernières gouttes d'eau sur son torse glabre.

— C'est une réponse à ma question ? Et il me semble que voir tes partenaires dans le plus simple appareil ne t'a jamais posé problème.

Le salaud, il me cherche !

— Ferme là ! Je n'ai pas encore pris de décision.

— Oh si ! Tu sais comme moi que notre duo fonctionne, me provoque-t-il en s'essuyant les cheveux. Tu n'as pas de salle de bain dans ton appart si me voir à poils est insupportable ?

— Non !

Je grogne et enfile un boxer sous la serviette avant de l'enlever.

— Non, quoi ? Tu ne veux pas danser avec moi ou tu n'as pas de salle de bain ?

Je soupire pour lui montrer mon mécontentement et il rigole, ce petit con.

— Ton appart est à l'étage et pourtant, tu prends toujours ta douche ici. Dois-je en conclure que tu aimes me reluquer ? Ou est-ce parce que tu es encore à la recherche de mon tatouage ?

— Ta gueule, Jack ! aboyé-je en passant un t-shirt propre. J'ai fini par comprendre que cette histoire n'est qu'une légende.

Je laisse mon regard errer sur sa peau nue, vierge de toute encre visible, ce qui confirme mon hypothèse.

— Si tu le dis ! ricane-t-il en boutonnant son jean. Rendez-vous demain soir, même heure ?

Mon jogging sur les cuisses, je le fixe. Il croit m'avoir aussi facilement. Je vais prendre un malin plaisir à lui rappeler ses promesses.

— Rendez-vous à quatorze heures tapantes pour le cours des débutantes.

Il se fige, la tête enfouie dans son t-shirt, les bras en l'air. Quand son visage réapparaît, un air de panique se lit sur ses traits. Il bafouille presque dans sa tentative d'argumenter.

— Mais je bosse...

J'attrape mon sac et me dirige d'un pas nonchalant jusqu'au seuil. Juste avant de sortir, je me retourne et lui lance un immense sourire.

— Ne sois pas en retard, partenaire !

La porte se referme sur son juron à peine étouffé. J'emprunte l'escalier qui mène chez moi en riant, très satisfait de mon petit effet.


↞↞↠↠


Quatorze heures une. Le salaud, il va me poser un lapin.

Le groupe discute dans la bonne humeur en attendant le début de la séance. Moi, je prie en silence que cet enfoiré de Jack se pointe pour m'aider à donner ce putain de cours ! Depuis trois jours, je remplace Paloma et déjà je n'en peux plus. C'est épuisant. J'ai devant moi dix femmes de tout âge et... quatre hommes. Au moins ces messieurs auront l'embarras du choix. Moi, par contre... je vais me contenter de serrer les dents. S'il croit que je vais accepter de prendre autant de risques pour quelqu'un qui n'est même pas foutu de respecter ses engagements, il se met... La porte s'ouvre avec fracas, coupant court à mes ruminations et laisse entrer un Jae essoufflé. Il s'approche aussitôt à grands pas.

— Désolé.

Je grogne en venant à sa rencontre.

— J'ai failli attendre.

— Je suis à deux doigts d'être viré, alors sois indulgent, s'il te plaît, rétorque-t-il d'une voix cinglante.

Je me radoucis quand je prends conscience de son souffle court et de la sueur qui brille sur son front. Il fait de son mieux, je ne peux pas l'en blâmer. Ce n'est pas comme s'il ne donnait pas sa vie entière pour sa carrière de danseur. Il est même prêt à mettre son boulot en jeu. Il sacrifie tout, à l'inverse de moi.

— Tu es là, c'est le principal.

Je me dirige vers le groupe et me concentre sur mes élèves. Je laisse derrière moi un Jae abasourdi par mon changement de ton.

— Messieurs Dames, pour débuter ce cours, nous commencerons par un petit exercice. Nous allons nous mettre deux par deux pour une valse et dès que je le mentionnerai, vous changerez de binômes.

Les danseurs s'éparpillent dans la pièce. Jae et moi invitons chacun une partenaire. Les premières notes résonnent et le groupe se met à bouger, avec plus ou moins de grâce, mais je ne m'attends pas à la perfection. Je danse avec une petite mamie au sourire pétillant, qui fait la moitié de ma taille. Je me retiens de me plier en deux pour être à sa hauteur. Nous tournons les uns à côté des autres, respectant tant que possible le tempo. Les mouvements sont maladroits. Les rires ou les plaintes fusent quand un pied est écrasé. Même s'ils ne sont pas de grands danseurs, ils sont tous de bonne volonté. Malgré ma réticence à jouer au prof, je prends mon rôle au sérieux - enfin j'essaie.

— Un... deux... trois... Respectez le rythme, c'est le plus important. Les postures et enchaînements des pas viendront ensuite. Mesdames, n'hésitez pas à marquer la cadence du bout des doigts sur l'épaule de votre partenaire, cela vous aidera tous les deux.

— Encore faut-il pouvoir l'atteindre, glousse ma cavalière, que je trouve attendrissante malgré ses pas hésitants.

Je m'efforce tant bien que mal de diriger ces débutants. Ce qui me paraît évident ne l'est pas pour tout le monde et je m'évertue à être le plus diplomate possible. Ma mère enseigne avec tellement de facilité, d'implication, alors que moi, je suis épuisé au bout d'une heure de cours. C'est fatiguant de répéter la même chose, de corriger les mêmes erreurs. Jae se plie à l'exercice avec brio, toutes les femmes lui jetant des œillades admiratives. Il est, et a toujours été, le centre de l'attention. Au milieu de tous ces couples, on ne voit que lui, avec sa posture parfaite, son sourire éclatant, ses gestes fluides et élégants. Il faut dire que le mec est plutôt sympa à regarder : grand, élancé, une chute de rein et des fesses rebondies à se faire damner un Saint. Même moi, je l'ai toujours trouvé canon. J'en viens à plaindre ces pauvres maris qui tentent de garder l'attention de leur épouse.

— Messieurs dames ! On change de cavalière, lancé-je à la cantonade.

Le groupe se disperse comme une nuée d'oiseaux dans la cohue la plus totale. Plusieurs femmes prennent Jae d'assaut. Je me demande si sa présence est vraiment une bonne idée. Bientôt, elles vont se crêper le chignon pour danser avec lui. Légèrement paniqué, il me supplie en silence de l'aider. Le prenant en pitié, je m'approche de l'attroupement.

— Mesdames, s'il vous plaît ! Choisissez une personne au hasard. Vous aurez toutes l'occasion de danser avec lui. Ne soyez pas impatientes.

Son sourire se crispe quand nos regards se heurtent. Ne lui ai-je pas dit que je ne lui ferai pas de cadeaux ? Il est là pour m'aider, alors autant que j'en profite. Si je peux éviter de me briser le dos en dansant avec toutes ces débutantes, je n'hésiterai pas une seule seconde. Je tends le bras vers la première dame à ma portée pour l'inviter, mais une main masculine s'empare de la mienne. Elle me ramène contre un torse viril que je commence à bien connaître.

— Qu'est-ce que tu fous ?

Je grince entre mes dents quand il m'emmène dans un quart de tour. Mon corps répond inconsciemment au sien.

— Tu as dit une personne au hasard.

Il continue à danser comme si rien n'était plus naturel.

— Oui... Mais pas moi !

Je râle à voix basse pour qu'il soit le seul à l'entendre. D'un sourire figé, je cache mon énervement aux élèves. Une première rotation nous sépare et il revient aussitôt contre moi. Il termine son mouvement d'un levé de jambe exécuté à la perfection. Nous repartons dans une pirouette. Un penché marque une pause, nos visages pointés vers les élèves médusés.

— On a besoin de s'entraîner.

Les demi-tours s'enchaînent, nous virevoltons l'un contre l'autre, comme nous l'avions répété la veille. Un pas de change et nous bifurquons dans le sens opposé.

— Pas ici ! On est censés être discrets !

Une deuxième rotation et il se retrouve dos à moi, mes mains sur ses hanches. Je réalise le porté sans même y réfléchir, pendant qu'il ouvre les jambes dans un grand écart à l'horizontale. Il finit par toucher le sol avec légèreté et se repositionne entre mes bras.

— Toutes les occasions sont bonnes, continue-t-il. Nous n'avons pas de temps à perdre. Et tes élèves ont l'air d'apprécier le spectacle.

Il conclut en se glissant à mes côtés pour la pose finale. Les dernières notes meurent dans un silence de plomb. Tous les regards sont braqués vers nous. Je remarque une ou deux mâchoires sur le point de se décrocher. Soudain, une explosion d'applaudissements nous surprend.

— Magnifique ! Superbe ! se pâment les spectatrices de notre petite improvisation.

Il se penche dans une révérence pour saluer son public, fier de lui. Dans un soupir exaspéré, je le contourne.

— Bonjour la discrétion.

Grognon, je rejoins ses groupies et reprends ma leçon.

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