XVI : Thé à la rose et confessions brûlantes


Le fin sachet de thé, plongé dans l'eau bouillante, diffusait lentement ses arômes fleuris. Le liquide se teintait d'une douce couleur rosée, et la cuillérée de miel qu'Hermione avait déposé au fond de sa tasse se dissolvait peu à peu en une poussière d'or.

La jeune fille n'aurait su dire ce qui l'avait amené dans ce bureau spacieux, en ce dimanche après-midi. Une envie de s'épancher, peut-être. Un désir de chaleur, de cette tendre affection maternelle dont elle était privée depuis bientôt un mois.
L'incompréhension de ses amis aussi. Ginny, affairée à mille projets étranges, ne lui avait pas adressé un mot de la journée ; et Hannah était partie à l'infirmerie, sans avertir qui que ce soit, juste après son petit-déjeuner. Lorsque Hermione y était passée afin de vérifier son état, Mrs Pomfresh avait levé les yeux au ciel et affirmé que ce n'était qu'un stupide mal de tête adolescent. Hermione n'avait pas compris l'exaspération de l'infirmière : Hannah et le terme stupide étaient radicalement des antonymes ! Enfin, même après une visite à la salle commune des Serdaigle (Hermione entrait sans soucis : elle avait toujours la réponse à l'énigme qui servait de mot de passe), Luna était introuvable, et Neville, accompagné du Professeur Chourave, passait comme à son habitude l'après-midi dans l'atmosphère terreuse et humide de la serre.

Délaissée par tous, Hermione s'était alors rappelée de l'existence d'une invitation qui lui avait paru tout à fait bienvenue ; elle était donc partie vers l'aile Ouest, habitant les couloir de sa présence anonyme, la tête baissée et les cheveux déployés en remparts. Après une longue marche et des dédales poussiéreux qui lui parurent infinis, elle était arrivée devant une pauvre porte taillée dans un bois qui s'émiettait par endroits. Les illusions nocturnes étaient loin de cette crudité froide, de cette triste misère sale. Le froid qui s'engouffrait dans chacun de ses pores, avait rendu la réalité plus difficile encore. La déception lui avait glacé le cœur. C'était anodin, ce n'était qu'un pauvre sentiment fugace, banal. Un petit tourment inutile. Mais c'en était un de plus, une sorte de branchage de douleur ajouté, sans douceur aucune, au fagot de sa peine.

La douleur n'est romantique qu'aux yeux des imbéciles, songea-t-elle en serrant les dents. Elle voulu frapper ; mais une précaution retint son poids serré : il n'aurait pas fallu que le lambeau qui tenait lieu de porte se brise sous le coup ; il y avait tout de même mieux en matière d'entrée, que de faire s'écrouler le bureau de la personne qui nous invite à prendre le thé. 

Alors, elle poussa simplement le bout de bois. Et elle fut éblouie.

Le bureau du professeur O'Connor avait été pour le moins revisité par sa propriétaire - elle aurait dû s'y attendre. Le verre, tranchant d'une manière incongrue par sa claire modernité, avait remplacé les pierres qui soutenaient habituellement les murs moyenâgeux, de telle sorte que la lumière mordorée du crépuscule naissant envahissait les plus sombres recoins de la pièce, irradiant, se mouvant dans une danse enflammée. Les vitres reflétaient cette chorégraphie lumineuse, de telle sorte qu'on aurait pu se croire dans un immense brasier. Des objets et meubles aux styles pour le moins éclectiques, mélange de vintage British et de cette esthétique épurée typiquement américaine, parsemaient la pièce immense. 

Se sentant quelque peu malvenue, Hermione osa cependant appeler son enseignante :

- Professeur ? 

Mrs O'Connor était assise à son bureau, et examinait des liasses de documents, disposés en une grande pile vacillante. La porte éculée n'avait produit aucun bruit - pas même ce grincement aigu caractéristique du vieux et de l'indigence. Lorsqu'elle entendit Hermione, elle sursauta, sa chevelure ardente bondissant, ballerine elle aussi de la chorégraphie intense qui se jouait entre les murs, et refourgua le tout pêle-mêle dans un tiroir.

- Hermione, quelle bonne surprise ! J'ai justement fais monter une théière des cuisines tout à l'heure.

Remarquant l'air un peu gênée de sa jeune élève, elle s'exclama gentiment :

- Je t'en prie, pardonne mes cachotteries ! Les papiers que j'étudiais sont des documents secrets venant du MACUSA. J'ai ne peut les dévoiler à personne.

- Il n'y a pas de mal, Professeur ! s'exclama la jeune fille, effrayée à l'idée d'être une gène malvenue. Elle sentit l'once d'audace qui avait porté ses pas jusqu'au bureau quitter son être. 

- Peut-être qu'il serait mieux que je repasse plus tard, si vous avez du tra..

-Bien sûr que non, voyons ! s'exclama le professeur en balayant sa gêne d'un geste de la main. Alors, que me vaut le plaisir de ta visite ?

Hermione avança l'alibi qu'elle avait soigneusement conçu pour expliquer sa venue :

- Je suis Préfète-en-Chef, et il était de mon devoir de répondre à votre invitation. J'aimerais en apprendre plus sur votre passé aux États-Unis.

À mesure qu'elle récitait ses arguments, Hermione se rendit compte de leur raideur. Elle avait peut-être les meilleures notes de sa promotion en Métamorphoses, mais pour ce qui était de la crédibilité, elle encore quelques leçons à prendre.

Les yeux de son professeur se voilèrent doucement. Le fin tissu de sentiments qui recouvraient ses iris sombres apparut à Hermione comme un drôle de patchwork. Elle crût y lire de la nostalgie, de la peur, curieusement, de  l'amour, et aussi une drôle d'émotion indéfinissable. Des regrets ?

- Je vois... répliqua-t-elle sans avoir l'air de rien voir (ou croire ?) du tout. Mais surtout, installes-toi chère Hermione ! God almighty, j'en oublie les bonnes manières !

La jeune fille se saisit d'une chaise en verre - décidément, les goûts de son professeur en matière de décoration étaient pour le moins tranchés, tandis que cette dernière attrapait deux mugs dans un petit placard afin d'y couler du thé.

- Et... voilà, ajouta-t-elle en déposant deux tasses fumantes sur un petit guéridon. Je te suis toute ouïe !

Hermione plaqua son dos contre celui froid et dur de sa chaise. Par quoi pouvait-elle donc bien commencer ?

- J'aurais aimé savoir où vous avez fait vos études.

- J'ai étudié à Illvermorny, l'école de magie américaine, dans la maison de l'oiseau-tonnerre. The Thunderbird... ce sont de beaux souvenirs. J'ai eu une enfance et adolescence heureuse, et j'ai vite obtenu des responsabilités ; l'équivalent de Préfète d'abord, puis de Préfète-en-Chef. J'ai songé un moment à devenir enseignante, qui est, je le sais maintenant, ma réelle vocation, mais des opportunités m'étaient offertes à des postes élevés au Ministère, alors je les ai saisies.

Hermione, voyant que son professeur avait commencé a boire tout en discutant, saisit une des tasses. L'argile chaude lui brûla la paume des mains ; mais c'était une brûlure agréable, une douleur supportable qui s'adoucissait à mesure que le liquide refroidissait. Elle trempa ses lèvres dans l'eau parfumée.

Mrs O'Connor lui avait menti ; le thé était absolument délicieux. Des effluves de rose s'éparpillaient, aussi volatiles que les colibris du professeur Gobe-Planches, dans sa gorge. Son corps tout entier fut parcouru d'un tremblement de chaleur. C'était plus qu'agréable.

- Et donc, vous êtes partie au MACUSA.

- Oui, après des études d'Auror et l'équivalent d'un master de défense contre les Forces du Mal à Londres, la matière que je n'aurait arrêté pour rien au monde ! J'ai vite évolué, jusqu'à devenir responsable en chef des Aurors. Je m'occupais de la sécurité de la présidente, Cornelia Sayre.

Hermione avait bien sur entendu parler de la présidente américaine. A seulement trente ans, la célèbre Cornelia Sayre avait pris la direction du MACUSA, passant devant d'illustres -et quasi-centenaires- sorciers candidats au poste. Mais ce n'était pas son âge qui avaient marqué les esprits ; si Cornelia avait fait couler autant d'encre sur son passage, c'était à cause de son patronyme : la dame était descendante d'Isolt Sayre, la prestigieuse fondatrice de l'école de magie Illvermorny. Les plus sceptiques reliaient à cette lignée d'exception ses pouvoirs prodigieux.

Elle but lentement une gorgée de thé chaud.

- Je le suis restée vingt ans, c'est pour te dire si je l'appréciais ! Cornelia était major de promotion à Illvermorny, et la Préfète de la maison du Serpent Cornu lors de mes premières années à l'école ; je l'admirais secrètement, comme toutes mes petites camarades de première année, pour sa gentilesse et son intelligence. Adultes, nous nous sommes tout de suite très bien entendu.

- Aucun autre métier ne vous a jamais tenté ?

- Sincèrement, à part l'enseignement de ma matière de prédilection, non.

Une lueur passa dans son regard

- J'avais besoin de voler de mes propres ailes et de quitter des souvenirs étouffants...

Hermione lui coula un regard interrogateur.

- Mes parents étaient des fils d'immigrés écossais. Très courageux, surtout elle, ajouta-t-elle pudiquement. Mais nous n'étions pas riches, et cela faisait tâche à l'époque.

Un accent de vérité étreignait ses paroles.

- Enfin, il n'est guère utile de ressasser des vieux souvenirs. Parlons un peu de toi. Comment vas-tu ?

- Très bien, répondit automatiquement la jeune fille. Je vous remercie.

Le professeur fit la moue, dubitative.

- Tu en es sûre ?

- Oui...

Hermione remua légèrement, un peu mal à l'aise. Une angoisse qu'elle croyait avoir étouffé dans les confins de son cœur se rappela à son bon souvenir.

- Tu m'avais plutôt l'air à bout, lors de notre dernier cours.

La jeune fille rougit. Son enseignante se rappelait donc de ce moment embarrassant.

- J'étais fatiguée, et cette petite déception... ça a été, disons, la goutte qui fait déborder le vase, répondit-elle, en sentant sa lèvre inférieure trembler.

- Seulement fatiguée ? s'étonna son professeur.

Les yeux d'Hermione se remplirent, comme si un barrage s'était brisé, et faisait jaillir une, réserve d'eau cachée.

Oh, non, non, non ! Pas ça !

- Je... je..., essaya-t-elle d'une voix grelottante.

Mais elle ne put contenir le trop-plein qui l'habitait, et qui commença à glisser de ses yeux. Tout : ses peines dévorantes, ses douleurs dévastatrices, son sentiment d'abandon et d'échec permanent, ses humeurs perfides, ses joies si rares, ses regrets coupables.

Une mer d'émotions se jeta sur son visage, dévalant les collines de ses joues pour imbiber la laine de son pull d'uniforme.

- Excusez-moi, je suis tellement... tellement désolée, se lamenta-t-elle d'une voix chevrotante. Je ne sais pas ce qui me...

Elle s'arrêta net, le souffle coupé. Mrs O'Connor s'était levée pour la serrer dans ses bras.

- Pleure Hermione, les larmes sont libératrices. Ne t'inquiète pas. Voilà...

Sa voix était douce, et avait cet accent maternel de mère habituée à consoler des chagrins d'enfants. Hermione s'apaisa doucement, le corps parfois encore secoué par des sanglots imprévisibles.

Elle était tellement bien...

Doucement, la jeune fille, réalisant le côté improbable de la situation, se dégagea de l'étreinte chaleureuse. Elle garda les yeux baissés, n'osant croiser le regard de son professeur. Qu'allait penser cette femme-roc, qui respirait la force, de ses épanchements adolescents ? Pourquoi son masque de jeune fille heureuse était-il tombé en ce moment précis ? Elle allait devoir s'expliquer, et craignait de s'enfoncer encore plus bas dans l'estime de cette incroyable enseignante. Un silence léger s'installa ; perdue pour perdue, Hermione le brisa doucement.

- Non, ce n'était peut-être pas que de la fatigue, avoua-t-elle en fixant le sol dallé.

La professeur dût comprendre sa gêne et lui répondit avec sympathie :

- Je ne te jugerai pas Hermione, quoi que tu ressentes. Et il est parfois agréable d'avoir une oreille attentive, à la fois extérieure et qui te connaisse un peu à qui se confier.

Elle invita la jeune fille à se rasseoir d'un geste, et planta son regard saphir dans ses yeux.

- Et bien... C'est comme une accumulation. Des évènements liés à la guerre qui font apparaître des nouvelles choses, d'autres qui sont là depuis toujours. J'ai l'impression d'être une actrice sur la mauvaise scène. Depuis toujours, j'ai ce rôle de fille impeccable, toujours inquiète de ses résultats. Une Miss -je-sais-tout un peu ennuyeuse en somme. J'admire les autres, et on me laisse plus ou moins tranquille. Mais personne ne me connait réellement. Personne n'a jamais eu affaire à la vraie Hermione.

- Et comment est-elle, la vraie Hermione ?

Les mots jaillirent de son coeur, vifs et lourds à la fois.

- Elle est en feu. La vraie Hermione est une fille en feu, enflammée. J'ai des... choses, à l'intérieur de moi, des émotions que je ne saisis pas, des rêves ancrés en mon être qui sont prêts à éclater. Je ne suis peut-être pas aussi drôle que d'autres, pas aussi jolie, ou pas aussi populaire que certaines filles, mais j'ai des mondes entiers dans les tréfonds de mon esprit, des tempêtes, des ouragans ! J'aime des choses, qui sont certes différentes, j'attache de l'importance à ce que la plupart des gens trouverait ridicule, mais je ne suis pas une vieille fille passée, qui passerait sa vie dans sa bibliothèque étriquée à vivre par procuration en relisant les mêmes livres pleins de clichés sur des histoires d'amour impossible ! Je n'ai pas le droit, quelqu'un, je ne sais pas qui, la masse, l'Autre avec un grand A, une entité céleste,  vraiment je n'en sais fichtrement rien, mais quelqu'un m'enleve le droit d'être celle que je suis, et me borne à mon role d'élève gentille, mais inintéressante, la fair-valoir, celle qui se tait puisqu'elle n'a rien d'intéressant à dire sur Archie Flower et toutes ces stupidités, celle qui est forte, courageuse, gentille, douce, altruiste dévouée ! Irréelle, inhumaine plutôt !Mais ce que le monde ne sait pas, c'est que je ne suis pas naturellement douce, pas naturellement bienveillante, je ne suis. Pas. Naturellement. Altruiste ! Si je le veux, si je le voulais plutôt, j'aurai la pleine et entière capacité d'être une garce. Si je le choisissais, je pourrai créer des conflits , des horreurs adolescentes et des drames à foison ! Si je le voulais, je dirais ce que je pense, je dirais à ceux que je déteste que je ne peux les voir et que je les méprise ! Je m'affirmerais, je crierai mes passions et mes humeurs avec véhémence ! Je sortirais avec touts ces idiots qui se posent chaque jour sur tous ces bancs scolaires, je ferai la rebelle, la révolutionnaire du dimanche en fumant et en buvant de la vodka de Circé de tout mon soûl! Mais vo us voyez, cela, tout cela, j'en suis interdite. Le monde, implicitement, me l'interdit. Cela serait bizarre, étrange, les gens n'aimeraient pas ! Parce que je sortirai de mon role de petite fille modèle devenue une héroïne modèle, et qui sera dans l'ordre des choses, une adulte et une fonctionnaire modèle, une mère et une épouse modèle, dans une vie bien rangée, sans accrocs et ennuyeuse à mourir. Oui, c'est bien pour cela que l'on me prend. Une petite fille parfaite qui deviendra une adulte sage et calme, nommée dans les livres d'Histoire ! Et si je désirais autre chose qu'une vie sage et rangée ? Les gens ne comprendraient pas ! J'ai juste le droit d'être parfaite maintenant, et ce aux yeux du monde entier puisque je représente la victoire ! Je suis et serais niée dans mon droit d'aimer la personne que je veux ! Dans mon droit d'être toutes ces choses qui ne rentrent pas dans mon rôle de Sainte combattante, d'élue de la nation, comme diraient les journaux !  Etre forte, être heureuse, même d'être sexy, avoir des coups de folie, faire des choses stupides, mener une vie trépidante, faire des choses affreuses ! Je n'en ai pas le droit, et chaque personne me le rappelle à chaque instant ! Vous avez vu les journaux ! On y trouve un résumé de mon prétendu caractère doux et aimant, le détail de mon physique, un commentaire des quelques actions qu'on a bien daigné présenter comme étant de mon cru. Mensonges ! Ce ne sont que des mensonges. Une illusion ! L'illusion vue par le monde, racontée par l'encre d'un journaliste qui veut faire l'évènement ! Mais ce nest pas moi, c'est la vérité du monde, l'illusion que la masse veut faire passer pour vérité ! Si Lavande Brown, demain, venait en comme à son habitude dans une tenue affriolante dans une quelconque soirée de Gryffondotrs , elle se ferait quoi ? Siffler par quelques garcons sous l'emprise de leurs hormones ? Et si elle se mettait à danser ? Et bien personne ne la remettrait en question. Elle aurait le droit d'être belle, de charmer, d'être admirée pour son assurance, de devenir ivre et de ne pas se faire juger indigne pour cela. Si le jour suivant, Parvati Patil, ou... Mandy Brocklehurst, tiens !, annonçait son couple tout neuf avec tel ou tel garcon, elle ne serait pas jugée. Au contraire ! On la féliciterait, on lui dirais qu'elle rayonne. Il ne viendrait à l'esprit de personne de la juger indigne, pas asez femme, ou fille, ou un mélange subjectif, difforme, incompréhensible et étrange des deux. Personne ne lui dirait "Quoi ! Mandy, en couple ? Mandy, digne d'etre aimée, admirée, appréciée ? Mandy qui sort de son rôle d'admiratrice passive, pour entrer dans celui d'une amoureuse active ? Mandy qui sort avec un autre garçon que celui que la société à prévu pour elle ?" Et si Pansy Parkinson créait un drame ? Personne ne dirait quoi que ce soit ! Elle ne serait pas dépréciée ! Parce qu'elle a des droits que je ne possède pas ! Ce droit de ne pas voir l'estime de ceux qui l'entourent dépendre de la bonne tenue de sa facade de jeune fille parfaite, d'élève modèle, d'amie attentionée : elle pourrait être terriblement méchante, odieuse, égoiste, elle pourrait être une sale peste ; qui lui en tiendrait rigueur ? J'aurai ce genre de comportement, les gens ne comprendrait pas, le diraient à la presse, un malaise s'installerait, ma réputation serait détruite et je me retrouverai seule ! Complètement seule !

Vous voulez savoir, alors, pourquoi moi aussi je ne laisse pas sortir ce feu ? Pourquoi je ne choisis pas de tout mettre en l'air et de me conduire comme une idiote ? D'abord parce que je l'ai choisi, parce que je l'ai voulu ! J'ai voulu être bonne, gentille, courageuse, douce, aimante, bienveillante, honnête, intelligente, altruiste, attentionnée ! Je veux être heureuse de cette manière ! Je veux renvoyer cette image aux autres aussi. J'aimerai être parfaite, finalement, une Sainte dévouée. Mais le monde d'aujourd'hui n'est pas fait pour les aspirants saints ! Il est fait pour les opportunistes extravertis et sans âme ! Il est fait pour les Pansy ! Notre école, notre monde n'accepte que les Saints, ou les aspirants saints à condition qu'ils soient parfaits, ne tombent jamais ! Pour avoir des modèles à admirer, pour dire que ces gens surnaturels et si merveilleux, ces héros aux mille exploits, ils les connaissent ! Qu'ils ont été dans leur école ! Mon dieu, quelle chance, ils en deviennent exceptionnels ! Si je décide de devenir quelqu'un que je pense bien, de faire ce que je pense bon, je n'aurai plus droit à mes émotions, à ces sentiments contradictoires qui m'emportent et qui me blessent ! Je devrais être une Mère Theresa, une Helga Poufsouffle en permanence, renoncer à tout le reste ! Il n'y a guère d'entre deux ici-bas ! Tout doit être blanc ou noir, et ce alors que tout le monde sait parfaitement que notre Terre n'est qu'un vaste camaïeu de gris ! Qu'un papier de brouillon, qu'un parchemin sali, parfois blanchâtre, parfois presque noir ! Mais cela ne serait pas rassurant, n'est-ce pas, d'arrêter de coller une étiquette jaunie et décernée ad vitam aeternam  à chacun  ! Cela serait bien trop effrayant ! Alors on donne une case fermée à chacun. Mais je ne veux pas de cases, moi. Je veux tout, et c'est impossible, et je le sais, et j'en meurs à petit feu ! Je veux le droit d'être altruiste et de pouvoir piquer des crises de colère, sans que cela ne m'enlève ma qualité, ni que l'on me renie le droit d'avoir des sautes d'humeurs ! Je veux être une héroïne forte, courageuse, brave et brillante, tout en ayant le droit de ne pas me plaire dans ces fêtes de salle commune ou je ne connais personne, ou même de m'y plaire parfois, et d'y danser de la façon qu'il me plaira ! Je veux le droit de boire, de faire mille choses stupides, tout en étant respectable et respectée, et de ne pas être remise en questions dans ce que les médias appellent mes exploits passés ! Je veux le droit, de séduire, d'aimer, d'être séduisante et d'être amoureuse de l'homme que je désire, sans que l'on me trouve ridicule, que l'on ris de moi, que cela étonne, que les gens n'y croient pas, me trouvent folle, naïve, qu'en sais-je ! Je veux ce droit, ce droit d'être  tout et de tout avoir. De ne pas être cantonnée à l'idéal que le monde pose sur moi.

Vous vous demandez peut-être, aussi, pourquoi alors je n'ai pas su imposer ce respect. En quelques mots décevants : je ne sais pas, et je suis faible ! Je ne sais guère parler à cette cour de juges perfides, à ce tribunal d'écoliers, cruels malgré eux, infames et si méchants, sans peut-être même le savoir ! Et ma plus grande, peur, vous voulez la connaitre ? C'est de ne pas être aimée, ou de ne plus l'être. Je suis contradictoire, je suis un parallèle, une impossibilité à moi toute-seule ! Je ne sais pas m'y prendre pour être aimée par ce "tous" si global tout en étant celle que je suis au fond, et pourtant cela m'est vital, oui, vous m'entendez-bien, vital ! d'être aimée de tous. C'est impossible, cela aussi ! Alors que croyez-vous ? Les deux choses qui me sont infiniment nécessaires sont incompatibles. Alors j'ai choisi l'essentiel ! Être aimée, ou du moins, a minima acceptée ! Et pour cela j'ai pris le plus facile : le rôle protecteur de la sainte et de la sauveuse glorieuse ! Sainte Hermione qui n'aime guère les conflits ! Sainte Hermione, qui, si elle doit sortir avec un garçon, c'est parce que cet abruti lui aura demandé et qu'elle aura acceptée, et parce qu'il s'appelle Ronald Weasley, et que le monde magique entier pense que c'est ce qu'il y de meilleur pour moi ! Pas parce qu'elle aurait été en proie à une passion dévastatrice et qu'elle aurait pris les devants : et cela encore, cela ne marche pas, oh que non, cela est juste bon à être imprimé dans la revue féministe que dirigent trois Serdaigle de sixième année ! Pas parce qu'elle a fait son propre choix  ! Ma vie est désormais publique, je suis harcelée d'indiscrétion, et chacun pense avoir son avis à donner ! Car j'appartiens au monde désormais, et ce pour le restant de mes jours. En étant parfaite, je me suis crée un rôle, un masque, une terrible façade !Et cela uniquement dans le but de me protéger, et d'être aimée, nécessité première, urgence vitale ! Et aujourd'hui, cette façade me fait souffrir. Je suis jugée sotte, naïve, ennuyeuse par mes connaissances, gentille quand même, cette petite Hermione si sensible, par mes pairs. Je suis une grande fille sage, qui épousera Ron dans cinq ans, après avoir obtenu des succès et réussi brillamment des études classiques, qui m'amèneront logiquement au sommet du Ministère ! Je souffre atrocement, je suis coincée, en fait, entre deux possibilités. Être moi, ou l'être pour de faux. Risquer de perdre l'estime des autres, casser tout ce qui faisais cette illusion. Ou continuer à jouer mon rôle à la perfection, en actrice consommée ! Car j'en suis une ! Cela fait sept ans que je joue sans m'arrêter ! Je suis prise entre deux feux ! Et j'en souffre, je ne sais pas qui je suis au delà de mon rôle. Oui, finalement je n'en sais rien. Alors je souffre, toujours. Parce que le monde fait mal et que je me suis brulée à vouloir le soleil !

Hermione reprit sa respiration, haletante. Elle n'avait jamais autant parlé d'un seul coup, et ce discours expiatoire lui fit l'effet d'une catharsis. Tout ce qui se logeait en elle depuis des années, des mois, des jours, venait de prendre forme, de se matérialiser, mais hors d'elle. Un poids -elle le ressentait de manière viscérale - venait de quitter l'espace de son ventre pour rejoindre le néant lointain. Elle se sentait plus légère, plus forte aussi ; tout cet amas de sentiments, de bouts de réflexions, petits cauchemars quotidiens et peurs sourdes-muettes, avait pris forme.

Contre un ennemi invisible, informe, indiscernable, Hermione ne faisait pas le poids. Contre des phrases et des idées nettes et claires, elle avait une chance. Peut-être.

Le visage aux traits de gravure de sa professeur reprit vie ; il s'était figée durant les longs aveux de son élève, et ressemblait, avec sa peau d'albâtre, à la figure d'une statue de cire au minois finement ciselé.

- Un détail de ta confession me tourmente Hermione, avança-t-elle de sa voix de mezzo ; ton seul ennemi, celui qui te guette comme on attend l'aurore, ce sont les autres, finalement. Qui ? Et si ce n'est que le nom que tu accordes à une masse informe... pourquoi ne pas simplement t'en détacher ?

- Ce sont tout le monde et personne. Mes parents - le mot lui serra la gorge-, mes amis, même mes meilleurs amis, mes professeurs, mes camarades de classe, les élèves que je croise dans la Grande Salle ou les couloirs, les passants du Chemin de Traverse, tout ceux qui connaissent mon nom, les commère des journaux. Pour eux, chacun d'entre eux, je suis l'archétype parfait de la case "rat de bibliothèque, quand même assez courageuse, forte et brave, une charmante Gryffondor plongée dans ses livres, destinée à une vie ennuyeuse relatée par touts les canards d'Angleterre". Je me marierai avec Ron, tout le monde le sait, aurai quelques enfants, un travail insipide. Et c'est tout. Je resterai dans cette case insupportable toute ma vie.

- Et pourquoi ne pourrai-tu pas te détacher de tout cela, de tous ces autres ? Partir loin, très loin durant un bout de temps, recommencer à zéro, imposer l'idée que tu te fais de celle que tu veux être, et revenir une fois sûre de ton identité ?

- Là se trouve la contradiction, la faille, le problème. Ces autres qui m'enferment, j'en ai besoin. J'ai besoin de tous ces gens, que j'aime, qui m'aiment. Là est mon plus grand bohneur et ma plus grande peine : j'ai besoin d'être aimée par ceux que je rencontre. J'ai besoin de recevoir de l'amour, de l'affection, un brin d'admiration aussi. Cela m'est aussi indispensable que l'air que je respire. 

Elle se tût un instant.

- Vous devez me trouver très égoïste .

- Non, simplement très humaine. Ne te penses pas égoïste, Hermione. Ce serait un mensonge éhonté.

- Je le suis pourtant. J'ai une vie priviligiée, déjà par le seul fait d'avoir le droit de me lever le matin, et de respirer. Je recois une formation qui dépasse mes rêves les plus fous. J'ai participé à la victoire du Bien. Et je suis là, à me morfondre sur mes petits tourments insignifiants.

- Tu traverses un passage classique de l'adolescence, communément appelé -tu peux ajouter des majuscules, cela fait plus médical- : La Crise Identitaire. Et pour toi, toute la difficulté réside dans le fait que le monde entier à déjà décidé pour toi qui tu étais, et que lorsque tu vas quelque part, tout le monde dans la pièce à déjà une opinion sur toi. La route tout tracée de ta destinée s'offre à toi : et tu n'as rien choisi, rien décidé. Et cela est extrêmement perturbant.

- Merci, soupira Hermione. Merci de me comprendre et de ne pas me traiter d'ingrate ou de folle.

- Hermione, écoutes-moi bien. Je te demande de choisir dans ton entourage les gens que tu estimes, les gens qui t'aiment de manière vraie, sincère et profonde, de cette amour qui résiste à toutes les épreuves. Ceux-là, tu peux leur accorder du crédit, ls écouter, et laisser leurs opinions influencer les tiennes. Le reste -les inconnus, les hypocrites, ceux qui te jugent- ignore-les. Soit tu choisis de t'imposer au monde dans ta pleine et entière vérité dès maintenant, sois tu laisse une foule de personnes que tu ne connais même pas prendre possession de ta tète, de ton moral et du gouvernail de ta vie.

- Je choisis la première option.

- Et tu fais le bon choix. Un choix de Gryffondor, ajouta-t-elle avec un clin d'œil affectueux. Fais ce que tu désires vraiment sans avoir à te justifier. Il y aura des surprises, des critiques, c'est inévitable, mais je te sais forte. Par exemple, j'ai l'impression que ta relation avec ce Ronald à été pourrie et gâchée par des médias intrusifs et une pression généralisée. Je me trompe ?

Hermione répondit par la négative.

- Prends une décision, à son propos, et ce rapidement. Car tu sais, et cela je te le dis sans aucune volonté de te rabaisser -car tu es tout à fait lucide-, beaucoup sont comme toi. Et chaque être souffre de l'indifférence, et des cases dans lesquelles ont les placent. Ne juge jamais celui ou celle qui sort de sa case. Comprends-les au contraire. Ne les rabaissent pas aux indications implicites dont tu me parlais justement.

- Je ferais de mon mieux, Professeur.

- Et, continua-t-elle en attrapant un bout de parchemin volant et une plume au bout plein d'encre, tu vas aller voir Mrs Pomfresh, qu'elle te donne une potion pour le moral.

- Un anti-dépresseur vous voulez dire ? Non, non, refusa-t-elle en secouant la tête, je ne peux pas refuser de me battre...

- Il y a parfois, dans notre vie, des moments où nous ne sommes pas assez forts, et où nous avons besoin d'armes pour nos combats du quotidien. Et un moral qui tient le coup, continua-t-elle en griffonnant une liste d'ingrédients, est essentiel. Voilà, acheva-t-elle en lui tendant le feuillet. Et n'en ressent aucune honte, jamais. Tu es extrêmement courageuse, tu sais.

Hermione attrapa le papier et essaya de mettre dans le regard qu'elle lui lança toute la gratitude, qu'en cet instant, elle ressentait à son égard.

- Merci. Merci Professeur.

- C'était tout naturel Hermione. Saches que la porte de mon bureau te sera toujours ouverte.

- Je vous souhaite une excellente soirée.

- Aussi agréable que sera la tienne, j'en suis persuadée, répliqua O'Connor avec un grand sourir.

Et quand elle quitta le bureau, il sembla à Hermione que les derniers feux du crépuscule étaient ceux d'une ère nouvelle. De l'Aube. Enfin.



Note à mes chers et dévoués lecteurs :

Enfin, ce fameux chapitre seize est devant vos yeux ! Je m'excuse de cette absence d'une longueur indécente (j'ai même reçu des messages me demandant si j'abandonnais ce livre ou si j'étais juste décédée entre-temps) ! J'avais besoin d'un break Wattpad, et surtout d'un break avec cette fiction qui s'invitait jusque dans mes rêves !

J'ai donc pris le temps de réfléchir, de peaufiner mon intrigue, et d'attente l'Inspiration Divine, se manifestant de façon toujours imprévisible. Et, oh miracle, elle m'a visité ! Le résultat se trouve sur cette page, relu, corrigé, effacé et recorrigé jusqu'à être livrés à vos yeux avertis. J'espère qu'il vous a plu, que j'ai réussi à vous transmettre le feu que je sentais brûler en moi durant l'écriture de ce chapitre. J'avais l'impression que l'on me chuchotais à l'oreille le monologue épuisé d'Hermione, j'écrivais mes phrases d'une traite, sans accorder d'importance aux fautes de frappe ou de grammaire, terrifiée à l'idée de perdre cette voix qui vibrait près de moi. J'ai accordé, sur ce chapitre, une importance particulière à la qualité de la langue, aux lourdeurs stylistiques qui pourrissent régulièrement mes phrases, à la grammaire et à la syntaxe. J'espère que vous l'aurez remarqué et apprécié !

Vous l'avez compris, Hermione vient de dévoiler la facette sombre de son existence au Professeur O'Connor. Le revers du succès, l'arrière de la tapisserie de sa vie ; c'était, disons, l'apogée des crises de mal-être qui la tourmentent depuis le mois de Mai. Elle peut repartir, remonter doucement, même si elle aura besoin d'un peu d'aide. Elle vient d'effectuer le rebond dont elle avait tant besoin. Afin de partir en quête d'elle-même, de son identité, de sa vérité propre.

Je vais essayer de recommencer à publier la suite de cette histoire de façon un tant soit peu régulière ; je pense que le rythme "moins de chapitres, mais plus gros, et plus qualitatifs" me conviendrait mieux ; par exemple, un chapitre comme celui-ci (5400 mots) toutes les deux semaines environ. N'hésitez pas à me dire si cela vous convient dans les commentaires !

Enfin, je tenais à vous dire merci. Merci, à tous ceux et celles qui prennent le temps de lire, de commenter, de voter pour mon histoire ; qui m'envoient les messages les plus gentils que j'ai jamais reçu ; qui chaque jour, me complimentent, m'encouragent. C'est sans doute un peu pompeux, prétentieux ou présomptueux dit comme cela, mais je sais que vous êtes plusieurs, et je n'avais guère d'autre façon de vous le dire à tous. Un simple et immense MERCI.

Constance❤

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