Chapitre 6
Percy attendit quelques jours avant d'aller à la librairie. Il aurait pu y aller tout de suite mais il ne voulait pas donner l'impression qu'il était trop pressé. Ou peut-être était-ce sa manière de se venger.
Il entra dans la librairie avec la ferme intention de simplement acheter quelques livres. Et occasionnellement de vérifier que l'étudiant n'était pas là. Mais il n'y avait que la vieille qui avait changé de coin. Il la soupçonnait de s'être mise juste là pour avoir un angle de vue sur le rayon Botanique. Elle adressa un clin d'oeil à Percy qui fit un sourire embarrassé en la saluant d'un signe de tête. Il ne vit pas tout de suite où était Audrey. Il décida de faire comme s'il ne s'y intéressait pas et choisit quelques livres dont notamment un qu'il savait que sa mère avait adoré. Il s'avança vers la caisse et regarda tout autour de lui, cherchant du regard la libraire. La vieille femme pencha la tête pour lui dire d'une voix malicieuse :
« Elle a renvoyé le jeune étudiant tout à l'heure. Elle n'était pas du tout de bonne humeur. Je crois qu'elle est allée faire un tour dehors pour se calmer. Elle devrait revenir bientôt. »
Percy hocha la tête en soupirant. Il tenta de retenir au mieux son petit sourire et sa curiosité mais il voyait que la vieille avait envie d'en dire plus et était très fière de son petit effet. Elle lui fit signe de s'approcher, il laissa ses quelques livres sur le comptoir et alla vers elle.
« Le garçon passait son temps à essayer de lui toucher les fesses, dit-elle en laissant échapper un petit gloussement. Ce n'était visiblement pas du goût de la petite et elle lui a dit que s'il n'avait pas plus d'achat à faire dans sa librairie, il ferait mieux de déguerpir. Elle est mignonne, cette petite, mais il ne faut pas l'énerver, elle peut avoir du caractère. Vous aimez les femmes avec du caractère ? Quand j'étais jeune, je vous aurais certainement beaucoup plu ! »
Percy lui adressa un sourire poli bien que légèrement effrayé. La vieille femme avait tenté de lui attraper le bras mais il s'était défilé et avait eu un mouvement de recul. Mais au moins maintenant il était fixé sur le sort de l'étudiant.
« Monsieur Weasley ? »
Il n'avait pas entendu la porte, ni la petite cloche qui devait s'activer quand elle s'ouvrait mais la voix de la libraire, il ne pouvait pas la manquer. Elle le regardait sans sourire, les bras croisés, l'oeil suspicieux. Il regarda une dernière fois la vieille au regard pétillant et un peu effrayant avant de tourner la tête vers Audrey. Elle le fixait. Il réajusta sa veste marron nerveusement et s'avança vers elle. Il posa la main sur la petite pile de livre. Il dit d'une voix basse :
« C'est pour vos affaires. »
Elle se mordilla la lèvre un petit peu et son sourire revint. Elle hocha la tête et passa derrière le comptoir.
« Excusez-moi, j'avais besoin de prendre l'air. J'espère que vous n'en avez pas profité pour mettre un ou deux livres dans votre poche, ajouta-t-elle en calculant attentivement le prix.
– Je ne me le serais jamais permis. »
Elle sourit en le regardant rougir légèrement et lui tendit ses livres. Au moment où il allait les prendre, elle résista un peu et ouvrit la bouche.
« Je suis contente de voir que votre patron vous a enfin laissé un peu de temps libre. »
Il la regarda dans les yeux, sentit son cœur accélérer et ne put s'empêcher de laisser échapper un sourire. Il aurait pu le faire, ça aurait pu être le moment idéal pour l'inviter quelque part, engager plus qu'une conversation à la banalité ennuyante. Mais elle relâcha les livres et il prit ça pour le signal de son départ. Il s'en alla en jetant un dernier coup d'oeil derrière son épaule. Elle souriait, les mains posées sur le comptoir, en le regardant s'en aller.
Percy se sentait heureux, presque léger. Il avait à nouveau des livres à lire, ce qui lui avait cruellement manqué et il lui semblait que la voie était plus libre qu'avant. La vieille lui avait dit que l'étudiant était parti et qu'il n'allait peut-être pas revenir si vite. Audrey lui avait dit qu'elle était contente de le voir. Il se promit de lui demander la prochaine fois si elle voulait faire quelque chose avec lui, il ne savait pas encore quoi. Il y avait un petit restaurant sur le bas du Chemin de Traverse. Il savait que Bill y avait emmené Fleur plusieurs fois. Ce n'était peut-être pas une bonne idée. Il ne savait pas trop. Il aurait bien demandé son avis à Bill mais il voulait faire ça tout seul. Il était grand maintenant, il ne pouvait pas toujours compter sur l'avis de son aîné.
Quelques jours passèrent et il eut une idée. Il avait pris un morceau de parchemin qui traînait sur son bureau, avait vérifié qu'aucun collègue ne passait derrière lui et y posa la pointe de sa plume. Il ne savait pas très bien quoi écrire. Ses idées se bousculaient un peu dans sa tête. Il avait l'impression de se retrouver à Poudlard, à écrire des lettres enflammées à Pénélope Deauclaire. Il avait su faire ça, à une époque. C'était incroyablement niais et mielleux. Il était comme ça, à une époque. Peut-être l'était-il toujours autant ? Il roula en boule le bout de parchemin. Il ne pouvait pas écrire un poème dégoulinant à Audrey. Il aurait pu parler de son sourire magnifique, de son regard fracassant et de la couleur de ses yeux. Mais Audrey n'était pas Pénélope.
Il regarda soudain son petit sac en papier où il y avait les quelques livres qu'il avait l'intention de revendre à la librairie. Il en attrapa un, pas le meilleur. Il vérifia à nouveau qu'aucun de ses collègues ne pouvait le voir mais ils étaient tous à discuter à l'autre bout de la pièce, autour d'un café que Percy ne voulait pas partager avec eux. Il ouvrit le livre et le feuilleta. Il se rappelait de quelques passages où il trouverait peut-être son bonheur. Il s'arrêta sur une page où le personnage principal se languissait de ne pas voir son amour qui avait été enfermé par sa méchante famille.
Il entoura les mots : « Elle » « et » « ses beaux » « yeux ». Et sur la page d'en face : « me » « ravissent ». Il tourna la page. « Je voudrais » « lui ». Il tourna deux pages et trouva : « demander de » « venir » « avec ». Un peu plus loin : « moi ». Il avait le cœur qui battait, l'encre sur les pages un peu jaunies du livre lui semblait être un sacrilège mais il s'en fichait. « là où » « elle » « voudra ». Il referma le livre avec un petit sourire coupable et fier. C'était comme une déclaration, discrète et cachée. Il déchira un petit morceau de parchemin et le glissa dans le livre, comme un marque-page, à l'endroit où il avait commencé à entourer les mots. Elle aurait certainement la curiosité de voir où il s'était arrêté. Peut-être qu'elle ne verrait rien. Peut-être que c'était trop caché. Mais Percy avait l'intuition que c'était ce qu'il avait de mieux à faire.
Il rangea le livre dans le sac et attendit la fin d'après-midi pour sortir de son bureau. Il marcha à vive allure, comme son rythme cardiaque, vers le Chemin de Traverse et se glissa dans la petite boutique. La vieille était toujours là mais elle s'était déplacée pour pouvoir voir la caisse de là où elle était. Elle ne voulait pas rater un morceau de toutes les discussions qui pouvaient avoir lieu dans la librairie. La libraire était en train de faire du tri dans une pile de livre. Percy s'approcha d'elle, avec un petit sourire aux lèvres. Il aurait voulu donner l'impression que tout était normal mais il était particulièrement enjoué. Définitivement angoissé et enjoué.
« Bonjour, dit-il dans un souffle. Je vous ramène quelques livres. Ce n'est pas bien grand chez moi et ça prend de la place.
– Posez-les là, je m'en occupe juste après, répondit-elle en lui souriant. Vous faudra-t-il autre chose ? »
Pour tout réponse, Percy laissa son sac sur le comptoir et fit un signe en direction d'un rayon dans lequel il se réfugia. Il tremblait un peu en baladant sa main sur l'étagère. Il ne savait plus quoi acheter. Il avait l'impression d'avoir déjà lu plus de la moitié des livres de cette librairie. Il monta à l'étage et inspira, expira plusieurs fois pour calmer le rythme de son cœur. L'étudiant n'était toujours pas là, il avait le sentiment qu'il ne reviendrait plus beaucoup. La petite table sur laquelle il n'y avait plus qu'une tasse allait prendre la poussière. Percy redescendit, un livre sous le bras.
Audrey faisait des calculs sur un bout de parchemin et lui annonça :
« Voilà, je vous reprends ça pour dix-huit mornilles. Vous n'avez donc pas besoin de payer celui-là, dit-elle en pointant du doigt le livre qu'il voulait acheter. Et je vous rends ces quelques pièces.
– Merci. »
Percy saisit la monnaie qui était dans le creux de sa douce main et en fut presque étourdi. Il jeta un regard insistant au livre dans lequel il avait caché sa petite déclaration et secoua la tête. Elle allait forcément trouver cela étrange. Il fit un dernier sourire et sortit de la librairie. Il prit une grande inspiration une fois à l'air libre et eut même envie de chantonner, fredonner n'importe quoi, même un air désuet de Célestina Moldubec.
Parfois, il avait vraiment l'impression de beaucoup trop ressembler à sa mère. Sa manie de toujours bien ranger ses affaires, de lire des livres romantiques et d'avoir toujours Célestina Moldubec qui lui tournait dans la tête. Il se demanda si Audrey aimait bien Célestina. Il ne cessait de se demander si elle aimait telle ou telle chose. Il ne la connaissait pas très bien en vérité. Il avait grappillé quelques informations par-ci par-là mais c'était très peu au final. Ce n'était pas très grave, il avait d'autant plus de choses à découvrir d'elle. Si elle avait repéré son message, bien sûr. Il regretta de ne pas avoir fait quelque chose de plus évident. Il n'oserait jamais lui demander de toute façon si elle avait vu son message. Maintenant, il était dans le flou le plus complet sur la suite des événements. Il se sentait vraiment bête.
Il attendit quelques jours pour retourner à la librairie. Il ne voulait pas précipiter les choses ni paraître insistant, ce qui avait peut-être coûté cher à l'étudiant. Il y alla sans trop d'idées sur ce qu'il pouvait acheté. Il aurait bientôt acheté et revendu toute la boutique. La vieille n'était pas là, ou alors elle était bien mieux cachée que d'habitude.
« Bonjour, Monsieur Weasley. »
La voix joyeuse de la libraire ravit Percy qui se sentit déjà rougir en croisant son regard. Il sourit, répondant à son sourire constant. Il se dirigea vers le rayon des romans d'aventure. Ça faisait un moment qu'il n'en avait pas lu. Il regarda longuement les étagères. Soudain, il sentit une présence à côté de lui. La libraire le regardait en souriant, la tête légèrement penchée.
« Avez-vous besoin d'un conseil ? »
Il eut quelques secondes avant de réagir et de hausser les épaules avec un petit sourire timide. Elle s'avança dans les rayons, passa juste devant lui. Il recula de quelques pas, un peu gêné par l'exiguïté des rayons. Elle parcourut de la main les étagères et se baissa pour attraper un roman à la couverture écarlate. Elle lui tendit et repartit à la recherche d'un livre qui pourrait l'intéresser.
« Ceux-là, finit-elle par dire en lui en présentant deux autres, ils devraient vous plaire. Vous n'êtes pas obligés de tous les prendre, bien sûr. »
Elle retourna vers la caisse. Il la suivit en silence, observant les quatrièmes de couverture des livres. Elle lui fit un nouveau sourire.
« Ce n'est pas bon pour vos affaires de dire au client de ne pas tout acheter.
– Mais je sais que vous reviendrez plus vite si vous n'en prenez qu'un maintenant. »
Son sourire faisait rayonner son visage tout entier. Ses yeux brillaient et ses lèvres étincelaient. Il baissa les yeux en remontant ses lunettes sur son nez. Venait-elle vraiment de sous-entendre qu'elle voulait qu'il revienne plus vite, plus souvent ? Voulait-elle le voir encore et encore ? Quelle idée étrange.
« D'accord, alors, dit-il finalement. Je prends celui-là.
– Je vous laisse les autres de côté ? »
Il hocha la tête, paya et quitta des yeux ce sourire qui l'envoûtait. Il n'avait toujours aucune idée de si elle avait vu son mot. Mais il était toujours aussi heureux. Il se disait que, finalement, peut-être pouvait-il vivre aussi son roman d'amour.
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