« La fin de l'Éveil »

Le chemin était long et le vent provoqué par la course de Neige faisait frissonner Pepper qui avait enroulé ses bras autour de lui. Ginger enfila son manteau de fourrure qu'il avait emmené et se plaça derrière le lutin de Noël pour l'envelopper, tout contre lui. Un frisson parcourut l'échine de Pepper à l'instant où les bras du grand lutin se refermèrent sur lui. Il se détendit et s'appuya contre lui en soupirant.

— Nous avons plusieurs heures devant nous, inutile d'endurer le froid. Tu peux dormir, si tu veux.

— Non, répondit précipitamment Pepper. Non, je ne veux pas dormir !

— Tu as toujours peur de ne pas t'endormir à la fin de l'Éveil ?

Pepper leva à peine les yeux vers Ginger et haussa les épaules. Il préférait lui faire croire que c'était ça, plutôt que d'avouer que s'il ne voulait pas dormir, c'était pour profiter des dernières heures qu'ils avaient à passer ensemble. Il sortit sa main du manteau pour attraper celle du lutin bleu. Ginger posa sa tête sur celle de Pepper et ferma les yeux. Lui non plus ne voulait pas dormir, mais il voulait imprimer dans sa mémoire la sensation des doigts du lutin de Noël dansant sur les siens, contre le dos de sa main et sur sa paume. Il voulait imprimer dans sa mémoire l'odeur sucrée qui se dégageait de ce petit être qu'il n'avait pas envie de laisser partir. Les cheveux vert thé avaient une délicieuse odeur de menthe, sa peau avait l'odeur du sucre d'orge, ses lèvres avaient un goût de réglisse et le simple souvenir de ses améthystes le transperçait jusqu'à son âme.

Il remonta doucement leurs mains jusqu'à la joue du lutin de Noël pour tourner son visage vers lui et l'embrasser encore. Leur baiser prit rapidement un léger goût de sel et il comprit que Pepper était en train de pleurer. Il s'écarta pour le regarder, Pepper essuya ses joues de sa main libre.

— Tu veux toujours rentrer ? s'enquit Ginger.

— Oui, il le faut.

Le lutin brun n'osa pas insister. S'il réussissait à le convaincre de rester et que Pepper finissait par le regretter, il lui en voudrait toute sa vie. De plus, il ne se pardonnerait pas de le rendre triste. Pour se taire et s'empêcher de le supplier, il l'embrassa encore. Et encore.

Pepper s'accrochait au cou de Ginger, inspirant profondément l'odeur de pain d'épices du lutin bleu, gravant le goût de chocolat de ses lèvres dans sa mémoire faillible. Ses souvenirs n'étaient que temporaires et cela lui brisait le cœur. Mais Pepper n'était pas un lutin courageux, il craignait l'idée même de rester dans le monde du Dehors où la vie était imprévisible. L'Atelier était sûr, la vie y était calme et douce.

Ils restèrent enlacés durant tout le trajet, sans remarquer le paysage autour d'eux. Ils échangèrent peu de mots. Ginger avait peur de finir par lui demander de rester, que les mots lui échappent. Pepper avait peur que les larmes lui échappent de nouveau. À mesure que le temps passait, ses doigts se resserraient sur son baluchon où il avait rangé la statuette.

Neige s'arrêta au bout de leur périple. L'endroit était étrangement familier à Pepper qui se sentait comme appelé par son ancienne maison. Pourtant il ne voyait rien, c'était comme s'il n'y avait rien.

— C'est là ? demanda Ginger qui n'était pas lié à cet endroit.

— Oui, l'Atelier Un est là-bas, répondit Pepper en désignant des buissons.

— A-alors c'est là que nos chemins se séparent.

Les yeux améthyste se bordèrent de larmes une fois encore mais Pepper lutta pour les contrôler. Il s'extirpa lentement du manteau de fourrure, son baluchon à la main. Ginger le regarda et se leva à son tour.

— Tu vas me manquer, Pepper, ne put-il s'empêcher de lui avouer. Je ne t'oublierai jamais.

La main du lutin de Noël se posa sur la joue brune et Pepper trouva ce contraste si beau.

— Jusqu'à ce que je ferme les yeux à la fin de l'Éveil, murmura-t-il, je ne vais penser qu'à toi. Merci de m'avoir sauvé et de t'être occupé de moi. Je n'avais jamais rien ressenti de si doux pour personne.

— Moi non plus. Tu es le premier et tu seras le seul.

Ginger ne pouvait imaginer rencontrer quelqu'un d'autre qui puisse le faire éprouver quelque chose de si fort. Il prit une dernière fois le lutin de Noël dans ses bras puis l'aida à descendre du panier. Pepper trébucha sur les derniers barreaux mais parvint à se rattraper sans tomber dans la neige. Il leva les yeux vers Ginger et lui fit un signe de la main avant de tourner les talons. Ginger le regarda courir vers les buissons et, quand il disparut, Neige fit demi-tour.

Le lutin de Noël s'arrêta avant de sortir des fourrés. Il sentait que, de l'autre côté, se trouvait son Atelier. Sa maison. L'endroit auquel il appartenait et où tous ses camarades devaient l'attendre. Le dernier pas était le plus difficile, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Il regarda par-dessus son épaule et dut lutter plus fort contre ses larmes en voyant que Neige et Ginger n'étaient plus là. Il ouvrit son baluchon, il était préférable qu'il remette son uniforme avant de rentrer. Il fouilla rapidement à l'intérieur. La statuette n'était pas là.

Le cœur serré, il retourna le sac pour le vider de son contenu mais il n'y avait toujours aucune trace du cadeau que Ginger lui avait fait. Il commença à paniquer. Il ne pouvait pas faire confiance à sa mémoire seule, s'il n'avait pas la statuette, il lui serait impossible de se souvenir. Il oublierait, sans rien pour l'aider à se rappeler.

Il sortit des buissons pour retourner où Neige s'était arrêtée.

— Ginger ! hurla-t-il.

Des larmes se mirent à sillonner ses joues et il se laissa tomber à genoux, cherchant la statuette dans la neige. Il ne pouvait rentrer à l'Atelier sans ce souvenir si précieux ou alors son amour pour Ginger disparaîtrait pour toujours. Il continua d'appeler le lutin à la peau brune tout en cherchant. Ses mains devinrent vite cramoisies à cause du froid.

Il chercha pendant longtemps et plus allait, plus il était tiraillé entre l'urgence de rentrer à l'Atelier avant qu'il ne soit trop tard, et l'urgence de retrouver la statuette. Il n'avait cessé de pleurer et le froid lui faisait mal aux joues.

— Pepper !

Ginger sauta du renard et courut vers Peppermint, il le releva sans comprendre ce qui n'allait pas. Quand il lui avait semblé l'entendre, ils étaient déjà loin, Neige et lui, et il avait dû la forcer à revenir sur ses pas.

— Qu'est-ce qui se passe ? lui demanda-t-il, inquiet.

— La statuette, hoqueta le lutin vert, je ne l'ai pas. J'ai perdu ton cadeau, je ne sais pas où il est !

— Ce... ce n'est pas grave, Pepper.

Le lutin bleu ne comprenait pas son affolement. Il allait oublier, de toute façon. Qu'est-ce que cela changeait qu'il ait ou non la statuette ?

— Si c'est grave ! cria Pepper, pleurant toujours. Si je ne l'ai pas... si je ne l'ai pas, je n'ai aucune chance de me souvenir... Je ne veux pas t'oublier, Ginger ! Je t'aime, je ne veux pas t'oublier...

Il se jeta dans les bras de Ginger et réalisa à quel point il avait changé. La raison le poussait peut-être à rentrer mais son cœur avait parlé et il lui était impossible de l'ignorer. Il ne voulait pas oublier Ginger, il ne voulait pas oublier ce qu'il avait ressenti, pas même si ça voulait dire se souvenir également des choses moins heureuses. Si c'était le prix à payer pour l'aimer... ça lui convenait.

— Je t'aime, Ginger, répéta-t-il. Je ne veux pas t'oublier...

Le petit lutin tremblait de froid et de panique mais quand il regarda les yeux dorés, il n'y avait plus une once de doute sur son visage.

— Tu es sûr ? lui demanda Ginger.

— Je ne veux pas y aller, j'en suis sûr. Je ne rentre plus.

Ginger prit une seconde pour comprendre ce qui était réellement en train de se passer et il prit Pepper dans ses bras, le soulevant légèrement du sol. Pepper rit à travers ses larmes.

— Alors reste avec moi, souffla Ginger contre son oreille. Je t'aime aussi, Pepper.

Leurs cœurs battant à l'unisson, ils s'embrassèrent amoureusement. Ils remontèrent ensuite sur Neige qui trépignait, impatiente de rentrer. En se penchant pour la caresser, le lutin bleu trouva quelque chose coincé dans l'harnachement. Il montra alors le morceau de bois sculpté à Pepper, un peu inquiet devant son soulagement évident. Le lutin vert prit la statuette.

— Tu restes toujours, hein ? demanda Ginger en le serrant contre lui.

— Je te le promets.

Ils s'emmitouflèrent à nouveau dans le manteau de fourrure et Neige se mit à courir. Pepper regarda une dernière fois vers l'Atelier, il sentit que l'Éveil prenait fin sans lui. Mais il n'avait plus peur du Dehors, tant qu'il serait avec Ginger, il n'aurait plus peur.

FIN

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