L'école

Quand les gens me voient, ils disent souvent que j'ai un air mignon. Beaucoup pensent que je suis une fille sympa, obéissante et intelligente. Le genre à avoir une bande d'amis cool, de bonnes notes qui permettent l'entrée dans une bonne faculté et assez de caractère pour ne pas se laisser faire. Mais ça, ce n'est qu'une façade. Je peux être sympa si j'ai envie, mais je ne suis pas obéissante. L'intelligence, ça reste à voir. Les bonnes notes, pour quoi faire ? Et assez de caractère ? Alala... Les naïfs.

Parce qu'en tout, je me suis fait renvoyer de quatre écoles. Oui, vous avez bien lu. Quatre. Et à chaque fois, c'était amplement mérité. Je ne vais pas mentir. J'ai mérité tous ces renvois. L'école et moi, ça a toujours été une grande histoire d'amour, avec des bas surtout. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours détesté y aller. Quand j'étais petite, j'essayais de me faire passer pour malade. Cependant, mon père n'a jamais été dupe. Il a toujours connu mon aversion pour les cours et tout l'ensemble. Je n'ai jamais réellement compris pourquoi je déteste ça. Est-ce à cause de mon TDA ? Est-ce parce que je n'ai jamais trouvé les cours intéressants ? Est-ce parce que j'ai toujours eu du mal à me faire des amis ? Allez savoir...

— Qui a jeté ça ?

Le professeur nous regarde d'un œil sévère en tenant une boulette de papier. Je retiens mon rire et lève la main sans me soucier des conséquences.

Faire des boulettes de papier a toujours été un de mes passe-temps en cours. Oui, je sais, ce n'est pas bien. Mais écoutez, il faut bien que je m'occupe. Parce que les cours, ça ne m'a jamais passionnée. Je m'ennuie en cours. Franchement, vous ne trouvez pas que c'est chiant ? Quel est l'intérêt de rester assis sur une chaise pendant des heures à écouter des gens nous parler de trucs dont les trois quarts ne nous serviront jamais ? Moi en tout cas, je n'en vois pas. Cependant, je ne me suis jamais endormie en cours. J'ai beau trouvé ça ennuyant à mourir, je n'ai jamais dormi. En même temps, avec un cerveau qui surchauffe presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ça serait compliqué. Je suis déjà insomniaque alors ce n'est pas en cours, quand je pense encore plus, que je vais dormir.

En fait, je pense à tout et n'importe quoi, tout le temps. Et ça a toujours été compliqué quand j'étais petite car je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas à suivre les cours, mis à part le fait que c'est chiant. Mais beaucoup d'élèves trouvaient ça nul et ils ne décrochaient pas aussi vite que moi. Alors quand j'étais gosse, je me plaignais à mon père. Et il me demandait pourquoi je n'écoutais pas. Sauf que je n'arrivais pas à lui expliquer ce qui se passait dans ma tête. Pourquoi suis-je si distraite ? Pourquoi chaque mot que le professeur dit me fait penser à autre chose ? Pourquoi est-ce que ça part dans tous les sens ? Souvent, j'aimerais que ça cesse. C'est un calvaire parfois. J'ai souvent pleuré dans les bras de mon père quand une migraine me sciait la tête. Il ne comprenait pas et les médecins non plus. « Votre fille a des migraines récurrentes. Il y a des gens comme ça. On ne peut rien y faire mis à part vous prescrire des médicaments ». Oui, bah ils peuvent se les garder leurs médicaments qui ne fonctionnent même pas.

J'ai appris à faire avec ces douleurs. Et au lieu de penser à tout pendant les cours, j'ai appris à me distraire. J'ai commencé à dessiner et à m'inventer des jeux, comme jeter des boulettes de papier à travers la classe. Il faut que je vise la poubelle, le tableau, le professeur ou même les élèves du premier rang. Je change tous les jours pour plus de diversité. Et ça fonctionne plutôt bien.

— Vous êtes en retard, Keller

— Oui, je sais.

— Et c'est tout ce que vous trouvez à dire ?

Jusqu'à ce que j'aille à l'école toute seule, je n'étais jamais en retard. Mon père a toujours été quelqu'un de ponctuel. Il déteste les gens en retard. Il trouve que la ponctualité est une qualité que je devrais avoir. Le pauvre... Je n'y arrive pas. J'ai essayé de faire des efforts parce que j'en avais marre de me faire disputer. Mon père a toujours été imaginatif pour les punitions et même s'il me laisse passer beaucoup de choses, les retards, c'est un truc qu'il ne peut pas supporter. Alors j'ai essayé de me lever plus tôt pour prendre le bus à l'heure. J'ai essayé de me motiver pour aller à l'école alors que je ne voulais pas. Ça marchait quelques fois mais la plupart du temps, je n'y arrivais pas. Et je ne n'y arrive toujours pas. Je ne sais pas combien de fois j'ai loupé le bus. Parfois, je dois aller à l'école à pied. Le problème quand on se fait virer des écoles comme moi, c'est qu'on finit par aller dans des établissements qui sont de plus en plus loin. Mon école actuelle est à plus d'une heure de marche. Au moins, je fais du sport, contrairement à certains de mes camarades. Et ça ne me gêne pas. J'aime bien faire du sport, ça ne me dérange pas. Tout comme ça ne m'a jamais dérangée d'arriver avec plus d'une heure de retard. Dans ces cas-là, je ne prends même pas la peine d'aller au premier cours. Cela m'a d'ailleurs valu un bon nombre de retenues parce que sécher les cours, ce n'est pas une très bonne idée. Mais bon, les règles, le respect, les convenances, ça me passe carrément au-dessus de la tête.

— Miss Keller ! Qu'est-ce que vous faites encore ?

— Bah, ça se voit pas, je dessine.

— Sur le casier de votre camarade ?

— Y'a plus de place sur le mien.

Quand j'étais plus jeune, je ne dessinais pas franchement bien. Je me suis améliorée avec le temps. Pourtant, même si mes dessins étaient moches, je ne pouvais m'empêcher de griffonner sur mes cahiers. Et je continue encore aujourd'hui. Bon, ça va carrément plus loin. Je dessine sur mes devoirs aussi. Quand je ne sais pas répondre et que je n'ai pas envie de chercher, je fais des petits dessins. Les professeurs me sanctionnent toujours pour ça. Ils n'ont franchement aucun humour. Pourtant, ils sont marrants mes dessins parfois. Je ne comprends toujours pas pourquoi ils me réprimandent à chaque fois. Et je le dis à mon père. Quand on ne sait pas, on ne sait pas. Parfois, mon père me sourit en disant que ce n'est pas grave. Et parfois, il se fâche en disant que j'aurais pu lui demander de l'aide ou que j'aurais dû me creuser un peu plus la tête.

Et après, je dessine sur les tables. Je ne sais pas combien de fois j'ai dû astiquer les tables pour effacer mes gribouillages et croquis. Et je suis triste quand ils sont plutôt réussis. Je comprends qu'on ne doit pas dégrader le matériel, mais ce n'est pas pour cela que je vais arrêter de dessiner un peu partout. Non mais vous me prenez pour qui ?! Et puis franchement, mes professeurs se plaignent, mais ça m'arrive de dessiner des trucs en rapport avec le cours. Une fois, j'ai même écrit des équations de maths. Vous voyez, je fais des efforts parfois.

Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis et pendant les intercours, je n'ai pas beaucoup de gens avec qui parler. Les autres me trouvent bizarre et beaucoup ne s'approchent même pas. Pourtant, je n'ai jamais été méchante. Quand j'étais petite, j'aimais jouer avec les autres. Bon, j'adorais aussi gribouiller sur leurs dessins, détruire leurs constructions en Lego et leur piquer leurs stylos. Mais ce ne sont que des détails. Je ne suis pas méchante. Je suis souriante et j'ai toujours de l'énergie à revendre. Mais les autres, ils ne s'approchent pas. Ça m'a toujours rendue triste. Je ne comprends pas. Les enfants aiment faire des bêtises, non ? Alors pourquoi ils ne voulaient pas s'amuser avec moi ? Encore une fois, mon père a dû essuyer mes larmes.

Du coup, j'ai appris à m'occuper toute seule. Je jouais seule dans la cour de récréation à l'âge de sept ans. Je m'inventais des histoires au fils de mes pensées en grandissant. Et je dessine. J'embarque toujours un petit marqueur noir avec moi et je griffonne. Je me suis prise de passion pour les casiers dans les couloirs. Je les embellis. Je ne vois pas le mal. Quand on a des heures de libres dans la journée, je noircis le métal. Bon, ça m'a coûté de nombreuses heures de colle. Pourtant, je m'en moque. Je ne vois pas en quoi c'est un problème. C'est juste des dessins que s'améliorent au fils des ans. Alors c'est quoi le problème ? Un jour, c'était ce que j'avais sorti au directeur de l'école où j'étudiais. Mais apparemment, il n'avait pas aimé parce que j'avais été renvoyée. Quel rabat-joie !

— Keller, encore une fois, vous vous êtes surpassée, D+.

Mon père a été à l'Université et m'a toujours poussée à avoir des bonnes notes. Malheureusement, ça n'est jamais arrivé. Dès mon plus jeune âge, je ne faisais pas partie de l'élite. J'ai toujours trouvé qu'étudier, est une perte de temps et malgré mon âge, je ne suis jamais revenue là-dessus. À l'école, les professeurs comparent les élèves tous les jours. Cela m'a toujours agacée. Pas parce que je suis une mauvaise élève et que je ne récolte jamais les lauriers, mais plutôt à cause des injustices que ça crée. Je n'ai jamais compris ce système. À quoi ça sert de comparer untel et untel, si ce n'est enfoncer encore plus celui qui a déjà des difficultés ? Bon, dans mon cas, on est d'accord qu'il n'y a pas que mes difficultés. Je suis juste un cas désespéré qui ne veut pas apprendre. Dans la société actuelle, c'est la course au prestige. Plus je grimpe les années, plus j'entends parler des universités et écoles prestigieuses. Foutaises. Si tout le monde étaient politiciens, médecins ou avocats, on ne pourrait même pas se nourrir. Bande d'imbéciles !

Quand j'étais gamine, je ne réfléchissais pas à tout ça. Je trouvais juste que l'école, ça ne servait à rien. Aujourd'hui, j'ai peut-être un autre regard, mais je n'ai pas envie de changer. Et mes professeurs doivent être d'accord avec moi. Certains comprennent dès le départ que rien ne pourra me rattraper. Ils me traitent juste comme un cancre et ça me va très bien. Certains me laissent même tranquille et ça, c'est le pied. Ces professeurs-là, je les aime de tout mon cœur. D'autres ne m'apprécient pas et me prennent en grippe. Ils m'interrogent à chaque cours et font exprès d'exposer mes notes catastrophiques à toute la classe. Manque de chance pour eux, ça ne marche pas sur moi. 

Oui, quand j'avais neuf ans, ça fonctionnait un peu. Parce que je voyais le visage défait de mon père à chaque fois que je ramenais une énième sale note. J'étais toujours triste de le décevoir. Mais au fil des années, il s'y est fait. Et de toute façon, il ne m'a jamais clairement dit qu'il était déçu de moi. Certes, je vois son expression à chaque fois, pourtant il ne dit rien. Il se contente de me gronder en me demandant de faire mieux la prochaine fois. Et puis, il y a ces professeurs qui essayent de m'aider. Mais est-ce que je leur ai demandé quelque chose ? Je veux juste qu'on me foute la paix et eux, ils me disent qu'ils sont là si j'en ai besoin. Je ne demande déjà pas à mon père de m'aider, ce n'est pas pour demander à des inconnus.

— Keller ! Votre TDA ne vous donne pas le droit de ne pas écouter le cours.

— Je sais.

— Alors pourquoi vous ne prenez pas de notes ?

— Parce que votre cours est ennuyeux et que j'ai pas envie.

Les enfants sont méchants parfois. Quand un médecin m'a diagnostiqué mon TDA, j'ai vu mes camarades changer d'attitude. Je me souviens que ça m'attristait. Je ne comprenais pas ce que ça changeait pour eux. Déjà qu'ils ne m'approchaient pas beaucoup, alors là... Je me suis même fait insulter quelques fois. On m'a déjà traitée de débile et même d'arriérée. Non mais sérieusement, est-ce qu'ils ont déjà lu la définition d'arriéré dans le dictionnaire ? J'en avais parlé à mon père qui avait tapé un scandale à l'école. Il ne supporte pas qu'on me fasse du mal. Surtout que pour une fois, je n'avais rien fait. J'ai rapidement compris que les enfants sont cruels entre eux. Mon père m'a appris à les ignorer. Il me répétait que c'était eux qui étaient idiots et que je ne devais m'en rendre malade. S'ils étaient méchants avec moi et bien tant pis, c'était qu'ils n'en valaient pas le coup. Je devais me trouver d'autres amis. Il m'a appris à me défendre contre eux, à répondre avec mes mots. Est-ce que ça a été difficile ? Vous vous doutez bien que non. Déjà enfant, je ne me laissais pas faire. Ils attaquaient et je répliquais. Mais jamais dans la violence. Voilà quelque chose que je n'ai jamais fait à mon père : me battre.

En fait, ce handicap me sert aussi de prétexte pour ne pas suivre. Parce qu'en réalité, on en revient toujours au même point, je ne suis pas les cours parce que je n'en ai pas envie.

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