La Culture Du Clash
"Je la déteste", "Je peux pas le saquer", "Oh non encore lui!", "Alors elle, je comprends pas", "Je peux pas le supporter".
Toutes ces phrases, on les entend tout le temps, on les dit également.
Culture du clash... Culture du cash, grâce à toi on ne se rassemble plus autour d'intérêts communs, mais on se régale, on se délecte, de partager les mêmes répulsions. C'est comme s'il y avait une solidarité enthousiasmante à haïr ensembles. Une unité dans la division. C'est quand même drôle ! Désigner un ennemi et se convaincre qu'il l'est bel est bien vous permet de cracher à l'extérieur tout ce qui vous ronge un peu trop de l'intérieur. Rhétorique malveillante généralisée. Une vraie métastase.
Un discours nuancé n'a pas de succès parce qu'il manque de spectaculaire. Néanmoins, avec la haine... On assiste à des pertes de contrôle en chaîne, ridiculement pathétiques ! Riposte, réflexe, contre-attaque, offensive. Lutte, combat, clash. Bashing ! Basher comme un gamin gratterait la croûte d'une blessure. S'acharner à décrire son mépris, à le formuler en de multiples tweets et sous-tweets - si compte est que ça ne dépasse pas les 280 caractères maximum. Toujours à l'affût des likes et prêt à dégainer dès le premier commentaire venu. C'est un peu à la manière d'un emploi du temps, un alibi qui permet de s'illusionner sur sa propre détresse ou son propre ennui. Les deux ? Autre chose ? C'est peut-être propre à chacun.
On fait de ce désœuvrement une pseudo occupation. Et on est là, captif, dépendant, anxieux, triste. Et je m'empêche de dédier cette énergie à une autre tâche plus constructive, plus importante. Parce que... Parce que j'ai peur ! Je ne sais plus faire ces sortes d'efforts ! Je ne sais plus faire l'effort de déconnecter. Je ne sais plus faire l'effort d'ignorer les notifications. Je suis prisonnière, dépendante, folle furieuse. Parce qu'aller chercher le meilleur en soi... Créer de la valeur à partir d'idées personnelles - ce que de base, je ne pense pas pouvoir bien faire ... Au lieu de s'indigner à tout va et de prendre parti, ça demande une sacrée force ! Et les gratifications immédiates ne sont pas toujours au rendez-vous. Ça demande du temps. Ça demande du recul. Laisser mûrir les pulsions avant d'être leur esclave. Trier, intégrer et digérer les informations.
La haine ne produit pas de valeur. Elle en enlève. Elle t'éloigne de toi. Elle t'éloigne de celui que tu pourrais, voudrais, rêverais d'être. La haine n'est pas réfléchie, elle ne concorde donc pas avec nous-mêmes.
Les médias ne nous aident pas non plus. Ils nous traînent vers eux, non pas parce qu'ils ont des choses importantes à nous dire ou à nous montrer, mais parce que c'est dans leur intérêt de nous d'exciter nos instincts primaires voire grégaires. A susciter la haine, on nous met et on se met des œillères. Est-ce que les journalistes ne devraient pas être ceux qui investiguent et nous empêchent de tomber dans le fossé de la facilité ? Est-ce que eux parmi tous ne devraient pas être d'abord prudents avant de répandre des sources de haine ? De répandre la haine ? Au lieu de ça on les voit débarquer dans le cyclone avec tout le reste, contribuant à ce cycle lassant, exaspérant. Tyrannie du Buzz (mot qui, par ailleurs, décrit ce qui ne correspond pas à son usage ; le nouveau) et du Clic. Hantise des quelques minutes de retard sur l'info que nous aurait coûté la vérification, un avis personnel. Menace du commentaire vindicatif du lecteur grincheux. Le nombre d'abonnés, de followers vous monte à la tête. Et c'est un public qui applaudit, agenouillé sous votre clavier, se prosternant tel un groupe de moutons, qui attend de vous que vous fournissiez son spectacle. On se sent le devoir de s'indigner et d'exprimer sa haine, puisque c'est ce qui marche."Du pain et des jeux", disaient-ils déjà à l'Antiquité... Ça n'a pas changé depuis ; Diktat, règle semblant universelle s'appliquant à quasiment tout. Les gens de plaisent à assister ou à participer à des choses haineuses. L'humain est grégaire de toute façon.
Ce qui est pratique, avec la haine, c'est que le moindre prétexte sera grossi et caricaturé pour satisfaire au sensationnalisme du clash. Et si en plus on peut traîner das l'arène une personnalité ! Là... alors là, jackpot. C'est la promesse inconditionnelle de retweets et de likes, et donc de visibilité et de lumière... lumières, le gain d'attention. Les mêmes délires, les mêmes discours. Des petits juges, des petits tribunaux numérique. Les petits justiciers, les petits vengeurs (coucou les SJW).
Vous blessez et vous vous blessez. Il fait bon de se plaindre de tout et de tous, inlassablement. Ainsi, ceux qui avouent aller, ceux qui avouent aimer, sont moqués. Le jugement. Je ne vais pas oser dire que j'aime... Par contre, me déchaîner, ça... C'est horrible ! C'est horrible qu'on en soit venus à ne plus oser dire qu'on aime quelque chose parce qu'on sait qu'on va prendre les 10 000 blaireaux qui n'aiment et qui rageront pas dans la gueule ! Pourquoi on doit être aujourd'hui comme avant humiliés d'aimer, d'avouer d'aimer quelque chose ?! C'est déprimant. C'est morbide.
Les réseaux sociaux vous donnent l'impression d'un monde... où on se sentirait entourés de dizaines de gens prêts à se battre avec vous pour un mot de travers. Et ce monde n'existe pas... encore ? Pourtant, il pousse des portes, même celles de chez moi. Ce monde je le transporte dans mon lit. On en est venus à s'exposer, plusieurs fois par jour, parfois même plusieurs heures par jour, à la sauvagerie du fil de commentaires d'un post Facebook. Il faut réagir vite, et les discours sont le plus souvent appauvris. C'est une course permanente où il ne nous est plus permis de réfléchir avant de balancer. Et après, même pas le temps de s'occuper des dégâts parce qu'on est déjà passés à autre chose, à un autre combat.
Le mépris ambiant met en péril ton rapport apaisé à toi-même et aux autres. Et si tu n'es pas en accord avec qui tu es, c'est la dérive quasi évidente vers l'amertume. Et donc l'infiltration d'encore plus de haine dans ton quotidien, voire même dans tes pensées et tes propos. Il n'y a pas d'excuse pour la cruauté. Aucun internaute ne devrait s'octroyer le droit de condamner un individu dans l'ensemble de son être sur la base d'une info, probablement acquise dans la haine ou des infos attisant la haine.
On se laisse haïr par des gens qui n'ont aucune idée de qui nous sommes, et vice versa ! Et on les laisse entrer chez soi... comme des poux. On les laisse franchir la barrière de notre chambre. On les laisse ramper jusqu'à notre lit et littéralement chier dans nos rêves. Tout ça parce qu'on a perdu un peu d'espoir en ce qu'on était mais où trouver l'espoir putain ? Quand on nous humilie d'espérer, et que c'est tellement mieux de revendiquer de manière biaisée et simpliste que ça va mal, que le monde est pourri.
J'aimerai savoir, vraiment, quel soulagement, quelle satisfaction objective y a-t-il à médire et à haïr sur les réseaux ? Les jugements finis à la pisse ou faits à l'emporte-pièce, les commentaires provocateurs, les insinuations... Ça fait mal. Ça fait mal ! Et on ne l'avoue pas assez ! Qui a déjà répondu "Tu me blesses" en réponse à un commentaire qui t'avait effectivement blessé(e) ? Personnellement, je ne l'ai que très rarement fait. On ne l'avoue, on ne le signale pas assez. Plutôt que de se mettre en mode "réflexe clash contre-attaque" direct ; Sagesse, intelligence, calme, mesure... mesure... "Tu me blesse". Mais la douleur ne peut pas, ne doit pas justifier des répliques malveillantes à dessein. On ne peut pas souhaiter blesser - pas sans être un véritable idiot irréfléchi, on ne peut pas. Bien sûr qu'on peut se tromper, être maladroit, se méprendre... et ce car on a tout à apprendre ! On se doit de grandir et de mûrir, oui, encore ! Mais souhaiter le mal, sérieusement ? Les méchants sont méchants parce qu'ils souffrent ? C'est pas une justification valable. Cherchent-ils à monter une armée de méchants ? Ne te laisse pas embrigader par ces conneries.
L'attaque n'est jamais une solution, je serais sûrement toujours du côté de ceux qui créent plutôt que de celui qui attaque. Travailler à aller bien, à aller mieux individuellement comme collectivement. C'est difficile ! C'est beaucoup plus difficile ! Mais c'est une garantie de moins souffrir.
Je suis sûrement mal placée pour pouvoir dire que j'ai vécu des grands moments sur ces fameux réseaux sociaux, surtout à l'échelle de mon histoire personnelle. Nous sommes formatés pour en attendre quelque chose, parfois attendre beaucoup. Mais quand on s'abstient de visiter ces sites, on a plutôt tendance à se féliciter d'avoir occupé son temps à autre chose. Ce n'est pas vraiment une activité qui fait ressortir le meilleur de soi, parfois elle fait même le strict opposé. Et elle peut te vider, te voler, t'abîmer, te prendre.
Parfois... il faudrait se désintoxiquer. C'est comme une addiction, c'en est une en fait. Parfois l'intensité des échanges dépasse celle qu'on pourrait vivre avec quelqu'un irl, quelqu'un auquel on tient ! J'ai tendance à considérer les notifications comme des mirages ; elles te taxent ton attention, qui est loin d'être illimitée.
Déconnecte-toi. Réfléchis. Apprends à tempérer toutes tes passions tristes, celles qui blessent et te blessent. Confronte-toi au vide, à toi-même ; Divertis-toi de ton propre ennui. Apprends à t'ennuyer pour de vrai et à te confronter à ta solitude, au lieu d'imposer ton désœuvrement, là, à tout le monde sur les réseaux sociaux.
Mise sur toi, mise sur ton propre bien-être et même celui de ceux qui t'entourent. Mise aussi sur le meilleur de toi. Prends le temps de t'accorder une distance avec tout ce qui est connecté, de temps en temps, mets toi en "mode avion". Internet a tendance à s'immiscer entre la vie et toi, il peut t'empêcher d'accéder à ce qu'il y a de plus important ou de plus intéressant, et tu le sais ! Parle aux gens qui comptent, à ceux que tu aimes, dis-leur ! Fais-leur des signes, à eux, les vraies bonnes notifications ! :)
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