Il faut garder en soi la possibilité de désobéir. La désobéissance est nécessaire à la démocratie.

Pourquoi ?

On ne va pas parler de la transgression criminelle des lois ou même des incivilités. Ce que je désigne en utilisant le terme "désobéir", c'est le témoignage d'une capacité à commencer quelque chose. C'est au sens de l'ouverture d'un monde des possibles.

Il serait donc dangereux d'obéir ?

Au 20ème siècle, pour la première fois (avec le Nazisme et autres par exemple), on s'est aperçus qu'on pouvait devenir un monstre, être un monstre par son obéissance. Pourquoi ?  Parce qu'on est prêt à exécuter des ordres qui peuvent être tout à fait ignobles, inhumains sans se poser la moindre question.

La démocratie est faite d'un certain nombre de règles. Il existe par exemple des règles de distribution de la parole, des règles majoritaires, etc. Et ce sont ces mêmes règles, ces mêmes principes qui font l'architecture d'une vraie démocratie. Mais une démocratie ne peut pas vivre sans qu'il y ait de la part et à l'intérieur de chaque citoyen une vigilance constante vis à vis du pouvoir. Cette vigilance, c'est ça que j'appelle la désobéissance.

Est-ce que la France désobéit encore 50 ans après mai 68 ?

Ce qui est assez étrange et paradoxal c'est qu'à notre époque, on ne nous a jamais autant demandé d'être nous-mêmes, de partir à la conquête de nous-même, de nouvelles connaissances voire du monde... et on a pourtant jamais été aussi conformistes et conformés.

Des enjeux nouveaux sont apparus ; par exemple les problèmes liés à l'environnement, la dégradation de l'écosphère... On peut aussi penser à la multiplication des inégalités sociales et à leur approfondissement. Nous faisons face à de nouvelles problématiques vraiment importantes pour notre avenir.

Il y a aussi de nouvelles formes, de nouvelles stratégies de désobéissance.

Ce qui a changé le plus profondément, à mes yeux, dans cette désobéissance c'est qu'elle n'a plus comme horizon : le progrès, la certitude que les générations qui viendront après les nôtres seront plus heureuses et vivent mieux. Ce qui a changé, c'est que ces formes de désobéissance s'inscrivent dans un horizon qui est celui de la catastrophe.

Néanmoins, ce qui peut apparaître comme un horizon tout à fait noir pourrait devenir l'occasion d'une nouvelle ressaisie et d'une nouvelle chance politique. La formation et le développement de nouvelles solidarités, à partir de l'idée que nous sommes tous des habitants d'une même Terre.

Je crois que c'est nos générations, nous tous, qui pouvons avoir des développements notamment politiques réellement cruciaux.