Juste une seconde entre deux étoiles, une éternité dans un monde différent. Un monde où les arbres sont alignés comme des soldats qui paradent. Leurs troncs attachés au sol par des racines carrées et de drôles de fruits qui pendent à leurs branches. Les nombres suspendus offrent leurs formes rondes et droites au soleil qui bouge au rythme des aiguilles qui le pressent. Rangées symétriques, nature domptée, se pliant aux caprices des mathématiques. Les statues des fontaines de ce jardin représentent des machines aux angles saillants, des fils de couleurs différentes sans être très diverses. Simple commodité pour être immédiatement informé, rien n'est oublié, tout est rentabilisé. C'est ici la seule surprise de ces jardins scientifiquement mathématiques : une équation quelconque à l'angle d'un chemin. Résolue, elle est rangée bien soigneusement. Rangée, triée, classée méthodiquement dans une boîte précise. Pas de mélange entre chapitre mathématiques ! Et cette horde de scientifiques en blouse blanche éclatante partant de plus en plus loin pour capturer les mystères sauvages et les soumettre à des analyses toutes plus complètes les unes que les autres, puis les ranger, trier, classer dans une petite boîte une fois apprivoisés, résolus, domptés. Les rouages bien huilés résistent aux siècles, tandis que certains cassent. Mais sans relâche, cette armée blanche se penche sur le problème, le tourne en tous sens, le résout en l'améliorant ou le recréant de toutes pièces et les rouages reprennent leur course. Ici, on réfléchit avec des inconnues, on résonne avec des fonctions, des graphiques hautement mathématiques. On expose ses découvertes sous formes de théorèmes ou d'expressions littérales pesant leur poids en racines carrées et en carrés. Les nombres positifs se battent et gagnent quand ils sont impaires, au contraire quand ils sont pairs, ils perdent la bataille. Somme toute, l'ordre règne dans ces contrées pour les esprits logiques, carrés aux engrenages bien entraînés quand il s'agit de démontrer.
Loin de là, à l'extrême opposé de ce pays aux moeurs rigoureuses, un lieu où rêver et créer sont les mots d'ordre. Ici, adieu la géométrie ! Un vent de folie souffle constamment sur les promeneurs aux tenues bariolées en quête d'une idée. Soudain, un éclair jaillit, illumine et stoppe un court instant le flot des pensées. Voilà l'inspiration tant recherchée ! Les idées naissent toutes ainsi : un petit bout d'étoile blanche qui choisit une cible. Un esprit qui va s'occuper d'elle. Elle se laisse attraper, puis cajoler par cet esprit qui prend soin d'elle. Il ne la lâche plus un instant, ne la quitte plus. Il la chérit et elle grandit. Son rayonnement s'intensifie pour ne plus laisser les autres idées s'emparer de l'attention de cet esprit. Et dans tous les coins de ce jardin, surtout les plus insolites et inattendus, des penseurs solitaires qui nourrissent ces idées. La plume à la main, quelques notes envolées, quelques pas esquisses, quelques coups croqués pour un travail tout sauf vain. Les idées changent de forme à leur réalisation. Alors que la plume court sur le papier, qu'une mélodie s'élève, que le crayon s'agite furieusement en tous sens, que les membres battent la cadence, les idées se métamorphosent. De lumière éblouissante, elles se voilent de couleurs. Rouge, vert, violet, bleu ou orange, pure, nuancée ou mélangée, une palette de couleurs uniques se cré. Chaque idée garde sa couleurs et aucune autre ne peut la lui voler. Une fois l'étoile colorée, une forme se dessine dans l'espace et prend place dans le décor. Une fleur vient de naître. Voilà toute la beauté de ce paysage où les fleurs multicolores ont envahi toute place. De formes, couleurs et senteurs différentes, à jamais uniques, elles représentent les personnes qui les ont nourries. D'origine, de couleur, d'apparence différentes, qu'importe! Ce sont tous des Hommes, ce sont toutes des fleurs ! Les rêves et les opinions divergent, mais qu'importe ! Ici comme ailleurs, la diversité fait la beauté! Et toutes ces idées se côtoient comme les Hommes : peintres et danseurs, écrivains et musiciens, poètes et chanteurs...
L'harmonie partout règne. Quelques frottements et étincelles inévitables, mais dans chacun des mondes l'harmonie, douce et paisible règne. Mais il arrive que ces mondes opposés se rencontrent. La folie colorée, énergique et pleine d'idées rencontrant brusquement son opposé : une folie rigoureuse et mathématiques, saupoudrée d'un peu de physique qui fait toute la chimie de cette folie-ci ! Elles se rentrent dedans et bouleversent leurs connaissances. Ignorantes l'une de l'autre, mais toutes aussi curieuses, elles observent et pénètrent non sans dommage dans cet univers inconnu. Un souffle d'ordre se repend sur les idées dérangées. Certaines arrêtent leur course folle pour raisonner un instant et s'enrichir de ces connaissances tandis que les autres les dédaignent. Pendant ce temps, un vent de panique a soufflés chez les scientifiques déboussolés. Ils arrêtent soudainement de s'agiter, le couper gonflé de chiffres. Ils s'arrêtent une minute pour souffler et observent cette folie se révéler. Méfiants, ils finissent par se laisser porter par cette folie qui les arracher quelques instants à leurs feuilles saturées de calculs. Détendus, ils se laissent submerger par le rêve offert sans compter.
Ces douces folies ne se quittent plus. Elles ont compris qu'elles avaient besoin l'une de l'autre, pour faire rêver ces armées de blouses blanches et enrichir les idées colorées...

Vendredi 21 avril 2017