Songe polychrome

Parfois, il arrive même à la lugubre corneille, entre deux journées passées à palabrer avec le deuil, de rêver. De ces songes radieux elle garde un souvenir étanche, car l'écrin du malheur est le mieux désigné pour préserver ces quelques bonheurs de l'infortune du temps.
Parfois, loin de tous ses désastres, la voilà transportée dans un monde mirifique, où l'odeur du sol enivre, où les éclats des astres étincellent en chœur, où l'harmonie ici installée rend apaisé et où tout semble source d'extase.
La dame noire pleura.
Comment lui en vouloir, elle qui, désespérée, avait toujours cherché à tirer sa richesse des monts escarpés et des marécages enlisés, la voilà non pas devant, mais parmi plus qu'elle n'aurait jamais espéré en quittant son pays. Quel bonheur! Quelle sérénité! Elle ne voulait plus bouger, elle souhaitait rester ancrée dans le sol, de peur d'être renvoyée chez elle sans n'avoir pu profiter. Puis une main, douce et tiède comme le zéphyr, la transportait là-haut, où surprise, elle pût voir la mer. Ce fut splendide, les flots aux teintes de pastel scintillaient chaleureusement, ils paraissaient même lui sourire, avec leurs calmes et bas reliefs. Et, lorsque le soleil se coucha, le crépuscule fut rayonnant, jetant des rayons arc-en-ciel dont le fond transparent projetait les reflets, parvenus à leur hôte et la chatouillant, réussissant même à lui faire esquisser un sourire, enfin.
Quand le spectacle fut fini, elle fut reposée à terre, parmi ses nouveaux amis dont le statut semblait pourtant imprégné dans son cœur depuis une éternité. Et ensemble, grâce à leur psyché sans aspérité, ils mirent la sienne à nu, lui enlevèrent ses différents masques et lui retirèrent les fléaux de l'esprit. Dans ce lent élan, cette union où les humeurs se propageaient en osmose, tout était partagé, et la corneille pleura une seconde fois.

Le 19/04/2019

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