Chapitre 21 : La Colère
Rome, la belle, la pieuse, comportait un nombre incroyable de croyants. Certains avaient de hautes fonctions, certains étaient humains, d'autres non. Dans tous les cas, l'identité païenne de ces créatures était ignorée du commun des mortels.
S'il se plaisait à vider de leur sang des brebis humaines trop crédules, Caïus restait à la face du monde un cardinal respecté.
Pour tous.
Pourtant, installé à son bureau, occupé à régler les affaires de l'Église, il se retrouva soudain le front fracassé contre ses papiers. Une fois, deux fois, trois fois, avec une telle force qu'il sentit son nez se briser au troisième impact.
Il chercha à se dégager, mais une main l'empoigna par la nuque, la balançant avec une telle force contre le mur de la pièce qu'il en eut le souffle coupé. Les yeux voilés par la douleur, il se sera effondré, si une lame ne s'était plantée dans la pierre, juste sous ses parties intimes. Livide, il ne bougea plus, sentant le fil de l'épée tout contre ses bourses.
-M... Marie ? bafouilla-t-il, crispé au possible, du sang dégoulinant sur son menton de son nez cassé.
La porte ne lui offrirait aucune échappatoire. Déjà, les gardes en faction tentaient de rentrer au vacarme entendu. Mais un sceau rougeoyant en bloquait l'entrée.
Le vampire se trouvait donc seul, face à une Marie à la colère létale.
-Où se trouve Madeleine ? gronda la sorcière.
-Que... Madeleine ? Je ne sais...
Il ne reçut ni coup de poing ni coup de pied. Non, sa rage était au-delà de tout cela. La décharge électrique le secoua tout entier, l'empêchant de tenir en place. La lame sous ses bourses lui trancha la peau, sans qu'il puisse s'empêcher de convulser. Quand la décharge cessa, il tenait à peine sur ses jambes. Un humain en serait mort.
-Où est Madeleine ? siffla Marie en le saisissant par les cheveux.
Caïus vivait depuis longtemps, pour autant, il n'avait aucune envie de mourir.
-Je... ne sais pas...
Contre toute attente, elle empoigna ses testicules à pleines mains. La décharge fut si puissante qu'il en perdit connaissance. Pour peu de temps. Une autre, plus faible, le tira vers la conscience, sans le priver de la douleur.
D'une main sur sa gorge, Marie le tenait contre le mur. Dans ses yeux, nulle trace de pitié.
Tout ce qu'il y voyait, c'était la Colère.
-Tu... te laisses... dominée par... ton Péché...
-Dernière chance, Caïus. Où se trouve Madeleine ?
-Je... me suis pas.... Occupé d'elle... C'est... Vertus...
-Où mettent-ils leurs prisonniers ?
-Je.. sais pas...
-Tu es inutile. Barbatos !
Aussitôt, il vit l'ange déchu apparaitre derrière elle. Nulle trace de compassion chez lui non plus.
-On s'en va, fit la sorcière en le lâchant, pour venir poser sa main sur son épaule.
Sur quoi ils disparurent. Pourtant, juste avant, Caïus croisa le regard de l'ange. Un frisson de terreur le secoua lorsqu'ils furent paris.
Ce regard, il le connaissait.
C'était un avertissement, autant qu'une condamnation à mort. S'il pourchassait Marie pour ce qu'elle venait de lui faire, cet ange-là mettrait un terme définitif à son existence.
*
-Le meilleur moyen pour trouver rapidement Madeleine, c'est de me faire capturer.
-Je suis contre.
Marie abattit son poing sur la table de l'auberge où ils prenaient une pause. Pause forcée, car la sorcière aurait continué ses recherches aveuglément. Et maintenant, ce salopard osait s'opposer à sa décision !?
-Je suis recherchée par toutes ces foutues Vertus ! S'ils me trouvent, ils m'emmèneront jusqu'à Madeleine !
-Rien ne te le prouve ! rétorqua Barbatos, sur le même ton.
-Sacrelote ! Je n'ai pas besoin de ta permission pour faire quelque chose !
-Le bon sens est en train de perdre face à la Colère ! S'il le faut, je t'enchaine et je te ramène illico à l'abbaye !
-Ramène-moi et je t'arrache les couilles !
-Bon sang, Marie ! Écoute-moi ! Si tu vas dans l'antre des Vertus en tant que prisonnière, ils auront tout le matériel pour te contraindre ! Vous êtes adversaires depuis votre création !
-Mais...
-Ils ont le soutien du Créateur, pas toi ! rugit Barbatos.
-J'en ai conscience, bordel ! Mais jamais je ne laisserai Madeleine là-bas !
-Ils ont le Créateur, tu as un déchu et deux démons de ton côté ! Utilise-nous, au lieu de faire de toi l'agneau sacrificiel que le Créateur voit en ta personne !
-Je ne suis pas un agneau sacrificiel !
-Alors, cesse de te laisser dominer par la Colère !
-Va te faire foutre, Barbatos !
Elle sortit de l'auberge telle une furie. L'ange adressa un regard à ses deux amis, en train de mastiquer sereinement leur repas, avant de partir à sa suite. En quittant le bâtiment, il la découvrit cernée de cinq soldats. Déjà !?
-Qu'as-tu donc fait en un aussi court laps de temps ? demanda-t-il à la sorcière, qui le fusilla du regard.
-Rien.
-Marie la sorcière, Pécheresse, au nom du Créateur, nous vous arrêtons !
-Tiens, ça tombe bien, déclara-t-elle. Allons-y.
Les soldats étaient des humains. Barbatos abattit une main sur l'épaule de Marie, tout en dardant un regard dangereux sur ces hommes en armes. Ils le regardèrent, lui, le colosse blond à la peau pâle, avec une barbe trop fournie pour un Romain. Ils virent en lui un barbare.
-Touchez-la, et vous êtes des hommes morts.
-Et si je veux me faire amener ? rétorqua Marie avec hargne, les poings sur les hanches.
-S'ils sont morts, personne ne t'emmènera, gronda-t-il, en plantant son regard céruléen dans le sien.
-Splendide. Et comment on fait pour trouver Madeleine, si personne ne m'emmène ?
-On cherchera.
-Heu... fit un soldat, pris de court par cette dispute.
-Chercher !? Ça fait déjà des jours qu'elle est entre leurs mains ! Et a ton avis, ils lui font quoi ? Rien ! Rien du tout ! Le seul moyen d'empêcher quelqu'un de la culbuter, c'est de la mettre à l'isolement total ! Et tu sais à quel point elle souffre quand personne ne la touche !
-Je le sais parfaitement ! rugit Barbatos. Mais nous avons quoi, comme options, hein !?
-Laisse-les m'emmener ! Et toi, tu te débrouilles avec tes deux démons !
Barbatos se massa les tempes, avant de la pousser vers les humains.
-C'est bon, je vous la donne. Elle me gonfle.
Marie lui fit un doigt d'honneur, les soldats hésitèrent un instant, avant de l'embarquer. Ils n'avaient pas tout compris. Retournant à l'intérieur de l'auberge, Barbatos fit signe aux démons.
-On bouge.
Il fallut près d'une heure pour que les Romains ramènent Marie jusqu'à une possible prison. La foule dans les rues les bloqua plus d'une fois. On leur demanda qui était la donzelle qu'ils surveillaient de si près. L'un des soldats mit la main aux fesses de Marie, qui lui brisa le nez. Une bonne chose.
Sur les toits de Rome, Barbatos bouillait intérieurement. Cette femme, cette tête de mule...
La voir cheminer seule le rendait fou d'inquiétude. Car, sous l'emprise de la Colère comme elle l'était, tout pouvait arriver.
Marchant sur les tuiles orangées des insulae, Barbatos se prit à songer aux suites de la bataille. Tout en la surveillant du regard, en contre bas, il regretta de ne pas avoir eu l'occasion de lui parler. Dès son retour de la maison d'Alastor, il s'était mis en surveillance. À n'en pas douter, un ange ou deux chercheraient à provoquer Marie. Ça n'avait pas loupé.
Leur façon de penser, il la comprenait en partie pour avoir été leur frère durant des millénaires. Toutefois... Beaucoup de choses avaient changé depuis sa déchéance. Il trouvait le comportement de certains étrange. Ils étaient bien trop hargneux pour des êtres touchés par le divin. De plus, ils semblaient se focaliser sur Marie pour une raison qui le dépassait.
Il n'était plus des leurs. Pourquoi en vouloir à ce point à la sorcière pour être proche de lui ?
Dans tous les cas, il avait eu raison. Néanmoins, de tous, il aurait pensé que Raphaël serait le plus prompt à le trahir.
Car à n'en pas douter, l'un de ses anciens compagnons d'armes l'avait vendu aux démons. Sinon, ils n'auraient jamais trouvé la grotte qui était une de ses anciennes tanières, ni même l'abbaye de Morteruine.
Si ce n'était pas Raphaël, alors qui ? Gabriel, non. Il haïssait trop les démons pour cela. Les autres ? Il ne les avait pas revus depuis son réveil. Enfin... Vu comment les choses risquaient de tourner, il se doutait qu'il allait en croiser quelques-uns encore.
Mais pour lors, il déplorait surtout que l'intervention de son ancien ami ait déclenché la fureur de Marie. L'annonce de la détention de Madeleine avait été faite le midi. Et, en cette même fin de journée, ils se trouvaient là. Elle, en bas avec les gardes. Lui, en haut en train de guetter le moindre souci.
Quand le groupe en contrebas s'arrêta devant une imposante caserne, il avisa les lieux. Le bâtiment devait avoir une centaine d'années, tout au plus. Debout sur le dernier toit avant cette possible prison, Barbatos avisa les lieux. Une grande cour, cernée par un épais mur. Une porte de bois gardée par deux gardes en faction, et une autre de l'autre côté du bâtiment. Dans la grande cour intérieure, des hommes s'entrainaient au tir à l'arc, d'autres au maniement de l'épée. Sur la droite de Barbatos, les baraquements principaux étaient énormes, tout en étant parfaitement entretenus. Donc, il s'agissait là d'un haut lieu du pouvoir armé.
Il était tout à fait probable que les Vertus se trouvent ici.
Néanmoins, il devait intervenir. Marie était sur le point de franchir les portes, et ils ne savaient pas s'ils avaient posé de quoi la neutraliser à l'intérieur.
Sautant du toit, Barbatos déploya ses ailes. Fondant vers le groupe armé, il entendit le froissement des plumes, un instant avant d'être percuté. Le souffle coupé, il fut projeté contre l'insulae la plus proche. Son corps percuta la façade de pierre brute, sans la faire céder pour autant. Il se rattrapa de justesse à l'une des fenêtres, avec un juron colossal.
Mais son adversaire avait la rage au cœur.
L'empoignant par sa tunique toute propre, Gabriel lui assena un coup de poing violent au visage, ce qui le fit chuter. Les yeux grands ouverts, Barbatos se vit tomber plusieurs mètres en contrebas, pour traverser l'auvent de tissu d'un petit vendeur de poterie. Il fracassa les créations en terre cuite en atterrissant dessus.
Dans un nuage de poussière ocre, Barbatos émit un gémissement un peu misérable.
Les battements d'ailes de l'archange Gabriel balayèrent la fausse brume. Le visage dur de son ancien frère était fendu d'un sourire méprisant.
-Mon frère... Te voilà devenu bien faible.
Époussetant sa tunique, propre il y avait encore peu, le déchu poussa un soupir.
-Et toi, toujours aussi stupide, Gabriel.
-Quoi !?
Barbatos lui adressa un sourire moqueur.
-Alors, alors... Sais-tu que la fourberie est devenue l'une de mes compétences, avec ma déchéance ?
*
Des cris retentirent autour d'eux. En voyant Barbatos tomber, pourchassé par un autre ange, Marie aurait pu paniquer. Elle aurait pu implorer le Créateur de sa clémence face à cette apparition, tout comme les soldats qui l'encadraient.
Néanmoins, les choses n'étaient pas prévues ainsi.
Quatre doubles de Nergal surgirent de la foule, tranchant la gorge de son escorte sans l'ombre d'une hésitation. Les deux devant la porte reçurent un couteau de lancée en pleine tête, de la part de deux autres incarnations du démon. On pouvait dire ce que l'on voulait, les amis du déchu étaient sacrément efficaces.
-Ne perd pas de temps, déclara Nergal en regardant en direction des anges. Barbatos ne pourra pas détourner l'attention bien longtemps. Si d'autres anges rappliquent, la situation va se compliquer.
-Je le sais, siffla Marie, furieuse d'être ainsi reprise.
Plaquant ses mains sur la lourde porte de bois, elle fit surgir plusieurs cercles de runes autour de ses mains. L'instant suivant, les panneaux de chênes tombaient en cendre devant elle. Beaucoup plus simple que sur un corps humain.
Au-delà, ils virent une dizaine d'humains en arme se tourner vers eux, les yeux écarquillés.
-Je m'en occupe, déclara le démon. Fonce.
Se retrouver confrontés à une vingtaine d'exemplaires de la même personne fit cafouiller leurs adversaires. Cela couta la vie à nombre d'entre eux. Mais Marie n'avait pas le temps de s'appesantir sur le sujet.
Fonçant vers les baraquements, sur sa droite, elle monta la volée de marches quatre à quatre. Elle ne savait pas où chercher Madeleine. Aussi retournerait-elle les lieux de fond en comble si cela lui permettait de la retrouver !
En rentrant dans la salle commune du premier bâtiment, elle tomba sur cinq humains, déjà debout en raison du raffut à l'extérieur. Faisant fi des convenances, elle les électrocuta. La résistance humaine était bien moindre comparée à celle des démons ou des vampires. Un seul éclair fut nécessaire pour les faire tomber au sol, inconscients.
Le cuisinier subit le même sort, ainsi que les deux soldats dans la chambre commune.
Sacrelote ! Elle ne trouvait rien !
Fonçant vers l'étage, elle ouvrit la porte à la volée. Les bureaux de commandements.
Là, elle tomba sur le visage ravagé de Théodorus.
La Justice.
Merde ! Il était déjà revenu à la vie !
Plongeant de côté, Marie évita de justesse la lame d'une épée, qui se planta dans le chambranle de la porte avec force. Effectuant un roulé-boulé avant de se relever avec souplesse, elle invoqua un bouclier, à temps pour intercepter la flèche qui rebondit dessus.
Théodorus, et Julius, la Foi.
Il n'y avait qu'eux deux ?
-Tu avais raison, Adam, déclara Théodorus. Un rat en appelle un autre.
Marie passa sur l'insulte.
Adam, la Prudence.
Assis derrière son bureau, le salopard n'avait même pas pris la peine de se lever. Derrière lui, Julius pointait déjà une autre flèche sur elle.
-La prudence est toujours de mise, mon frère, déclara Adam d'une voix douce. Bonsoir, Marie.
-Bonsoir, Adam. Alors, les têtes de cons, on voulait me voir ?
Les trois Vertus hochèrent du chef. Marie réfléchit à toute vitesse. De tous ceux en présence, Théodorus était le plus dangereux. Une chance pour elle, Samson était absent. Quant à Jonas, l'Esperance, et Matthias, la Charité, ils étaient à peu près aussi utiles au combat que la Gourmandise et la Paresse du côté des Pécheresses. Donc, elle avait les trois plus dangereux face à elle.
-Il parait que tu as mis les anges en colère, Marie.
-Ma seule existence les énerve.
-Il parait aussi que tu fricotes avec l'un des leurs. C'est un sacrilège, Marie.
La sorcière roula des yeux exaspérés. De derrière son bouclier, elle évaluait la situation. Adam était lui aussi un sorcier. Quand il se déciderait à attaquer, la situation allait se compliquer.
-Barbatos est un déchu, ce que nous faisons ne concerne plus les anges. Où se trouve Madeleine ?
-Tu le sais bien, à l'isolement. Nul ne peut l'approcher sans succomber à ses charmes. Et comme elle ne peut mourir, nul besoin de soins pour elle.
Marie ferma brièvement les yeux.
Ce qui impliquait solitude, faim, soif, et fièvre sexuelle inassouvie en raison de son Péché. Sans jamais pouvoir périr.
-Votre cruauté dépasse de loin la mienne, les Vertus.
-Assez parlé, déclara Théorodus. Adam.
L'attaque magique fracassa le bouclier de Marie. Les runes volèrent en éclats autour d'elle. Julius décocha sa flèche au même moment. A découvert, la sorcière invoqua une barrière de flammes pour incinérer le projectile, mais elle n'eut pas le temps de parer le coup de la Justice.
Une hache à double tranchant le fit à sa place.
Les Vertus se retrouvèrent soudain face à un démon coiffé d'un casque pourvu de cornes et d'un sourire railleur. Il repoussa l'épée de Théodorus, avec une telle force que ce dernier tomba en arrière.
-Ça va, ma poule ? lança Alastor en posant nonchalamment sa hache sur son épaule.
-Ouais.
-C'est qui le plus dangereux de ces bouseux, selon toi ?
-Adam, sorcier, au bureau.
-Parfait. Maintenant, dégage.
Profitant de son intervention, Marie fonça. Maintenant, elle pensait savoir où se trouvait Madeleine. En quittant le bureau des Vertus, elle entendit Al lancer :
-Alors, les culs bénis ? On veut jouer avec le démon ?
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