Chapitre 1 : Le Tombeau
Il pleuvait de trombes d'eau.
Marie réajusta son chapeau, pour que la pluie s'écoule au-delà de son nez. Cela formait une cascade entre ses yeux, mais c'était toujours mieux que d'être complètement trempée. Son lourd manteau, ses bottes montées à mi-cuisses et ses gants constituaient ses seules protections. Le reste ne lui offrait que bien peu de chaleur.
Aussi râlait-elle comme un putois tout en continuant sur le chemin sinueux.
-On aurait pu attendre que la pluie cesse, gémissait Madeleine à côté d'elle. L'aubergiste était partant pour un truc à trois, en plus !
-Moi, non. Et puis, les villageois allaient finir par foutre le feu à l'auberge, vu tous les ennemis que je me suis faits. Et tous les hommes mariés que tu t'es tapés. Autant prendre le large pour la journée.
-Tu sais très bien que je ne suis pas fautive.
-Je sais. Mais ça n'empêche pas que tu n'étais pas obligée de demander au forgeron de te prendre sauvagement sur son enclume, avec ses deux apprentis !
Madeleine fit une moue contrariée. Vêtue comme elle, elle avait une démarche féline et sensuelle.
-Tu aurais pu être de la partie. Trois beaux forgerons en sueurs avec leur grosse...
-Sacrelote ! Silence, Madeleine. Sinon je te jure que je te colle une culotte de chasteté jusqu'à notre retour au couvent !
-Oh !
Outrée par cette menace, son amie bouda une bonne partie du trajet.
Bravant les éléments sur un chemin boueux, elles étaient battues par le vent, le froid, et la pluie. Heureusement, cette dernière arrivait dans leur dos.
-Franchement, on aurait pu attendre demain.
-Sacrelote, Madeleine ! Tu as déjà vu un hiver dans le nord où il ne pleut pas !? On aurait pu attendre un mois qu'il pleuvrait toujours ! Alors, arrête de râler, et avance ! Moi aussi j'ai froid aux fesses, je sens plus mes orteils et je préférais me trouver dans mon lit ! Tu auras qu'à te plaindre à Élisabeth pour ses demandes à la c...
Le tonnerre retentit, comme pour censurer ses paroles. Marie regarda le ciel d'un air mauvais, avant de continuer sa route.
Elles virent la lumière dans la grotte avant de voir la falaise elle-même. Il y avait une mine, ici. Bon. Au moins, il ne leur pleuvrait plus sur la tête, une fois à l'intérieur. Sauf qu'à l'évidence, d'autres avaient eu la même idée qu'Élisabeth.
Trois pilleurs de tombe se trouvaient à l'entrée. Eux aussi râlaient au sujet du temps, pourtant, cela ne les empêcha pas de les repérer. De loin, et dans leur accoutrement, nul n'aurait pu les prendre pour des femmes. Néanmoins, quand elles s'approchèrent de la lueur des torches, leur visage trahit leur sexe.
-Tiens, tiens, des donzelles, fit l'un d'entre eux. Envie de prendre du bon temps ?
Ils étaient laids, ne sentaient pas bons, et pourtant, Marie se tourna vers son amie.
-Tu te sens de les gérer tous les trois ?
-Oh oui, roucoula Madeleine, comme si on lui faisait un cadeau inestimable.
Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle occupe les trois abrutis. Levant les yeux au ciel, Marie passa à côté de ceux qui, aussi surpris que ravis, se retrouvèrent à passer la meilleure nuit de leur vie.
Néanmoins, elle préférait rester vigilante. Il devait y en avoir d'autres. S'enfonçant dans la mine, elle prit l'une des torches de l'entrée. De toute façon, elle ne manquerait pas au bruyant quatuor.
La mine n'était pas bien profonde. Pour cause, toute activité avait cessé dès que le tombeau avait été mis à jour, voici quelques semaines. Elle le trouva bien vite, illuminé de bougies votives.
Dans une pièce dépourvue de toute trace d'humidité se dressait une statue. Levant sa torche, elle vit le beau visage d'un ange. Néanmoins, contrairement à bon nombre de représentation, il n'était ni petit, ni joufflu, ni frisé, ni souriant. Il était grand, massif. Les cheveux longs lâchés sur ses épaules, il portait une armure de guerrier, dont la facture, gravée dans la pierre, n'appartenait pas aux humains. Trois paires d'ailes étaient déployées dans son dos, et son air grave concordait avec sa posture. Le dos droit, les mains devant lui comme s'il tenait une épée, pointe vers le sol.
Sauf qu'il n'y avait plus d'épée, en dépit du fait que la statue n'avait pas bougé d'un pouce, vu l'absence de marques au sol.
Mmh.
Il était rare de voir le tombeau d'un archange.
Marie chercha une mention sur le socle, mais elle ne trouva ni date ni nom. Levant sa torche plus haut, elle eut le souffle coupé. Tout le plafond brillait, doré à l'or fin. Que... Il y avait la représentation du Divin, le regard tourné vers la statue, ainsi que des inscriptions latines.
« Je pleure toujours pour toi, mon fils, ma fierté, et pourtant déchu. »
Pas de mention de nom. Néanmoins, Marie fronçait les sourcils. Déchu ? Diantre ! Bigre ! Le bougre était un ange déchu !
Sourcils froncés, elle regarda de nouveau la statue sans âge. Un frisson d'inquiétude la secoua. Mieux valait ne pas trainer ici. Elle n'aimait pas les anges, alors les archanges, n'en parlons pas ! Elle se mit donc à la recherche d'un coffre, de quelque chose. Rien.
-Tu es qui, la garce !?
Sacrelote ! Elle était tellement absorbée par son inspection qu'elle en avait oublié de surveiller ses arrières. Au loin, elle pouvait entendre les ébats de Madeleine, tandis qu'un gaillard grand comme une maison lui faisait face. Un arc pointé sur elle.
Merde.
Il n'y avait aucune chance pour qu'il la manque, à cette distance. Et les flèches, ça faisait très, très mal. Surtout quand on les retirait.
Levant les mains en signe d'apaisement, elle fit un sourire à l'importun. Son visage était couvert de terre, ses vêtements étaient usés, mais son arc était bien entretenu. Il savait ce qu'il faisait, celui-là.
-Tu cherches quoi ? gronda-t-il.
-Comme toi. Un trésor.
-Y a rien !
-Vraiment ? s'étonna-t-elle faussement. Tu n'as rien trouvé ?
-Nan !
-Tu sais qui est passé avant nous ?
Il parut réfléchir, en l'examinant de la tête aux pieds.
-Nan.
Si. Il avait sa petite idée. Mmh, elle allait devoir l'interroger, celui-là. Néanmoins, elle n'avait pas le même tempérament que Madeleine. Ça se ferait dans la souffrance.
-Toi, je vais te baiser, morue.
Allons bon. Elle roula des yeux exaspérés. Les pilleurs de tombes, les pirates et les ivrognes avaient tous une chose en commun : ils pensaient avec l'intérieur de leurs chausses. Elle le laissa donc s'approcher, en dépit de son air avide. Comme si elle allait se laisser faire...
Néanmoins, elle n'eut pas à se défendre. Le temps d'un clignement d'œil, un autre homme apparut juste derrière le premier. Grand, blond, les yeux brillants de colère. Il se saisit de la gorge du pilleur de tombe, qui, ne l'ayant ni vu ni entendu, poussa un couinement de surprise très viril.
Stupéfaite, Marie le vit le plaquer à la paroi du tombeau, avec une telle violence que le pilleur manqua perdre connaissance. Il le tenait à un mètre au-dessus du sol, à bout de bras, comme s'il n'avait été fait que de vent. Que...
-On ne menace pas les femmes.
De toutes les répliques possibles, elle ne s'était pas attendue à celle-là. Médusée, Marie considéra le colosse, qui ne desserrait pas sa prise. L'autre hocha frénétiquement la tête, tout en tentant de se dégager. Ses pieds pédalaient dans le vide, comme ceux d'un pendu dont le nœud coulant avait été mal fait.
-'ui...msieur...
-Où se trouve l'épée ?
-Q... quelle...
Les doigts de l'inconnu s'enfoncèrent un peu plus dans le cou du pilleur de tombe. Contournant un peu ce beau monde, Marie vit le visage du blond. Propre. Parfaitement propre. Il ne pouvait venir du fond de la mine.
-L'épée est le trésor de ce tombeau. Où est-elle ?
-Ch... spa...
-Il n'en sait rien, traduisit Marie.
Les yeux bleus de l'homme se posèrent sur elle. Elle fut stupéfaite par leur pureté. Comme deux topazes parfaites. Plus encore que chez Madeleine.
-Par contre, je crois qu'il sait qui peut bien l'avoir.
Il reporta son attention sur le pilleur de tombe, qui s'empressa de répondre.
-Gh... Freddo... le Roublard...
-Où ? cingla l'inconnu, sa voix vibrant de rage.
-Gh... Ville... À côté...
Lâché d'un seul coup, le pilleur tomba sur les fesses tout en toussant comme un damné. Tournant les talons, le blond ne s'en préoccupa plus. Hum... Peu désireuse de se retrouver avec un attaquant probable dans son dos, Marie assomma l'homme, avant de suivre l'inconnu.
Il n'avait pas encore atteint le bout de la mine, où Madeleine continuait à s'amuser, qu'il se tourna brusquement vers elle. Haussant un sourcil, Marie soutint son regard. Il était très beau, voire même pur de visage. Ses longs cils blonds voilant presque ses iris, il baissa les yeux sur elle.
-Quoi ? grinça-t-elle.
-Je ne sais pas de quelle ville il parle.
Ça, pour le coup, elle ne l'avait pas vu venir. Il n'y avait qu'une seule bourgade pouvant être qualifiée de ville dans le coin, et c'était le plus gros port commercial à des kilomètres à la ronde. Elle considéra ce colosse, tout en remarquant qu'il n'était absolument pas mouillé. Pas une goutte d'eau, pas une trace d'humidité. Il ne venait pas de dehors. N'est-ce pas ? Mais alors, d'où sortait-il, s'il ne venait pas non plus du fond de la mine ?
-Freddo le Roublard a probablement le reste du trésor de cette tombe avec lui, déclara Marie en croisant les bras sous sa poitrine, bien campée sur ses jambes.
Il haussa un sourcil.
-Et alors ?
-Alors, je vous propose un marché.
Paraissant déconcerté, l'homme pencha légèrement la tête de côté. Marie sentait tous ses instincts faire sonner la clochette d'alerte. Quelque chose n'allait pas avec ce type.
-Je garde l'épée. Vous pouvez prendre tout le reste, décida-t-il.
Comme ça ? Sans négocier, ni rien ? Il cédait tout trésor hypothétique !?
-Allons-y, déclara-t-il en tournant les talons.
Médusée, elle lui emboita le pas. Une fois à l'entrée de la mine, il s'arrêta, tout en regardant le ciel noir et la pluie qui tombait à verse. En simple tunique blanche, pantalon léger et bottes fines, il allait finir trempé comme une soupe.
Néanmoins, ce n'était le problème de Marie.
-Attendez, je dois récupérer quelqu'un, fit-elle en se dirigeant vers une sorte d'abri improvisé.
Là, elle fronça le nez.
-Madeleine ! On y va !
Les hommes levèrent la tête vers elle, les joues rouges, à moitié nus. Son amie, elle, rit à gorge déployée.
-Oh, Marie, je te rejoindrais plus tard !
-Non. Tu ramènes tes fesses maintenant.
-Oh, la gueuse... Tu vas te joindre à nous !
Mais pourquoi tous les hommes pensaient-ils avec leurs chausses !? Voyant le plus proche tenter de l'attraper, Marie se saisit de son poignet, tout en lui décochant une droite qui l'envoya dans les pommes. Les deux autres beuglèrent aussitôt leur rage en se relevant.
Un mauvais sourire aux lèvres, elle se mit en position de combat.
Sa joie fut de courte durée. L'un s'empêtra dans son pantalon, de telle façon qu'il tomba sur son comparse, qui poussa un hurlement de midinette en se retrouvant en contact avec la verge de l'autre.
Bon sang.
Y avait même pas moyen de s'amuser.
-Bon, Madeleine, remue-toi un peu.
Tout sourire, cette dernière sortait déjà de l'abri, tout en refermant son pantalon. Seins nus, sa chemise sous le bras, elle ricana en regardant les hommes se disputer.
-Heureusement qu'ils étaient trois, sinon je n'aurais jamais pu y trouver mon compte. Certains ne sont doués ni avec leurs doigts ni avec leur b.... Mais c'est qui ça ?
Finissant de nouer le lien de ses chausses, Madeleine venait de se figer en découvrant le grand et blond inconnu. Marie remarqua que pas un seul instant il ne baissa les yeux sur la magnifique et fière poitrine de son amie. Il la regardait droit dans les yeux. Un bon point pour lui.
-Bar... Barnabé, fit-il, après un instant d'hésitation.
-Salut, Barnadé, roucoula Madeleine en chaloupant des hanches vers lui. Que nous vaut le plaisir de ta présence ?
L'attrapant par l'oreille, Marie la fusilla du regard. Se moquant bien qu'elle pousse un glapissement de douleur lorsqu'elle la força à se détourner, elle assena :
-Ca suffit, maintenant ! Tu te rhabilles et on retourne à l'auberge !
-Mais, tu sais bien que...
-Je sais surtout que tu es une capricieuse ! Trois dans la journée, plus celui de ce matin, c'est largement suffisant, même pour toi !
-Mais il a l'air bien, lui aussi !
-Je ne veux pas le savoir, Madeleine ! Et range-moi tes seins ! Tu vas attraper froid !
Avec l'impression d'être sa mère, Marie lui enfila de force sa chemise, avant de la menacer des pires sévices si elle ne se dépêchait pas. Exaspérée, elle se retourna vers le dénommé Barnabé, qui la regarda avec un sourcil haussé.
-Quoi ? grogna-t-elle. Oh, et puis, vous aussi !
Furieuse de perdre son temps, elle retourna dans l'abri de fortune, donna un coup de pied à un des amants de passage qui voulait l'attraper, avant d'en déposséder un de son lourd manteau. Ressortant de là, elle hocha la tête pour Madeleine, enfin prête, avant de jeter le manteau au colosse.
Surpris, ce dernier considéra le vêtement, avant de la remercier en l'enfilant.
-Vous avez un point de chute ? lui demanda-t-elle.
Comme il secouait la tête, elle n'insista pas. Lui enjoignant de les suivre, elle s'enfonça de nouveau sous la pluie, dans le froid et la boue. Il ne fallut pas cinq minutes pour que Madeleine se porte à sa hauteur, laissant Barnabé à quelques mètres derrière elles.
-Tu peux m'expliquer ?
-J'étais en train d'interroger le pilleur de tombe quand il est apparu, expliqua Marie avec agacement.
-Comment ça, apparu ? Il venait d'un autre tunnel ?
-Peut-être. Je ne sais pas. Il est trop propre pour venir de la mine, et il était totalement sec, donc il ne venait pas de dehors. Quoi qu'il en soit, il a fini de tirer les vers du nez du pillard. Mais Barnabé ne sait pas où se trouve la ville la plus proche.
Madeleine jeta un coup d'œil à l'homme derrière elles. Il lui adressa un signe de tête poli, sans paraitre s'offusquer.
-Mais comment il fait pour ne pas la connaitre !? Il n'y a qu'une seule ville dans le coin. Tout passe par là, dans la région !
Marie hocha la tête, tout en commençant à se dire qu'elle en avait marre de la pluie, du vent et de la boue. Elle voulait un lit chaud, voire même un bain chaud. Quel luxe !
-Justement, c'est bizarre, répondit-elle à Madeleine.
-S'il est bizarre, pourquoi ne pas le laisser sur place, alors ? On peut retrouver le voleur toutes seules. On n'a pas besoin d'un homme pour ça.
Cette fois-ci, ce fut Marie qui le regarda par-dessus son épaule. Leurs regards s'accrochèrent. Alors, elle remarqua qu'en dépit du rideau de pluie qui les séparait, elle voyait très nettement ses yeux bleus sous son capuchon. Mmh...
-Ce genre d'homme, on est soit avec lui, soit contre lui.
-Et c'est censé nous faire peur, ça ? railla son amie.
-Non. Mais il pourrait nous mettre des bâtons dans les roues. De plus...
Elle lui expliqua à quoi ressemblait la tombe. Pour le coup, Madeleine faillit s'en décrocher la mâchoire. Un archange, c'était une chose ! Mais un archange déchu !? Qui pouvait donc bien être représenté sur le gisant !?
-Tu crois que c'est juste en hommage à un ange tombé du ciel ? Juste un truc d'humain ?
-Non. C'était bizarre. Il y avait... Bref. On en parlera plus tard, Madeleine.
-Mais...
-La ferme ! Garde tes forces pour marcher !
Loin de s'offusquer de son comportement, son amie prit un malin plaisir à babiller sur des sujets tous plus inintéressants les uns que les autres, juste pour la faire sortir de ses gonds. Étant donné que Marie était une cocotte-minute permanente, elle finit bientôt par la renvoyer à l'arrière avec l'énigmatique Barnabé. Ce dernier prit sa discussion de façon placide.
L'aubergiste fut bien plus surpris de les voir revenir si tôt. Sans commenter, Marie lui demanda une chambre pour Barnabé. Jusqu'à ce que celui-ci déclare :
-Je n'ai pas d'argent.
Les deux femmes le regardèrent.
-Et vous comptez dormir où, alors ?
Il haussa les épaules. Les cheveux humides, sa chemise collée à sa peau par la pluie en dépit de son manteau, il restait pourtant beau. Pas courant, ça.
-Dans la grange avec les bêtes, déclara l'aubergiste, une pointe de jalousie dans la voix.
Par ce temps ? Avec l'humidité et ainsi de suite ? Marie n'avait pas l'intention de passer les prochains jours de marche avec un individu puant le foin pourri !
-Il dormira avec nous, trancha-t-elle.
Voyant le maitre des lieux sur le point de protester, elle le fusilla du regard. Sacrelote ! Il se prenait pour qui, lui ? Avoir partagé son lit une nuit ne lui donnait aucun droit de regard sur le reste !
-Je n'y vois pas d'inconvénient, déclara Barnabé.
Aussitôt, des étoiles brillèrent dans le regard de Madeleine.
Et m...
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