Chapitre 6.1

𝘓𝘌 𝘎𝘙𝘈𝘕𝘋 𝘋𝘌𝘗𝘈𝘙𝘛
└                           𝙏𝙝𝙚𝙖

La sonnerie du lycée retentit dans ma tête comme une musique que je connais atrocement par cœur. Une musique qui hantait mes cauchemars, jusqu'à ce qu'elle devienne à cet instant précis un poil nostalgique. Les examens sont enfin terminés. Au revoir, madame Philippe et son bichon maltrais, Bruno. Au revoir, trajet en bus qui dure des plombes. Au revoir, couloirs et escaliers interminables. Au revoir, emploi du temps minable. Vous me manquerez, à moins que je sois encore en train de mentir – comme sur ma copie de bac dont le quart des réponses sont hasardeuses. 

Au moins, c'est fini. Enfin, pas encore. Je la réentendrai une dernière fois lors de la remise des diplômes en septembre prochain.

Je me sens si légère, un petit oiseau qui quitte son nid pour la première fois, vers l'aventure et l'au-delà.

À présent, j'ai deux mois devant moi pour faire des conneries, passer mes après-midi dans la piscine d'Aaron et Erinn, dormir un nombre incalculable d'heures, boire un maximum de whisky avec Ruben, sans oublier de me plonger dans les yeux d'Esther à la nuit tombée. J'ai hâte. Surtout de partir en camping avec eux.

Les mains collées contre les bretelles de mon sac à dos, je me tiens calme et droite à côté de l'arrêt de bus en face du lycée. En réalité, mes yeux n'arrêtent pas de parcourir les horizons à la recherche désespérée d'un visage familier. Certes, on a tous passé nos examens dans le même établissement, mais ça ne veut pas dire qu'on était tous dans la même salle. 

Autant dire que j'ai perdu tout le monde.

Puis je le vois, lui.

Un immense sourire apparaît sur mon visage, et je suis loin de le cacher. Je brandis les deux bras en l'air pour le saluer, lui qui est à quelques mètres de distance. J'insiste, longtemps, j'essaye de me faire remarquer. Peut-être que je lui ai fait peur avec mes cernes, mes cheveux en pétard et mes "habits du dimanche" pour être bien installée sur les chaises quasiment en béton. 

Même de loin, j'arrive à voir qu'il regarde un coup à droite, un gauche à gauche, avant de se pointer du doigt d'un air confus.

— EMIL ! je crie.

Il soupire.

Voilà comment je suis rentrée en bus avec Emil, le garçon à côté de moi pendant tous les cours de madame Philippe. On se quitte d'un air mélancolique, en sachant pertinemment que je n'aurais plus jamais à craindre son regard terrifiant, et que lui n'aura plus jamais à entendre mes discussions avec Ruben en classe.

Lorsque j'arrive enfin à la maison, mon père est absent — sûrement encore en train de rêvasser dans un coin. Quant à Martha, elle est dans le salon en train de poser sur papier les derniers mots qui virevoltent dans sa tête. Elle lève la tête, me salue et se replonge aussitôt. C'est avec grâce que je balance mon sac vers l'escalier, retire frénétiquement mes chaussures qui écrasaient mes pieds toute la journée, et me dirige vers la cuisine.

— Alors, ton roman ?

Ces derniers temps, nous parlons de plus en plus. 

C'est étrange, assez nouveau pour moi. Comme si j'avais une nouvelle maman. Enfin, non. Elle ne sera jamais une mère à mes yeux, mais plutôt une bonne copine plus vieille que moi. J'aime discuter avec elle. Sûrement plus qu'à mon propre père. Enfin, ces temps-ci. Elle trouve toujours les mots justes, et elle est super intéressante. Je peux comprendre ce que mon père lui trouve, l'inverse en revanche semblent plus difficiles à décrypter. 

— Je vois enfin le bout du tunnel, mais c'est pas encore gagné. Je vais devoir trier tout ce petit bordel de mots et de tournures de phrase, sans compter les fautes d'orthographes.

Je prends un verre d'eau que je remplis dans l'évier. Elle est froide, idéal, j'ai l'impression de renaître.

— Le fun, je réponds sarcastiquement avant de terminer mon verre en un clin d'œil.

— C'est pas la partie que je préfère, mais il y a pire... crois-moi.

— Alors, dis-je en la rejoignant sur une chaise de la table à manger, c'est quoi ton moment préféré ? 

— Je pense... au début de l'écriture. Lorsque je ne pense qu'à ma nouvelle histoire. J'ai mon casque toute la journée et je ne réfléchis qu'aux millions de possibilités qui s'offrent à moi. Je me sens libre. Impossible de me sortir de ma bulle, par contre. Tu devrais écrire, parfois. Pas forcément un roman de cinq-cents pages, mais de temps en temps pour t'aider à évacuer. Crois-moi, ça fait du bien de se défouler.

Je lui souris en notant cette idée dans un coin de mon crâne.

"Aujourd'hui, j'ai passé mon bac. C'était chiant. Et long. C'était la dernière fois que je voyais Emil. Tant mieux pour nous deux."

Je finis par la laisser continuer son roman sans un parasite à ses côtés et je file dans ma chambre. Mieux vaut ne pas couper un auteur pendant sa session d'écriture, ou c'est vous qu'il coupera en deux au lieu de son personnage.

Allongée sur mon lit en pagaille, je réfléchis.

Je crois que les mots de Martha m'ont inspirée. N'est-ce pas le travail d'un écrivain, après tout ? En tout cas, elle a rempli sa tâche à merveille, puisqu'à présent j'ai envie d'écrire quelque chose. Ce que je veux, c'est me souvenir de tout. Absolument tout. Avoir une mémoire exponentielle, en quelque sorte. J'appelle immédiatement Esther, elle pourra m'aider dans cette quête. 

Elle décroche à la dernière sonnerie, comme d'habitude.

— Hey, me dit-elle relativement essoufflée. Je cherchais un coin tranquille pour te répondre.

— Et te voilà ! Tout va bien ?

— Ça irait mieux si tu étais à côté de moi, mais sinon ouais. Je peux attendre ce soir pour manger des sushis avec toi. Là, j'étais en train de faire ma valise, et elle est quasiment terminée.

Je me mets à regarder autour de moi, téléphone collé à l'oreille, et ne peut qu'y constater le bordel grandissant dans cette toute petite pièce, à croire qu'elle pourrait exploser si j'y ajoutais un nouvel objet. 

Des vêtements traînent aux quatre coins de ma chambre – ils sont surtout agglutinés sur ma chaise car ils sont "propres mais pas trop" –, et mes affaires de cours sont éparpillés sur mon lit et mon bureau. Un stylo qui tombe et pas le courage d'aller le chercher, des chaussons que je ne mets plus en plein milieu de la pièce, ou encore des emballages mal jetés dans la poubelle. Quant à ma valise, elle est encore à la cave en train de couler sous la poussière.

— J'ai vraiment rien commencé, t'es très forte.

— Merci ! J'ai surtout pas grand-chose à faire maintenant.

— Tu peux promener Grib.

Je l'imagine déjà tenant une laisse, sûrement avec des motifs étoiles, dans les rues de notre petite ville. Et je vois déjà les gros titres du lendemain : "Un chat trop mignon en laisse dans les rues de Tarrières !" Des gens s'arrêteront sûrement pour caresser Grib, parce qu'il faut se l'avouer : il est super mignon – Esther m'a montré des tas de photos. Très craquant, il fait craquer mon cœur alors que je ne l'ai jamais vu en face de moi. J'ai hâte. Je pense que je vais tomber amoureuse au premier regard.

Un peu comme Esther, ça doit être de famille.

— Pourquoi pas, dit-elle avant de respirer un long instant, mais je crois qu'il est déjà monopolisé par Vanille...

— Fichtre !

Pas de Grib pour ce soir.

— Tu peux toujours te promener toi-même... jusqu'à chez moi.

Je l'entends rire à l'autre bout du fil, alors mon sourire ne fait que s'accroître encore et encore. Puis je me lève, cale mon téléphone entre ma tête et mon épaule, et fouille comme une archéologue dans les tréfonds de ma chambre. Il en faut du courage pour y aller, je peux vous le dire. 

— Sinon, Esther, j'ai eu une super idée. Enfin, c'est plutôt une discussion avec Martha qui m'a donné cette idée.

— Je t'écoute.

— J'pense que ce serait une bonne idée d'écrire tout notre voyage. Bon... Certes, on part qu'une semaine, mais je veux très très très bien me souvenir de ces vacances. Ce sera un peu une première, tu vois ?

— Ta copine, tes meilleurs amis et toi, partageant le même camping-car sentant la transpiration dans une chaleur abominable ?

Je souris encore plus.

— C'est ce dont je rêve.

— On a les mêmes rêves.

Je m'accroupis. Difficile de garder le téléphone en place, mais je tiens bon : il doit sûrement se trouver dans ce tiroir. J'y crois.

— J'ai un peu, beaucoup même, envie d'écrire tout notre périple. Dans un carnet. J'en ai des tas dans ma chambre que j'ai jamais utilisés...

À ce moment, je trouve un cahier poussiéreux qui traînait en effet dans ce tiroir, en dessous des millions de feuilles qui l'engouffraient – il n'a pas dû voir le jour depuis un certain temps. Je le brandis en face de moi, comme la plus belle des victoires.

— ... comme celui-là. Parfait !

Il fait une taille A5, la couverture est souple et il est entièrement vert. Pas fluo comme les lunettes de soirée d'Aaron que je lui ai offertes, ni vert comme les pommes : plutôt un vert forêt en plein milieu de la nuit. À en glacer le sang.

— T'as envie d'écrire une fanfiction de nous, c'est ça ? me demande-t-elle.

Je sais très bien qu'elle sourit derrière son écran.

Je le sais.

— Exactement.

J'en étais sûre. Et Aaron va en rire. Je le vois déjà me regarder avec un sourire en coin, sûrement le même que Esther est en train de faire. Avec un regard malicieux, il se vengera de toutes les fois où je me suis moquée de lui en disant qu'il écrivait des fanfictions – même si c'est certainement véridique. La roue a tourné.

Durant l'heure qui suit, je reste au téléphone avec ma super copine pour mettre sur papier notre planning de vacances, les choses qu'on a envie de raconter avant le voyage – comme une sorte de préambule –, et quelques conneries qu'Aaron, Erinn et Ruben auront le plaisir de découvrir lorsqu'ils ouvriront ce carnet. Une petite présentation des personnages principaux vient alimenter la première page, accompagnée d'une photo d'eux les mettant ÉVIDEMMENT en valeur.

"Théa : peintre de jeans – mangeuse d'œuf de 100 ans – miam les livres et le thé"

"Aaron : riche par les sushis – lecteur habitué de fanfictions – réel conducteur"

"Ruben : cheveux foudroyant – fan incontesté de Pixies – ex conducteur du camping-car"

"Esther : super copine de Théa – rose bonbon – aime Grib et le piano"

"Erinn : judo girl – grosse collection de films d'horreur – porte son bikini dans les Alpes"

Le soir même, Esther est passée à la maison pour manger des sushis, sans mon père et Martha qui étaient sortis voir des amis. Elle m'a aidée à ranger quelques affaires dans ma chambre, à choisir mes vêtements de voyage, puis nous nous sommes affalées sur le canapé pour jouer à des jeux vidéo toute la soirée. 

Au milieu de la nuit, elle est rentrée chez elle à quelques mètres de là. Quant à moi, j'ai continué de sourire jusqu'à m'endormir.

Plusieurs jours assez productifs se sont écoulés depuis notre dernière épreuve de bac.

Quasiment toute la troupe des aventuriers – j'ai décidé de changer le nom du groupe – a fini sa valise, si bien que je suis la seule à encore avoir des affaires qui traînent à quelques heures de notre départ de Tarrières. Erinn et Aaron se sont occupés des réservations pour le camping-car qui, d'après eux, est mieux que dans leurs rêves les plus fous. Leurs parents nous ont aidés à payer une grande partie des frais car, il faut se l'avouer, c'est vraiment pas donné. Et c'est pas avec mon argent de poche que je pourrais me permettre de louer un véhicule aussi cher.

Ruben, le grand aventurier du groupe, a trouvé des recoins qu'on pourrait visiter. Abandonnés, hantés, terrifiants, idéals pour ressentir les premiers frissons glacés et les poils qui s'hérissent sous un soleil d'été brûlant. Sans oublier les balades à la plage ou en forêt : partout où nous pourrons nous remettre de nos émotions.

— S'il te plaît, dis-moi ce qu'on va visiter ! je supplie Ruben au téléphone en terminant ma valise. Je sais garder les secrets. J'ai gardé tes petits secrets à la perfection, tu le sais.

Il veut garder le mystère, lui et Erinn. Puisqu'il l'a forcément dit à Erinn.

— Impossible... je suis tenu de garder le silence, répond-il dramatiquement.

— Qu'est-ce que tu veux en échange ?

— Une rencontre avec Brad Pitt.

— Quelque chose de faisable, Ruben.

— Rien n'est faisable, mais tu peux demander à Erinn... si elle accepte de te le dire.

Je salue Ruben et appelle sur-le-champ ma meilleure amie qui, au bout de trois sonneries, décroche enfin. Elle est essoufflée. J'avais quelque peu oublié que c'était l'heure des "dernières choses à la dernière minutes avant de partir" et que, moi, j'appelais mes amis pour papoter au lieu de finir cette foutue valise.

— Tu peux me dire quels sont les lieux hantés qu'on va visiter ? Pitié, pitié, pitié.

Elle rigole. À moitié essoufflée, à moitié amusée.

— Demande à Ruben.

— Quel vieux couple. À toute à l'heure !

Durant la semaine, Esther et moi nous sommes occupées des courses pour la semaine, puisqu'il se trouve qu'on a une très grande famille à nourrir. Pendant quelques instants qui semblaient durer une éternité, j'ai eu l'impression que nous étions un couple marié, qui habite ensemble, avec des enfants, et que c'était juste les courses habituels de la semaine. Surtout lorsque j'ai acheté à Aaron ses Schoko-Bons auxquels il tient temps. 

"C'est pour ma santé mentale, je suis le seul à conduire !" me disait-il. Plus qu'à espérer qu'ils ne fondent pas dans nos sacs. C'est juste pour le premier trajet, ça devrait aller.

Nos bras sont plein de pains : nous avons décidé de nous nourrir essentiellement de sandwichs cette semaine. L'une de mes mains est toujours libre pour ma sauce tomate extrêmement pimentée à partager avec Esther. Les autres détestent ça, Esther adore. Une raison de plus pour sortir avec elle.

Et aujourd'hui, c'est le jour du grand départ.

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𝘕𝘋𝘈

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❝ Merci d'avoir lu ce demi-sixième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Quelle est la chose qui vous manque le plus du lycée ou qui vous manquera le plus ?

Que pensez-vous de la relation entre Emil et Théa ?

La partie préférée de Martha dans l'écriture est le début d'un projet, et vous ? Si vous écrivez, quel est votre moment préféré dans l'écriture ?

Tenez-vous un carnet de bord comme Théa et ses amis pour leurs vacances ?

Quelles activités aimeriez-vous faire en camping ?

Un demi-chapitre sort chaque mardi et chaque vendredi. ❞

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