Chapitre 5.1
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𝘚𝘖𝘜𝘚 𝘜𝘕 𝘈𝘐𝘙 𝘋𝘌 𝘔𝘜𝘚𝘐𝘘𝘜𝘌
└ 𝙏𝙝𝙚𝙖
Les examens sont dans un mois et il fait une chaleur abominable dehors, si bien que tout notre petit groupe s'est réfugié chez Aaron et Erinn pour profiter des millions de ventilateurs qu'ils placent chaque année dans toutes les pièces – littéralement.
Je me souviens de ces semaines passées chez eux durant les canicules d'été, à jouer dans le salon où à profiter de leur petite piscine à l'arrière de la maison. Des temps simples. Sans une montagne de travail prête à s'écrouler sur mon dos. Ces derniers jours, c'est bien Ruben qui a profité de ma découverte. Il barbotait même déjà lorsque je suis arrivée accompagnée d'Esther.
Esther, rose bonbon et sourire aux lèvres, est devenue une part entière de notre groupe d'amis, et j'en suis tellement ravie. Elle n'est plus "la petite amie de Théa", mais simplement "Esther". Ou, si je puis me permettre : "Esther, la plus cool du monde, notre amie à tous". Elle fait des conneries avec Ruben – comme la nuit où ils ont escaladé un parc fermé pour s'y amuser. Erinn lui apprend des prises de judo, tandis qu'Esther lui présente ses découvertes livresques. Elle passe souvent au sushi pour discuter avec Aaron et discutent de leur passion commune pour la musique.
Elle s'enflamme avec lui sur Just Dance, tandis qu'Erinn et Ruben se baignent dans la piscine. Quant à moi, je suis en pleine pause dans un fauteuil si confortable que je le laisse m'engouffrer. J'ai trop dansé.
— J'en peux plus, lâche Aaron avant de s'affaler dans le canapé.
— J'AI GAGNÉ ! répond immédiatement Esther, toujours debout avec sa manette de switch brandie dans les airs.
La sueur dégouline de son corps, autant que sur le front d'Aaron. Mais, contrairement à lui, un sourire radieux s'affiche sur son visage.
J'en étais sûre. Ils avaient encore fait un pari : celui qui abandonne en premier la partie doit cinq euros à l'autre. C'était leur truc, ils faisaient sans arrêt des paris sans queue ni tête dont on apprenait l'existence toujours au dernier moment. Je crois même que ce sont les mêmes pièces qu'ils s'échangent en boucle.
La belle rousse et son chevalier sortent de la piscine et nous rejoignent dans le salon avec une serviette autour du corps.
— Il serait peut-être temps de réviser.
Tout le monde soupire.
Pour avoir notre bac et ne pas procrastiner jusqu'aux épreuves, on s'était tous fixés des règles strictes : interdiction de se voir SAUF si on apprend nos terribles leçons durant la moitié du temps. Autant dire que, pour l'instant, aucun cahier n'a été effleuré. Ils sont restés paisiblement au chaud au fin fond de nos sacs restés dans le hall – en espérant qu'ils ne transpirent pas trop là-dedans.
Je me lève péniblement pour tout installer sur la table à manger avec Ruben qui est gentiment venu m'aider, après avoir enfilé un t-shirt. L'eau de la piscine de son short de bain encore trempé se déverse à chaque mouvement sur le carrelage de la pièce, ce qui faisait rire tout le monde.
Durant les prochaines minutes, plus aucun rire, mais des récitations de leçons parsemées de regards jaloux sur Papaye, la chienne de la famille, paisiblement installée sur un fauteuil moelleux pour faire la sieste. Au fil des nouveaux mots appris et des coups d'œil furtifs, les yeux d'Esther commencent à se fermer. Et, même Aaron, le plus travailleur du groupe, pourrait tomber dans les bras de Morphée.
— Une pause s'impose, fait-il par lâcher.
Si Aaron le dit, nous n'attendons pas une seconde pour nous extirper de cette table cauchemardesque.
Lui s'affale aussitôt sur le canapé aux côtés de Papaye et d'un ventilateur directement projeté sur lui. Il jette un coup d'œil à sa droite et prend sans hésiter sa guitare électrique.
Il a commencé à en jouer au collège. Je ne me souviens plus exactement de son âge à l'époque. À vrai dire, j'ai l'impression que ça a toujours existé : Aaron et sa guitare. À chaque fois que je passais voir Erinn, je l'entendais en jouer, encore et encore. Ça agaçait sa sœur, parfois. Quant à moi, j'ai toujours été impressionnée par son niveau.
C'était l'une des premières impressions que j'ai eues sur lui. Au-delà du fait qu'il s'amusait à passer au crayon les murs d'Erinn et à faire des blagues lorsqu'elle parlait à table. Il s'amusait tout le temps à lui tirer la langue avant de s'enfuir.
Alors que Papaye décide de vagabonder dans le jardin, il commence à jouer Where is My Mind de Pixies, les yeux à moitié fermés par la fatigue – ce qui est encore plus incroyable. Quelques secondes après, il s'arrête et regarde vers nous, un petit groupe de quatre ados affalés sur une table en fixant un garçon jouer de la guitare.
— Ruben, tu me rejoins ? C'est ta chanson, ça.
Ai-je déjà dit que Ruben était un grand fan de Pixies ? Il m'a fait écouter toutes leurs musiques en boucle dans le bus chaque matin.
C'est Aaron qui l'a motivé à apprendre la guitare pour jouer ses musiques préférées à longueur de journée.
Il a un peu plus de mal, puisqu'il a commencé bien plus tard, en seconde. Il ne sait jouer que quelques musiques, mais à la perfection. Pour le moment, il emprunte les instruments de la famille d'Erinn et Aaron et n'en joue qu'ici, mais j'espère avoir un jour assez d'argent pour lui en offrir une. Une si belle qu'il la vénérera.
— J'arrive, lâche-t-il en se levant. Je peux pas dire non à Pixies.
Il s'empresse de monter les escaliers, connaissant par cœur le chemin, et nous rejoint quelques instants plus tard, guitare classique en main, pour s'installer auprès d'Aaron.
Malgré la chaleur épouvantable, les doigts de Ruben dansent sur les cordes et son regard reste attentif sur la musique qui s'écoule dans la pièce. Aaron avec ses lunettes pleines de buées ne fait aucune faute, alors que des gouttes de sueurs dégoulinantes sur son visage tentent de lui barrer le chemin. Quant à moi, il fait bien trop chaud pour faire autre chose qu'écouter calmement leur concert gratuit.
Lorsque je tourne la tête vers Erinn, elle est affalée sur la table et regarde attentivement le spectacle – à moins que ce soit plutôt en direction de Ruben.
Esther bouge la tête au rythme de la musique.
— Trop cool, chuchote-t-elle sans lâcher son regard scotché sur les musiciens.
— Moi aussi, je suis tout aussi impressionnante, lâche Erinn. Je sais... chanter ?
Je la regarde et explose de rire.
— Okay. Je peux jouer du triangle.
— Et de la flûte, je rajoute, on en a fait pendant une année au collège. Esther sait jouer du piano, elle est super douée.
Esther à la peau rose devient rouge comme une tomate lorsque Erinn commence à lui proposer de jouer avec les garçons. Elle explique en chuchotant à son oreille qu'elle ne veut pas les déranger, même si elle sait jouer ces musiques. Je remarque qu'elle joue nerveusement avec ses doigts. Alors, je pose ma main sur son épaule en lui souriant.
— J'en ai jamais joué devant quelqu'un, littéralement. Sauf peut-être en cours. Mais c'est pas pareil. J'ai jamais eu le courage de le jouer en direct devant un public.
— Et t'es pas obligée, j'ajoute. Seulement si t'as envie.
— J'ai envie. Mon trac, non.
Ruben a sûrement dû entendre cette discussion puisqu'il s'arrête brutalement pour regarder dans notre direction, suivi d'Aaron quelques instants après. Il lui sourit amicalement.
— Tu peux venir avec nous, si t'as envie. Il y a un synthé à l'étage, on peut le descendre grâce aux gros biscotos d'Aaron.
— Eh ! lâche Aaron. T'as raison.
Esther tourne sa tête vers moi avec un petit sourire. Je l'observe. J'hoche la tête. Elle rayonne. Et elle accepte.
C'est comme ça qu'Esther s'est retrouvée à jouer du piano toutes sortes de musiques, au rythme des guitares d'Aaron et Ruben. C'est inhabituel, cet arrangement. Pourtant, il sonne bien à l'oreille et les trois semblent s'amuser comme des amis qui se connaissent depuis des années. Ils rient, apprennent le début d'une nouvelle mélodie, se trompent à plusieurs reprises et recommencent.
Le piano, nouveau dans ce groupe de guitares, sort du lot, mais il a tout de même sa place.
Lorsqu'ils commencent à jouer Here Comes Your Man, j'entraîne Erinn avec moi sur la piste pour chanter comme des casseroles. Pas besoin de flûte ou de triangle lorsque l'on peut détruire une musique avec nos douces voix.
Il y a quelques années, Aaron m'a avoué qu'il rêvait de créer un groupe de musique et de faire des tournées dans le monde entier. Devenir une star, en quelque sorte. Jouer de la guitare, encore et encore. Et cette idée n'est jamais sortie de sa tête, surtout depuis que sa mère est entrée dans sa chambre pour lui dire qu'il y arrivera s'il croit en lui et qu'il s'en donne les moyens. Je suppose que mini Aaron s'est vu doté d'une mission céleste, puisqu'il n'a jamais réellement arrêté de s'entraîner pour son rêve.
Ce n'est peut-être pas le groupe auquel il s'attendait, mais, en voyant son large sourire pétillant de vie, je suis sûre qu'il est heureux à cet instant.
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Les derniers jours se résument par : révision, lycée et musique, en passant par la piscine entre quelques séances d'apprentissage des horribles et incompréhensibles leçons de madame Philippe.
On a tous des énormes cernes sous les yeux ce vendredi soir à la sortie des cours.
Aaron, Erinn, Ruben et moi marchons jusqu'à notre coin clope pour discuter et souffler un bon coup. Aujourd'hui, les profs se sont défoulés, et parler du baccalauréat à longueur de journée n'a pas arrangé le coup. Si bien que je n'ai pas beaucoup dormi ces dernières nuits et ma tête tourne sans arrêt à la recherche de repos. Mon uniforme me gratte et je rêve de pouvoir enfiler mon pyjama pour me blottir dans mon lit douillet.
— J'ai vraiment hâte que ça se termine, râle Erinn avant de tirer sur sa cigarette.
Adossé contre un mur de brique, Ruben allume à son tour une clope sous les regards d'Aaron qui en refuse une. Il se met à parler à la place.
— Moi aussi, t'imagines pas à quel point. En plus, je termine mon contrat à la fin du mois, donc je vais avoir tout l'été pour ne rien faire... ou faire des conneries avec vous.
— Le rêve, je réponds. Je vais même pas partir en vacances.
— Moi non plus, lâche Ruben.
Je n'ai jamais eu l'habitude de partir en vacances, sauf pour voir de la famille éloignée. Trop cher, trop compliqué à organiser, et mon père n'a pas tout le temps la foi de gérer tout ce bordel.
Lorsque j'étais petite et que, allongées dans l'herbe, nous parlions avec Erinn de l'avenir, nous rêvions de grandir et de partir ensemble avec toute notre future bande de potes. On rêvait de s'envoler vers une nouvelle destination, de découvrir des endroits inconnus du grand public et de manger des marshmallows autour d'un feu. On n'avait peut-être que huit ans, mais ce sujet revenait sans cesse, si bien que c'est devenu une promesse. On comptait partir en vacances ensemble, sans adulte pour nous surveiller. Rien qu'une semaine de liberté.
Je tire sur une clope, prends une grande inspiration et pose ma question.
— Et si on partait ensemble ? Tous les cinq ?
Esther n'est pas avec nous en ce moment, mais je suis sûre qu'elle en serait ravie et que mes amis tout autant : elle fait partie de la famille.
— Ce serait très cool ! répond Aaron.
— Je m'imagine déjà au bord d'une plage, petites lunettes sur le visage en sirotant un énorme verre de whisky, pendant qu'Erinn et Aaron se battent pour faire plonger l'autre dans l'eau, déclare Ruben en faisant des grands gestes avec sa cigarette dégageant de la fumée. Esther m'aidera à finir la bouteille. Et toi, Théa, tu feras les deux en même temps. Le rêve ?
Erinn pose son sac et s'accroupit sur le sol.
— Sauf si on part à la montagne.
— Commence pas, lâche Ruben en s'asseyant en face d'elle.
— En bikini dans les Alpes.
Elle se met à rire doucement. Lui tente de garder un visage impassible, dur, il se retient d'exploser.
— J'ai hâte d'être en bikini alors... SUR UNE PLAGE.
— Hâte de te voir en bikini dans ce cas, lâche-t-elle avant d'exploser de rire en rythme avec son ami.
Je tourne la tête vers Aaron qui fait de même. Pas besoin de mots pour se comprendre, on esquisse tous les deux un léger sourire avant de les rejoindre sur les pavés de pierre, à l'abri des regards. Certes, on bloque le passage, mais personne ne vient jamais ici. On a colonisé l'allée pour fumer après une journée stressante. Notre droit. Notre terrain.
— Reprenons le sujet de base, dit Ruben. Partir en vacances : oui, surtout avec une équipe comme la nôtre. Mais où ça ? Il semble qu'il y ait un petit désaccord entre la plage et la montagne.
Il jette un regard noir à Erinn qui sourit machiavéliquement.
Lorsque nous en parlions avec Erinn, l'endroit était le dernier de nos soucis. Il n'était pas si important que ça. Juste un détail à compléter. On rêvait de ce vent de liberté dans nos cheveux, d'être hors du temps, comme si nous nous dirigions vers un univers parallèle. Lorsque je ferme les yeux, je nous imagine bien traverser la France dans un joli camping-car pimpé à notre effigie, prêts à découvrir toutes les merveilles qui se présentent devant nous. Passer d'une destination à une autre, ne jamais faire la même chose. Voyager, sans se retourner.
— Pourquoi pas du camping ? je propose. On pourra autant aller à la plage que se balader en forêt. Ce sera pas pareil que la montagne, mais l'idée est là.
Erinn éteint sa clope contre le pavé. Elle joue avec son sac à dos sur ses genoux, en tailleur, et semble regarder vers le ciel pour imaginer la scène.
— On a déjà fait du camping il y a quelques années, Aaron, tu t'en souviens ?
— Yep, c'était pas si compliqué. Il faudra juste savoir quoi faire, comme une sorte de programme. Sinon, on risque de s'ennuyer toute la journée.
Aaron a toujours aimé que les choses soient carrées – un peu comme ses lunettes. L'inconnu lui plaît, mais la sûreté encore plus. C'est ainsi qu'on a décidé de préparer un plan d'attaque pour appréhender le mois prochain. J'ai envoyé un message à Esther. Elle m'a répondu dans la minute. Elle est partante. Je n'ai pas attendu un instant de plus pour l'appeler, la mettre sur haut-parleur dans notre petite ruelle, et commencer à prendre des notes sur nos futures vacances idylliques.
Ruben a dessiné sur l'une des feuilles un bikini et ce qui ressemble aux Alpes, avec un cœur qui entoure les deux. Fier de son dessin, il l'a tendu à Erinn qui s'est aussitôt mise à rire. Puis, elle a rajouté en dessous de son chef-d'œuvre un homme qui ressemble plutôt à Ruben, tremblant de froid avec un petit verre de whisky dans les deux mains.
— Assez flatteur, comme portrait, j'ajoute.
— Au moins, l'alcool me tiendra au chaud.
Esther, quant à elle, faisait des recherches sur son ordinateur. Elle tapait à une vitesse phénoménale pour nous trouver toutes sortes d'activités, en passant par la recherche de plusieurs campings sympas où l'on pouvait s'installer.
C'est trente minutes plus tard qu'une silhouette est venue assombrir nos feuilles de papier étalées sur le sol, écrasant par la même occasion le dessin d'Erinn et Ruben.
— T'abuses quand même, fais attention ! dis-je levant la tête.
Je m'arrête aussitôt lorsque je vois Yannis, les bras croisés, nous regardant de haut.
Ils ne s'étaient pas parlé depuis leur dernière rupture. Parfois des regards dans le couloir, insistants, mais Ruben ne faisait que le repousser, encore et encore. Il a réussi avec brio à l'esquiver ces dernières semaines. Je suppose que tout a une fin.
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𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce demi-cinquième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous de ce groupe d'amis au complet ?
Vous aussi, comme Esther, Ruben et Aaron, vous jouez d'un instrument de musique ? Si oui, lequel ?
Si vous pouviez partir en vacances seul ou avec vos amis, quelle serait votre destination de rêve ? (lieu précis ou idée générale)
D'après vous, que va-t-il se passer avec Yannis ?
Un demi-chapitre sort chaque mardi et chaque vendredi. ❞
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