Chapitre 44
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-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙋𝙚𝙧𝙨𝙤𝙣𝙣𝙚
Au centre d'une pièce terne aux fenêtres opaques, deux adolescents attendent.
Ils n'ont vraiment pas bonne mine.
L'une, les cheveux bouclés en pagaille, regarde sagement les formes qui se dessinent à travers la vitre, en s'imaginant ce qu'il pourrait bien se passer à l'extérieur. Une personne en garde à vue, une discussion à leur sujet, une urgence bien plus importante que la leur ? En réalité, c'est surtout parce qu'elle espère voir quelqu'un en particulier qu'elle observe tout ce monde avec autant d'attention. Comme aucune couleur rose ne vient obstruer son champ de vision, elle peut souffler.
L'autre, avec de longs cernes, un pull rempli de poissons peints à la main et un bras dans une attelle, n'arrive pas à fermer l'œil, ne serait-ce que pour cligner des yeux. Les ténèbres ne cessent de lui jeter des souvenirs dans la gueule et il ne refuse de les voir. Pas maintenant qu'il doit encore être à l'affût de tout depuis qu'il a entendu cette maudite phrase dans la voiture des policiers : "Nous avons trouvé trois corps dans la forêt". Comment est-ce possible ? Il espère simplement qu'elle s'est noyée dans d'atroces souffrances, tandis qu'il tapote frénétiquement des pieds contre le carrelage qui résonne.
La porte s'ouvre enfin.
Les deux amis se retournent brusquement.
L'homme prend le temps de se présenter d'un air chaleureux, un policier de la brigade de Tarrières depuis quelques années déjà. Il dit vouloir comprendre ce qu'il s'est passé.
— Je sais que vous êtes secoués, mais nous avons besoin de vous.
Le policier sait qu'il s'adresse à des enfants bien trop jeunes pour être de suite considérés comme des adultes, même s'ils le sont aux yeux de la loi. Grâce à ses dernières années de service, il sait bien que sourire et être le "bon policier sympa" aideront à récolter des informations plus facilement. Au fond de lui, il n'a aucune confiance en eux.
Des caméras, des micros, il n'est pas seul face à un potentiel meurtrier.
Tout le monde s'assoit autour d'un bureau, il se retrouve enfin face aux deux premiers suspects.
— Je vais seulement vous poser quelques petites questions sur ces derniers jours.
— D'accord, répond la fille d'une voix posée.
L'autre garde sa langue au fond de sa bouche.
Le policier pose sur la table un dossier beige rempli de tout un tas de notes qu'il ne sort pas. Il les protège simplement en posant ses avant-bras dessus, avant de récupérer un stylo et un petit carnet qu'il dépose avec soin sur sa gauche. Étonnement, ce n'est pas la seule chose qui a été préparée pour eux. Il sort également de sa sacoche en cuir deux feuilles, deux autres stylos et deux porte-blocs, un de chaque par adolescent, qu'il tend avec un si large sourire qu'il se demande s'ils n'ont pas déjà capté la supercherie.
— Racontez-moi tout ce que vous savez. N'importe quoi sur ces vacances. Que ce soit son organisation, les événements précédents votre départ, ce qu'il s'est passé pendant ces quelques jours en forêt, des raisons qui auraient poussé à prendre d'aussi tragiques décisions pour vos amis. N'importe quel élément suspect pourrait nous aider.
Il les voit fébriles.
— Ne vous inquiétez pas, il n'y a que vous et moi ici. Tout ce qui est dit dans cette pièce n'en sortira pas. Vous avez ma parole.
Le policier a bien appris à mentir.
Le garçon, calme jusqu'à maintenant, observe la feuille puis l'homme face à lui, tapotant frénétiquement le carrelage. Il serre le papier avec de plus en plus de force. Le policer le sait, tout s'ébouillante dans le cerveau du gamin. Il va exploser. Et c'est ce qui finit par arriver. Les cris résonnent dans la pièce vide.
— Ça sert à rien ! Nous savons que tout est de la faute d'Esther. C'est une perte de temps !
L'homme lui sourit amicalement.
— Ne vous en faites pas, c'est simplement la procédure.
Le garçon ne semble pas satisfait, mais il se tait. Il accepte son sort et commence à écrire des tas et des tas de choses, sans jamais s'arrêter, dans un grand silence. Quant à la fille, elle avance bien plus doucement, prend son temps, butant sur chacun de ses mots qu'elle raye au stylo pour les réécrire proprement.
C'est l'occasion de remplir les pages du carnet du policier :
"Ils ne communiquent pas. Ils n'essayent pas. Aucun des deux."
"Ruben écrit de la main droite. Son bras gauche est dans une attelle."
"Théa écrit de la main gauche. Ses deux mains sont fonctionnelles et elle n'a aucune difficulté à écrire."
Ce qu'ils ignorent – et que le policer a bien en tête –, c'est que cette "procédure" déterminera beaucoup plus de choses qu'il n'en paraît, même s'il en voit déjà le bout dramatique. Ce qu'ils ignorent, c'est qu'Esther est morte bien avant Erinn.
Deux longues heures avant.
Deux longues heures où beaucoup de choses auraient pu se passer.
Surtout qu'au vu des blessures au visage d'Erinn, elle était déjà morte avant d'être jetée dans le lac. Un suicide est donc improbable. L'un des deux est certainement le coupable.
Lorsque les deux adolescents terminent de déchainer leurs mots sur papier, le policier les remercie chaleureusement. Il les récupère, les regarde du coin de l'œil, puis les pose sur l'envers pour donner toute son attention aux gamins terrifiés et épuisés. Dépité, il sait déjà ce qu'il va écrire dans son carnet : "Aucune écriture ne correspond". Pourtant, en leur expliquant la suite des événements et une partie de leurs découvertes, il se remémore l'apparence des lettres écrites d'une main frénétique, quasiment illisibles, à la limite de déchirer le papier par la force donnée dans le stylo.
L'encre bavait un peu, comme si une main passait dessus pendant la rédaction.
Une main de gaucher, peut-être ?
Des frissons arpentent son dos en regardant Théa, mais il ne laisse rien paraître.
— J'aimerais vous parler seul à seul maintenant.
Ruben tourne immédiatement sa tête vers Théa qui, elle, ne le remarque même pas. Elle semble dans son monde. Sans réponse de sa part, il continue de tapoter son pied contre le sol, jouant nerveusement avec ses doigts.
— Ne vous en faites pas, ce ne sera pas long. Juste quelques petites questions encore une fois pour éclaircir certains points. Pendant ce temps, on prélève les empreintes digitales de l'autre. Rien de bien méchant. On commence par toi, Ruben ?
Il hoche la tête sans trop avoir le choix.
Théa s'évade de la pièce pour se retrouver engloutie par une marée de membres de la brigade.
Quant au policier, il s'avance un peu dans sa chaise, coudes contre la table et sourire angélique sur les lèvres. Il a toujours son carnet soigneusement posé à côté de lui, prêt à dégainer son stylo dès la première information croustillante sur l'enquête qui sortira de la bouche de Ruben.
Pour l'instant, tout ce qu'il pourrait noter, c'est la terreur dans les yeux du garçon. Une terreur qui l'oblige à observer chaque recoin de cette salle close au peigne fin. Une terreur qui le force à analyser les formes dansantes de la fenêtre opaque. Une terreur qui se manifeste dans ses cernes de plus en plus longs et son teint bien plus pâle que sur les photos qu'il connaît par cœur grâce aux innombrables recherches qu'il a supervisées.
— Ruben, nous ne sommes pas tes ennemis.
— Je le sais bien, répond-il d'une voix un poil énervée.
Il se gratte la peau autour de ses doigts.
— Dis-moi, est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Une boisson ? Un moment seul ?
Le garçon fixe le sol.
— Non merci.
— Dans ce cas, Ruben, si tu es prêt, est-ce que tu peux me raconter ce que tu faisais la soirée du 10 juillet ? Celle où nous t'avons retrouvé avec ton amie Théa.
Il baisse encore plus la tête, respirant un bon coup.
Lorsqu'il la relève, le policier constate des larmes aux creux de ses yeux.
— Elle est partie chercher de l'aide à l'extérieur de la forêt... pendant que je devais garder un œil sur le camping-car et son frère. Je lui ai dit que c'était une mauvaise idée, que je voulais l'accompagner, mais elle a insisté. Elle me faisait confiance, je ne pouvais pas rompre ma promesse. Et elle est super forte. Elle court si vite que je suis tout le temps essoufflé derrière elle. Elle pourrait me faire tomber facilement avec toutes ses années de judo derrière elle.
— Qui est "elle" ? demande le policier se doutant de la réponse.
Ruben ravale sa salive.
Il n'arrive plus à regarder l'homme en face de lui. Il arrive seulement, après quelques instants semblant durer une éternité, à prononcer le prénom de son amie.
— Erinn.
Sans faire de mouvements brusques, le policier alimente son carnet :
"Erinn est partie chercher de l'aide en début de soirée à l'extérieur de la forêt. Elle a certainement été interceptée par quelqu'un sur le chemin."
— Tu peux me dire ce qu'il s'est passé ensuite ?
Son pied tremble frénétiquement contre le sol, le garçon ne s'arrête plus de bouger en parlant avec ses bras.
— Je me suis endormi comme un con. Je ne sais pas pendant combien de temps, comme tous nos téléphones étaient cassés. Tout ce que je sais, c'est qu'en me réveillant, il faisait nuit. Enfin, c'était plutôt le crépuscule. Je ne voyais pas grand-chose. J'ai seulement remarqué que la lumière du camping-car était allumée, ce qui n'était pas le cas avant. C'est là-bas que j'ai trouvé les lettres tordues qui, avec des indices, m'ont mené à..
Ses tapotements sont de plus en plus fréquents, une bombe à retardement.
Les larmes dégoulinent le long de ses joues, jusqu'à s'écraser contre le carrelage.
Il joue avec ses mains, encore et encore, dans un silence étouffant.
Il ne voit plus rien.
À vrai dire, il n'a plus jamais envie de voir le monde.
C'est avec une voix déchirée qu'il se remet à parler.
— Je veux juste rentrer chez moi.
Le policier a malheureusement l'habitude de ce genre d'enquête aux larmes douloureuses. Et, même s'il préfère nettement lui apporter son soutien, il sait que les caméras de surveillance ne sont pas du même avis. Il sait aussi qu'il est peut-être face à un meurtrier. Un peu de pitié et il se trompera de coupable.
Il ne peut que lui proposer un mouchoir qu'il accepte volontiers.
— Je comprends, Ruben. C'est bientôt terminé. Je te laisse tranquille après ma dernière question, d'accord ?
Il hoche la tête en silence.
— Est-ce que Théa est au courant de ces fameuses lettres ?
Ruben fronce les sourcils, méfiant.
Le policier se demande s'il se doute de quelque chose.
— Non... Elle n'était pas avec moi. Et... on n'a pas vraiment eu l'occasion de parler.
Lorsque le policier sort de la pièce, il pose sa main sur son torse et souffle un bon coup.
Les larmes, les lettres, les trois corps, le lac.
Deux empreintes digitales différentes retrouvées sur chacun des messages. Ruben les a certainement touchés en suivant ce jeu sordide. Donc, si Théa n'en a jamais entendu parler, il ne devrait pas avoir les siennes.
Tout se mélange dans sa tête.
Elle brûle sur place.
Il longe le couloir, la boule au ventre, jusqu'à arriver dans la salle de repos des policiers où il fonce droit vers la fontaine en plastique pour se servir un grand verre d'eau. C'est lorsqu'il veut s'installer sur l'un des fauteuils écarlates peu confortables qu'il entend l'une de ses collègues le rejoindre sur le pas de la porte.
— Tu veux de l'eau ? propose-t-il.
— Non merci, je ne viens pas pour ça, répond-elle d'une voix essoufflée. Nous avons les résultats des empreintes digitales de Théa Monja... Tu devrais venir voir.
Il s'empresse de poser son verre presque plein.
Il longe le couloir, le cœur battant si fort dans sa poitrine.
Il passe devant la pièce où le gamin se repose.
Il arrive dans une salle d'analyse où se trouve son supérieur et plusieurs collègues agglutinés.
Un silence s'installe.
Quelqu'un parle enfin.
— Elles correspondent à celles trouvées sur les lettres.
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𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce quarante-quatrième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous de ce point de vue à la troisième personne ? Avez-vous aimé le rythme ?
Que pensez-vous de cette révélation sur Théa ?
À votre avis, que s'est-il réellement passé pendant les vacances ?
Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞
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