Chapitre 40

-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙏𝙝𝙚𝙖

Depuis combien de temps est-ce que je vagabonde à l'aveugle ? 

Je n'en ai pas la moindre idée.

J'avance, pas à pas, pour m'engouffrer profondément dans la forêt, sans savoir où je me trouve exactement. Le soleil est déjà couché, je ne l'avais même pas vu s'en aller. Mon souffle est saccadé, parce que je n'arrive pas à m'arrêter d'aller tout droit. Sans but. En attendant qu'on me raconte la suite de l'histoire.

Le prochain chapitre que je refuse de lire.

Je refuse d'entendre ses phrases, je préfère me boucher les oreilles si fort que j'exploserais mes tympans en mille morceaux.

Je n'arrive pas à me sortir du crâne le visage pâle d'Erinn et ses yeux pleins d'espoir. Au lieu de venir l'aider, j'ai reculé à sa perte. À la perte de ma meilleure amie. Quel genre de personne est-ce que je suis ? Celle qui mérite bien ces petits poignards dans le cœur, pas assez profonds pour abréger mes souffrances, mais suffisamment pour avoir cette douleur atroce de culpabilité qui baignent dans ma poitrine. Et j'ai beau posé ma main dessus pour les calmer, les tambourinements incessants à l'intérieur me donnent envie de vomir.

Qu'est-ce que Esther a bien pu faire à Erinn ?

Elle devrait être revenue depuis tout ce temps infiniment long.

Je finis par retrouver miraculeusement la clairière où je les ai vues pour la dernière fois. Malgré mes recherches dans chaque petit recoin, les buissons comme le haut des arbres, les ravins aux alentours comme les chemins les plus interminables, il n'y a qu'un goût amer qui vient caresser mes papilles gustatives. Pas d'Esther, ni d'Erinn.

Depuis combien de temps est-ce que je suis en train d'attendre l'inévitable ? 

Je n'en ai pas la moindre idée.

J'avance, pas à pas, pour laisser les gouttes d'eau s'écrouler sur mon passage comme le Petit Poucet. Elles sont bien aussi lourdes que des cailloux. Elles s'écrasent brutalement contre le chemin de terre pour ruisseler jusqu'aux plantes qui l'entourent. La raison pour laquelle elles sont si massives, c'est parce qu'elles portent le poids de toutes mes fautes. 

J'ai l'impression de ne plus savoir qui je suis.

De ne plus savoir ce que je veux.

De ne pas être réellement là.

Je sais qu'elle ne m'écoutera plus jamais me lamenter sur mes terribles choix pour trouver une solution. Elle ne me pardonnera pas non plus, contrairement au lendemain de la première apparition du monstre sur son épaule. Je ne sais pas si je la reverrai un jour. Je ne sais même pas si je reverrai Esther. Alors que je sais pertinemment que le monstre continuera de me hanter jour après jour. Tant que je ne le vois pas, tout devrait bien se passer.

Je m'arrête brusquement en entendant une voix.

Une voix grave qui hurle à en faire bouger les arbres.

Je tends l'oreille.

Un silence étouffant, avant qu'un autre cri à moitié étouffé me glace le sang.

— Erinn !

Ruben.

Ça ne peut être que lui.

Je me remets à courir sous les cris de plus en plus bruyants, dégageant toutes les branches sur mon passage qui viennent me griffer les bras. Mes semelles tambourinent contre la terre pour s'écraser contre tous les petits cailloux pointus. Mes jambes font des mouvements de plus en plus rapides. Et de plus en plus douloureux. Je n'ai jamais été une grande sportive, et j'espère ne pas rater le bus cette fois-ci. J'espère ne pas arriver trop tard.  

Plus j'avance, plus je remarque qu'il y a de moins en moins d'arbres. La verdure laisse place à une nouvelle clairière. Une clairière pas comme les autres. C'est celle du sable qui engloutit mes baskets. Celle qui nous mène au lac.

Qu'est-ce qu'il peut bien faire là ?

Je ralentis le pas, ne voyant quasiment rien dans cette pénombre si opaque. Uniquement quelques formes vagues : de grands arbres, le lac au loin et... de la lumière. Une de nos lampes torches éclaire le corps de Ruben accroupi sur le ponton. Il tient dans ses bras un énorme sac, et sa guitare semble enfouie dans le sable quelques mètres plus loin.

Doucement, je m'approche de lui, les yeux plissés.

Doucement, mes pieds s'enfoncent à leur tour dans le sable.

Doucement, les gémissements sont de plus en plus audibles.

Brutalement, je me retrouve dans des sables mouvants en comprenant ce qu'il porte si fermement jusqu'à son torse. 

Mes jambes se mettent à trembler. 

Jusqu'à me faire tomber pour de bon.

Le bruit alerte Ruben qui se retourne brusquement, sans lâcher la tête qu'il tient si soigneusement dans ses mains. Les sourcils froncés, ses yeux parcourent en un clin d'œil les alentours, avant que ses muscles ne se détendent en croisant mon regard. Les larmes n'arrêtent pas de couler tout le long de son visage, chacune d'entre elles accentue la profondeur des entailles dans ma poitrine. Et sa voix, elle est cassée en mille morceaux, étouffée par de la morve qui dégoulinent de son nez.

— Théa ?

— Ce n'est que moi, je le rassure en le rejoignant sur le ponton.

Je l'entends souffler un bon coup.

Mais mes yeux sont rivés sur Erinn, raide comme un bâton, dans les bras tremblants de Ruben. Le poignard dans mon cœur, lui, se retourne entièrement, me lacérant atrocement plus profondément, manquant de le couper en deux. Il tourne, tourne, tourne, à en perdre ma tête qui tourne, tourne, tourne.

Il n'y a pas de mots à prononcer. Aucun dans l'entièreté des langues qui ont pu exister depuis la nuit des temps, capable d'expliquer le vide que nous ressentons dans nos poitrines. Un trou béant qui ne sera jamais comblé.

Je prends Ruben dans mes bras.

Il me serre si fort, comme pour s'assurer que je ne vais pas partir. Et moi, je le serre toujours plus fort, comme pour m'assurer qu'il est bien avec moi. C'est lorsqu'il pose sa tête contre mon épaule, à présent humide par les reniflements et les larmes ruisselantes, que j'explose à mon tour. Mon cœur n'est plus qu'un jouet usé, écrasé au sol et brisé en milliers de petites pièces. Impossible à réparer.

Le monstre brille de l'autre côté de la rive. Je sais bien qu'il m'observe machiavéliquement. Je ferme les yeux de toutes mes forces.

Il n'est pas réellement là.

Je rêve de retourner en arrière, de prendre la main d'Erinn et de partir en courant avec elle, de parler à Esther et de réussir à la raisonner. J'aurais pu faire tout ça, mais je suis restée figée comme la plus grande des égoïstes. Parfois, mes pensées ne représentent pas ce que je veux réellement. Et maintenant, je n'ai que mes yeux épuisés pour pleurer.

J'arrive à articuler ces mots.

— Je suis désolée.

— Tu sais très bien que c'est pas ta faute.

Alors que ça l'est.

Je préfère rester muette. L'eau n'est plus agitée, tout est si silencieux. Erinn est sur les genoux de Ruben, les paupières vides fermées, on pourrait croire qu'elle dort. Je la regarde du coin de l'œil avec un goût amer dans la bouche. Peut-être que ce sera bientôt à notre tour de tomber dans les bras de Morphée pour de bon.

Nous coupant du calme, Ruben se dégage de mon étreinte pour tenir fermement mes deux épaules et me regarder droit dans les yeux, avec une détermination que je n'imaginais pas voir maintenant. 

Malgré les larmes qui entravent son chemin, il continue de parler.

— J'en ai vraiment marre des plans élaborés, j'en peux plus. Il faut vraiment qu'on arrête de faire ça, parce que ça ne marche pas. Il faut faire ce qu'on aurait dû faire depuis le début, d'accord ? On va s'enfuir d'ici tous les deux sans se séparer. On va courir le plus loin possible, peu importe la faim, la soif, la fatigue, ou même la peur de tomber sur des inconnus flippants.

Il s'arrête un instant.

Et tourne la tête vers Erinn.

— Tu sais aussi bien que moi que ce n'est pas forcément des inconnus dont on doit se méfier.

Je sais surtout qu'il fait référence à Esther, mais je ne me méfierai jamais d'elle. Il y a forcément des raisons. Elle n'est pas fautive. Mais Ruben refusera de m'écouter si j'essaye de le convaincre, et nous avons déjà vu les conséquences d'une telle situation. Alors, je reste sans voix. Tout ce que je peux faire, c'est jouer nerveusement avec le bas de mon t-shirt jusqu'à le froisser.

Je suis impuissante.

— Tu veux qu'on parte que tous les deux ?

Il passe sa main sur son visage pour l'essuyer.

Et ne me regarde plus.

— Mais Théa, tu veux emmener qui..? Aaron sur ton dos et Erinn sur le mien ? répond-il d'une voix étranglée. Ce serait une perte considérable de temps. Il faudra juste... les laisser ici. Tu sais bien qu'on a pas le choix. J'aimerais l'avoir, j'aimerais terriblement.

— Désolée, c'était stupide.

Les larmes n'arrêtent pas de tomber de ses yeux rouges.

— C'est moi qui suis vraiment stupide.

Un dernier regard vers Erinn, une dernière main contre la sienne qui me déchire le cœur, avant qu'il ne se retourne et se redresse pour de bon. Un nœud dans la gorge m'empêche de parler, je l'observe avec un poing de côté qui me cloue sur place. Il marche dans le sable, récupère avec soin sa guitare légèrement râpée et l'accroche dans son dos.

Comme si ça allait le protéger.

– On part maintenant. Je ne peux pas rester une seconde de plus ici. C'est vraiment trop... douloureux.

Je hoche la tête en me levant à mon tour.

En silence, nous marchons jusqu'au camping-car, éclairés par la lampe de Ruben qui clignote de temps à autre. Chacun de nos pas est suivi d'un regard furtif vers la pénombre. Parfois d'une lumière qui bouge dans tous les sens par les bras tremblants de mon ami. 

Si Ruben scrute la forêt par peur qu'un monstre sanguinaire ne nous saute dessus, moi je suis attentive pour une toute autre raison.

Esther est quelque part à m'attendre. Dans la nuit noire et le froid glacé. Elle a du sang sur les mains, mais elle n'a jamais voulu que ce soit le cas. Elle a été forcée de porter le couteau. Et maintenant, elle est condamnée à rester enfermée dans cette forêt.

Je vois son petit sourire et son rire adorable, comme ses cheveux parfaitement coiffés chaque matin. Je vois nos balades la journée et nos discussions tard le soir. Je vois ses lèvres roses me parler et sa douce main s'emboîter parfaitement dans la mienne. Ses mélodies de piano. Ses longues jupes. Ses blagues et jeux de mots. Je me vois un peu plus heureuse chaque jour avec elle, à en oublier ce qu'il peut se passer autour de moi. Je me vois sourire jusqu'à en avoir mal aux joues. Et je ne me vois pas sans Esther.

Je ne peux pas la laisser ici toute seule.

Tout ça, c'est injuste.

Mon poing se serre.

C'est injuste.

C'EST INJUSTE.

C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE. C'EST INJUSTE.

Nous continuions d'avancer d'un pas déterminé. Ruben sait ce qu'il veut, et moi donc. Après tout ça, je reviendrai la chercher. Dès que nous serons loin d'ici, ce sera à son tour de vivre une vie pleine de liberté. Elle vivra dans un grand château. Et moi, je resterai à ses côtés pour l'éternité. Personne ne la fera plus jamais pleurer.

Plus jamais.

Esther.

Je t'aime à en mourir.

Et je te retrouverai.

                        ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce quarantième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous de la situation ?

À votre avis, vont-ils réussir à s'enfuir ?

Pensez-vous que Théa va retrouver Esther ?

Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top