Chapitre 4.1
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𝘈𝘗𝘗𝘙𝘌𝘕𝘋𝘙𝘌 𝘈 𝘚𝘌 𝘊𝘖𝘕𝘕𝘈𝘐𝘛𝘙𝘌
└ 𝙏𝙝𝙚𝙖
Lorsque j'ai raconté à mes amis ce qu'il s'était passé à l'étage, j'ai cru voir en eux des parents un peu trop investis dans ma vie sentimentale. Ils étaient ravis jusqu'à en sauter de joie, comme si le fait que je sois en couple réglerait des problèmes planétaires.
Erinn a été la première au courant lors d'un appel après les cours où je lui ai annoncé, toute souriante, que Super-Théa quittait le camp des célibataires. Il se trouve que cet espion d'Aaron avait entendu la conversation, et il m'a félicitée le lendemain avec une petite tape sur l'épaule. Ruben, lui, a trouvé ça un peu tardif. Je cite : "Il était temps !"
Aujourd'hui, cela fait déjà un mois que je vis le parfait amour avec elle : on se tient la main, on reste des heures au téléphone, on s'embrasse au clair de lune. Tout ça semble parfait, mais je sais pas... quelque chose cloche. Je ne suis pas totalement à l'aise avec elle. Je n'y arrive pas.
Je bafouille, perds mes morts... mes mots.
Autant dire que savoir qu'elle va entrer pour la première fois dans ma petite maison m'inquiète à en avoir mal à la poitrine. Heureusement, il n'y aura que nous deux ce soir. Sinon, ce sera la cata et je me cacherais de honte jusqu'à la fin de ma vie.
Tout semble sous contrôle : ma chambre est rangée, il n'y a plus de poussière, l'album d'Her's défilent dans la maison, et je me suis même habillée de la même façon que le soir de notre rencontre – c'est-à-dire mon jean avec des flammes. Je me sens bien, ça devrait aller. Le show commence, je descends les escaliers comme un éléphant pour attendre sa venue.
Martha ?
Elle est dans le salon, assise dans le canapé où elle fait défiler les chaînes de télévision. Je ne savais pas qu'elle devait être là, mais ça contrecarre tous mes plans. Repli général ?
— Salut, Martha, dis-je en me rapprochant d'elle.
Depuis ce qu'il s'est passé avec maman, c'est la première personne qui reste aussi longtemps avec mon père. Si bien que je commence à la voir tous les jours à la maison. En fait, elle fait littéralement partie de la famille.
— Salut ! répond-t-elle en se redressant, toujours la télécommande en mains.
— Mon amie arrive bientôt. Je ne sais pas si t'es au courant.
Je regarde l'heure et claque du pied nerveusement. Esther est censée bientôt arriver. Faite qu'elle ne reste pas, faite qu'elle ne reste pas.
D'un coup, j'arrête mes tapotements. Ce n'est la faute de personne si j'ai autant la boule au ventre. Martha a autant le droit que moi de rester ce soir dans la maison, même si ça me mettrait sacrément mal à l'aise.
— Je savais pas, mais de toute façon ton père vient passer la soirée chez moi. T'inquiète pas.
Sauvée.
Je peux enfin me calmer.
Mon père entre aussitôt dans le salon. Difficile de ne pas le remarquer avec son mètre quatre-vingt dix et ses bottes qui manquent de détruire le parquet à chaque pas. Sa veste en cuir et son pantalon trop serré. Il lui manque simplement des lunettes et le tour est joué. Mon père le motard et Martha l'écrivaine en longue robe rouge dans la maison, Esther toque à la porte d'entrée en faisant une petite mélodie.
Tout le monde se tourne vers l'entrée. Quant à moi, je sens mon visage s'enflammer lorsque je m'empresse de lui ouvrir la porte.
— Hey, me dit-elle lorsque nos regards se croisent.
La même jupe à fleurs, la même chemise blanche, le visage rosé comme ses cheveux. Visiblement, elle n'a toujours pas peur du froid. Je remarque en un éclair qu'elle s'est habillée comme le jour où l'on s'est rencontrées. Je ne bouge pas pendant un instant. Face à notre idée commune sans même se concerter, je reste si bouche-bée qu'aucun mot ne sort de ma bouche. Mon cœur bat la chamade, tandis que je sens mes joues devenir de plus en plus rouges.
Dans ses mains, elle a un plateau de sushis sur lequel est inscrit le nom du restaurant où travaille Aaron. Est-elle allée à l'autre bout de la ville, simplement pour me chercher des sushis ?
Esther penche la tête sur le côté pour entrevoir l'intérieur de la maison. Elle sursaute – sûrement en voyant ma famille habillée comme pour un gala –, regarde le plateau, puis moi.
— Désolée, j'ai pas pensé à en prendre pour quatre.
— Pas de soucis, je lui réponds. Mon père et Martha comptaient justement partir.
Juste un petit rappel pour eux, pas que ce soit super impatiente d'avoir la maison et ma copine pour moi toute seule. Les deux passent le pas de la porte après qu'Esther soit entrée. Lorsque je m'apprête à fermer la porte, Martha fait une remarque.
— Pas de bêtises, hein, lâche-t-elle en me faisant un clin d'œil.
Je jette un regard vers Esther qui retient son sourire. Martha, elle a sûrement lu trop de fanfictions, je lui pardonne. Une fois les adieux faits, je m'empresse de fermer définitivement cette porte pour nous retrouver aussitôt seules. Je ne sais pas quoi dire pendant un instant.
Puis, la pression redescend lorsqu'elle se met à rire.
Par la suite, nous dînons, nous parlons et je fais une visite guidée de ma chambre. Avec fierté, je lui présente le jeu de cartes que j'ai fabriqué avec Ruben il y a quelques semaines. C'est un paquet, tout ce qu'il y a de plus banal, mais où l'on a peint dessus. Unique, c'est exactement ce que l'on cherchait. J'en sors une du tas, c'était l'as de pic sur lequel mon ami avait dessiné un serpent qui mange un hamburger.
— C'est vraiment génial, tout ce que vous faites, dit-elle en s'allongeant sur le tapis dans ma chambre, les bras contre son ventre.
Rapidement, je la rejoins. Il fait froid, mais je sens mon corps se réchauffer en sa présence, ainsi que mes mains devenir moites.
— Et t'es pas au bout de tes surprises. Ma chambre regorge de tout ce que j'ai fait avec Aaron, Ruben et Erinn au cours des dernières années.
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C'était la première fois que je l'invitais chez moi, aussi la première fois qu'une petite amie venait à la maison. On a discuté jusqu'à pas d'heure. Puis c'est devenu une habitude : dès que l'on se voyait, on traînait dehors ou chez moi. Et, petit à petit, Esther est devenue une part entière de la famille. Mon père ne faisait même plus attention, il finissait même pas la confondre avec Erinn qui avait pris l'habitude de venir très souvent. Elle discute même avec Martha.
La maison regorgeait de vie, je n'étais jamais seule.
Et j'ai compris d'où venait mon malaise.
Je ne suis jamais allée chez elle.
Je n'ai jamais eu l'occasion de voir le visage de ses parents ou même de caresser son chat Grib. A-t-elle des frères ou des sœurs ? À quoi ressemble sa chambre ? À table avec Erinn, les mains sur les jambes et fixant mon repas sans l'écouter, je ne peux m'empêcher d'imaginer tout ce que je ne vois pas. Rose, avec des paillettes et des peluches ? Noir, ACDC contre les murs ? Je la vois bien avoir un vinyle, un tapis confortable et des posters sur ses murs, tandis que son chat ronronne dans son lit parfaitement fait chaque matin. Peut-être qu'elle a quelques peluches, mais je ne la vois pas en avoir une cinquantaine.
Peut-être que je ne la connais pas assez bien. Ça fait depuis janvier que nous sommes ensembles, que tout se passe bien et que je ne me pose pas trop de questions. Le soleil est déjà revenu en ce mois d'avril, lorsqu'il ne se met pas à pleuvoir. En attendant, les saisons ont eu le temps de changer que je n'ai jamais rien vu de la vie d'Esther.
— Tu m'écoutes...?
Je redresse la tête. Erinn, en face de moi et une fourchette à la main, me pointe avec un bout de carotte. Quant à moi, je n'ai même pas touché à mon plat. Je m'en veux immédiatement de ne pas l'avoir écoutée. Quelle abrutie.
— Désolée, tu disais ?
— Rien d'important, je râlais juste à propos de mon prof de maths.
— Il s'est passé quoi ? je lui demande.
J'essaye d'avaler des carottes et des petits pois qui gisent comme un cadavre dans mon assiette, tandis que mon intention est sur Erinn. Les ingérer est une tâche plus compliquée que ce que je pensais, comme si mon ventre n'avait déjà plus de place.
— Il nous a collé une interro surprise, comme si on avait pas assez de boulot et de pression. Et évidemment, tu le sais bien, on aurait dû réviser en avance et régulièrement. Pourtant, on a vraiment vu ça la veille. Hier soir, je dormais chez Ruben, j'allais pas revoir mon précieux cours de maths. J'avais mieux à faire. Bref, j'ai quand même réussi à répondre à quelques questions, mais je m'attends déjà à mourir en rentrant à la maison.
— Tu dormais chez Ruben ? dis-je avec un sourire en coin.
Sa tête devient rouge, elle tente de se cacher derrière ses lunettes rondes.
— C'est tout ce q tu retiens de mon histoire poignante, dramatique et frustrante ? répond-elle en riant doucement avant de se remettre à son plat principal.
— Je retiens que t'es géniale de t'être souvenue du cours, que je prévois une vengeance contre ton prof et que t'as dormi avec Ruben.
Elle tente de cacher des joues rosées.
— Tu critiques Aaron sur sa passion pour les fanfictions, mais t'es bien pire que lui.
Depuis que Ruben s'est encore séparé de Yannis – enfin plutôt depuis que Yannis est encore allé voir ailleurs –, les deux tourtereaux de ma fanfiction passent de plus en plus de temps ensemble. Il a l'air épanoui quand il est avec Erinn, c'est mon instinct de grande sœur qui le constate. Et j'espère de tout cœur qu'il ne se remettra jamais avec cet abruti, mais j'ai l'impression que cette rupture durera dans le temps. Malheur à moi qui souhaite la fin de leur relation, hein, sauf que tout le monde sait que c'est le meilleur pour lui.
— Certes, je devrais m'excuser auprès de lui.
Elle regarde à droite, puis à gauche. La cafétéria est quasiment vide parce qu'on y reste toujours jusqu'au dernier moment. Il n'y a qu'un surveillant, les yeux rivés sur son téléphone et à quelques mètres de nous. Ce n'est pas une menace. C'est en mettant lentement une fourchette remplie de petit pois dans ma bouche et les yeux écarquillés que j'écoute Erinn.
Sans en manquer une seule miette.
— Okay, t'as raison pour Ruben.
J'en.
Étais.
Sûre.
Immédiatement, elle se redresse et s'apprête à s'enfuir. Lorsqu'elle commence à prendre le rebord de son plateau, je le retiens, regardant en l'air avec un petit sourire.
— Reviens ici.
— Jamais, plutôt mourir.
On s'agite. Une petite bagarre de meilleure amie se déroule, avec en personnages principaux : l'une impatiente d'entendre les détails et l'autre trop gênée pour les raconter. Elle m'a fait le même coup avec Esther, c'est ma vengeance. Une vengeance en chatouilles.
Lorsque je tourne la tête, je constate avec effroi le regard du surveillant, qui nous foudroie sans dire un mot. Immédiatement, on s'assoit brutalement à nos places et je m'empresse de manger mon dessert, une part de gâteau au chocolat – qui n'est pas si bon que ça.
Erinn chuchote, sûrement par peur de se faire étriper, une main à côté de sa bouche pour faire barrage.
— J'aime bien Ruben, mais il ne s'est rien passé.
— Je n'étais donc pas parano ! Applaudis-moi.
Sans attendre, elle clappe dans ses mains, le sourire aux lèvres. Mais doucement, pour ne pas réveiller la bête sur son téléphone.
— Il doit encore être amoureux de Yannis, et ce serait un peu... bizarre ? On est ami depuis le début du lycée. Je dois me tromper.
— Y'a aucun problème, et tu le sais. Je ne sais pas ce que lui en pense, par contre. Il va falloir que tu lui en parles.
Elle soupire et s'affale contre la table.
— Pourquoi c'est aussi compliqué ?
— Je peux toujours m'infiltrer en tant qu'agent secret et lui faire tout révéler, mais il va se douter que quelque chose cloche.
Et je ne suis pas non plus la personne la plus discrète du monde, pouffant de rire à chaque instant et ne me prenant jamais au sérieux. Elle le sait, tout le monde est au courant. Si j'arrive vers Ruben, lunettes carrés sur le visage et costume, petite cravate et le visage sans sourire, il verra que quelque chose ne va pas.
Il se demandera même où est passée la vraie Théa.
Et ma couverture sera mise au grand jour, même si j'ai vraiment envie d'aider Erinn.
— Pas grave, je m'en occuperai, dit-elle avant d'engloutir son dessert. Et puis, j'ai toute la vie devant moi. C'est pas comme si on allait arrêter de se parler du jour au lendemain... Sinon, dis-moi, qu'est-ce qu'il y avait tout à l'heure ? Je vois bien que quelque chose ne va pas, instinct de meilleure amie.
C'est à mon tour de soupirer et de m'affaler sur la table, sous le regard menaçant du surveillant qui observe sa montre pour fortement nous inciter à partir. Je repense à tout ce qu'il s'est passé, tout ce dont je suis ignorante.
— Je sais pas... j'ai l'impression de ne pas réellement connaître Esther ?
— Alors que tu passes tes après-midi avec elle ?
— Oui.
— Qu'elle vient à quasiment toutes nos soirées ?
— Yep.
— Qu'elle est une partie intégrale de notre groupe ?
— Ouais.
— Que vous vous êtes envoyées des messages y'a dix minutes à peine ?
— Encore plus.
Tout se passe bien entre Esther et moi, et je flotte sur un petit nuage de sucreries à chaque instant, je ne devrais pas me plaindre. C'est assez difficile à expliquer, à vrai dire. Depuis ses dernières semaines, elle a pris une place si importante dans ma vie que mes meilleurs amis lui parlent fréquemment comme leur ami, et non comme Esther la "super copine de Théa". Tout est paradisiaque, mais je reste mal à l'aise.
Peut-être que j'en demande trop.
— Je l'invite sans arrêt chez moi lorsqu'on ne se balade pas autre part. Elle vous connaît, elle connaît chaque recoin de ma maison, mon père et même sa copine Martha. Quant à moi, qu'est-ce que je sais de sa vie privée ? Elle a un chat dont je n'ai jamais vu le bout de sa queue. Je ne sais même pas si ses parents se sont aussi teint les cheveux en rose, ni à quoi ressemble sa chambre. Finalement, je sais uniquement ce que tout le monde sait sur elle.
Erinn s'affaisse dans son siège, réfléchit un instant et se met à parler.
— C'est vrai que c'est louche.
— Je m'en doutais.
Je ne veux ni la confronter, ni m'imposer comme un poids lourd dans sa vie. Je veux que ce soit simple, comme la soirée aux sushis.
— T'emballe pas, commence Erinn. Je te connais, Théa. Je te connais comme si on était meilleures amies depuis l'enfance, comme si j'avais suivi toutes tes aventures chaotiques au collège et au lycée, surtout avec Adam le fétichiste.
Chacune la psychologue de l'autre à temps plein et sans rémunération, Erinn est bien la seule personne avec qui je raconte en détail ma vie amoureuse. J'en parle aussi à Aaron et Ruben, amis avec qui je fais des blagues – qui sont la plupart du temps vachement drôle.
— Certes, continue-t-elle, ça peut paraître vachement louche, mais il faut aussi le remettre en perspective. Tu ne penses pas ? Peut-être que tu compares beaucoup la relation qu'on a dans notre petit groupe avec celle que tu as avec Esther. Le truc, c'est que tout le monde ne va pas au même rythme. Par exemple, je connais Ruben depuis deux ans, et ça fait seulement quelques semaines qu'il se confie réellement à moi. Au-delà des blagues, tu vois.
— T'as raison. Mais... et si elle commence à me détester parce que je mets mon nez dans ses affaires ? Je veux pas être étouffante.
Je parle avec mes mains, un geste qui va d'un côté de la pièce et un autre vers Erinn. Elle, derrière ses lunettes rondes, garde un visage calme.
Je ne sais pas comment elle fait. Moi, j'ai l'impression que ma vie est en jeu.
— Peut-être qu'elle se débarrassera de toi, écoute.
— Ahah, très drôle.
Je lui tire la langue, puis croise les bras.
— Je lui en parlerai... bientôt. Au pire, elle le prendra mal et je devrais me trouver une autre fille aux cheveux roses.
Mais je n'en ai pas envie.
Absolument pas.
— Je peux toujours me teindre les cheveux, réplique Erinn.
Et ça me fait rire.
Après une discussion un poil philosophique, nous sortons de la cantine sous les yeux délivrés du surveillant, qui peut enfin s'en aller et retrouver ses collègues. Peut-être qu'il ira boire un petit café, à moins qu'il fasse des tiktoks avec les secondes dans le hall. Quant à moi, je vais devoir m'immiscer – un petit peu – dans la vie de ma petite amie.
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𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce demi-quatrième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous du ship Ruben et Erinn ? J'ai besoin de nom de ship pour chaque duo.
Et que pensez-vous des inquiétudes de Théa ?
Le prochain demi-chapitre sort vendredi prochain. ❞
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