Chapitre 34

-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙍𝙪𝙗𝙚𝙣

Est-ce que j'ai fait le bon choix ?

Est-ce que j'aurais dû agir autrement ?

Est-ce que j'ai encore tout gâché ?

Mes orteils se crispent dans mes baskets en observant Théa sombrer dans la forêt, impuissant, les bras qui pendent. Ma tête, quant à elle, ne peut pas s'empêcher de rejouer à la scène en boucle. La bobine se relance, sans arrêt, encore et encore. La venue de Théa, le sursaut d'Erinn, le câlin, les propos qui m'ont donné envie de taper dans un mur, et surtout ses yeux pleins d'espoir tournés vers moi, attendant que je solve tous les problèmes, pour partir en perdant tout leur éclat. Mais comment aurais-je pu prendre une décision ? 

Comment veux-tu que je choisisse, Théa ?

Je me revois droit comme un bâton, observant la scène comme un spectateur, jusqu'à ce qu'on me force à monter sur scène pour prendre une décision que je n'avais pas envie de prendre.

Et si j'avais demandé à Théa de rester ? Et si j'avais demandé à Erinn d'être plus tolérante ? Et si Théa avait raison ? Et si Esther était venue ? Et si tout était vrai ? Et si tout était faux ? Et si c'était un piège ? Et si je n'avais pas abandonné Théa ? Et si j'avais abandonné Erinn ? Et si...

Un reniflement.

Je tourne brusquement la tête vers Erinn.

Il n'y a plus que des larmes et des larmes qui se déversent sur ses joues, engloutissant ses taches de rousseurs et son regard autrefois joyeux. Maintenant, il est si vide, ne quittant pas le petit chemin de terre pris par sa meilleure amie sans même se retourner une seule fois.

— Il y a quelques mois, j'aurais vraiment pas pu imaginer que les choses tourneraient de cette façon, réussit-elle à articuler entre deux inspirations.

Il y a quelques mois, nous étions tous assis autour d'une table de la cafétéria à se raconter innocemment des anecdotes qui semblaient être de la plus grande importance – question de vie ou de mort. J'ai beau faire travailler mes méninges, je ne me souviens d'aucune histoire que j'ai pu entendre là-bas.

Tout ce dont je me rappelle à la perfection, ce sont nos places attribuées à la même table tous les jours, la façon dont je finissais avec aisance les assiettes de tous mes amis, et cette pause dans ma journée qui m'apaisait pour les prochains cours oppressants de terminale. C'étaient des rires, parfois des larmes, mais toujours une chaleur qui nous réconfortait.

Aujourd'hui, j'ai si froid sous ce soleil brûlant.

— Moi non plus, je murmure.

Je crois que je n'ai jamais autant pleuré de ma vie

Et que mon cœur ne s'est jamais autant agité.

J'espère simplement qu'il tiendra le coup.

Comme un électrochoc, les cours de madame Philippe me reviennent en tête. Le visage d'Aaron à l'avant de la classe me frappe en plein dans les yeux, si bien qu'il me fait pleurer ce con. Et tous ces bouts de papiers qui volaient au-dessus de ma tête et que je n'arrivais pas à attraper avant que la professeure ne nous voit. J'avais toujours si peur pour ma vie, c'est-à-dire qu'elle lise ce qui était écrit devant tout le monde. Des conneries, la plupart du temps. Mais il y a certains mots qu'on se balance qui peuvent changer le cours d'une vie.

"Elle devrait venir à notre soirée, vendredi soir."

Et si je ne lui avais jamais proposé ?

— Je suis tellement désolé, Erinn.

Mon pouls s'accélère, une bombe à retardement. C'est douloureux. Si je reste debout, je risque de finir par m'écrouler. Bientôt. Maintenant. Alors que mes poignets deviennent si faibles, un goût de vomi vient se loger dans ma bouche, aux côtés de mes larmes et de ma morve incommensurables. Je vacille.

Erinn s'empresse de m'attraper le bras et de m'aider à m'asseoir sur l'herbe sèche.

— Mais Ruben, c'est pas de ta faute. C'est pas de notre faute.

Et si Esther n'était jamais venue à notre soirée ?

Et si Esther et Théa n'avaient jamais commencé à sortir ensemble ?

— C'est moi qui ai insisté pour qu'elles continuent de se parler... et même pour qu'Esther vienne à notre soirée. Notre truc, à tous les quatre. Et c'est ce soir-là qu'elles se sont mises en couple. Et si je ne m'étais pas acharné, hein ? Et si je n'avais pas autant fait entrer Esther dans notre groupe sans même la connaître ? Peut-être que les choses seraient différentes aujourd'hui.

Je bute sur chacun de mes mots.

Boum.

Boum.

Boum.

C'est à croire que chaque battement de mon cœur est en réalité un marteau qui tape dessus pour le fracasser. Et la seule chose qui me tient encore éveillé, c'est la main d'Erinn posée sur la mienne et son regard aux sourcils tremblants qui me répètent de rester ici. De ne pas l'abandonner. Il ne faut pas. Surtout, ne pas l'abandonner.

— Ruben...

Elle passe sa main dans ses cheveux, finissant par les entortiller.

—  Et si je n'avais pas dit à Théa de ne pas s'inquiéter des choses bizarres qu'elle trouvait chez Esther ? Moi aussi, ça hante mes pensées, comme si tout était de ma faute.

— Alors que ça ne l'est pas.

— Alors, toi non plus.

Peut-être qu'on vit tous avec des remords. Peut-être qu'ils ne nous quitteront jamais. Peut-être que ça me fera toujours un point dans la poitrine. Peut-être qu'un jour, ils seront juste moins douloureux. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'Erinn partage les miens. Et ça y participe, à cette cicatrisation aux milles points de suture.

Mais j'aurais préféré qu'elle ne la rencontre jamais.

Qu'elle ne déménage jamais dans nos vies.

Pour venir tout bousiller.

— T'as rien fait de mal, insiste-t-elle en m'entourant de ses bras. Je te le promets, et je suis pas du genre à faire des promesses en l'air.

Être dans les bras d'Erinn est comme un médicament ultra efficace qui ressemblerait presque à une arnaque sur Internet, alors que ce n'est pas le cas. Il marche. Tellement efficace. Il fait battre le cœur plus vite, mais d'une manière aussi douce que ses mains porcelaines. Il donne envie d'en prendre chaque jour et de ne jamais s'en séparer. Il sent tellement bon, rien de chimique, juste une fleur d'hibiscus avec un soupçon de familiarité, de bien-être et de soulagement.  

Je caresse doucement son dos.

— Je te promets aussi que je vais nous sortir de là, lâche-t-elle après quelques instants.

Comment ça, "je" ?

Nous allons nous sortir de là, n'est-ce pas ?

J'aurais préféré rester un million d'années dans ses bras, mais Erinn se sépare de moi et son visage s'assombrit. Elle se lève et, se grattant nerveusement l'arrière de son crâne, elle baisse la tête pour me regarder droit dans les yeux. Et moi, figé, je l'observe de sa hauteur sans en perdre une seule miette.

— J'ai décidé d'aller chercher de l'aide.

Mon cœur en fait un tour complet.

Non, pas toute seule.

Elle ne me laisse pas le temps de riposter, elle monopolise la parole en agitant ses mains tremblantes dans tous les sens. 

— On ne peut pas attendre désespérément de trouver des preuves sûrement inexistantes, ou de réussir miraculeusement à réparer le camping-car. Tu le sais aussi bien que moi. C'est Esther qui nous a fourré dans le crâne cette stupide idée de rester encore un peu. Et pourquoi, à ton avis ?

Des milliers de frissons envahissent mes avant-bras.

Je me lève sans tarder.

— Et on doit pas se séparer, je m'emporte. N'est-ce pas ?

Maintenant, son regard m'évite.

— Je suis assez sportive. Je cours vite et j'ai pas mal d'endurance. Si je me dépêche de me rendre à la maison la plus proche pour pouvoir appeler la police, on a une chance de s'en sortir. Alors que si on part tous les deux, j'ai peur qu'Esther ne s'aperçoive de quelque chose et qu'on manque de temps. Je ne sais pas quel coup tordu elle serait capable de faire, mais imagine si elle brûle le camping-car pour faire disparaître Aaron et qu'elle s'enfuit...

Je refuse qu'on se sépare. Je refuse de l'abandonner. Je refuse de la laisser seule.

Le cœur battant à cent à l'heure, je m'approche d'elle pour attraper fermement ses épaules.

— Je peux être utile, tu le sais.

— Je le sais très bien... Et c'est bien pour ça que je te demande de veiller sur mon frère le temps de mon absence. Je sais que c'est beaucoup demander, mais j'ai besoin de toi.

— Erinn...

Elle se défait de mes mains, emportant avec elle une partie de mon cœur, puis entre dans le camping-car pour fourrer à la va-vite des tas de choses dans son sac à dos. Et pendant ce temps, je la suis comme un fantôme silencieux, tellement inutile. Mes pensées fusent à une vitesse hors norme, elles m'empêchent de me concentrer sur une seule d'entre elles à la fois. Me revoilà comme simple spectateur face à ma télévision. La télécommande à la main, on me demande de faire un nouveau choix qui pourrait ou non être déterminant.

 C'est le truc avec les décisions.

Une vraie roulette russe, impossible de savoir si celle-ci changera le cours des choses.

Je l'observe sourire à Aaron, puis sortir du véhicule sans plus jamais retourner en arrière. Je la vois ramasser sur l'herbe la poêle, elle l'accroche à l'un des passants de sa salopette avec l'un de ses lacets. Je fixe ses sourcils froncés, son regard déterminé, ses petites taches de rousseur.

Après tout, peut-être que cette décision ne sera pas cruciale.

Il m'est impossible de la lâcher du regard un seul instant. Alors, comment pourrais-je la laisser s'engouffrer dans la forêt ? Mais je sais qu'elle pourrait bien mieux se débrouiller seule qu'avec moi et mon poignet cassé qui la retarderaient. Je sais qu'elle est si forte que, même les yeux fermés, je me sentirais toujours en sécurité à côté d'elle. Elle sait très bien ce qu'elle fait.

— Tu peux compter sur moi.

Ces mots sortent tout seul, même si c'est la dernière chose que j'ai envie de dire aujourd'hui.

Mais je dois lui faire confiance.

— Merci beaucoup.

À deux pas du camping-car brûlant au soleil, Erinn m'offre un sourire si sincère qu'il fait palpiter mon cœur. Un médicament un peu trop fort qui rend mes mains moites. Ses boucles d'oreilles valsent dans la brise légère, son corps à l'arrêt est face à moi et ses yeux scrutent les miens.

— À toute à l'heure. Tâche de rester en vie.

— Toi aussi, je réponds difficilement.

C'est elle, la vraie aventurière du groupe, dans son t-shirt poussiéreux et sa salopette contre lequel gît une poêle toute propre. Je rêve de lui dire que ça lui va terriblement bien, que chaque petit détail la concernant me fait sourire de façon un peu plus idiote à chaque fois, que chaque phrase prononcée me déchire la poitrine en me rappelant qu'elle sera bientôt loin de moi.

Je rêve de m'approcher un peu plus d'elle.

Je rêve de poser ma main sur sa joue aussi douce qu'un nuage et de valser avec elle sans jamais avoir à se soucier du temps qui s'écoule. 

Je rêve de l'embrasser.

Mais elle part.

Je ne la quitte à aucun moment des yeux pendant qu'elle s'enfonce dans la forêt. Lorsque la dernière mèche de cheveux roux disparaît entre les branches, le silence devient d'un coup si étouffant. Ces gigantesques arbres l'ont engloutie, ils refusent de me laisser la protéger encore un peu. Et j'ai cet horrible nœud dans le ventre qui ne fait que grossir, encore et encore, jusqu'à bientôt faire exploser mon estomac.

Je ne peux pas la regarder s'enfuir comme ça.

Mes jambes se mettent à courir, comme la seule option envisageable. J'arpente ce chemin emprunté des centaines de fois, me faufilant entre les buissons et leurs épines qui m'écorchent les bras. Non, je ne peux pas abandonner Erinn. Pas comme ça. C'est avec le souffle haletant que je la retrouve au milieu du long chemin de terre nous menant au château hanté.

Je hurle son nom.

Elle sursaute et se retourne brusquement, mais il n'y a plus qu'un sourire sur ses lèvres lorsque nos regards se croisent enfin. 

— Ruben...

Je perds mes mots. Je ne sais plus quoi dire en m'avançant vers elle. 

Mes yeux ne lâchent pas ses lèvres roses. 

Et mon cœur, lui, n'en parlons pas. Il tambourine si fort dans ma poitrine que j'ai peur qu'elle puisse l'entendre.

— Oups... je me suis trompé de chemin, dis-je comme un idiot. Je pensais que c'était par ici, le camping-car.

Elle me sourit de plus belle.

Et me répond avec sa voix amusée.

— Moi aussi, je pense que je me suis trompée... J'étais certaine d'être dans les Alpes ! C'est vraiment dommage, j'avais emporté un bikini avec moi pour l'occasion. 

C'est à mon tour de sourire de plus belle.

Mon ventre me martèle de coups, tandis que l'entièreté de mon corps devient aussi brûlante qu'un volcan. Et on rit si fort que les oiseaux cachés s'envolent, que les arbres se mettent à danser et que tout disparaît autour de nous. Il n'y a plus rien pour nous déranger, rien qui importe. Nous avions tout le temps du...

Elle me dépose un baiser sur la joue.

Je sens mon visage devenir si rouge.

Le sien l'est aussi.

Maintenant, je suis certain qu'elle entend les battements de mon cœur. Nos regards se croisent à nouveau, plus timidement, sans durer aussi longtemps que j'aimerais. Le temps semble si court. Je rêve de grappiller quelques secondes de plus, voire quelques heures. 

— Rentre vite.

— Je te le promets.

Cette fois-ci, je l'observe s'éloigner pour de bon.

L'attente risque d'être insoutenable, d'ici-là.

                        ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce trente-quatrième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous de la décision d'Erinn ? L'auriez-vous prise à sa place ?

Si non, que feriez-vous à ce stade de l'histoire ?

Que pensez-vous de ces moments entre Erinn et Ruben ?

Quelle est votre citation préférée du chapitre ?

Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞

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