Chapitre 31
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-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙀𝙧𝙞𝙣𝙣
Regarder cette meurtrière s'enfuir aux côtés de sa bien-aimée, sans que je ne puisse rien faire, me donne la nausée. Je reste simplement figée sur place, parce que la suivre ne servirait à rien, hormis remuer le couteau dans la plaie. Tenter d'écouter ses excuses sorties de nulle part non plus. Elle n'a même pas cherché à nier.
Elle a "pris peur".
Moi aussi, j'étais terrifiée, lorsque je cherchais mon frère dans toute la forêt en essayant de garder espoir.
— Erinn...
Je sens la main de Ruben se poser sur mon épaule, mais ma tête reste immobile pour observer ce petit bout de clairière où j'ai l'impression d'encore la voir s'enfuir comme une lâche. Le chemin est étroit, comme si les arbres s'étaient rétractés sur son passage pour lui venir en aide.
Tout n'est qu'un bruit sourd qui engouffre mes oreilles six pieds sous terre. Parfois, des bribes de phrases réussissent à les atteindre.
— C'est pas possible... J'arrive pas à croire... vrai... Comment elle a... C'est... vrai cauchemar.
Et mon esprit est brouillé par cette image épouvantable qui s'est immiscée dans mon crâne.
Cette cinglée, plus grande et forte qu'Aaron, qui le course sans relâche dans cette immense forêt jusqu'à ce qu'il s'écroule d'épuisement dans le ravin, la tête la première et le corps plein de terre. Il l'aurait supplié en crachant de la boue. Et elle, impitoyable, aurait joué avec son affreux couteau rouillé, sans pitié, avant de l'achever. Sans qu'il ne puisse rien nous dire, sans qu'il ne puisse nous dire au revoir, sans qu'il ne me rende mes foutues lunettes.
Elles doivent forcément être quelque part.
Une question de plus sans réponse.
— Tu m'entends ?
Je remonte à la surface pour tourner la tête vers Ruben.
Lui, avec son regard de chiot et ses cheveux en plein dans son visage, m'observe droit dans les yeux. Et moi, j'ai comme l'impression d'être revenue d'une longue absence.
— Désolée, tu disais..?
— Je sais pas... qu'on devrait peut-être partir maintenant. Si c'est vraiment Esther...
Il hésite, joue nerveusement avec ses doigts. Et tout ce que ça procure chez moi, alors que mon cœur n'est plus qu'un profond ravin de désolation, c'est un pincement douloureux au seul coin encore en vie. Alors, sans trop y réfléchir, je pose ma main sur la sienne. Il sursaute, et c'est bien le premier sourire qui arrive à s'esquisser sur mon visage depuis une longue lignée de larmes.
— Si c'est vraiment elle, on n'est vraiment pas en sécurité ici.
— Qu'est-ce qu'on devrait faire, alors ? Je n'arrive plus à penser à rien.
Je me masse la tempe avec l'espoir de refaire fonctionner mon cerveau, comme s'il s'était éteint en même temps que celui de mon frère.
— Peut-être qu'on devrait profiter qu'elle ne soit pas là pour... nous enfuir, nous aussi.
Partir.
Le plus loin possible d'ici.
C'est tout ce dont je rêve.
Et, l'espace d'un instant, je me laisse berner par cette illusion. Elle semble alléchante, c'est vrai. Mais Aaron ne sera jamais vengé. La vérité sera enfouie six pied sous terre. Mon frère restera juste tristement dans cette forêt, avec une meurtrière en cavale, et j'aurais pour l'éternité la gorge nouée en pensant à ce que j'aurais pu faire différemment.
Je ne peux pas non plus condamner Ruben.
Alors, je baisse la tête, et me retrouve à parler à contrecœur.
— Dans ce cas, nos chemins se séparent ici. Il faut que je reste encore un peu. C'est trop important. Je m'en voudrais toute ma vie si je pars maintenant. Ruben, je suis désolée de te laisser en plan comme ça, mais c'est la meilleure décision à prendre.
C'est peut-être la dernière fois qu'on se verra.
Il ne dit rien un instant, perplexe. Il doit chercher ses mots pour me dire au revoir.
— Pas question. Je reste avec toi.
— Ne te force...
— C'est la meilleure décision à prendre.
Je relève la tête pour lui montrer mon sourire, même si je préférerais lui cacher mes joues brûlantes de joie. Puis, je l'embarque dans le camping-car, sans essayer d'être discrète cette fois-ci. Une fois la porte claquée, je lui explique de vive voix le plan : trouver des preuves qui incriminent Esther. N'importe quoi. Quelque chose qui lui fera payer ses actes atroces. Quelque chose qui nous permettra de l'enfermer pour ne plus jamais la revoir.
Il mérite au moins ça.
Je ne sais pas où nous trouvons la force de faire un pas après l'autre, sans flancher, pour fouiller à la va-vite chaque recoin du véhicule, malgré l'odeur fétide qui envahit nos narines comme une terrible alarme. À aucun moment je ne regarde le lit de Ruben, parce que je pourrais me retrouver complètement hypnotisée.
Ruben ouvre brutalement tous les placards de la cuisine, tandis que l'inspecte sous les sièges à l'avant. Là où elles dormaient paisiblement. Là où Esther était vulnérable. Là où on aurait pu en finir avec elle pour ne jamais rien commencer.
Tout aurait été mieux.
Si elle n'était pas entrée dans nos vies.
Mon esprit n'est plus maître de mon corps, je ne fais qu'exécuter des mouvements robotiques à la recherche d'une aiguille dans une botte de foin. La seule chose qui me ramène à moi, Erinn, c'est cette lourde présence dans mon dos qui vient glacer mon sang et qui me force à me retourner radicalement. Mais, à chaque fois, il n'y a rien.
Ruben doit aussi la ressentir, nos yeux se croisent à de nombreuses reprises.
— Erinn, je ne pense pas qu'elle reviendra de si tôt.
Je dépose sur le plan de travail les quelques feuilles que j'analysais à la loupe. Ruben vient de sortir de la salle de bain. Ses manches sont retroussées sur elles-mêmes, si bien que son t-shirt n'est plus qu'une sorte de marcel inattendu. Pas mauvais, juste inattendu. Un peu bien.
Mais la réalité vient me frapper lorsque je vois ses mains trempées, fraîchement nettoyées des traces sanglantes laissées par le corps qu'il vient de fouiller, à la recherche d'un dernier mot caché... en vain. Il les essuie sur son pantacourt brun. Cette réalité, c'est celle qui anime nos corps tanguants. C'est celle qui nous rappelle que, si nous ne restons pas sur nos gardes, nous finirons comme lui.
— Je sais... Mais, si elle revient, je peux t'assurer que ce sera pour la dernière fois.
Les yeux de Ruben s'écarquillent.
— T'as raison... Il nous faut de quoi nous défendre.
— T'es sérieux ? On va quand même pas lui faire de mal, ça va se retourner contre nous.
Ruben ne dit rien, il se contente de faire quelques pas jusqu'à la cuisine avec son sourire un peu débile qui me serre la poitrine. Il ouvre l'un des placards mal fermés sous mes yeux qui n'arrivent plus à le quitter pour ressortir une poêle qu'on a finalement jamais utilisée. Puis, brusquement, il la tend vers moi d'une façon digne d'un combat à l'épée, mais se retrouve à jouer maladroitement avec en la faisant tourner sur elle-même. Il imite même des prises de judo qui, je le précise, n'existent pas.
Et moi, adossée contre le plan de travail, j'en souris bêtement.
À en oublier la situation dans laquelle nous sommes.
— Tu vois ? dit-il en remettant ses cheveux en place. Pas question de lui faire de mal, juste de couvrir nos arrières.
Je me laisse y croire.
— T'as pas quelque chose de plus grand ?
Il s'arrête un instant pour réfléchir, puis part soudainement vers le fond du camping-car, me laissant toute seule avec Aaron. Mon sourire s'estompe aussitôt. Je ferme les yeux si fort. Pour ne pas le regarder. Pour ne pas tomber dans la folie. Si fort que ma paupière me picote de plus en plus intensément.
Je ne les rouvre que lorsque j'entends les pas lourds de Ruben se rapprocher de moi.
— Ça fera l'affaire.
C'est avec surprise que je tombe nez-à-nez avec sa guitare. Celle avec laquelle il jouait aux côtés d'Aaron. Celle de notre concert improvisé, lorsque l'on pensait que notre avenir était à nous.
— Mais Ruben, elle va se casser.
Il l'observe, les yeux brillants de larmes.
— C'est pas comme si j'allais l'utiliser à nouveau, répond-il d'une voix déchirée. Autant qu'elle serve à quelque chose, au lieu de rester enfermée dans un placard à prendre la poussière en espérant que je m'y remette un jour. Alors que... je me vois mal en jouer à nouveau.
Je n'ose rien dire.
La tête baissée et le cœur serré, je ne peux que les voir. Aaron et Ruben, qui jouaient à fond pendant tous ces après-midis où je voulais simplement bouquiner, et qui augmentaient machiavéliquement le volume à chaque fois que je leur demandais de faire moins de bruit. Je me rappelle les nombreuses fois où il est passé à la maison, le premier jour où il a touché sa guitare comme les spectacles dans le salon.
J'ai bien fini par venir, de temps en temps, les écouter jouer. C'étaient des après-midis puants de transpiration, mais qui passaient toujours à une vitesse folle.
Et elles n'arriveront plus.
Je suppose que la meilleure chose à faire est de donner une dernière utilité à cette guitare. Alors, même si c'est à contrecœur, j'acquiesce silencieusement.
Nos recherches se poursuivent, plus calmement cette fois-ci. Nos souffles se reposent, nos bras ne tremblent plus. Je nous ai rarement vus aussi sérieux. En ouvrant le placard où nous avons fourré le tas de papiers récupéré au lac, un objet lourd s'écroule sur le parquet.
Notre carnet de bord.
— Ruben, regarde.
Il me rejoint et baisse la tête pour l'observer comme un spécimen inédit.
— Je suis certain d'avoir vu Aaron avec, près du lac. Il était en train de le lire.
C'est vrai, je l'avais vu, si heureux de feuilleter le bouquin de nos vacances. Et je me disais que, moi aussi, j'allais prendre le temps d'y jeter un coup d'œil sur le chemin du retour. Peut-être même d'y ajouter quelques mots. Finalement, tout ne s'est pas passé comme prévu.
— Tu penses qu'il nous a laissé quelque chose ?
— Il n'y a qu'une façon de le savoir, répond-il en le ramassant.
Sans tarder, nous ouvrons le carnet, debouts en plein milieu du camping-car. Mon regard glisse le long de chaque feuille pleine de photos et de mots, à la recherche de l'écriture de mon frère. Je zieute tout, sans en louper une miette, battant le record de vitesse de lecture sous les yeux impuissants de Ruben. Je tourne toutes les pages jusqu'à...
Mon visage.
Je ne suis qu'à quelques centimètres de là, sagement assise sur un fauteuil en face de la table ronde, la tête appuyée contre ma main. J'ai un léger sourire tourné vers la fenêtre et j'observe attentivement la nature qui s'offre à nous. Un instant avant que je ne sursaute sous le bruit de l'appareil photo de Ruben.
Mes yeux relisent cette légende.
"J'ai réussi à capturer un écureuil."
Et soudain, j'ai l'impression d'y être à nouveau.
Je savoure à nouveau cette brise chaleureuse qui caresse ma peau pâle en ce début d'été. Je sens mes boucles d'oreilles virevolter au rythme des mouvements du camping-car conduit par Aaron. Je m'entends fredonner paisiblement l'une de mes musiques préférées. Et j'ai ces papillons qui cherchent à s'échapper de mon ventre, face à Ruben, en faisant mine de rien.
Finalement, ce sentiment n'est jamais parti.
Je lève la tête pour croiser le regard de Ruben. Son visage est maintenant rouge écarlate. Le mien doit être dans le même état, tandis que mon cœur tambourine dans ma poitrine. Des millions d'étoiles dans les yeux. Mon cœur se réveille enfin depuis ce maudit soir.
Ruben est un arc-en-ciel après l'orage.
Est-ce qu'il faudrait mettre la situation au clair ?
Mes joues sont en feu.
— Ruben ? je marmonne en tournant machinalement les pages.
— Oui ?
Mais je m'arrête net.
Mon regard reste figé sur l'écriture d'Aaron.
Ruben, lui, se penche brusquement vers la page.
C'est un dessin de nous au bord du lac, tout souriants. Pendant les vacances, avant le drame. Avant que nos vies ne prennent un tournant irréversible. Il nous dit qu'il a hâte de retourner chez les tarés, il nous parle de gratin de choux-fleurs.
"Bon, je rigole. Je vous aime beaucoup. Et je suis content que ça se termine bien. :)"
Un gigantesque trou se creuse dans mon cœur.
Mes yeux s'imbibent de larmes jusqu'à ne plus rien voir. Elles se déversent sur le papier, se mélangent avec celles de Ruben, jusqu'à faire fondre les derniers mots d'Aaron. Et j'ai beau essayer de réparer ça, c'est déjà trop tard. Il n'y a qu'une pluie d'encre face à nous. Aucune parole, que des reniflements saccadés.
Ruben m'attrape la main, la serre, pour fondre de plus belle contre mon épaule.
Aaron est à côté de nous, mais allongé.
Je le regarde, cette fois-ci.
J'aurais préféré que tout se termine bien.
┐
𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce trente-et-unième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous de la relation entre Erinn et Ruben dans ce chapitre ?
Une poêle et une guitare pour se défendre, vous en pensez quoi ?
Que pensez-vous du carnet de bord ?
Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞
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