Chapitre 3.2

𝘋𝘌𝘚 𝘔𝘐𝘓𝘓𝘐𝘖𝘕𝘚 𝘋𝘌 𝘙𝘖𝘚𝘌𝘚
└                                       𝙏𝙝𝙚𝙖

Le reste de la semaine s'est déroulé avec un petit sourire niais sur le visage. Je n'ai pas arrêté de parler à Esther, que ce soit par de brèves apparitions à l'autre bout de la rue ou par de longues discussions le soir lorsque, sous ma couverture, les mots s'enchaînent et les heures de sommeil s'envolent.

Soyons honnête, j'avais l'intention de venir dans ma tenue habituelle pour les soirées : pyjama dinosaure, pot remplis de glace dans une main et cuillère à soupe dans l'autre. Mais, mes plans ont été contrecarrés par la venue d'Esther... et de Yannis. Oui, oui. Même Yannis est de la partie – ce qui nous a franchement étonnés et qui a fait sauté de joie Ruben. 

Alors, je vais faire un effort.

Surtout pour Esther.

Parce que je me contrefous de Yannis, le type fondamentalement mauvais, narcissique sur les bords et violent. Autant dire que je ne veux pas me retrouver seule dans une pièce avec lui – raison de plus pour coller Esther. Je rêve simplement du jour où Ruben ouvrira les yeux, un tout petit peu... juste les plisser un instant. Et ce jour-là, il verra ce que nous voyons sans arrêt.

Alors que French 79 hurle dans mon casque, je suis allongée dans mon lit, clouée sur mon matelas qui me susurre à l'oreille de ne pas m'échapper. Pas de force. Il est vrai que je n'ai pas beaucoup dormi hier, ni avant-hier, ni le reste du temps en fait. Peut-être parce que cette soirée m'excite beaucoup trop, ou parce que dormir me terrifie parfois. Le fait est que j'ai passé mon vendredi à ignorer tout le monde avec les yeux à moitié ouvert et le cerveau à moitié allumé.

Et j'ai des millions de bourdonnements dans les oreilles. L'impression que mes doigts ne sont plus mes doigts. Que ce monde n'est pas le mien. Tout n'est qu'un complot. Tout...

Combien de temps ai-je dormi ces dernières quarante-huit heures ? Peut-être huit, peut-être plus ou peut-être moins. Peut-être pas.

Je trouve la force d'augmenter le volume avant de respirer un bon coup.

1... 

2...

3.

Je me lève brutalement – ce qui manque de me faire retomber à la dérive. Un petit pas de danse, un autre, au rythme de la musique. En un temps record, je fourre ma brosse à dent et un énorme pull dans mon sac à dos.

Lorsque je descends en fredonnant, je vois Martha qui est assoupie contre la table du salon. Son ordinateur est ouvert, une page remplie de texte aussi. Je m'empresse de sauvegarder son travail et de verrouiller son écran avant qu'un malheur ne s'abatte sur son récit.

— THÉA !

Je l'entends par-dessus ma musique.

Je reconnais cette voix entre mille : c'est mon père qui crie. Encore. Visiblement, il ne sait que crier, beugler comme un bœuf. 

Je m'arrête aussitôt dans l'entrée, retire mon casque et le tiens dans mes mains en le regardant sans un mot. 

— Qu'est-ce qu'il y a ? je réponds sèchement.

Il se rapproche de la porte d'entrée en soupirant.

— Ça fait déjà cinq minutes que ton ami toque à la porte. Tu devrais arrêter de porter aussi souvent ton casque, ou baisse le son au moins. J'ai l'impression de parler dans le vide, parfois.

Et toi, tu devrais arrêter de t'engueuler avec ta copine. On t'entend toute la journée. 

Mais je ne dis rien. À la place, je hoche simplement la tête pour que la bête se taise en un instant. 

Je m'empresse d'ouvrir la porte d'entrée pour saluer Erinn qui est venue me chercher un peu en avance. Si en avance que je suis encore en pyjama. C'est la première chose que je fais en rentrant du lycée : une bonne douche pour ôter cet horrible uniforme et me faufiler dans des habits confortables.

Quant à Erinn, elle est déjà maquillée et habillée d'une salopette en jean, avec l'un des pulls gris de Ruben. Tout le monde pique ses vêtements, je ne suis pas à blâmer.

— Bonjour, vous vous êtes perdus ?

— Oui, pardon. Je pensais voir ma meilleure amie, mais je crois que je me suis trompée d'adresse.

Elle tourne les talons.

— Au passage, j'aime beaucoup ce pull.

Elle se crispe.

Un, deux, trois et elle se retourne pour entrer dans ma maison sans m'adresser un regard. Je l'imagine déjà être rouge comme une tomate, alors je suis fière de moi..

Erinn connaît l'endroit par cœur et pourrait très certainement faire le chemin les yeux bandés. Après tout, elle y a passé une grande partie de son enfance, avec moi, à jouer à la dinette ou aux petites voitures dans le salon, comme sous la table lorsque l'on jouait à cache-cache contre les grands. Sans un mot, elle prend dans la cuisine la pâte à tartiner que j'avais cachée dans le fond du placard... pour éviter que mon père ne mange tout avant ma soirée.

— Tu gères, me dit-elle en fixant le pot. 

Elle regarde de droite à gauche, avant de chuchoter.

— Je pensais pas qu'il en resterait, donc j'en ai en rab chez moi. J'avais juste envie de t'accompagner.

— J'y croyais pas non plus, je chuchote. 

Disons qu'il est déjà arrivé qu'on fasse des crêpes pour les manger le lendemain matin et que mon père termine la pâte à tartiner. Ce qui était franchement dramatique.

— Maintenant, tu devrais t'habiller, dit-elle en souriant. Sauf si tu veux accueillir Esther avec ton pyjama rempli de dinosaures.

— Fais attention à ce que tu dis, je réponds en la pointant du doigt. 

— Pardon, pardon. Il est génial, j'aimerais tellement avoir le même.

— Erinn...?

— Oui.

— On a des pyjamas identiques.

— Je sais.

Aussitôt, elle pose son sac au sol et l'ouvre en un temps record. C'est avec un regard plein de fierté qu'elle sort le sien et le brandit en face de moi – on penserait qu'elle regarde son propre enfant. Je ne peux m'empêcher d'applaudir en souriant à pleines dents.

Avec Erinn, ça a toujours été comme ça. Fusionnelles, on se comprend facilement. On n'a pas besoin de se parler tous les jours pour connaître les secrets de l'autre – hormis son coup de cœur évident pour Ruben qu'elle ne veut pas avouer. On se connaît depuis le plus jeune âge et elle a une place dans tous mes souvenirs d'enfance. Mon âme-sœur amicale. Erinn passait son après-midi chez moi, après l'école primaire ou le collège. Je venais aussi souvent dans sa grande maison. Nous marchions, dansions, faisions du vélo, chantions à nous en casser les oreilles.

Une mini touffe rousse, une autre brune, des bêtises et beaucoup de rires. Erinn a toujours été calme avec les autres. Elle ne montre ses dents que rarement. On a toujours été plutôt différentes, elle les arts martiaux et la tendresse, moi la peinture et les explosions.

J'ai l'impression de l'avoir connu toute ma vie. Il y a eu tant de moments forts qui me remplissent de joie. Et certains bas, mais je n'ai pas envie d'en parler. De toute façon, je les oublie souvent, ceux-là.

— Qui est Esther ?

C'est mon père, affalé sur le canapé, qui a allumé les infos. Je sens ma peau devenir rouge, ce qui doit être le karma pour m'être moquée de ma meilleure amie. Là, je rêve d'une seule chose : sauter par la fenêtre pour échapper à cette discussion.

— Une nouvelle au lycée, répond calmement Erinn en remettant son pyjama dans son sac.

Ouf.

Je la remercie discrètement avec une petite tape sur l'épaule.

Ni une, ni deux, nous montons dans ma chambre et j'enfile l'un de mes pantalons blancs pattes d'éléphant – sans peinture. Je devrais bientôt m'en occuper parce que là... c'est trop vide. Ma peau redevient petit à petit marron, à son état initial, tout va bien. J'enfile un t-shirt beige – bien trop grand pour moi – sur lequel est dessiné un dragon. Il appartenait à mon père et, le jour où je l'ai vu dans le carton "à vendre", j'ai aussitôt décidé de l'adopter. 

Mon père s'est débarrassé de beaucoup de choses après le décès de ma mère.

Je suppose que moi aussi.

Comme pour tout réinitialiser.

— Bonne soirée ! je lui dis avant de partir, sac sur mon dos.

— Amusez-vous bien, me répond-il en se retournant avec un large sourire rare, mais authentique.

Dans la nuit noire de janvier, nous marchons jusqu'à chez elle – c'est-à-dire à plus d'une demi-heure à pied.  Le chemin inverse de ma rencontre avec Esther. Il se trouve que la famille d'Erinn vit à l'autre bout de la ville, pas très loin du célèbre restaurant japonais où travaille Aaron. Pour honorer notre soirée, il a d'ailleurs essayé de finir beaucoup plus tôt aujourd'hui. Je regarde furtivement ma montre : il n'est que dix-neuf heures et il doit déjà être à la maison. C'est une première.

En parlant de première, je n'avais jamais vu Erinn avec ce pull auparavant. Alors, pendant une bonne partie du trajet, j'essaye de la cuisiner à propos de Ruben. 

Elle m'explique, après une centaine de supplications de ma part, que Ruben est passé chez elle et qu'ils ont discuté. Elle avait froid, donc il lui a prêté de quoi se réchauffer. Et puis, il est resté dormir sur le canapé. 

J'aurais dû porter mon t-shirt Fight Club, ça aurait été grandiose.

Lorsque nous arrivons dans la grande maison des jumeaux, Ruben et Aaron sont en train de jouer à Mario Kart dans le salon. Ils nous saluent. Il n'y a pas leurs parents, ils sont partis passer le week-end chez des amis – et heureusement si l'on pense au futur vacarme. Erinn, quant à elle, pose son sac dans l'entrée et se tourne vers moi.

— On s'occupe de la pâte à crêpe en attendant qu'Esther et Yannis arrivent ?

— Moi, j'ai installé les matelas lorsque je suis arrivé, crie Ruben à l'autre bout de la pièce sans perdre une seule miette de son jeu.

— Je te signale que tu n'arrivais pas à mettre les draps, lâche Aaron.

Je l'imagine bien, agglutiné autour des lits, à tenter de comprendre avec une notice comment mettre correctement des draps. Ça me fait doucement sourire, alors que je pourrais clairement me retrouver dans la même position que lui. 

— Avec plaisir, Esther va sûrement bientôt arriver. Et toi, ton copain ? je m'adresse à mon acolyte de classe.

— L'attendez pas trop. Il a un repas de famille, donc il sera là vers vingt-deux heures.

Je souffle un instant. Rien d'étonnant. Toujours quelque chose à la dernière minute. À croire qu'il a un emploi du temps de ministre. J'espère que son repas ne va pas s'éterniser, il ne sait pas ce dont je suis capable.

— Tant pis. Ça fera plus de crêpes pour nous, lâche Erinn.

— Pour moi, rectifie Ruben.

— C'est ça.

Erinn sourit et s'engouffre dans la cuisine. Quant à moi, je me ronge les doigts en la suivant, checkant de temps à autre mon téléphone. 

Histoire de créer une relation de confiance entre vous et moi, il faut que je vous dise quelque chose.

J'ai menti. 

Esther n'a répondu à aucun de mes messages depuis la fin des cours. Peut-être qu'elle tente de bien s'habiller alors qu'elle est déjà au top. Peut-être que c'est pour m'acheter des roses, ou peut-être qu'elle s'entraîne pour un récital d'une de ses mystérieuses mélodies inconnues. Je ne devrais pas m'inquiéter. Tout va bien. Elle va venir à l'heure. Il n'y a pas de quoi s'affoler.

Pourtant, je lui envoie un énième message.

Théa : Je viens d'arriver chez ma meilleure amie ! On commence la pâte à crêpe. Dis-moi si tu as du mal à trouver l'adresse.

J'espère une réponse durant un court instant. Comme si elle allait m'écrire dans les trente prochaines secondes. En fait, il vaut mieux verrouiller cet écran avant que je ne devienne accro à une réponse.

Je rejoins Erinn et, en l'espace de quelques minutes, tout est installé sur la table. La musique glisse dans mes oreilles. On dirait un début de soirée entre nous : moi, Erinn, Aaron et Ruben, à parler de tout ce qui nous vient à la tête, à jouer à des jeux vidéos ou à grignoter. Il ne manque que les pyjamas.

Les minutes s'écoulent.

Enfin, mon téléphone se met à sonner. Il est vingt heures.

C'est Esther.

Esther : "Je suis là. :)"

C'est avec soulagement que j'ouvre ce message et que j'explique à mes amis qu'elle est arrivée.

Comme si je ne l'avais pas vu depuis des années, je m'empresse de me lever, passe rapidement les mains dans mes cheveux et essaye d'enlever les miettes de gâteaux de mon t-shirt avant d'ouvrir la porte. De l'autre côté se trouve une fille aux cheveux roses, lissés cette fois-ci et plus courts que d'habitude. C'est bien la première fois que je la vois sans jupe longue. Elle porte à la place un long jean vert, accompagné d'un crop-top blanc qui laisse entrevoir sa peau beige rosé. 

Elle me salue tandis que j'observe sa chemise à carreaux dans les tons plutôt automnales. Le marron et le beige lui vont bien.

— Hey, je lui dis.

Pourtant, derrière cette perfection indescriptible qu'est Esther, je remarque que quelque chose ne va pas. Elle a les yeux rouges, comme si elle avait fixer un écran pendant des heures sans relâche. Elle n'a aucune énergie, si bien qu'elle vacille lorsqu'elle est sous le porche. Je la fais rentrer, m'inquiétant à chaque pas qu'elle fait.

Ça doit simplement être la fatigue. 

Simplement le lycée.

— Salut, Esther ! lâche Ruben en s'approchant de la porte avec un sourire aux lèvres.

Certes, il est peut-être vrai que j'ai beaucoup parlé d'elle et que, par conséquent, tous mes amis étaient impatients de la rencontrer. Moi aussi, j'avais hâte que ça arrive. Forcément, j'ai eu des appréhensions. Forcément, la peur avait pris possession de mon corps. Finalement, on dirait qu'ils se connaissent déjà depuis des années. Je peux enfin respirer un bon coup.

— Tu arrives pile à l'heure pour les crêpes, dit Aaron. Je m'en occupe.

— Non, on avait dit que ce serait moi ! rétorque Erinn.

Aaron se lève de son confortable siège sur lequel il était assis depuis au moins deux heures — le même que sur lequel il jouait avec Ruben. Erinn s'empresse de courir dans la cuisine, son jumeau la suit de près et réussit à attraper la poêle avant elle. Il lève un sourcil, la tient près de lui et se vante de sa supériorité. 

— C'est toujours comme ça, je chuchote à Esther.

Elle rit légèrement sans les quitter des yeux.

— Ils ont l'air sympa, me répond-elle.

Avant même de pouvoir répondre, c'est au tour d'Esther de se jeter dans la cuisine et d'attraper les ustensiles pour faire des crêpes. Elle les lèvent en l'air, dont la fameuse poêle d'Aaron, et semble gigantesque face à eux. Ils se mettent à rire, en chœur. Et moi, je ne vois qu'elle au milieu de mes amis en esquissant un sourire si large qu'il me fait mal aux joues.

— Je m'en occupe ! lâche-t-elle en allumant le gaz. J'ai l'habitude de cuisiner chez moi. Vous ne serez pas déçu.

Elle verse une louche de pâte à crêpe et la regarde cuire. C'est Aaron qui brise le silence.

— C'est fou, je ne t'ai jamais croisé alors que ça fait quatre mois que tu habites ici.

— Peut-être que tu ne regardes pas assez bien.

— Les lunettes, dis-je en regardant Aaron.

Il passe sa main sur son cou dans un léger mouvement, puis me pointe du doigt. Une menace de mort, comme s'il allait me couper la tête. À la place de riposter, j'imite le cœur que je lui ai fait pendant le terrible cours de madame Philippe. Esther retourne la crêpe et demande à Erinn ce qu'elle aimerait dans la sienne sans quitter des yeux la poêle.

— Je ne me balade que la nuit, renchérit-elle. Comme un vampire, tu vois un peu ? Alors, il vaudra mieux ne pas me croiser. Regarde ce qui est arrivé à notre pauvre Théa.

— Un carnage, lâche Aaron d'un ton sérieux.

J'en ris aussitôt.

Comme si mon cœur était tout chaud.

Esther, avec délicatesse, prépare le repas de tous mes amis tandis que je l'aide à couper des bouts de fromage. Tout le monde finit par se présenter, ce qui me permet d'entendre des histoires que je connais déjà par cœur et qui me font autant rire à chaque fois.

Quant à Esther, elle explique des tas de choses sur son ancienne et sa nouvelle vie : Paris, le piano, la fleuriste. Elle nous parle même de son chat, Grib, une petite touffe noire et adorable qu'elle évoque souvent. Elle l'a adopté l'année dernière, lorsqu'elle l'a retrouvé à l'intérieur d'un carton dans une ruelle, remplis d'autres chats qu'elle a emmenés dans un refuge. 

Le ventre plein de crêpes, tout le monde s'installe autour de la télévision du salon. 

La cheminée, à quelques mètres, est allumée et Aaron surveille fréquemment les flammes qui virevoltent. J'ai beaucoup trop peur du feu pour m'en approcher, alors je reste à distance sous une couverture rouge que je partage avec Esther. Erinn en a une pour elle toute seule et Aaron porte un énorme pull noir. Ruben est, quant à lui, collé à la cheminée. Une autre méthode.

L'heure tourne, les aiguilles bougent. 

Ils s'affrontent sur Mario Kart, dansent sur Just Dance et Erinn présente son île sur Animal Crossing, sur laquelle elle a passé des heures à tout retaper. Je les regarde comme une mère fière de ses enfants. Esther n'est plus une inconnue, elle s'amuse avec eux et leur parle sans gêne. C'est tout ce dont je pouvais rêver. Je l'observe avec attention terminer sa danse avec Ruben – elle a gagné la partie.

— Ça vous dit de regarder un film ? propose Aaron.

— Pourquoi pas ! lâche Esther en s'arrêtant enfin, la respiration haletante.

Ruben s'écroule au sol. C'est la cinquième danse de suite qu'il fait. Il doit sûrement voir des petits canards tourner autour de sa tête. Je l'entends utiliser ses dernières forces.

— N'importe quoi... sauf bouger.

Il ferme les yeux par la suite, faisant mine d'être mort, la langue tirée. Furtivement, je le prends en photo et la montre à Esther qui met sa main devant la bouche pour rire discrètement. 

Erinn prend la télécommande et coupe le jeu vidéo, avant de se tourner vers moi.

— Tu vois ma collection de films d'horreur sous mon lit ? Tu peux aller la chercher ?

— Je les prends tous ?

— Seulement ton préféré. Celui que t'as envie de regarder.

Je sais exactement où les chercher. Alors, je ne perds pas une seconde pour me lever.

Erinn aime les histoires d'horreur, les histoires de fantômes, mais surtout les tueurs en série sanguinaire qui découpent leurs victimes en millions de petits morceaux. Autant dire qu'elle a une gigantesque collection qui s'est agrandie au fur et à mesure des années. Je les ai tous vus avec elle, blotties sur la couverture. Parfois, nous avions plus peur de ses parents qui descendent à l'improviste, nous faisant sursauter, que le film en lui-même. Depuis des années, je lui offre des DVDs horrifiques. Aaron et Ruben m'ont rapidement suivis, en plus des autres cadeaux et c'est devenu une tradition.

Reste à savoir lequel j'ai envie de regarder ce soir en particulier. Monstre, esprit ou tueurs ? Sanglant ou calme ?

— Je t'accompagne, propose Esther. J'ai envie de voir ce qu'elle a, en tant qu'amatrice de films d'horreur. Si t'as pas de problème avec ça.

— Non, aucun, lui dit Erinn. Mais choisissez le bon film. Attention.

Esther se redresse et me suit. 

Nous montons dans les escaliers lorsqu'elle m'explique qu'elle ne s'est pas trompée :  ils sont vraiment tous gentils. La chambre d'Erinn est au fond du couloir, à côté de celle d'Aaron. Le couloir aux murs blancs est rempli de fleurs peintes directement dessus. Nous avions fait ça il y a deux ans lors d'une après-midi avec ses parents – c'était fun.

Nous entrons dans sa chambre. À force, je commence à croire que c'est la mienne. Je peux même y imaginer le matelas sur lequel je dors à chaque fois que je viens.

Elle a des photos au mur, de nous, des endroits qu'elle visite ou des choses qu'elle trouve drôles. Elle a un grand bureau en bordel sur lequel traîne des vêtements qu'elle doit trier, ainsi que des livres qu'elle a envie de lire et qui ne sont pas rangés dans sa minuscule bibliothèque. Un lit simple avec des peluches dessus, dont quelques-unes que je lui ai offertes et avec lesquelles elle s'endort chaque nuit.

Je m'accroupis pour récupérer la boîte à films d'horreur glissée sous son lit. Comme une partie secrète de sa personnalité douce. Esther me rejoint et nous regardons chaque pochette de DVD.

— Trop calme, dis-je.

— Trop sanglant, lâche-t-elle.

À chaque fois, nous lisons le résumé à haute voix, avec une voix rauque de conteuse.

Quelques instants plus tard, elle s'arrête et me regarde droit dans les yeux, accroupie sur le sol et une main dans le carton à films, mon cœur vacille. Cette fois-ci son sourire est effacé. Je lâche la pochette aussitôt du synopsis que j'étais en train de lire. Qu'est-ce qu'elle a ?

— Désolée, je voulais pas être aussi en retard.

Le copain de Ruben n'est même pas venu. Il a dit à Ruben que ses parents ne voulaient finalement pas qu'ils sortent. Alors Esther n'a même pas à s'excuser. Yannis, en revanche, ne mérite pas le même traitement.

— Pas de soucis, il n'y a pas de chronomètre. Tu viens et pars comme tu le sens, pas besoin de te justifier.

Elle soupire et baisse la tête. Quant à moi, je continue de la regarder avec un pincement au cœur. Je ne sais pas quoi faire pour qu'elle se sente un peu mieux. 

Esther lève enfin les yeux vers moi et pose sa main contre la mienne, sur le carton à films d'horreur. Il y a des histoires horrifiques à côté de nos doigts qui s'entremêlent, tandis que ma peau commence à brûler.

— Je sais, mais j'avais envie d'être là et de te répondre. Et puis, je suis contente d'avoir pu rencontrer tes amis. Vous êtes vraiment fait pour former le meilleur groupe du monde, je dis pas ça à la légère. Je suis surtout heureuse d'avoir pu te voir.

— Moi aussi, évidemment.

Esther rapproche son corps du mien. Sans réfléchir, je fais de même sans la quitter des yeux un seul instant. Sans savoir ce qu'il se passe. Sans que mon cœur n'arrête de tambouriner dans ma poitrine. Aucun mot ne sort de ma bouche, le silence est maître de la pièce, tandis qu'on peut entendre des brises de la musique qui se joue au rez-de-chaussée. 

Elle pose sa main glaciale contre ma joue et ses lèvres sur les miennes, tendrement, tandis que je pose la mienne autour de sa taille et la ramène au plus proche de moi. Les yeux fermés, son autre main se serre contre la mienne. Quelques instants qui semblent durer une éternité.

Nous nous éloignons, nous regardons, ses minuscules taches de rousseurs sur son visage. Un petit rire nerveux, puis un autre. Esther continue de me tenir la main.

— Celui-là fera l'affaire, dit-elle le sourire aux lèvres en me montrant l'une des pochettes.

Mon cœur ne veut pas s'arrêter, je n'arrête même pas à me concentrer.

Est-ce réellement arriver ?

Plus nous descendons les escaliers et plus la musique est de plus en plus forte. Nous arrivons dans le salon en brandissant notre victoire. Ruben, Aaron et Erinn nous applaudissent pour notre découverte. Le reste de la soirée se passe bien, sous des couvertures avec la lueur des flammes qui dansent pour nous réchauffer en cet hiver, ainsi qu'un bon film effrayant qui en a fait crier plus d'un.

Je regarde Esther, main dans la main, sans jamais effacer mon sourire.

Tout allait bien se passer.

                  ┐

𝘕𝘋𝘈

└                       

❝ Merci d'avoir lu ce troisième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous du retard d'Esther et l'absence de Yannis ?

Comme Erinn, êtes-vous fan de films d'horreur ?

Alors, cette scène de bisou ? :)

Le prochain demi-chapitre sort vendredi prochain. ❞

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