Chapitre 29

-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙍𝙪𝙗𝙚𝙣

Le retour en tapant des pieds semble insurmontable, redoutant fermement notre arrivée au camping-car. Esther et Théa, elles, réussissent à discuter calmement pour trouver d'autres possibilités plus improbables les unes que les autres nous apportant des réponses désespérées. Mais, moi, je ne pense qu'au regard d'Erinn. Je pense à ses yeux plein d'espoir, une nouvelle fois, alors qu'elle nous attend impatiemment. Et je ne peux pas me la sortir du crâne, parce que savoir qu'elle sera inconsolable me tord le cœur.

Les yeux rivés sur le sol et les cheveux tombants devant mon visage, je shoote chaque petit cailloux que je trouve jusqu'à avoir les baskets pleines de poussière.

C'est comme si je voyais dans le futur.

Ses yeux noisettes vont s'agrandir dès qu'elle entendra la phrase que je redoute de prononcer. Sa bouche va tomber pour devenir encore plus minuscule qu'elle ne l'est déjà. Sans parler de sa peau parsemée de tache de rousseurs, splendide comme une œuvre d'art, qui sera inondée de larmes, encore et encore. Jusqu'au prochain faux espoir.

Je veux juste qu'elle aille bien.

Je veux juste qu'elle retrouve son sourire magnifique qui arpentait mon quotidien.

— Bon... Qui se charge de lui dire ? demande Esther en apercevant le camping-car au loin.

 Je n'hésite pas une seule seconde.

— Moi.

Lorsque nous arrivons, Erinn est déjà dehors, dos contre le véhicule, parcourant du regard les alentours. Quant à moi, ma boule au ventre s'intensifie à mesure que je m'approche d'elle. Chaque pas semble plus difficile que le précédent, comme un compte à rebours fatal. J'ai beau me racler la gorge un millier de fois, ce sentiment de honte et de chagrin y reste bloqué pour m'empêcher de respirer correctement.

Nos regards se croisent.

Elle s'avance vers moi, j'ai l'impression que je vais m'écrouler.

— Alors ? s'empresse-t-elle de me demander.

C'est le moment. Je dois cracher le morceau.  

— Ce n'était pas eux, j'annonce en croisant les bras pour me réchauffer de ces frissons incessants. On a insisté, jusqu'à même les menacer, mais ils ne semblent même pas au courant de ce qu'il s'est passé. Et puis, c'est vrai qu'ils habitent super loin. À une heure de route. Impossible que des vieux comme eux aient réussi à courser Aaron dans la forêt. Je suis désolé, Erinn. J'aimerais revenir avec de meilleures nouvelles.

J'ai parlé si vite que je me reconnais à peine, comme si quelqu'un d'autre avait pris possession de mon corps.

Erinn ne réagit pas, figée dans le vide. Et je ne peux m'empêcher de la fixer droit dans les yeux pour tenter de lire dans ses pensées, pour savoir que je ne lui ai pas fait de mal – alors que c'est certainement encore le cas. Ses yeux sont grand ouverts, ses lèvres entrouvertes et pétrifiées. Elle ne me regarde pas, j'ai plutôt l'impression qu'elle observe quelque chose derrière moi.

Comme une présence dans mon dos qui se rapproche de moi, comme si on allait me sauter dessus et me déchirer en deux, comme si c'était le monstre qui a tué mon meilleur ami.

Le cœur battant la chamade, je me retourne à contrecœur.

Seulement pour réaliser qu'il ne s'agit que d'Esther et Théa qui discutent à quelques mètres de nous. Je soupire. Sûrement de soulagement. Elles finissent par me voir, mais je ne m'attarde pas une seconde de plus et me remets face à Erinn pour la rassurer, pour lui expliquer que les recherches ne sont pas terminées, pour...

Elle est en train de pleurer.

Ses mains cachent ses yeux et elle renifle du nez. Son dos est courbé, la faisant devenir de plus en plus petite. Elle vient tout juste de réaliser, et j'aurais préféré qu'elle n'ait jamais à le faire. J'aurais préféré tout endurer pour elle. Maintenant, je ne peux que la regarder de ma hauteur, pétrifié à mon tour, avec ce nœud dans la gorge qui ne veut pas me quitter.

— Je suis tellement désolé, je souffle.

Elle ne me répond pas, occupée à renifler à nouveau sans que je puisse voir son visage.

D'un coup, Erinn se rapproche de moi pour m'enlacer, fourrant sa tête contre mon torse. Enfonçant ses larmes dans mon t-shirt qui devrait bientôt être trempé. Serrant ma taille avec de plus en plus de force, sous les battements crescendo de mon cœur. Pourquoi est-ce qu'il palpite autant ? C'est à se demander pourquoi je n'ai plus envie qu'elle me lâche, la gardant prisonnière en mettant mes bras autour de sa taille. Et son parfum envoûtant me porte vers un endroit idyllique où rien de toutes ces atrocités ne sont arrivées.

Étonnement, mon t-shirt est parfaitement sec. 

Attendez.

Elle a radicalement changé de comportement depuis notre retour.

Elle ne réagit pas comme d'habitude, elle ne pleure même pas pour de vrai.

Avant même que je puisse réagir, elle se met sur la pointe des pieds pour me susurrer à l'oreille.

— Suis-moi, n'en parle pas aux autres.

Mon cœur fait un tour complet, mon crâne bouillonne pour essayer de comprendre ce qu'il se passe. Je ne dis rien, je la suis jusqu'au camping-car, posant un milliard de questions à mon cerveau qui risque d'en faire une overdose. Sans me retourner sur mon chemin, je sens le regard lourd d'Esther et Théa, derrière moi, comme si elles savaient déjà ce qu'il se trame. À moins que ce soit le contraire.

Qu'est-ce qu'il se passe, bon sang ?

Erinn ouvre la porte du véhicule et n'hésite pas à plonger dedans. Quant à moi, je m'arrête net devant, raclant ma gorge tandis que l'odeur de ce qu'il reste d'Aaron réussit à se faufiler dans mes narines. C'est atroce. Atrocement difficile de faire un pas après l'autre.

Et la première chose que je vois en entrant, c'est Aaron.

J'ai désespérément évité de retourner dans cette pièce où gît mon meilleur ami, et maintenant je ne peux plus détacher mon regard de lui. Comme hypnotisé, je reste immobile.

— Ruben ?

Erinn claque des doigts devant mon visage, me délivrant de ce maléfice. 

— Désolée de te pousser comme ça, mais t'es le seul en qui j'ai confiance aujourd'hui.

— Le seul ?

Pourquoi pas Théa ? Pourquoi pas Esther ?

Elle m'ignore en partant aux quatre coins du camping-car pour jeter un coup d'œil à travers chaque fenêtre, où elle prend soin de tirer à chaque fois le rideau au maximum. Lorsque je l'observe comme ça, avec ses sourcils froncés et son teint pâle comme si elle venait de voir un fantôme, je ne peux que craindre ce qu'elle va m'annoncer. Les battements de mon cœur s'accélèrent à chacun de ses pas méfiants sur le parquet, jusqu'à s'affoler drastiquement lorsqu'elle s'arrête devant moi.

— Oui, le seul.

Erinn s'empresse de sortir de sa poche un papier froissé et plié qu'elle observe un instant, hésitante, avant de lever à nouveau les yeux vers moi.

— J'ai trouvé quelque chose dans la poche de la chaussure d'Aaron. Et... ça expliquerait sûrement beaucoup de choses, comme...

Des larmes commencent à se déverser sur ses joues. De vraies, cette fois-ci.

Je ne veux pas qu'elle soit dans cet état. Elle mérite tout sauf ça. Alors, c'est à mon tour de la prendre dans mes bras, la serrant pour qu'elle ne replonge pas dans sa vague de tristesse. Elle doit sûrement sentir les battements incessants dans ma poitrine, eux qui me rappellent sans arrêt qu'il faut que je sache ce qu'il y a sur cette feuille maintenant.

Je caresse sa tête, puis elle renifle une dernière fois avant de se dégager.

— Comme son comportement le jour de sa mort, explique-t-elle en bougeant ses mains. Ça expliquerait pourquoi il a radicalement arrêté de trier les papiers, en les laissant même en plan, alors qu'on sait bien qu'Aaron n'est pas du genre à laisser un travail incomplet. Ça expliquerait pourquoi il est parti dans la forêt sans prévenir personne... ou presque.

Je reste bloqué sur la fin de sa phrase.

C'est impossible, je dois délirer.

— Regarde.

Erinn déplie le papier, le regarde une dernière fois et s'essuie les yeux avant de me le tendre. C'est avec une main tremblante que je l'attrape aussi vite que possible. Mes poils s'hérissent en un instant, mon corps frissonnant ne peut plus tenir en place.

Elle est là.

Mais la photographie semble dater d'une époque lointaine, bien avant notre rencontre. Je pourrais reconnaître ce visage entre mille, lui qui arpente mon quotidien depuis des mois. Pourtant, elle n'a rien à voir avec la personne que je pensais connaître. Son regard n'a rien d'humain. J'ai même l'impression que c'est elle qui me fixe droit dans les yeux, me rappelant que je tiens dans mes mains quelque chose que je ne suis pas supposé voir.

Comme si elle le savait déjà.

Et si c'est le cas, nous sommes tous déjà morts.

Mon corps tangue en analysant chaque recoin de cette image, me demandant si je ne suis pas juste en train d'halluciner. C'est à mon tour de la scruter, elle avec ses cheveux bruns parfaitement droits, comme s'ils avaient été lissés pendant des heures et des heures. Elle ne sourit pas, ne porte aucune couleur. Mon sang se glace face à cette vieille photo d'identité.

Ils n'en avaient pas de plus récentes ?

Des millions de frissons parcourent mon corps lorsque je lis la description.

« DISPARITION INQUIÉTANTE DE PERSONNE MAJEURE. »

« Disparue depuis le 7 juillet 2022 à Tarrières, Esther Bauer n'a pas été vue depuis le meurtre de sa famille. Si vous avez des informations, contactez le commissariat de police de Tarrières. »

Mon regard alterne entre ces mots irréels et cette image d'Esther, tandis que mes mains ne s'arrêtent plus de trembler. Erinn récupère brutalement le papier pour le cacher à nouveau, avant même que mon cerveau ne puisse se remettre à fonctionner normalement.

C'est forcément une blague.

C'est impossible.

— Tu penses que c'est elle ? j'articule difficilement.

— Ruben...

Un goût de vomi vient de loger au creux de ma gorge.

— C'était dans la chaussure d'Aaron ! Il l'a trouvé et il a évidemment voulu comprendre ce qui était arrivé à ce monstre, parce qu'il fait attention aux autres. Elle en a profité pour se débarrasser de lui. Je vois que ça comme explication.

Je refuse que ce soit vrai.

— Peut-être que c'est un malentendu ?

Elle fronce les sourcils, croise les bras et me regarde droit dans les yeux, histoire de vérifier que je ne sois pas en train de lui faire une blague. Je rêverai que ce soit le cas, j'en meurs d'envie.

— Un malentendu ? répète-t-elle en s'approchant de moi. C'est sûrement aussi un malentendu qu'elle ait, étrangement, disparu le même jour que sa famille ait été tuée. Quelle coïncidence ! Ruben, il faut ouvrir les yeux. Elle nous a menti, nous a traqués et a profité de notre gentillesse pour couvrir ses putains d'agissements.

Un coup de poing au cœur, comme un coup de couteau dans le dos.

— C'est de la folie, je murmure.

— Théa est peut-être dans le coup. Donc, fais attention. 

Réveillez-moi de ce cauchemar.

C'est la goutte de trop, je me mets à fondre en larmes devant Erinn, rêvant de revenir en arrière. Loin, loin, loin en arrière. Essayer de faire les choses différemment. Faire plus attention à mes amis. Ne jamais partir en vacances. Je tape nerveusement du pied contre le parquet, me forçant à ne pas jeter un coup d'œil par l'une des fenêtres pour voir mes amies. C'est pas possible. Donnez-moi une explication rationnelle.

— Je suis désolée de te bouleverser comme ça.

Elle s'approche de moi, hésite un instant, puis attrape ma main qu'elle caresse doucement.

— On va essayer de s'en sortir, d'accord ?

Ce qui est paradoxal, c'est que je meurs d'envie de tout raconter à Esther et Théa. Elles trouveraient une solution à notre problème, elles me consoleraient et me rassureraient. Mais maintenant, tout ce que je peux faire, c'est l'imaginer.

Et ce sera toujours comme ça, à présent.

— Alors, qu'est-ce qu'on fait ? je lui demande en essuyant mes larmes.

— Suivre le plan d'Aaron, la confronter. Mais, cette fois-ci, nous serons à quoi nous attendre.

C'est avec une boule à la gorge que j'acquiesce, ne voyant pas d'autres solutions.

Aaron n'a pas pu sortir de cette spirale infernale.

Et je redoute le pire pour la suite.

                        ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce vingt-neuvième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous de la relation entre Erinn et Ruben ?

Que pensez-vous de cet avis de recherche ?

À votre avis, que s'est-il réellement passé ?

Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞

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