Chapitre 26

-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙏𝙝𝙚𝙖

Ma maman me manque.

Je sais que je ne l'ai pas connue pendant très longtemps, et j'aurais préféré naître bien des années plus tôt pour savoir qui elle était vraiment, plutôt qu'entendre les milliers de versions différentes d'elle que d'autres gens me content comme une belle histoire. Même si elle n'est plus qu'un lointain souvenir pour moi, il y a toujours un grand vide dans mon cœur qui attend qu'elle revienne pour le combler. Je suppose qu'il attendra pour l'éternité.

C'est quelque chose avec lequel j'ai grandi.

Apprendre à se sentir vide. Apprendre à vivre avec. Apprendre à coller un gros pansement sur mon cœur, en sachant pertinemment que la blessure ne cicatrisera jamais et que, parfois, le bandage va même s'abîmer et tomber. Il faudra un certain temps pour le remettre en place.

Il se trouve que mon cœur est aujourd'hui un peu plus vide.

Il est même en pleine agonie. Il n'était pas prêt à perdre quelqu'un d'autre si tôt, il n'avait pas les outils pour creuser ce trou aussi vite. À vrai dire, il ne l'a jamais été. Personne ne l'est jamais. Le départ d'Aaron ne cicatrisera jamais dans ma poitrine. Jamais comblé, jamais réparé, juste un grand ravin de douleur.

Difficile de penser à autre chose lorsque nous traversons la forêt pendant une bonne heure, nos pieds écrasant la multitude de branches tombées lors de la tempête. Difficile de penser à autre chose en marchant vers cette maison délabrée aux côtés d'Esther et Ruben.

Erinn est restée au camping-car pour faire le guet, et je ne sais toujours pas si c'était une bonne idée. J'accélère le pas, essoufflée, une crampe au mollet. Tout ce que je veux, c'est vite rentrer.

Vite m'assurer qu'Erinn va bien.

— Je vois la maison, nous fait remarquer Ruben. On y est presque.

En cherchant du regard, je finis par la trouver au loin.

Entre les arbres feuillues et les buissons gigantesques, elle semble nous observer avec ces grandes fenêtres. Bien plus sombre que la première fois, bien plus dangereuse. Des milliers de frissons me parcourent l'échine lorsque je vois des litres et des litres de sang qui arpentent leur façade de plus en plus proche. Je déglutis avec difficulté.

En clignant des yeux, ce ne sont plus que de simples murs plein de terre, d'insectes ou de végétations sauvages. Il faut que je me détende. 

Je ne suis animée que par la haine qui arpente ma peau jusqu'à s'infiltrer dans mes vaisseaux sanguins en pleine ébullition. C'est à se demander comment mon corps tient encore debout après tout ce qu'il s'est passé. Je ne veux pas m'arrêter. Ni me reposer un instant. C'est sûrement eux. Ce couple de connards psychopathes, fous jusqu'à suivre un enfant dans la forêt.

Sans raison.

Pour le fun, hein ?

Aaron a dû se défendre. Il est bien plus fort qu'il le dit si souvent. J'aimerais qu'il puisse savoir que je ne l'ai jamais trouvé faible, ni trop maigrichon pour soulever des montagnes. Ils auraient pu en porter des tonnes si nous n'avions pas croisé leur chemin.

Je serre si fort mon poing que je m'arrache la peau avec mes ongles.

Je les déteste. Je les déteste tellement.

Je veux les voir morts.

Je veux...

Esther pose sa main glacée sur la mienne.

— Hé, ça va bien se passer, me chuchote-t-elle. Je te le promets.

Elle me sourit doucement et, comme le meilleur des remèdes, mon corps réussit à se détendre, en particulier mon poing qui se relâche. Une respiration, puis deux et trois, je reprends peu à peu mon souffle.

À deux pas de la porte, Ruben s'arrête brusquement. Il se tourne vers nous, nous regarde un instant qui veut en dire long et hoche la tête. Nous lui répondons de la même façon. Comme pour s'assurer que nous sommes toujours partantes, en sachant pertinemment que les choses pourraient mal tourner en franchissant cette porte.  

Comme un dernier au revoir.

Mon pouls s'affole lorsque Ruben approche dangereusement sa main de la poignée. Tout va se définir maintenant, absolument tout. Mais il reste figé sur place, impossible de bouger. Il observe le sol, le poing serré, tremblant. 

Je m'apprête à lui parler, mais c'est à ce moment-là qu'il donne un coup de pied brutal dans la porte qui, elle, ne tient pas le choc et s'ouvre grand.

Incroyable.

Ses sourcils sont si froncés pendant qu'ils parcourent du regard la pièce que je n'arrive pas à me détacher de lui. Ses yeux se figent au bout d'un instant, il n'y a plus que de la colère dans son regard. Quant à Esther, elle nous dépasse et s'arrête net. C'est là que je vois André et Odette, engloutis dans leur vieux fauteuil poussiéreux. C'est avec déception que je réalise qu'ils ont trouvé un moyen de sortir de leur chambre bloquée.

J'aurais préféré qu'ils y restent.

Qu'ils ne retrouvent jamais Aaron.

La tête bouillonnante, je les regarde droit dans les yeux. En les croisant dans la rue, je ne me serais sûrement pas attardé sur eux. Je me serais peut-être dit que c'est un couple mignon de retraités. Impossible de se douter qu'ils pourraient commettre ce genre de monstruosités. Ils me donnent juste envie de leur faire subir le même sort qu'Aaron.

Avant même qu'on ne commence à parler, Odette se lève.

Dans sa longue robe jaune piquant les yeux, elle se rapproche à bras ouvert de Ruben.

— Enfin une sage décision ! Tu rentres à la maison sain et sauf !

Elle pose sa main sale sur l'épaule de mon ami.  

Le corps entier de Ruben se met à trembler, les yeux grands ouverts fixant cette femme. Hormis ses sourcils qui s'affolent, il ne bouge pas. Odette m'écœure tellement avec son regard faussement innocent. Elle me donne envie de vomir lorsqu'elle s'approche d'une façon malsaine de Ruben pour lui toucher délicatement les cheveux.

Mes poings se serrent, de plus en plus fort, sans pour autant oser bouger.

— Tu sembles avoir perdu du poids depuis hier. Ne t'en fais pas, tu seras très bien nourri à la maison, dit-elle en caressant sa joue. 

C'en est trop.

Sans réfléchir, je m'approche d'elle, la regarde un instant et la gifle de toutes mes forces.

Pour Aaron.

Pour mes amis.

Pour toutes les choses horribles qu'ils ont faites.

Odette recule de quelques pas pour se retrouver dos au mur, déboussolée, puis frotte sa main contre sa joue brûlante. Elle me regarde d'un air craintif, comme si c'était moi le monstre sanguinaire dans la pièce. Quant à Ruben, il peut enfin respirer un bon coup.  

Tout ce que je ressens, malgré les picotements dans la paume de ma main, c'est une certaine satisfaction. Sans pour autant être parfaitement comblée.

Elle n'a pas eu tout ce qu'elle méritait.

— Qu'avez-vous fait à Aaron ? je laisse ma voix s'emporter.

André est maintenant debout, à distance, les sourcils froncés écrasant ses yeux. 

— Qui est Aaron ? demande-t-il.

La goutte de trop.

J'explose en un rire essoufflé qui vient combler le silence dans la maison, jusqu'à même laisser couler une larme que j'essuie délicatement. Je ris, parce que la situation est absurde. Je ris, parce que ce ne sont que des gros tarés. Je ris, parce qu'ils ne savent même pas qui ils ont TUÉS. Je ris à en perdre la voix. C'est forcément une blague, tout ça.

Une très mauvaise blague.

— Notre. Ami.

— Oh, un des deux rouquins qui n'est pas venu ? intervient Odette en souriant.

Mon crâne risque d'exploser.

— Faites pas les idiots, je conseille d'une voix déchirée de haine.

J'attrape fermement une lampe sur le meuble le plus proche, jetant l'abat-jour à l'autre bout de la pièce sous les regards accablés de ces deux assassins. Je meurs d'envie de l'écraser contre l'une de leur petite tête sans défense. Jusqu'à ce qu'ils n'aient plus une seule goutte de sang dans leur veine. Jusqu'à ce qu'on ne les reconnaisse même plus. Je brûle d'impatience de les entendre sangloter, de les faire crier, de leur montrer la douleur qu'à dû subir Aaron.

J'avance un pas, mais quelqu'un m'attrape fermement le bras.

— C'est pas la solution, me chuchote Ruben à l'oreille. Même si j'en meurs d'envie.

Moi, je meurs d'envie qu'il me laisse tranquille. 

En y réfléchissant, il serait assez facile de m'échapper de son emprise en attrapant son poignet cassé. Il serait alors surpris de douleur, et c'est à ce moment-là que je lui foutrais un coup de poing qui me libérerait. Je pourrais enfin me retrouver face à Odette. Je lèverai la lampe de chevet au-dessus de sa tête et... 

Je croise le regard d'Esther.

Un regard plein d'innocence.

Un regard qui n'a jamais rencontré la mort avant ce matin.

Un regard que j'aurais aimé avoir aujourd'hui, au lieu de me retrouver avec une arme à la main.

Ce n'est pas moi, ça. Ce n'est pas la personne qu'Esther a rencontré. Ni celle qu'elle aime. Elle tourne sa tête de droite à gauche, la bouche légèrement entrouverte et le visage apeuré, si bien que je pose aussitôt la lampe et reste accroché à Ruben. J'essaye de respirer normalement. Je pense à un lac. Je pense à ma maman. Elle n'aurait pas aimé que je fasse ça pour elle. Aaron n'aurait jamais voulu ça non plus. Il faut que je me détende.

Contre toute attente, Ruben ramasse mon arme.

— Bien...

Prenant une voix agressive, il s'approche d'André et Odette en pointant la lampe droit vers eux.

— Je ne suis pas votre putain de fils ! Je ne suis pas un putain de gamin ! Et je n'ai absolument pas besoin de quelqu'un comme vous pour me coller aux pattes. Vous n'imaginez même pas ce dont je suis capable. 

Ils fixent silencieusement Ruben dont le regard reste noir.

— Maintenant, expliquez-vous.

— Comment ça ? demande Odette d'une voix mielleuse.

Ruben s'avance d'un pas brutal faisant s'agiter le parquet. J'en sursaute.

— Expliquez-vous !

— Que voulez-vous savoir ? Je crains de ne pas comprendre.

Je serre le poing. Ils nous prennent vraiment pour des idiots. 

— Pourquoi vous faites ça ? Comment vous nous avez retrouvés ? 

— Mais, chéri, commence Odette, comment aurions-nous pu vous trouver ? La forêt s'étale sur des kilomètres. Et tu as bien vu notre âge.

Ruben se met à crier de plus en plus fort.

Son visage en devient même écarlate.

— Arrêtez de vous foutre de notre gueule !

Il s'approche dangereusement d'eux d'une colère que je n'ai jamais vu chez lui. Une colère qui me fait frissonner.

— Si vous pensez qu'on aurait fait tout ça pour un faible maigrichon comme lui, vous devez vraiment être complètement fous.

Je.

Les.

Déteste.

C'est au tour d'Esther d'attraper de ses deux mains la lampe de chevet. Quelques mèches en plein dans son visage, elle tire avec tant de force qu'elle réussit à la récupérer pour la jeter à l'autre bout de la pièce. Puis, elle nous regarde, les bras croisés.

Pourquoi fait-elle ça ?

— Ce n'est pas eux.

— Esther...

Je la regarde sans la comprendre.

— Vous avez bien vu qu'ils n'en savent rien, affirme-t-elle en pointant du doigt leur corps apeuré. Leurs chaussures sont poussiéreuses, pas pleines de terre. Et ils habitent à plus d'une heure à pied de notre camp. Il faut se rendre à l'évidence, il n'aurait jamais pu nous retrouver. Jamais, jamais, jamais.

Elle essuie les quelques larmes sur ses joues.

— J'aimerais vraiment que ce soit eux, mais on est en train de perdre un temps précieux.

Je me racle la gorge en observant autour de moi cette maison délabrée et ces deux détraqués. Plus mon poing se desserre, plus la boule dans mon ventre prend de place jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus du tout. Il faut encore insister. Encore un peu. Je refuse d'y croire. Mais Esther pose sa main contre nos épaules et nous fait signe de nous éloigner avant que tout ce bordel ne dégénère.

On finit par l'accepter.

Ce n'est pas eux.

Le chemin du retour est si silencieux par nos gorges nouées, si long par nos pas vidés de toute énergie. Mes yeux sont si vides, fixant le sol sur lequel Aaron a dû marcher il y a quelques heures, avant de ne plus jamais pouvoir avancer.

Dans ce cas, si ce n'est pas eux, que t'est-il arrivé, Aaron ?

                        ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce vingt-sixième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Entre les retraités, Théa et Ruben, face à qui vous ne voudriez pas vous retrouvez (par rapport à ce chapitre) ?

Pensez-vous qu'André et Odette ont tué Aaron ?

Que pensez-vous de l'évolution de Ruben ?

Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞

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