Chapitre 25

-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙍𝙪𝙗𝙚𝙣

Aujourd'hui sera le jour où on retrouvera le cadavre d'Aaron et où on ne partira pas de cette forêt de malheur.

La gorge nouée à l'aide d'une ficelle si serrée que je manque d'air, nous sommes presque tous assis dans l'herbe râpeuse en face du camping-car. Ce nœud m'étrangle tant qu'il m'est impossible de prononcer un mot sans flancher. Je suppose que c'est le cas des autres, puisque personne n'ose prendre la parole, ni même se regarder dans les yeux. La seule chose que j'arrive à faire, c'est arracher des brindilles d'herbe pour occuper mes mains tremblantes.

Personne ne retourne dans le camping-car.

Personne n'ose dire ce qu'il y a dedans.

Pourtant, tout le monde y pense.

C'est si dur de regarder leurs visages aussi brisés que le mien, tous repeints par leurs pleurs calmes qui viennent combler le silence. À force de les observer, je finis par croiser le regard abattu d'Esther, et je ne peux que me dépêcher de détourner les yeux, comme si je venais d'envahir son intimité. 

Voir Erinn est la pire des souffrances.

Elle semble regarder au loin, à moins qu'elle ne regarde rien du tout. Ses yeux ne bougent pas d'un pouce, ses bras sont enroulés autour de ses jambes terreuses, elle n'est plus vraiment là. Tout ce que je veux, c'est poser ma main dans son dos et lui dire que nous sommes là pour elle. Mais je n'arrive même pas à remuer le petit orteil, mes pieds sont cloués à ce sol meurtri. 

Et j'ai ce terrible sentiment de culpabilité qui ne dégage pas de ma poitrine. Il me dévore peu à peu le cœur et s'attaquera bientôt au reste de mon corps. 

Tous ces "et si" résonnent dans mon crâne, jusqu'à m'empêcher de penser à quoi que ce soit d'autre.

Je m'attends à ce qu'Aaron sorte du camping-car, nous salue et nous regarde bizarrement. Pourtant, cette odeur nauséabonde nous rappelle chaque instant qu'il ne reviendra jamais.

On ne peut pas rester comme ça à attendre, pétrifiés, qu'une solution apparaisse devant nous comme par magie. Même si continuer de me morfondre serait bien plus agréable que de bouger mes muscles épuisés, il faut que j'agisse. Ou personne ne sortira jamais d'ici. Faiblement, difficilement, j'appuie sur mes mains pour m'aider à me relever. Malgré ces voix qui me susurrent à l'oreille de rester à terre, je redresse mon dos qui s'empresse de craquer, tandis que ma tête me joue des tours.

Tout est flou, comme un long vertige, pourtant je reste bien droit jusqu'à ce que l'orage passe.

En retrouvant la vue, je remarque que tout le monde me fixe en silence, excepté Erinn qui n'a sûrement rien remarqué.

— Je pense qu'il faut qu'on en parle, je commence d'une voix faible. Je...

Mon horrible nœud à la gorge me serre un peu plus, me clouant sur place. Une pièce de théâtre où j'oublie ma réplique. Cette peur irrationnelle de dire quelque chose d'absurde. Ne plus savoir comment utiliser les mots que j'ai appris pendant dix-huit ans.

Mes amies me fixent en attendant que je termine ma tirade, mais moi je triture nerveusement mon t-shirt. Lui doit commencer à s'effriter. Pas moi. Même si j'ai l'impression de me détériorer peu à peu depuis ces dernières heures, je sais que je grandis sans cesse. Je suis en plein travaux, en pleine reconstruction. Et là, c'est dur. Ça me brûle la poitrine de dire ces mots interdits, de prononcer l'impensable hier à peine.

Mais il faut bien que quelqu'un le fasse.

— Il faut qu'on en parle. Je suis désolé, c'est vraiment abrupt et bien trop difficile... Je suis désolé qu'on doive tous prendre dix ans dans la gueule d'un coup. Et je suis désolé que tout ça nous tombe dessus...

Erinn lève la tête, mon cœur s'affole.

— Mais il ne faut pas qu'on reste comme ça, à attendre que des preuves tombent par miracle du ciel, à attendre que je-ne-sais-qui vienne nous sauver et ramener Aaron à la vie. Le temps est particulièrement précieux dans ces moments-là. C'est ce qu'Erinn nous a appris pendant toutes nos soirées films d'horreur, ou pendant les millions d'enquêtes criminelles qu'elles se faisaient un malin plaisir à nous décortiquer. Les premières heures sont toujours les plus importantes. Je sais que c'est dur à entendre. C'est vraiment horrible de prononcer tous ces mots. Et j'ai encore l'impression que c'est un mauvais rêve.

En m'arrêtant un instant pour respirer, je remarque que des larmes ont coulé le long de mes joues. Elles me donnent tellement envie de rester dans ma spirale de déni.

Mais il ne faut pas que je me relâche.

— Je suis désolé de vous secouer, je bégaye en reniflant du nez.

J'ai encore mille choses à dire, mais plus aucun son ne veut sortir de ma bouche.

Chacune de mes amies affiche une tête bien plus dépitée que la mienne, puis une ribambelle de pleurs fait fuir les oiseaux. Le visage rouge, Théa gratte sans relâche la peau sous ses ongles jusqu'à discerner sa chair. Je ne veux pas voir ça.

Je tourne la tête vers la forêt, mais c'est pire. Je ne peux m'empêcher d'y voir Aaron, complètement seul, courir entre les branches pour échapper à la mort. Je suis certain de l'avoir entendu chuchoter que je suis le prochain.

— Moi aussi, je suis désolée de ne pas me secouer autant que je le devrais.

C'est la voix de Théa.

Elle est debout, face à moi, et tente de parler tant bien que mal.

Elle enroule ses bras autour de moi.

Aussitôt, la pression redescend, la forêt ne m'attaque plus. Un câlin, c'est ce dont j'avais besoin. Il me réchauffe et me réconforte, me protège et me soutient. D'un coup, je me sens moins seul. C'est ensuite Esther, puis enfin Erinn, qui viennent rejoindre le cercle. Un câlin, c'est ce dont on avait tous besoin.

Au bout d'un certain temps, nous finissons par nous réinstaller sur l'herbe. Même si nous continuons de laisser couler nos larmes jusqu'à ne plus en avoir en stock, nous sommes maintenant prêts à agir.

— Bien... Où est-ce qu'on commence ? je lance.

Elles m'observent sans savoir quoi dire.

Je sais qu'elles s'attendent à ce que je trouve les mots justes, ou peut-être même la solution, mais je ne peux pas y arriver tout seul.

— On pourrait commencer par récapituler tout ce qu'il s'est passé avant sa disparition, quand on était près du lac, dit Théa en jouant avec les mèches de son chignon. Peut-être qu'on a loupé quelque chose d'évident.

— C'est vrai, ça nous aiderait.

Je me triture la tête pour remettre dans l'ordre tous les événements, toutes les bribes de souvenirs qui veulent à tout prix disparaître de mon esprit. Il y a forcément un indice dans son comportement, dans ses mouvements ou dans le chemin qu'il a pris lorsqu'on l'a vu pour la dernière fois.

— Donc... nous étions tous au lac. Et je suis rentré assez tôt au camping-car pour me reposer.

Je ne sais pas dans quel but je regarde Erinn, mais elle ne bouge pas d'un poil.

— Aaron avait déjà commencé sa balade lorsque je suis parti. Comme j'étais sous l'eau en train de jouer avec Esther et Théa la plupart du temps, je n'ai pas fait super attention à lui... Je ne me souviens même plus de ce qu'il nous a dit avant d'y aller. Il n'est venu qu'une ou deux fois nous parler rapidement et, sinon, il restait dans son coin pour trier les papiers qui s'étaient envolés durant la tempête.

J'aurais dû être plus attentif.

J'ai l'impression qu'on me pointe du doigt comme le coupable.

C'est au tour de Théa de prendre la parole.

— Moi, je m'en souviens. Aaron a dit quelque chose du style : "Je reviens dans quelques minutes, je vais me balader dans la forêt." Et j'avais la flemme de l'accompagner, donc je lui ai juste dit de bien s'amuser au lieu de lui proposer de faire le chemin à deux.

Les larmes lui montent aux yeux.

— Enfin... ça n'aide pas vraiment. En tout cas, il y a eu beaucoup de mouvements hier. Je pense qu'on avait tous besoin de se retrouver seul à un moment pour respirer. Donc j'ai pas forcément fait attention aux aller-retours de chacun. Même moi, je suis allée seule dans la forêt pour pisser au début de l'après-midi. Mais j'ai vu son départ et après je n'ai pas bougé du ponton, parce que j'étais trop fatiguée. Je pense que je l'aurais remarqué s'il était revenu. Vous le connaissez, il nous l'aurait dit s'il était de retour, ne serait-ce qu'un instant avant de repartir. Donc le moment où il nous a annoncé sa balade est bien le dernier moment où on l'a vu. 

Esther tape nerveusement du pied, puis prend la parole.

— Le problème, c'est qu'on sait pas ce qu'il allait faire ni où il se rendait. Je me souviens juste l'avoir vu partir du côté droit de la forêt lorsqu'on est face au lac.

Théa acquiesce, elle s'en rappelle également.

Mon sang se glace.

— Pourtant, on l'a retrouvé du côté gauche, n'est-ce pas ? j'interviens.

L'idée qu'Aaron ait dû courir pour sa vie dans cette forêt s'étalant sur des kilomètres me donne la nausée. L'idée qu'il ait pu longer le lac sans qu'on se doute une seconde qu'il n'était pas si loin de nous. L'idée qu'il espérait peut-être nous rejoindre, mais qu'il s'est perdu en chemin. L'idée que ce soit peut-être son corps qui ait été déplacé.

Pas besoin d'en parler, nous restons silencieux. Chacun se fait sa propre idée de la scène, personne ne veut la partager. C'est douloureux, et ça nous avance si peu. 

Théa tourne en rond, se triturant le crâne avec ses mains, puis annonce qu'elle n'y arrive plus, qu'elle ne peut plus tenir cette discussion. Moi aussi, j'ai terriblement envie de tout arrêter. Je veux juste que la vérité nous soit apportée sur un plateau d'argent pour enfin rendre justice à Aaron. Quant à Erinn, elle ne dit rien. Elle ne prononce aucun mot. Juste une larme coule le long de sa joue, en silence, lorsqu'elle se lève.

Elle hésite un instant.

— Écoutez, j'ai peut-être une piste. 

Tous les regards se tournent vers elle.

— Mais ça ne va pas vous plaire, parce que personne n'a envie d'y retourner. Mais... réfléchissez à ce qu'il s'est passé avant de passer l'après-midi au lac.

Avant le lac.

Le regard tordu d'André et d'Odette.

Lorsqu'on s'est échappés de leur maison.

Ce qu'on a perdu là-bas.

Mon crâne commence à chauffer, déterminé à trouver une solution pour me rassurer. Mais il est submergé de nouvelles possibilités de plus en plus glauques qui expliqueraient comment Aaron s'est retrouvé dans cet état. Pitié, il y a forcément quelque chose de plus logique.

Tout sauf ça.

Au creux de ma bouche, il n'y a plus qu'un goût de vomi. Mon ventre commence à s'agiter et à vouloir répandre mes organes sur l'herbe. L'envie irrésistible de gratter l'entièreté de mon corps m'étouffe comme si un millier de moustiques venaient de me piquer. Il faut que je me ressaisisse. Je pars sûrement loin dans mes explications. Erinn n'a encore rien dit.

Une goutte de sueur s'écoule doucement le long de ma peau.

Puis Esther prononce les mots que je redoutais d'entendre.

— On a perdu le couteau chez eux.

                        ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce vingt-cinquième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous du comportement de Ruben dans ce chapitre ?

Avec ces (nouvelles) informations, avez-vous une théorie sur ce qui est arrivé à Aaron ?

Quelle est votre citation préférée du chapitre, je suis curieuse de savoir !

Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞

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