Chapitre 23

-̷̰͈͕̖̝̳̙̭̝͚̎̿è̸̙̇̆͂̈́̃͊̚̕_̴͚͇̿́̌̄̑̽̚͘͝͝"̷͙̕'̸̧̪͍̤̎͌̏?̵̠̥̫̪͛͑̌̚ͅà̸̜̦̜̖̣́̊͌̂̿̿̕
└ 𝙀𝙧𝙞𝙣𝙣

C'est pas possible.

C'est pas possible.

C'est pas possible.

Il n'y a plus aucun bruit dans la forêt. Le temps s'est mis en pause. Je suis sûrement en train de tout imaginer, en train de péter un énorme câble. Tout ça, c'est forcément faux. Ça ne peut être qu'un canular de mauvais goût depuis le début, une blague sordide.

Réveillez-moi.

Montrez-moi la supercherie.

Une marée de vomi me vient à la gorge et se déverse sur l'herbe jusqu'à vider mon estomac, arrachant par la même occasion l'intérieur de ma bouche. Qu'est-ce que ça brûle. Mes yeux se sont incendiés, je n'arrive même pas à les garder ouverts à cause des gouttes douloureuses comme des lames de rasoir qui passent sous mes paupières pour se répandre dans ce ravin. Il y en a trop, j'en ai perdu le compte.

L'entièreté de mon corps tremble, si bien que je finis par me retrouver à terre. Je ne bouge plus, les genoux s'enfonçant dans la terre sèche et les petits cailloux, tandis qu'un vent glacial vient chatouiller la peau sous mes vêtements. Et cette sensation ne me lâche plus. Nous sommes passés en hiver en un battement de cils.

Il faut que je rouvre les yeux. Il faut que j'en sois sûre.

Mais j'attends un instant.

Je veux pas voir ça.

Je serre si fort mes yeux qu'ils pourraient sortir de leur orbite. Attrapant mes genoux avec mes mains, j'enfonce de plus en plus mes ongles dans ma chair pour m'assurer que ce n'est pas un cauchemar. Quel malheur de sentir ces picotements se répandre sous ma peau, une douleur presque inexistante face à ce qui se dresse devant mon corps faible.

Un compte à rebours inévitable rempli de larmes et de silence morne.

Les yeux ouverts, il n'y a que l'impression de m'écrouler sans arrêt qui m'accueille. Rien d'autre. Tout est si vide. Les larmes me floutent la scène, si bien que je n'arrive qu'à distinguer des silhouettes : Théa, accroupie aux côtés d'Aaron, et Esther, debout. Elles ont l'air de pleurer, mais mes oreilles ne veulent pas l'entendre. Pourquoi pleurent-elles ? Tout ça, c'est faux. Tout est complètement faux ! Faux, faux, faux !

Et puis, en essuyant mes yeux, je réalise que c'est moi qui avait tort.

Tout se regorge à nouveau de larmes.

À ne plus se retenir.

Aaron est allongé sur le sol.

Je rampe jusqu'à lui comme un animal déchaîné, écrasant continuellement de microscopiques cailloux qui viennent entailler mes mains. Ce n'est rien par rapport à ce qu'il a vécu. Rien du tout. Arrivée à son niveau, je ne peux qu'observer avec stupéfaction sa peau si livide qu'on dirait qu'il n'a pas vu une once de soleil depuis des mois. Ses vêtements sont abîmés, élargis ou déchirés. En revanche, ses lacets sont parfaitement faits. Et il a les yeux atrocement fermés.

— Aaron ?

J'arrive à bafouiller des mots incompréhensibles par les larmes bouchant mon nez et me brûlant la gorge, mais il n'a pas la décence d'en répondre à un seul.

Aaron est allongé sur le sol.

Il ne répond plus.

J'attrape sa main glacée. Comme ça, je vais le réchauffer. Je ne comprends pas pourquoi Théa, elle, ne l'aide pas à se décongeler. Il va finir par attraper froid. Déjà qu'il est tout rigide. Ça ne le met vraiment pas en valeur. Je lui ai déjà dit que, lorsqu'il dansait, il fallait moins se raidir.

Des mouches viennent élire domicile sur sa peau blanche comme neige, surtout sur son t-shirt un peu abîmé. Un peu déchiré au niveau du ventre. Il va falloir recoudre tout ça. En particulier l'énorme trou imbibé d'un liquide cramoisi près de son cœur. J'ai beau essayer d'éloigner ces putains de mouches qui salissent le corps de mon frère, elles reviennent toujours à la charge. 

Je le touche, il ne râle pas parce que je prends toute la place. Au lieu de ça, il se laisse tomber sur le côté comme une lourde pierre qui s'écrase sur cette herbe morte.

Aaron est allongé sur le sol.

Il ne répond plus.

Et il ne répondra plus jamais.

Je crie, comme si c'était la première fois que ça en valait la peine. Je crie, si fort que je m'en pète les tympans. Je crie, parce que sinon, je serais en train de me planter ce couteau rouillé dans l'abdomen, pour ne plus jamais faire face à cette réalité crue qui me guettait depuis hier.

Théa m'enroule de ses bras et me tire en arrière, malgré mes hurlements aigus faisant s'enfuir tous les oiseaux de leurs arbres. En me débattant, je suis certaine d'avoir vu un corbeau m'observer. Et ces connasses de mouches ne dégagent pas.

Ne m'éloigne pas de mon frère, Théa.

ARRÊTE.

C'est pas possible.

Je sais qu'elles essayent de me parler, je vois leur bouche gesticuler et leurs mains envahissantes me toucher dans un inconfort étouffant, des silhouettes m'étranglant peu à peu. Je vois la paume de mes mains coulant de cramoisi couvert de terre – bientôt, les mouches viendront me dévorer, moi aussi. Je vois leurs regards perdus, arrachés, accablés, tiraillés entre tenir une furie et un homme mort.

Mes muscles, épuisés, finissent par se détendre. Théa me lâche enfin, mais reste accroupie auprès de moi. J'en profite pour éloigner ma tête de son corps qui me bloque la vue. 

C'est là que je croise le regard de mon frère.

Ses yeux sont grand ouverts. Pourtant, quelque chose cloche. Ses iris noisettes sont vidés de toute étincelle, comme s'il était à présent en veille. Et il ne se rallumera plus jamais.

Jamais, jamais, jamais, jamais, jamais.

J'enfonce mes ongles dans la terre sèche jusqu'à les briser en deux. Le ravin est maintenant inondé de rouge et d'eau, de toute notre tristesse, de mouches rêvant de dévorer mon frère, d'une douleur invivable dans la poitrine. Des sanglots, des tremblements, des reniflements, on baigne en plein dedans.

Mon corps est sur le point de me lâcher.

Et j'aimerais qu'il m'emmène rejoindre mon frère.

Mais je dois rester forte, juste pour lui.

Après tout, il serait sûrement en train de se moquer de moi s'il me voyait pleurer comme ça. Il serait surtout déçu que je ne tienne pas le coup et que je me laisse perdre la tête. Il n'aurait pas voulu tout ça. Alors, même si la pression semble avoir doublée autour de mon corps faible, je finis par me relever, un pied après l'autre. Avec le dos de ma main, j'essuie mes larmes jusqu'à voir correctement l'attroupement autour de mon frère.

— Il faut pas le laisser là.

Théa, accroupie, a de la terre plein les vêtements. À côté, Esther est assise en tailleur, le regard vide dirigé vers Aaron, même lorsque Théa commence à articuler des mots.

— Je...

Sa voix vacille et elle n'arrive pas à me regarder. À vrai dire, personne n'arrive à se regarder en face, juste à avoir les yeux rivés sur lui, gisant sur la terre en plein milieu de la forêt. Elle pose sa main tremblante sur sa poitrine, respire doucement, puis me répond en reniflant.

— Je suis d'accord... On l'emmène avec nous et on se casse d'ici.

Je ne rêve que d'une chose : partir. Loin, très loin, avec tous mes amis sains et saufs. Je suppose qu'il ne sera jamais complètement exaucé, mais je supplie l'univers de nous laisser nous échapper de cet enfer sur terre. 

— Où ça ? demande Esther d'une voix déchirée.

— N'importe où. Là où il y a de la vie, là où on pourra rentrer chez nous. Je peux pas rester ici une minute de plus.

Les cheveux tombant sur le visage d'Esther, elle lève enfin le regard vers moi.

— Vous pensez pas qu'on devrait attendre un peu ? Je sais pas... Personne ne nous croira si on se ramène avec un cadavre où que ce soit. On nous prendra pour les tueurs, et ce sera terminé. Plus de retour à la maison.

Entendre le mot cadavre m'engloutit de frissons, si bien que je passe la main devant ma bouche pour empêcher cette atroce envie de vomir de se réaliser.

Je ne peux pas parler.

Je n'y arrive pas.

— Et tu veux qu'on fasse quoi au juste ? demande Théa, la main toujours tremblante.

— Pour le moment, on a besoin de temps.

Elle n'a pas tort.

Esther, avec ses jambes pleines de terre à force d'être assise près de mon frère. Esther, avec le regard plein de douleur. Esther, en qui Aaron avait tellement confiance. Il ne faut pas que j'agisse sous la colère, même si c'est ce que je rêve de faire. Il faut choisir la meilleure décision pour tout le monde, même si mon corps veut déguerpir d'ici. Il faut que je suive Esther, c'est ce qu'Aaron voudrait.

Je n'arrive qu'à lui offrir un hochement de tête.

Puis, un silence de mort vient envahir le ravin pour me rappeler ce que je suis en train de faire, un souffle glacial qui me ramène dans ma solitude.

Esther agrippe ses pieds, Théa l'un de ses bras, avant de me faire signe de venir l'aider. Je le regarde silencieusement. Des vertiges. C'est irréel. Je prends une grande inspiration et l'attrape. Sa peau est si froide, si dure mais si fragile. Un goût de vomi vient élire domicile dans le fond de ma gorge, prêt à déménager sur mes chaussures d'une seconde à l'autre. C'est dans un calme morbide que nous soulevons le corps lourd d'Aaron qui bascule au rythme de nos pas funestes dans cette forêt. J'essaye de ne pas flancher. J'essaye de tenir bon, malgré mes bras et jambes en compote, sans pouvoir lâcher mon regard de ses mèches dansantes dans le vent.

Passer devant Ruben pour tout lui expliquer vient atrocement me rappeler ce que j'essaye de nier. Voir ses larmes et ses cris, ses mains maladroites et son regard vide réveille notre chagrin, à l'unisson, tandis que des corbeaux planent au-dessus de nos têtes.

C'est bien Aaron, et c'est bien trop tard.

On ne parlera plus jamais.

On ne rigolera plus jamais.

On ne s'embêtera plus jamais.

Il ne viendra plus jamais dans ma chambre le soir pour regarder un de mes énièmes films d'horreur, et je ne viendrai plus jamais dans la sienne pour jouer avec lui à un de ses énièmes jeux vidéo. On ne discutera plus jamais jusqu'à la nuit tombée. Je me souviens même plus de la dernière fois que c'est arrivé. Je n'en ai même pas assez profité.

Je ne dirai plus jamais que je ne veux plus le voir.

Je ne dirai plus jamais rien d'affreux que je ne pense pas réellement.

Je me sentirai toujours vide.

Mes yeux se déchirent en larmes tout le long du trajet sans qu'aucun mot ne soit prononcé.

                        ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce vingt-troisième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous de la mort d'Aaron ?

Que pensez-vous des illusions d'Erinn durant ce chapitre ?

À votre avis, que s'est-il passé ?

Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞

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