Chapitre 22
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└ 𝙏𝙝𝙚𝙖
"Erinn est partie chercher Aaron, je la rejoins pour ne pas la laisser seule. Ne vous inquiétez pas si on n'est pas de retour avant votre réveil. – Ruben"
— Tu devrais leur faire confiance, me dit Esther en serrant un peu plus fort ma main.
Les yeux rivés sur ce bout de papier écrit à la va-vite, ça fait de bonnes minutes que ma tête bouillonne sans pouvoir faire quoi que ce soit d'autre. Je suis simplement là, aux côtés d'Esther, sur le lit déplié de Ruben. Et je joue nerveusement avec cette feuille, à deux doigts de la déchirer en mille morceaux.
Le reste du temps, je guette leur retour par la fenêtre.
— Ils auraient dû nous réveiller.
— Théa... Peut-être qu'ils ne pouvaient pas. On n'en sait rien.
Je fronce les sourcils. J'en ai marre.
— Écoute, il y a mille possibilités. Et je suis sûre que, dans toutes ces possibilités, ils font très attention à eux.
Esther m'observe fermement de ses yeux verts, illuminée par le soleil matinal qui s'introduit dans le camping-car. Elle a les cheveux en pétard et des cernes si longues qu'on pourrait penser qu'elle n'a pas dormi de la nuit. Elle porte son air compatissant, et je sais qu'elle me chatouille doucement la paume de la main pour m'apaiser.
Mais je n'y arrive pas.
Je préfère enfouir ma tête entre mes bras pour me cacher.
Impossible de penser à autre chose qu'à la centaine de chemins qu'ils auraient pu prendre, jusqu'à m'en retourner le cerveau. Je ne peux pas m'empêcher de les voir tomber dans un ravin, s'accrocher à des épines tranchantes ou tomber nez-à-nez avec un animal féroce. Et s'ils étaient tombés sur quelqu'un ? J'y pense à m'en arracher la peau, à vouloir prendre mon crâne et le renverser pour remettre mes idées en place. Et, même si Esther a réussi à calmer ma fureur au réveil, ma peau brûle toujours d'un mélange de rage et de chagrin.
Personne ne sait pourquoi Aaron n'est pas rentré hier, ni même où il se rendait.
Alors, comment peuvent-ils partir sans nous ? Nous sommes un groupe, nous sommes unis. Quand est-ce que ça a changé ?
— Et si on continuait les recherches en attendant ? Ça t'aidera peut-être à penser à autre chose.
Je ne réponds pas. À la place, je laisse un goût amer envahir ma bouche. Les yeux fermés, j'essaye de m'imaginer loin d'ici, très loin de tout ce bordel. Je ne sais pas si ce sera utile. À vrai dire, je ne sais rien.
Esther renifle du nez.
— Je t'aime tellement, et je déteste te voir dans cet état.
Mon cœur fait un bond.
En ouvrant les yeux, il se serre en voyant les joues rosées et les larmes d'Esther, tandis qu'elle renifle une seconde fois. Elle tente de se tourner. Elle tente de m'épargner ça. Mais je lui attrape les deux mains.
— Je suis désolée, souffle-t-elle.
— Comment ça ?
Elle hésite un instant, le regard fuyant, tapotant du pied contre le parquet du camping-car.
— De ne pas être à la hauteur.
Cette fois-ci, mon cœur palpite, il s'affole dans ma poitrine en me criant de réparer ça. Il me hurle dessus en répétant que je viens de blesser Esther qui, elle, est bien plus qu'à la hauteur. Ce n'est pas ce que je veux. Je n'ai ni envie de voir son visage apaisé s'estomper, ni ses yeux se noyer sous les pleurs. Elle ne mérite pas ça, loin de là.
Je serre ses mains un peu plus fort.
— Je suis pas d'accord, Esther. T'es la fille la plus géniale, la plus cool et la plus à la hauteur que je connaisse. Et t'as sûrement raison sur toute la ligne depuis le début...
À présent, elle me regarde droit dans les yeux.
— Tu sais quoi ? J'ai envie de leur faire confiance. J'ai envie de suivre ton idée. On lâche rien et on part chercher Aaron dès maintenant. Erinn et Ruben nous rejoindront lorsqu'ils le pourront. Merci infiniment, je t'aime énormément.
Son léger sourire réapparaît.
— Moi aussi, je t'aime beaucoup, dit-elle en essuyant ses larmes avec ses deux mains.
Je caresse sa joue aux endroits où des gouttes lui ont échappé.
— Je crois que tu me l'as déjà dit.
— Je suis une grande romantique, tu le sais déjà.
Esther se lève, remet derrière ses oreilles les mèches roses baladeuses et me tend la main. Je la vois, face à moi, celle que j'ai rencontré il y a quelques mois. Et elle me sourit comme s'il n'y avait que moi dans l'univers. Alors, je n'hésite pas à attraper sa main pour me redresser.
En sortant du camping-car, j'ai l'impression de m'être téléportée dans un autre monde.
Les rayons hostiles du soleil m'aveuglent et la forêt a perdu toute sa familiarité : les grands arbres feuillus qui nous surplombent sont prêts à nous écraser, tandis que le chemin de terre rejoignant le lac semble interminable. Mais je ne recule pas. Je redouble d'effort. Je le sens, la cachette d'Aaron est sur le point d'être découverte.
S'il le faut, je ne dormirai pas. Je ne fermerai pas l'œil tant qu'Aaron ne sera pas à mes côtés pour remplir ce vide douloureux dans mon cœur.
Il y a quelques mois, je ne pensais pas hurler son nom dans la forêt à en avoir la gorge en feu.
Nous sillonnons une seconde fois chaque endroit déjà couvert par nos torches la nuit dernière, à la recherche d'une touffe de cheveux roux. Nous longeons le chemin sous le soleil écrasant où le calme assourdissant est uniquement rompu par nos baskets tapant la terre. Lorsque l'on quitte le sentier habituel, je fais attention à fréquemment regarder derrière moi pour mémoriser le trajet. Mais plus le temps passe, plus j'ai l'impression d'être déjà passé par ici un milliard de fois.
Quelle boucle infernale.
— J'ai entendu du bruit, murmure Esther en s'arrêtant brutalement.
Je l'imite aussitôt.
Mais dubitative.
— T'es sûre que c'est pas juste nous ? je chuchote à mon tour.
Malgré mes doutes, elle reste silencieuse, les sourcils froncés et le menton levé, pour scanner un coin de la forêt qui semble si lointain. Elle pose machinalement son index sur sa bouche, alors je diminue la fréquence de mes inspirations, jusqu'à m'en donner le tournis. J'essaye d'écouter, mais je n'entends rien. Absolument rien. Et rien ne bouge. Mais Esther, elle, semble sur le point de traquer sa proie. Heureusement qu'elle est là.
Sans dire un mot, elle part à la chasse sur la pointe des pieds. Je respire un bon coup avant de la suivre s'enfoncer dans les hautes herbes et les buissons épineux.
Faites que ce soit Aaron, faites que ce soit Aaron, et pas un énième animal.
C'est tout ce que je demande.
Une fois arrivées devant un petit ravin, elle jette un rapide coup d'œil dans le gouffre sans craindre de tomber. Lorsque je la rejoins pour voir à mon tour, un vertige vient brutalement envahir mon corps, si bien qu'elle m'attrape le bras pour me retenir de ma chute. Dans ces abysses, rien n'est visible. Juste des buissons et des buissons qui cachent la suite du chemin.
Je n'ai pas le temps de trouver un meilleur endroit où regarder qu'Esther ôte sa chemise violette et l'entortille comme un simple bout de torchon, avant de me le tendre avec un regard déterminé. Pendant un instant, je l'attrape sans savoir ce qu'elle veut. Je me laisse simplement hypnotisée par son odeur familière que je pourrais enlacer pendant des jours.
Au lieu d'être dans ce monde idyllique, ses chuchotements me retournent l'estomac.
— Je vais descendre, histoire de voir ce que c'est. Mais il faudra que tu m'aides à remonter, ça a l'air un peu profond.
Elle ne va quand même pas y aller ?
La pente est si raide et la terre est si lisse, certainement glissante, que ce serait impossible de remonter sans aide. Il n'y a pas de branches assez épaisses pour soulever le poids d'un être humain ni d'issus de secours. Peut-être qu'il y a une solution sans danger à l'autre bout du ravin, mais elle s'obstine à descendre maintenant.
— Esther...
— Fais-moi confiance, s'il te plaît.
Mon cœur s'affole, tandis que je serre un peu plus sa chemise contre ma poitrine. Je veux pas qu'elle y aille sans moi. Je veux pas qu'elle se blesse. Je veux pas qu'elle disparaisse, elle aussi.
— J'y vais à ta place.
— Théa, lâche-t-elle avec un regard accusateur.
Peu importe l'endroit où je me place, tous ces putains de buissons nous bloquent la vue vers les centaines de cachettes de ce gouffre. Pas question qu'elle y aille. C'est trop dangereux. En me tournant vers elle avec un point à la poitrine, je croise son regard si serein, les bras croisés contre son débardeur qui laisse entrevoir des bras plus musclés que ce que je pensais.
Je respire un bon coup.
Je dois lui faire confiance.
— Fais vite, alors.
Je l'embrasse sur la joue avec l'horrible sensation que ce sera la dernière fois. Comme si, dans le pire des scénarios, je perdais mon meilleur ami et ma petite amie. Ça n'arrivera pas. Peut-être qu'Aaron est juste tombé dans ce gouffre et que, tout seul, il ne pouvait pas remonter. Peut-être qu'il nous attend péniblement tout en bas.
Il y a quelques mois, je ne pensais pas tenir ma petite copine pour qu'elle descende dans un ravin à l'aide d'un de ses vêtements.
En deux temps trois mouvements, elle pose ses deux pieds au sol sans la moindre égratignures, ce qui me permet de respirer à nouveau normalement. Comme absorbée par un bon film, je n'arrête pas de la suivre du regard lorsqu'elle se met à marcher frénétiquement vers l'endroit qu'elle a repéré. Et puis, d'un coup, elle disparaît de mon champ de vision.
Et je me sens seule.
Dans cette grande forêt, j'ai l'impression d'être livré à moi-même, petite, faible, comme une offrande qu'on donne aux monstres qui m'attendent ici. Le chant des oiseaux est menaçant, ils se moquent de moi. Les arbres me regardent de haut, prêts à m'engloutir. J'ai peur. Je suis tétanisée.
Accroupie en boule, je fixe la chemise d'Esther pour ne pas voir ce qui me terrifie autour de moi. Je respire une fois, puis deux, et Esther sera bientôt là.
— Théa ? j'entends crier derrière moi.
Je sursaute.
En me retournant, j'aperçois au loin Erinn, le sourire aux lèvres, qui court vers moi. Derrière elle se trouve Ruben qui, lui, me salue faiblement de la main. Ils sont tous les deux couverts de poussière. Mes muscles se relâchent aussitôt. Toute ma colère envers eux se dissipe dans l'air et je les prends dans mes bras, les serrant si fort pour ne pas qu'ils s'échappent.
Ils vont bien, tout va bien.
Je pouvais leur faire confiance, il faut que je me détende.
Ils me racontent qu'ils se sont rendus au château sans succès, je leur raconte brièvement nos recherches. Je leur dis qu'ils m'ont terrifiés, Erinn me dit que c'était son idée. Elle s'excuse, grattant sa tête, elle semble hors de son corps. Elle semble calme, mais Erinn ne semble pas vraiment là.
— Ça va, Esther ? je hausse le ton. Erinn et Ruben sont avec moi.
Pendant un instant, elle ne dit rien.
— Ouais, ça pue par ici.
Le vent se met à souffler, les arbres commencent leur show. Le soleil part se cacher sous les nuages. Plus personne ne parle, tous statiques, scrutant chaque petit mouvement d'Esther à l'affût de la voix soulagée de notre meilleur ami.
Au lieu de ça, elle revient toute seule en courant vers nous.
Son visage est plus pâle que d'habitude.
— Vous devriez venir voir.
Le sourire d'Erinn s'estompe aussitôt, il disparaît définitivement quand Esther n'arrive pas à formuler de phrase et nous fait simplement signe de la rejoindre. Mon pouls s'accélère drastiquement.
Il y a quelques mois, je ne pensais pas foncer tête la première dans un ravin, seulement accrochée par Ruben.
Chaque pas semble plus long que le précédent, tandis que l'odeur abominable dont Esther parlait vient envahir mes narines jusqu'à ce que je les cache avec mon bras. Erinn tousse mais ne bronche pas et continue de courir, dégageant la végétation de son passage pour se faufiler de plus en plus loin. Mes jambes tremblent tellement que suivre son rythme devient compliqué.
Puis, elle s'arrête net.
Sa peau devient livide. Sa main vient couvrir sa bouche. La mienne aussi.
Il y a quelques mois, je ne pensais pas trouver Aaron dans cet état.
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𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce vingt-deuxième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous de la relation entre Esther et Théa ?
Auriez-vous eu le courage d'Esther de descendre dans le ravin ?
À votre avis, qu'est-il arrivé à Aaron ?
Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞
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