Chapitre 21
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└ 𝙍𝙪𝙗𝙚𝙣
Elle n'a pas dit un mot de la soirée, c'est à en oublier le son de sa voix. Elle n'a rien dit lorsqu'on a décidé qu'il était temps de se reposer, même si j'avais bien compris qu'elle n'était pas prête à s'arrêter de si tôt. Et je ne peux pas m'empêcher de me remémorer son regard confus au moment où je l'ai horriblement éloigné de moi, lorsque j'ai été un connard.
Finalement, chacun a son Yannis.
Sans que personne ne soit au courant, je me suis décrété guet pour la nuit. Une sorte de manière d'alléger ma conscience. De toute façon, je me vois mal dormir maintenant. Après tout, comment est-ce que je pourrais, alors que ma meilleure amie m'en veut et que mon meilleur ami a putain de disparu ? Dès que j'ose fermer les yeux ne serait-ce qu'un instant, des millions d'images surgissent dans mon esprit pour m'achever.
Aaron sur la plage puis qui part en balade, Aaron qu'on retrouve dans la forêt après s'être enfui de chez les tarés, Aaron qui conduit le camping-car, Aaron avec son air narquois, Erinn qui me sourit, Erinn qui m'embrasse, Erinn qui apprend la nouvelle, Erinn qui ne parle plus.
Ce défilé ne s'arrête pas.
J'aurais dû rester près du lac et passer l'après-midi avec lui, au lieu de faire du mal à sa sœur. J'aurais dû l'accompagner. J'aurais dû être là pour lui. Et maintenant, allongé dans mon lit en observant discrètement la porte d'entrée, je me mets à espérer qu'il retrouve miraculeusement son chemin au beau milieu de la nuit.
Ça me fait comme un point dans la poitrine.
Qui me serre de plus en plus fort.
Peut-être que c'est ça, ma punition.
Au lieu de voir Aaron revenir à la maison, c'est Erinn qui s'échappe du camping-car avec un sac à son dos. Je la suis du regard en silence. Il serait idiot de se demander ce qu'elle va faire.
Lorsque la porte claque pour de bon, mon pouls s'accélère et je n'arrive plus à rester en place, comme si la couverture dans laquelle je suis m'étranglait peu à peu. Je me dégage aussitôt, enfile mes chaussures en un clin d'œil et commence à la suivre en cachette.
Pas question qu'elle disparaisse, elle aussi.
Elle court si vite que, parfois, mes jambes n'arrivent pas à suivre le rythme et la lumière de sa lampe torche s'éloigne de moi. Je redouble d'effort à chaque fois, craignant qu'elle entende ma respiration effrénée. Au bout d'un certain temps, je finis par comprendre où elle va : le château. Erinn est vraiment intelligente. Si Aaron voulait trouver un refuge pour la nuit, il serait certainement dirigé là-bas.
Lorsqu'elle entre dans le château, je me plante derrière la porte d'entrée comme un garde du corps, épiant chaque bruit suspect. Et j'attends. J'attends des instants bien trop longs. Que se passe-t-il à l'intérieur ?
Peut-être qu'elle l'a trouvé.
Peut-être qu'elle s'est fait mal.
Peut-être qu'elle est tombée sur quelqu'un d'autre.
Il faut que j'agisse.
— Erinn ?
Elle ne dit rien, pourtant je sais qu'elle est là.
J'avance doucement pour ne pas l'effrayer, même si j'ai l'impression que chacun de mes pas est un coup de poignard dans son cœur. Encore un. Et un autre. Parce que je ne suis pas la personne qu'elle a envie de voir en ce moment. À vrai dire, je suis sûrement la dernière. Et ça me donne envie de vomir de penser à la façon dont je me suis comportée. En faisant le con, j'ai juste aggravé la situation pour elle.
Si seulement ça tournait rond dans ma tête.
Elle tente de cacher sa déception lorsqu'elle reconnaît mon visage.
— Je suis là, répond-elle d'une voix déchirée.
Comme un coup dans la poitrine.
Elle récupère sa lampe torche sans lâcher ses yeux des miens. Assise sur le carrelage, elle a ses jambes ramenées contre sa poitrine et elle s'appuie contre l'escalier. Ses vêtements sont plein de feuilles et de poussières, son sourire a disparu il y a quelques heures.
Quant à moi, je reste planté devant elle comme un abruti, sans dire un mot intelligent.
Je décide de m'installer à côté d'elle, en tailleur, et aussitôt un silence glaçant s'installe. Je joue nerveusement avec mon attelle en observant autour de moi, comme si Aaron allait miraculeusement apparaître. J'ai l'impression d'être inutile à côté d'elle.
Peut-être que je lui fais perdre son temps.
— Qu'est-ce que tu veux ? me demande Erinn.
— Je... Je suis venu pour t'aider.
Elle se décale légèrement de moi.
Un coup de poing.
— Tu sais que je peux me débrouiller toute seule.
Je gratte nerveusement la peau de ma main sans savoir quoi lui répondre. Elle ne me regarde même plus. Elle préfère observer le carrelage, la tête posée contre ses genoux.
— Erinn...
— Bon, t'as rien vu sur le chemin ? Pas de trace d'Aaron ?
Au moins, j'ai été utile sur ce coup-là. J'ai scanné la forêt avec tant d'attention lors de notre course que je suis certain qu'il n'est pas passé par là, ou qu'il n'a laissé aucune trace. C'est ce que je lui explique d'une voix étranglée, sur le point de craquer d'un instant à l'autre.
Visiblement, je suis incapable de ramener de bonnes nouvelles.
— Je vois...
Pas le temps d'y penser, les larmes montent aux yeux d'Erinn. Et moi aussi, j'ai vraiment envie d'éclater en sanglots et de me laisser divaguer. Mon corps n'est plus que compote, mes jambes tremblent lorsque je me redresse et manquent de me lâcher. Malgré tout, je dois être là pour Erinn. Rien ne doit paraître. Je lui dois au moins ça.
La main tendue vers elle, je lui souris.
— Viens, on peut commencer à chercher ici.
Elle lève enfin les yeux vers moi. De là où je suis, je peux voir la quantité de larmes qui arpentent ses joues sans s'arrêter de s'accroître, encore et encore. Elle ne prend pas la peine de les essuyer, c'est peine perdue. Elle ne prend pas non plus la peine de prendre ma main.
— C'est stupide, il n'est pas là.
— À ce que je sache, t'as pas encore vérifié.
J'ai envie d'y croire, j'ai envie qu'il soit là, caché dans un coin à attendre l'aube pour nous rejoindre au camping-car.
— S'il te plaît, je lui souffle.
Par miracle, Erinn s'essuie les yeux à l'aide de son bras.
Les yeux rouges et les cils collés entre eux, elle ne lâche pas mon regard lorsqu'elle attrape fermement ma main. Une décharge électrique me surprend, comme si c'était la première fois qu'elle me faisait confiance. Sa peau est glacée, mais ce n'est que de courte durée : une fois debout, elle s'éloigne à nouveau de moi.
— On devrait surtout regarder s'il y a des objets qui appartiennent à Aaron. N'importe quoi : un des papiers qu'il a triés, un bout de tissu ou tes lunettes. Ça nous dira déjà s'il est passé dans le château. Et, avec un peu de chance, s'il est encore là.
Je fais mine de m'y connaître, alors que je ne fais que répéter des phrases tirées des films d'horreur qu'Erinn m'a présenté.
Elle hoche simplement la tête.
C'est un début.
Dans un silence religieux, nous parcourons le château que je vois cette fois-ci d'un œil nouveau : celui d'une personne apeurée, celui d'une personne qui pense que chaque recoin garde son meilleur ami captif, celui d'une personne qui ne veut plus d'aventure. Erinn tient fermement la lampe torche qui nous guide dans chacune des pièces hantées. J'arrive presque à voir les fantômes rôder autour de nos têtes, à deux doigts de nous emporter avec eux.
Erinn ne m'adresse à aucun moment la parole.
Il y a quelques heures de cela, j'ai vu ses yeux s'illuminer en me parlant de tout et n'importe quoi. Et maintenant, elle évite tout contact avec moi. Les seuls regards que j'arrive à capturer, légers et discrets, sont si vides qu'on dirait que je ne suis qu'un inconnu sur son passage.
Je suis un abruti.
Les mains de chaque côté de ma bouche, je crie le nom d'Aaron à tue-tête, pour n'avoir comme réponse que mon écho. Je hurle jusqu'à en avoir la gorge qui brûle.
Un fracas retentit brutalement.
Mon cœur en fait un tour complet, mon corps entier se crispe. Par réflexe, Erinn s'accroche à moi, tournant la tête dans tous les sens pour savoir d'où vient le bruit. Mon pouls s'affole, mes poils s'hérissent, mes jambes ne tiennent plus en place. Sans réfléchir, j'entame une course effrénée dans le couloir pour ouvrir les portes une à une.
Je manque de trébucher sur des débris.
Je manque de couper ma respiration.
Je manque de tomber de fatigue.
Mais ce n'est pas le moment de flancher.
Chaque pièce vide est un coup dans la poitrine, chaque couloir à arpenter semble s'allonger. Chaque seconde semble plus longue que la précédente. Aaron, faites que ce soit toi. Faites que ce soit. Toi et rien que toi.
S'il te plaît, Aaron.
— Laisse tomber ! crie Erinn.
Je m'arrête brutalement, tout devient si silencieux.
Comment ça ?
C'est avec le souffle haletant que je la rejoins dans une chambre vide où un froid glacial me prend à la gorge. Une fenêtre ouverte, le vent qui fait danser les rideaux, un vase brisé au sol. Le temps se met en pause.
Le regard vide.
J'ai envie de hurler.
Putain de vase de merde, putain d'endroit de merde. Toutes les salles ont été inspectées, le cachot comme la tour à moitié détruite ! Qu'est-ce qu'ils veulent de plus ? Qu'est-ce qu'on a fait de mal ? Il faut recommencer, encore et encore, c'est ça ? Jusqu'à ce qu'on en perdre la tête, jusqu'à ce qu'on ne sorte jamais d'ici. Ce bruit était notre dernier espoir. Et maintenant, Erinn s'affale sur le plancher pour le taper de toutes ses forces, comme s'il allait miraculeusement s'effondrer pour retrouver Aaron six pieds sous terre.
— Je suis désolé.
Toute l'assurance que j'ai essayé de créer s'évapore dans l'air. Toutes ces minutes à rassurer Erinn, toutes ces recherches interminables en gardant la tête haute, tous ces faux sourires, tout ça tombe en éclat. Au final, je me retrouve à terre aux côtés d'Erinn dont les mains sont si rouges à force de tambouriner ce sol incassable.
Je veux juste retrouver Aaron.
Je veux juste retrouver mon ami.
Elle finit par s'arrêter pour me regarder, sans un mot. Quant à moi, les larmes se déversent sur mes joues et de la morve me bouche le nez pour m'empêcher de respirer. Que doit-elle penser de moi ? Je suis inutile. Je suis le pire ami qui puisse exister. Je suis...
— Ruben, je pense qu'il est temps de faire une pause. Ce serait plus raisonnable d'aller se reposer et de rentrer demain matin. D'accord ?
Je respire un bon coup et, entre deux reniflements, j'arrive à parler.
— D'accord.
Ce sont bien les seuls mots qu'on s'est échangés avant de trouver une pièce où déposer nos corps froids, épuisés et transpirants de peur. J'y ai d'emblée fermé les yeux, enfin délivré d'une souffrance, mais je suis certain d'avoir entendu un "merci" avant de ne plus rien sentir du tout.
෴
Le retour à la réalité est plus que difficile.
Mes paupières sont collées par les larmes séchées autour de mes yeux, si bien que je me trouve à les essuyer avec mes mains poussiéreuses. Lorsque j'arrive enfin à discerner le monde, je vois Erinn, déjà debout et prête à partir. Pour ne pas la faire attendre plus longtemps, je me dépêche de me lever, la tête qui tangue.
Avant de s'engouffrer dans la forêt, je jette un dernier coup d'œil au château.
Je revois notre câlin, nos sourires et nos espoirs.
Mon cœur se serre.
— Tu sais quoi, Ruben ? Il y a des tas et des tas d'endroits qu'on n'a pas encore fouillés. Et puis, ça fait moins d'un jour. Dans la majorité des cas, les disparus sont retrouvés dans la journée. C'est mauvais si ça fait plus de trois jours. Donc on est large. Aaron a peut-être juste passé sa soirée dans la forêt parce qu'il s'est perdu et il va finir par retrouver son chemin.
Pendant l'espace d'un instant, en l'observant marcher d'un pas déterminé dans cette forêt illuminée par les rayons du soleil, j'ai l'impression d'avoir miraculeusement retrouvé Erinn.
L'instant d'après, je réalise que c'est loin d'être le cas. La tension règne toujours dans l'air, elle a simplement besoin d'exprimer ses pensées, surtout de se donner espoir, pas de discuter avec un imbécile comme moi.
En réfléchissant, Erinn a raison.
Et puis, en pleine journée, ça risque d'être moins difficile de le chercher.
— T'es sûre de toi ?
— Je veux y croire.
Elle gambade dans les hautes herbes de la forêt, un sac à son dos, donnant un air de début de vacances. Je n'ai aucune idée d'où elle trouve son énergie mais, à ce rythme-là, on sera bientôt de retour au camping-car où Esther et Théa doivent se faire un sang d'encre.
Je regarde le ciel si bleu qu'il me donne mal aux yeux.
Aujourd'hui sera le jour où j'ai envie d'avoir autant d'espoir qu'Erinn.
Aujourd'hui sera le jour où on retrouvera Aaron et où on partira de cette forêt de malheur.
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𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce vingt-et-unième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous de la nouvelle dynamique entre Erinn et Ruben ?
Est-ce que pensiez trouver Aaron dans le château ?
Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞
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