Chapitre 18
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└ 𝙏𝙝𝙚𝙖
— Tu penses qu'Aaron est retourné au camping-car ? me demande Esther.
Assises au bord du ponton, les cheveux dans le vent et un sourire qui s'estompe, je réalise que ça fait un moment qu'Aaron nous a annoncé qu'il partait faire une petite balade. Et trop de moments où il aurait pu revenir sont passés. Peut-être qu'il a rejoint Erinn et Ruben pour se relaxer à l'aide d'une douche cette fois-ci chaude et d'un thé détox. Pourtant, je sens comme une boule se former au fond de mon ventre. Elle se fait de la place et emménage. Elle en profite même pour me donner des petits coups de point, comme pour me garder vigilante.
Comme les millions de voix dans ma tête qui me rappellent de ne pas oublier de fermer la porte à clé, de prendre ma carte de bus que je laisse souvent à la maison ou de bien regarder derrière moi en marchant le soir dans la rue.
Comme un mauvais présage.
— Peut-être, dis-je pour la rassurer.
Je ne me crois même pas un instant.
Parce qu'Aaron, carré comme ses lunettes, n'est pas le genre de personne à partir sans prévenir. Le connaissant, il aurait pris le temps de faire le détour jusqu'au lac pour nous déclarer que, finalement, il préfère se rendre au camping-car. À ce moment-là, on lui aurait certainement dit qu'on n'est pas ses parents. "On sait jamais", aurait-il répondu.
— Moi qui pensais qu'il allait venir se baigner avec nous, râle Esther.
— Alors ça, certainement pas. Tu devrais savoir que lorsqu'il est à fond dans une activité, c'est presque impossible de l'en détacher. Et je crois qu'il n'a pas fini de trier ses papiers.
Esther et moi nous tournons simultanément vers l'horizon, spécifiquement là où Aaron s'était installé pour accomplir sa nouvelle mission. Il y a une heure, deux heures ou même trente minutes ? Ma notion du temps est si floue à force d'avoir la tête sous l'eau. En tout cas, l'endroit est si vide de monde qu'on peut même entendre le concert des criquets. Il n'y a ni Erinn pour lire, ni Ruben pour nager à nos côtés, ni Aaron pour être organisé.
— Donc... il va revenir.
Les feuilles, posées sur l'herbe, dansent dans le vent et s'égarent parfois. Certaines sont si humides qu'elles bougent à peine, collées comme du scotch.
— Sinon, je lui mettrai un mauvais avis sur son site de trieur de papiers.
Esther reste silencieuse pendant que j'essaye de me rassurer.
Elle finit par se redresser et essuyer sa jupe bleue à fleurs sur laquelle des résidus de terre, de poussière ou n'importe quelle saleté résidant sur le ponton avaient fait leur nid. Je me remémore son sourire lorsqu'elle a enfin pu se changer en arrivant au camping-car ce matin. Il y a au moins Esther dans sa tenue phare pour me rappeler que tout pourra bientôt redevenir comme avant.
D'un geste, elle réajuste sa chemise blanche froissée, avant de se tourner vers moi pour me tendre la main.
— Tu veux qu'on aille vérifier au camping-car ? me propose-t-elle.
Je hoche la tête et attrape sa main pour me relever.
Avant de partir pour notre excursion, je me retourne une dernière fois pour voir les papiers laissés à l'abandon. Aaron n'est pas du genre à faire un travail bâclé. L'un s'envole sans que je ne puisse rien faire. J'hésite à le récupérer, mais reprends ma route.
Le chemin semble plus long que d'habitude.
Plus nous nous rapprochons du camping-car, plus j'imagine Aaron avec une tasse à la main, accoudé contre le comptoir de la cuisine et surpris de notre arrivée si soudaine. "Bah alors ? Vous faites une de ses têtes", dira-t-il avec son sourire en coin. Il nous expliquera qu'il est tombé nez-à-nez avec sa sœur et qu'ils ont décidé de faire le chemin ensemble. Il aura évidemment oublié les papiers, appelé par l'odeur hypnotisante du thé. Esther et moi, soulagées, rirons nerveusement avant de se servir dans la théière. Et tout finira bien.
Je souris en y pensant.
Une fois le véhicule à portée de vue, mon cœur palpite.
Ni une ni deux, et sans rien dire à Esther, je cavale jusqu'à la portée d'entrée. Mains contre les genoux, je respire fortement, les yeux rivés vers le sol boueux sous mes baskets. J'essaye de me calmer. D'un mouvement de bras, je remets approximativement en place mes mèches.
Une grande inspiration et j'entre.
— Salut, Erinn, dis-je en la voyant.
Je me retrouve déçue que ce soit elle qui prépare du thé. Elle a ce sourire innocent sur son visage et ses boucles d'oreille en forme de fleurs se balancent au rythme des mouvements apaisés de sa tête.
— Comme on se retrouve, me répond-elle.
Sous le cliquetis de la cuillère en métal qu'Erinn fait tourner dans sa tasse, j'avance à pas de loup dans le camping-car. Tout est exactement comme nous l'avons laissé : les lits sont défaits et mal rangés, il y a encore ma tasse avec des résidus de café qui traîne à l'avant de la voiture et des miettes de chips collent au plancher. J'arrive jusqu'aux lits d'Aaron et Erinn pour les voir parfaitement pliés et sans aucune trace de présence. Je jette un œil dans les placards – on sait jamais –, avant de m'approcher de la porte fermée de la salle de bain, le souffle haletant.
Est-ce qu'il est dedans ?
Lorsque je pose ma main sur la poignée, Erinn m'arrête.
— Il y a Ruben à l'intérieur. Tu cherches quelque chose ?
Je me retourne vers elle.
Un faux sourire sur les lèvres alors que j'ai envie de m'écrouler.
— Ouais, mais c'est visiblement pas là. J'ai dû l'oublier au lac.
— Si t'as besoin d'aide, hésite pas.
Est-ce que je devrais lui dire ?
C'est beaucoup trop tôt. Peut-être que je me fais des films. Aaron a bien le droit à sa liberté. Après tout, nous sommes censés être en vacances, loin de tout et sans aucune loi pour nous diriger. Pourtant, j'ai surtout l'impression que ce séjour se transforme en cauchemar.
Je prends le premier short que je vois et un t-shirt pour les enfiler par-dessus mon maillot de bain à présent sec.
— T'en fais pas, dis-je avant de sortir.
Lorsque je rejoins Esther et qu'elle me demande des nouvelles, j'ai l'impression d'avoir un poids sur mon dos qui est prêt à m'écraser si je flanche un peu trop. Toutes ces histoires, ça me bourre le crâne. Alors, je secoue simplement la tête pour ne pas avoir à parler.
En silence, nous reprenons la difficile route jusqu'au ponton. Cette fois-ci, je n'ai pas envie de rire lorsque Ruben me chatouille et je n'ai pas non plus envie de tenir la main d'Esther. Je veux simplement qu'il revienne trier ses foutus papiers. Je veux qu'il range son bordel. J'observe avec paranoïa chaque recoin de la forêt en espérant désespérément qu'une tête rousse dépasse des branches. J'en oublie parfois de cligner des yeux.
C'est peut-être ça qui me donne envie de pleurer.
— J'ai l'impression de devenir folle.
Esther tente de me toucher l'épaule, mais je me décale.
— Théa, je t'assure que tu ne l'es pas. Sinon, je le suis aussi. C'est normal de s'inquiéter pour Aaron. Mais peut-être qu'on est trop sur nos gardes à cause de ce qu'il s'est passé...
Je pose mes mains sur ma tête.
— T'as sûrement raison.
En réalité, une partie de moi refuse de l'écouter, même si j'espère me tromper sur toute la ligne.
Je finis par la laisser poser sa main contre la mienne. J'accepte son baiser froid sur ma joue. Et j'essaye de me détendre.
Nous restons sur le ponton jusqu'à la nuit tombée. J'ai vu le soleil et ses millions de couleurs brûlantes disparaître peu à peu, alors que ma tête était posée sur l'épaule d'Esther. J'ai vu la forêt devenir si sombre, alors que je ne connais pas si bien le chemin. J'ai vu les papiers devenir indiscernables, alors que je les fixais comme un dernier espoir.
Aucune trace d'Aaron.
— Tu veux chercher un peu avant de rentrer ? me propose Esther.
Face à elle, je tente de m'imprégner du rôle de la personne sûre d'elle, parce que c'est toujours plus simple comme ça.
— Encore un peu, il est peut-être rentré à cette heure-ci.
Sur le chemin du retour, chaque brindille devient mon nouveau suspect numéro un, comme si Aaron pouvait se cacher en dessous. Nous marchons si lentement que le soleil pourrait se relever et qu'une nouvelle journée pourrait commencer sans lui. Mais ralentir notre arrivée n'empêche pas l'inévitable de se produire. Nous sommes à présent juste en face du camping-car. Et je n'ose pas me confronter à la réalité.
Je préfère observer à travers la fenêtre.
— Il suffit de toquer...
— Viens voir, dis-je en ignorant Esther.
Comme des espions, nous analysons l'intérieur du véhicule à la recherche d'un ancien serveur de restaurant japonais. Au lieu de ça, il n'y a qu'Erinn et Ruben qui discutent. C'est à ce moment-là que je réalise que, si quelqu'un décide de nous épier, il n'aura aucune difficulté. Pas si invincibles, ces aventuriers.
Je détourne les yeux, sans pour autant réussir à détourner mon cœur de l'absence d'Aaron.
En fait, tout paraît faux. C'est à soupçonner un complot. À croire que cette forêt n'est qu'un décor de cinéma, que ce camping-car est en troc et que les retraités étaient des acteurs bien payés pour nous faire flipper. Nous sommes sûrement restés à Tarrières, drogués et enfermés, dans le but de divertir des gens qui ont besoin de défouler toute leur colère et frustration sur des ados qui n'ont rien demandé à personne.
Et Aaron, lui, a réussi à s'enfuir de ce jeu.
Je le sais, il est fort. Il est le plus fort d'entre nous et je l'aime tellement que mon cœur se serre en me rendant compte qu'il est parti sans moi.
Qu'il est parti sans nous.
La porte s'ouvre brutalement.
Aaron ?
Ses cheveux roux et sa peau pâle m'éblouissent par la lumière provenant du camping-car, comme un être divin. Il ne sourit pas. J'ai envie de le prendre dans mes bras et de lui dire qu'il m'a fait la peur de ma vie, qu'il est super con. J'ai envie de rire à en perdre la voix. J'ai envie de ne plus jamais détourner les yeux de mon ami. J'ai envie de passer plus de temps avec lui. J'ai envie...
— Erinn !
Ce n'est pas Aaron.
J'ai l'impression de sombrer.
— Aaron n'est pas avec vous ? demande Esther.
Erinn nous dévisage un instant, le teint si pâle qu'on dirait qu'elle vient d'apercevoir un fantôme. Elle renifle du nez, détourne les yeux vers je-ne-sais-quoi à l'intérieur du véhicule et finit par descendre complètement les marches pour nous rejoindre. Après quelques moments d'hésitation, elle parle d'une voix brisée.
— Je pensais qu'il était avec vous.
— Merde.
C'est tout ce que j'arrive à dire.
— Ça fait un moment qu'on le cherche pourtant, mais...
Je n'y arrive pas.
— Mais quoi, Théa ? s'énerve Erinn.
— Aaron est introuvable.
Un silence s'installe.
Avant qu'Erinn n'éclate de rire.
— Vous me faites une blague, c'est ça ? Super drôle, en tout cas. Vous vous y êtes tous mis !
Je remarque que Ruben est en dehors du camping-car, en sueur, comme s'il venait de courir un marathon. Il nous observe un instant en silence avant de nous demander de répéter ce qu'on venait de dire. C'est en sentant le rocher tomber pour de bon sur mon crâne que je répète ma phrase, tandis qu'Esther ne me lâche pas d'un pouce.
Ils ne me croient pas au début.
Comme une blague de mauvais goût.
Mais ils finissent par se taire.
Erinn reste silencieuse pendant toute la durée des recherches. Elle ne prononce pas un seul mot, mais son regard vide en dit long. Les tours de vélos s'enchaînent dans la nuit noire où seul le chant des hiboux comble le silence. La fatigue s'accentue dans mes cuisses et mes pieds qui n'arrivent plus à pédaler. J'ai la tête qui tourne, tourne et tourne. Nous crions son nom à en perdre la voix. Elle pourrait se casser complètement, je m'en fiche.
Peut-être qu'il s'est perdu.
Peut-être qu'il est tombé.
J'espère le revoir bientôt et rire de tout ça.
La tête sous mon oreiller, j'ai envie d'hurler. Et toute la nuit, les yeux grands ouverts, je n'ai qu'une chose en tête.
Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron. Aaron.
Rentre vite, ne fais pas comme ma mère.
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𝘕𝘋𝘈
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❝ Merci d'avoir lu ce dix-huitième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Aimez-vous la complémentarité de ce chapitre avec le précédent (tous les événements se passent au même moment mais avec deux narratrices différentes : Erinn et Théa) ?
Encore une fois, où est passé Aaron à votre avis ?
Comment organiseriez-vous les recherches ?
Pour savoir quand le prochain chapitre sortira, suivez-moi sur Instagram ! (@orautri). ❞
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