Chapitre 15.1

𝘜𝘕𝘌 𝘕𝘜𝘐𝘛 𝘋'𝘌𝘕𝘍𝘌𝘙
└                           𝙀𝙧𝙞𝙣𝙣

J'aurais aimé que les choses se passent autrement, que la tempête ne fasse pas rage et qu'on n'ait pas vu des types bien plus qu'étranges. Tout aurait été plus simple. On aurait pu s'amuser et faire des conneries, comme d'habitude. Pas besoin de réfléchir. Pas besoin de penser à l'avenir. Souffler un bon coup avant la future rentrée désastreuse. Qui aurait pu penser que nos vacances seraient aussi catastrophiques ?

Ce matin, j'avais envie de rester dans cette forêt jusqu'à la fin de ma vie. Vieillir aux côtés de mes amis et ne plus jamais avoir besoin de revenir à un train-train ordinaire où nous serons séparés. Mais, maintenant, j'ai juste envie de rentrer à la maison.

Peut-être que c'est la peur de l'inconnu qui parle. Peut-être que tout ira mieux lorsque nous serons dans un endroit plus familier.

— Erinn, c'est à ton tour de prendre une douche, me dit Théa en me tapotant l'épaule.

Accroupie, mes bras enroulant mes jambes, ma tête est posée sur mes genoux pour faire le moins d'effort possible. Je suis à deux doigts de me transformer en paresseux. Le feu chaleureux crépite en face de moi, et je suis complètement envoûtée par le mouvement des flammes. Impossible de m'en détacher, si bien que tout le monde a eu le temps de prendre un douche sauf moi. C'est vrai que je devrais y aller aussi. Ça me détendra.

En me levant, je vois mon frère lever son téléphone vers le plafond. Est-ce qu'il pense réellement que ça va le réparer ? 

En croisant mon regard, il s'arrête net, les bras en l'air et le regard perdu. 

— La bonne nouvelle, c'est que j'ai réussi à rallumer mon téléphone. Et celui de Ruben. Ils étaient juste plein d'eau. Donc... ils sont pas foutus.

— Et l'incantation vers le plafond, c'est pour faire quoi ?

— Eh ! La mauvaise, c'est que je ne capte pas de réseau. Je teste des techniques, d'accord ? C'est moi, le mécano de groupe. J'ai déjà fait ça un million de fois dans des jeux.

En sortant mon portable de ma poche, je réussis à l'allumer pour contraster qu'il n'a aucune barre non plus. Je soupire et le lui tend.

— Tu t'occuperas aussi du mien, hein, dis-je en souriant.

Il me tire la langue, avant que je ne le laisse jouer le mécano. Même si je doute qu'il capte quoi que ce soit au final. Il faudra demander à André et Odette. S'ils habitent ici depuis longtemps, peut-être qu'ils savent où en trouver.

Quant à Esther et Ruben, ils aident à préparer le repas dans la cuisine aux côtés de nos hôtes. Je n'y entends que des couteaux trancher des légumes et l'eau crépiter. Aucune discussion, rien qu'un silence étouffant. C'est sûrement ce qui m'a fait dire tout à l'heure : "j'ai encore un peu froid, je viendrais vous aider après ma douche." 

Ce n'était pas un vrai mensonge, il gèle.

Je m'accroupie dans un effort si épuisant que j'ai l'impression d'être devenue septuagénaire en l'espace d'une seule heure. C'est en essayant d'ouvrir mon sac que je remarque que mes doigts sont aussi violets que mes boucles d'oreilles mûres.

Celles qui sont chez moi.

Je soupire en voyant qu'il n'y a pas grand-chose dans mon sac, et je me déteste d'avoir préféré être léger plutôt que préparée en cas de problème. Juste une tenue pour le lendemain, un pyjama et une bouteille d'eau. Cette Erinn s'y connaît en matière de survie. Pour rapidement m'échapper de cette ambiance cadavérique, je m'empresse de prendre mon ensemble dinosaure avant de rejoindre la salle de bain.

En entrant dans la pièce, la première chose que je vois est le grand miroir plein de buées. Théa a dû prendre la douche la plus chaude de sa vie, et je trépigne d'enthousiasme à l'idée que ce soit bientôt à mon tour. Le beau carrelage noir et blanc est si glissant. Sur l'évier se trouve une serviette beige qui a si l'air douce que j'ai envie de me blottir dedans.

Finalement, on n'est pas si mal ici.

Je retire mes lentilles de contact avant d'entrer dans la baignoire grinçante et sans rideau. J'ouvre le robinet avec hâte, mais l'eau du pommeau s'écoule difficilement, comme s'il crachait de maladie. J'attends durant de longs instants que du chaud vienne caresser ma peau gelée. Je patiente, nue, les yeux rivés sur mes pieds plein de terre.  

J'ai le temps de devenir amie avec la plante morte posée au bord de la baignoire.

Puis, miracle, le pommeau reprend vie.

Mais ma respiration se coupe le passant au-dessus de ma tête. Des millions de frissons. Si j'étais seule, j'aurais hurlé après d'Aaron en lui demandant s'il avait volé toute l'eau chaude – ce qui était très souvent le cas. Sauf que là, je décide d'accepter mon sort en silence. En deux temps trois mouvements, j'étale le peu de gel douche qui restait dans la bouteille avant de me rincer.

C'est en voulant sortir de la douche que je glisse.

Ma main tape le carrelage, mes fesses aussi, dans un claquement ridicule.

J'espère que personne ne m'a entendue.

La serviette est râpeuse et c'est en l'étendant devant moi que je constate qu'elle est trouée. Il ne manquait plus que ça. Je frotte frénétiquement ma peau à présent rouge écrevisse. Puis, j'abandonne et enfile mon pyjama collant.

Une fois dans le salon, je me plains auprès de Théa en chuchotant.

— Génial, j'ai eu une douche froide. 

Elle est recroquevillée sur le canapé. Et c'est en la rejoignant dessus que je réalise que je viens d'interrompre sa discussion avec Aaron.

— Des cachotteries ? intervient Aaron qui décale sa tête pour croiser mon regard.

— Je râlais juste, désolée. 

Aaron est le genre de personne à bien aimer tout savoir. Pas étonnant que ce soit lui qui ait toujours ramené les meilleures notes à la maison. Quand on était plus petits, il essayait tout le temps de lire dans mon journal intime – ce qui m'exaspérait. Un mystère non élucidé, selon lui, est l'une des pires choses qui puissent lui arriver. Alors, il tente toujours de trouver une réponse.

— À propos de la douche gelée ? demande-t-il avec un léger sourire.

— Vous aussi ?

— Je pensais juste que je savais pas l'utiliser ! répond Théa. Puisque, lorsque je suis allée aux toilettes et que j'ai voulu rincer mes mains, l'eau était limite brûlante.

On se regarde en silence avant de lâcher à l'unisson un rire nerveux. 

Les cheveux trempés d'Aaron dégoulinent le long de son visage pour cacher en partie ses yeux. Il ne porte pas ses lunettes, moi non plus. La douche gelée m'a fait oublier de remettre mes lentilles, ce que je fais machinalement en ouvrant l'appareil photo de mon téléphone.

— Si j'avais su, je me serais lavée au robinet, je lâche sans détourner mon regard.

— Je pense qu'on devrait surtout être content d'avoir un toit pour ce soir, chuchote Théa en regardant nerveusement vers la cuisine.

Elle a raison. Il y a quelques minutes à peine, nous étions en train de nous battre dans le tourbillon de la tempête à espérer qu'une âme charitable nous accueille. Il faut que j'arrête de me plaindre, c'est pas comme si c'était la dernière douche de ma vie. 

J'inspire et expire un bon coup.

En me retournant, je vois Aaron fouiller avec hargne dans son sac, les yeux plissés. 

— Tu cherches quelque chose, Aaron ?

— Mes lunettes, je crois que je les ai fait tomber sur le chemin.

Je m'approche de lui pour chercher dans son sac noir, un Eastpak qui a déjà fait son temps.

— C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ?

Il souffle d'agacement.

— Je sais pas comment j'ai pu les oublier.

Je me plante devant la fenêtre pour regarder dehors en espérant les trouver miraculeusement dans un bain de pluie. Il pleut si brutalement que mes poils s'hérissent à l'idée que la vitre se casse en mille morceaux sur moi. J'ai beau rapprocher mes yeux, je ne vois que du noir à l'extérieur. Tout ce que j'arrive à imaginer, c'est le torrent incessant de pluie qui a certainement déjà emporté ses lunettes.

— En tout cas, elles sont foutues.

— Merci Erinn, j'avais vraiment besoin de ça.

Aaron se lève en prenant violemment son sac pour s'installer à côté de moi. Il scrute minutieusement par la fenêtre, sans rien dire. De là où je suis, j'arrive à voir ses cernes se creuser dans son visage et sa peau devenir si pâle. Dans ses yeux, il est impossible de voir autre chose que de l'angoisse.

L'angoisse qu'il pouvait avoir avant un contrôle, l'angoisse d'arriver en retard au travail, l'angoisse de ne pas être aussi parfait qu'il devrait l'être...

L'angoisse de trébucher.

— Eh ! intervient Théa qui se lève pour s'approcher de nous deux. C'est pas si grave. On pourra les chercher dès qu'il s'arrêtera de pleuvoir. Regarde, Aaron, tu m'as rendu mon élastique tout à l'heure. Si tu l'as retrouvé, il est d'autant plus possible qu'on récupère tes grosses lunettes. 

Théa pose ses mains sur nos épaules, chaleureusement, prenant la place d'une mère dont on a bien besoin en ce moment. 

— En attendant, il faut se reposer. C'est surtout valable pour toi, Aaron.

La pression redescend comme si elle apprenait à nouveau ce qu'est la gravité. Mes traits se détendent et j'essaye de respirer calmement.

Doucement.

Prise d'un pincement au cœur, je m'avance vers mon frère pour le prendre dans mes bras. Lui ne réagit pas tant que ça. Il reste statique, bien droit. Je sens simplement l'eau de la douche dégouliner sur mes vêtements. Puis, il laisse tomber sa tête contre mon épaule. Je jurerai l'avoir entendu renifler, alors je resserre encore plus mon étreinte. 

Lorsqu'on se dégage, j'ouvre mon sac pour lui tendre mes lunettes. Je n'en ai pas besoin. Et il mérite de se relaxer.

— Merci, Erinn, dit-il en les enfilant.

Mes lunettes rondes lui font une drôle de tête que je prends en photo avec mon téléphone. Je ne peux pas m'empêcher de ricaner en la lui montrant fièrement. Aaron fait les gros yeux, mais il finit par craquer à son tour et rit pour la première fois depuis un long moment. 

Je reste à ses côtés quand il s'installe en boule sur le canapé pour s'endormir. Comme ça, il ne lui arrivera plus rien de mal.

— À table, les enfants ! crie Odette qui tient fermement son plat avec ses gants de cuisine rose bonbon.

Mes yeux s'écarquillent et croisent ceux de Théa. 

Est-ce qu'elle vient réellement de nous appeler "les enfants" ?

Pourtant, en l'observant poser son gratin sur la table avec un grand sourire aux milles rides, je n'arrive qu'à voir une gentille grand-mère qui nous a sauvés. Par contre, si quelqu'un d'autre me disait ça, il serait déjà au sol avec une prise de judo.

— Voici notre chef-d'œuvre, annonce Ruben en s'asseyant au milieu de la table.

Comment fait-il pour avoir cette assurance si naturelle ? Peut-être que c'est moi qui suis trop flippée à l'idée d'être chez des inconnus, mais Ruben donne toujours l'impression d'être né avec une maîtrise parfaite de son environnement. Quant à moi, répéter vingt fois une phrase avant de passer un appel est mon quotidien. 

Il présente avec aisance le gratin de choux-fleurs, doré, chaud et chaleureux, avec de grands gestes qui font rire Odette. Je ne peux pas m'empêcher de sourire face à cet enthousiasme.

Tout le monde l'applaudit.

Quelle situation surréaliste.

—  Ça a l'air délicieux. Vous avez fait du bon boulot.

Ma voix est partie valser dans les aigus.

Est-ce qu'ils l'entendent ?

— Oh ! s'exclame Odette après avoir déposé les gants dans la cuisine. Vous savez, ce sont vos amis qui ont fait tout le boulot. Robin et Etienne ont été très gentils.

Rire dans une situation pareille serait la pire chose à faire. Ils nous foutront dehors pour nous êtes moqués d'eux. Pourtant, lorsque je croise le regard d'Esther – ou plutôt d'Etienne – mes joues ne peuvent pas s'empêcher de prendre feu. Elles me démangent si fort que je crains d'exploser. Au lieu de ça, je contracte nerveusement avec mes orteils, en espérant penser rapidement à autre chose – ce qui ne fonctionne pas.

Pour échapper à cette situation, je me rapproche de mon frère qui n'a pas bougé d'un poil du canapé.

— On se lève, le paresseux.

Il se contente de grogner, alors je le secoue.

— Aaron, c'est l'heure.

— De manger ? me demande-t-il, les yeux à moitié fermés et la voix presque inaudible.

Je réfléchis un instant avant d'esquisser un sourire.

— Une pizza.

Aaron n'attend pas un instant de plus pour se redresser et remettre en place mes lunettes qui étaient tombées durant son sommeil. Il se transforme alors en vrai chien de chasse, scannant la pièce de droite à gauche en écarquillant les yeux à la recherche de son plat préféré, jusqu'à même renifler l'air poussiéreux de la pièce.  

C'est rare de le voir aussi motivé après une sieste.

Cette fois-ci, il marche vite. C'est presque une course jusqu'à son assiette. Il s'installe précipitamment en bout de table avant de se retourner vers moi d'un air stupéfait.

— Traîtresse, souffle-t-il.

Je chuchote à son oreille pour que nos hôtes ne l'entendent pas.

— Désolée, ce sont des choux-fleurs. C'est le seul moyen pour que tu te lèves rapidement. Mais je te promets de te cuisiner la meilleure pizza du monde quand on rentrera à la maison. 

Je pense qu'il est important de savoir qu'Aaron déteste les choux-fleurs.

— Deal ?

— Deal. 

Je lui serre la main tandis qu'André, le dernier absent, nous rejoint à table.

                  ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce demi-quinzième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous de l'ambiance chez Odette et André ?

Auriez-vous aider à cuisiner dans un silence limite morbide ou auriez-vous trouver une excuse ?

Que pensez-vous de la relation entre Aaron et Erinn dans ce chapitre ?

Un demi-chapitre sort très bientôt. ❞

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