Chapitre 14.2

𝘓𝘈 𝘗𝘙𝘌𝘔𝘐𝘌𝘙𝘌 𝘗𝘌𝘊𝘏𝘌
└                                𝙏𝙝𝙚𝙖

Aaron avance de quelques pas pour se rapprocher de nous. Il enfile ses lunettes carrées, puis observe dans ma direction d'un air calme. 

— Il faut la croire. 

Tous les regards se tournent vers lui. 

— Après tout, Théa a cru entendre un intrus deux fois. Erinn m'a raconté qu'elle avait vu quelqu'un dans la forêt à la station service. Personne n'inventerait ça. Et j'ai vu la terreur dans leurs yeux. Peut-être que c'est n'importe quoi. Mais, dans tous les cas, c'est pas prudent de rester ici. Dormons dans un endroit qu'on peut fermer à clé, d'accord ? Ça nous rassurera tous. Ce sera beaucoup mieux.

Mon cœur sèche enfin ses larmes alors que la pluie bat son plein.

— Si ce que tu dis est vrai, on se dépêche, lâche durement Ruben tout à coup éveillé.

Je peux enfin respirer. 

J'ai envie de prendre Aaron dans mes bras, de pleurer toutes les larmes de mon corps et de lui répéter à quel point je suis reconnaissante. Il est toujours là pour m'épauler, jusqu'à me soutenir pour une situation aussi perchée. Mais si Erinn a aussi aperçu quelqu'un de louche, tout ça n'est peut-être plus si improbable.

Le moment est mal choisi pour un câlin, alors que tout le monde se dépêche de rassembler ses affaires. Il aura le droit au plus énorme de toute sa vie dès que la tempête sera passée.

Les sacs sur nos dos.

Les escaliers dévalés.

La porte traversée.

Une fois dehors, la pluie tape avec tant de force que j'ai l'impression qu'elle tente de nous repousser à l'intérieur du château abandonné. Mon élastique décide d'abandonner mon chignon pour virevolter dans l'ouragan. Je n'arrive plus à voir grand-chose avec toutes mes mèches brunes qui passent devant mes yeux. 

Les arbres de la forêt donnent leur maximum pour leur show. Ils dansent dans tous les sens, si bien que des feuilles commencent à en tomber pour saluer nos visages. Mon cœur se serre à l'idée qu'une branche s'y mette aussi. Ou pire, que l'arbre soit déraciné et nous tombe dessus. 

Le tonnerre retentit brusquement, suivi d'un éclair.

Tout le monde sursaute.

Est-ce un avant-goût de la fin du monde ?

L'instant d'après, certaines de nos affaires se mettent à voler pour finir par s'écraser contre le sol. Esther est la première à s'empresser de tout récupérer. Aaron, lui, rassemble des papiers volants qu'il fourre dans son sac. Et nous nous occupons de ce que l'on peut.

— On ne devrait pas aller en forêt, c'est trop risqué ! crie Ruben.

— T'as une meilleure idée ? demande Aaron, les lunettes aveuglées de buées.

Se rendre dans la forêt malgré le tonnerre qui nous met en garde, c'est signer son arrêt de mort. C'est comme saluer la tempête avec un grand sourire en attendant de se faire électrocuter.

Erinn s'avance en tremblant.

Elle n'a qu'un t-shirt pour la réchauffer, n'ayant rien pris d'autre pour ne pas alourdir son sac. Et il faut dire que frotter ses mains contre ses bras n'aident pas énormément. Je n'ai même pas le temps de m'approcher d'elle que Ruben enlève son pull poisson en clin d'œil. Il le lui tend sans hésiter, quitte à se retrouver dans la nuit avec juste une chemise pour le protéger. Je vois le visage d'Erinn hésiter, puis accepter et sourire. Elle l'enfile et prend la parole. 

— On pourrait trouver quelqu'un qui habite pas loin et... demander son hospitalité.

À la fois alléchant et repoussant. Mes jambes si lourdes n'attendent que ça. Quant à mon cœur et ses battements hystériques, ils ont bien besoin de repos. Et puis, je pense que nous serons quand même en sécurité...

— C'est pas un peu dangereux ? demande Esther en tenant fermement des affaires tentant de s'enfuir contre sa poitrine. 

Qu'est-ce que je raconte ?

— Pas autant que tout le reste, insiste Erinn.

C'est comme ça que, tous exténués, tenter le tout pour le tout devient la seule option. Le camping-car peut nous attendre jusqu'à demain. Nous longeons alors la route dans la nuit et la pluie envahissant notre vue. Et le chemin semble si long. Aucune maison ne se trouve dans notre ligne de mire, si bien que je commence à piétiner des pieds d'épuisement. Nos téléphones sont même inutilisables. Impossible de les allumer. J'espère que c'est juste un problème de batterie, au lieu de la tempête qui a décidé de nous emmerder encore un peu. À cause d'elle, personne n'est en mesure de savoir si nous allons trouver un abri.

Est-ce ma faute ?

Peut-être qu'on aurait dû rester au château.

Mais Esther me tient la main si fortement. Elle tente de me réchauffer en vain et m'observe avec un sourire réconfortant. Ses cheveux ne virevoltent plus dans l'air, ils sont aplatis par la pression. Sa peau rose n'est plus bonbon, mais grisâtre par l'air glacial. Ses vêtements ne sont plus les mêmes, ils peuvent se confondre avec la nuit. Une petite voix dans ma tête me murmure que l'ancienne ère est révolue, que plus rien ne sera comme avant.

Une boule au ventre refuse de me quitter.

Il y a quelques heures, je me serais convaincue que tout allait redevenir normal en rentrant au camping-car. Mais, avec cet enchaînement catastrophique, je crains le pire. Je crains qu'on nous retrouve. Qu'il nous retrouve. Tout ira mieux quand on rentrera à la maison. Rien ne peut aller bien ici.

Et puis, contre toute attente, des lumières nous éblouissent.

Presque divines, je me sens réchauffée par ce jaune sortant des fenêtres.

Je me laisse hypnotiser par la fumée sortant de la cheminée.

—  Regardez ! je crie en pointant du doigt la maison. On y est presque, c'est bientôt terminé.

C'est alors que s'entame notre dernière course comme des furies sous la pluie battant à son plein. Quelle troupe des aventuriers, disait-on. Des rires de joie se laissent entendre malgré le bruit de l'orage qui tente de couvrir notre bonheur.

Je respire bien trop fort. Mes muscles veulent me lâcher. Mais c'est la dernière ligne droite.

Mes yeux sont aveuglés par la pluie, alors je passe ma main sur mon visage pour réussir à bien décerner la maison qui se dresse devant nous. Robuste et en pierre, elle doit être installée depuis des dizaines années au fin fond de nulle part. L'écriture sur la petite boîte aux lettres rouges est presque entièrement estompée. Aucun nom, aucune adresse, on dirait presque un mirage. Mais j'ai beau cligner des yeux et les frotter, la maison ne bouge pas d'un poil. Tout est bien réel. Une vague de soulagement m'envahit.

La lumière du rez-de-chaussée vient m'aveugler. Elle passe à travers les carreaux de la fenêtre, jusqu'à se plonger dans nos yeux plein d'espoir.

Il n'y a que Esther qui ne semble pas être rassurée.

Elle avance à pas de loup et tourne la tête dans toutes les directions pour analyser chaque recoin de la façade, puis s'arrête net vers la fenêtre de l'étage. Derrière des rideaux blancs, j'arrive à déceler un corps droit et immobile. Une femme qui nous observe silencieusement. Elle doit se demander qui sont ces tarés plantés devant chez elle.

En tout cas, moi, elle me donne des frissons.

— Est-ce qu'on sonne ? demande Erinn en triturant le pull poisson.

— Je ne vois que ça comme possibilité, sauf si vous préférez mourir d'hypothermie, lâche Esther en s'approchant de la porte. 

Je me demande à quoi on ressemble. Cinq adolescents trempés jusqu'aux pieds et tremblants de froid. Cinq adolescents qui sont en train de tambouriner chez des inconnus au beau milieu de la nuit. Cinq adolescents un peu trop suspects. Cinq adolescents à qui je n'ouvrirais pas ma porte.

Pourtant, la serrure se déverrouille.

C'est une femme d'une soixantaine d'années qui se tient devant nous. Elle porte un long châle cramoisie qu'elle plaque contre son torse.

— Bonsoir, commence-t-elle en fronçant son visage d'un air méfiant.

Il y a instant de silence où nous nous regardons sans dire un mot – sûrement pétrifiés de stupeur parce que personne ne pensait réellement que ça allait fonctionner. Un second silence.  Avant qu'Erinn, de sa toute petite taille, s'avance et lève les yeux vers l'inconnue.

— Bonjour...

Sa voix vacille.

Elle se gratte le doigt.

Je pose ma main sur la sienne, elle arrête aussitôt et me sourit. 

La femme nous observe silencieusement en attendant une réponse. Elle ne semble pas pour autant impatiente.

— Nous sommes vraiment désolés de vous déranger à une heure pareille. Je sais que ce n'est pas poli du tout. Mais nous nous sommes retrouvés dehors quand l'orage a démarré. Et... notre camping-car se trouve au beau milieu de la forêt. Il y a tellement d'éclair, c'est trop dangereux. Désolée, tout ceci est très confus. 

La femme émet un petit rire qui semble narquois, tandis que des gouttes continuent de se déverser sur nos visages fatigués.

— C'est vrai que l'été n'est pas très généreux cette année, répond-elle.

Erinn cherche ses mots, mais bafouille et n'arrive pas à réfléchir, alors j'essaye de me réveiller un peu pour prendre la parole. Il faut que la Théa sûre d'elle revienne. Je ne suis pas comme ça, je suis quelqu'un de normal. Alors, j'étire mon plus beau sourire jusqu'au sommet de mes joues avec une voix amicale.

— Est-ce que ce serait possible de loger chez vous jusqu'à ce que l'orage s'arrête ?

— Chez moi ?

Un nouveau rire.

Rien de particulièrement méchant. La situation est juste trop surréaliste pour que qui que ce soit y croit en un instant. Je tourne la tête vers Aaron en quête de soutien, mais ses yeux sont cachés sous la buée de ses lunettes, si bien que je ne saurais dire s'il regarde dans ma direction ou dans celle de la vieille dame.

Tout le monde est tendu. Ruben a beau le cacher dans son dos, il se craque les doigts un par un. Aaron joue avec ses pieds. Erinn prend le pull de Ruben pour une couverture dans laquelle elle pourrait se cacher. Quant à Esther, elle joue nerveusement avec ses cheveux roses.

— S'il vous plaît. Nous venons en paix, vraiment. Nous demandons un peu d'hospitalité, et je vous promets que nous ne serons pas encombrants. Nous nous ferons tout petits jusqu'à la fin de la tempête. Et nous partirons.

La femme remet en place son châle. Le visage pâle et ridée, elle nous scrute tour à tour de haut en bas. Comme à l'abattoir, elle choisit si ce sera notre jour ou non. Notre destin – ou plutôt notre sûreté pour la nuit – réside dans ses mains fatiguées.

Ça ne fonctionnera jamais.

— On pourrait même vous payer, finit par lâcher Ruben.

— C'est juste pour une nuit, ajoute Esther. Voire moins.

Je la vois réfléchir un instant. Et j'aimerais tellement pouvoir envahir ses pensées et la convaincre subtilement. Puis, elle se retourne, tout en gardant précieusement son pied emmitouflé dans un chausson sur le pas de la porte. Une barrière très méfiante. 

— André ? appelle-t-elle d'une voix plus forte, tout en restant particulièrement douce.

Je croise le regard d'Esther qui tente de me sourire malgré la crainte qui se dégage de ses yeux. 

Est-ce qu'on va réussir ?

En tout cas, elle ne nous a pas encore claqué la porte au nez.

Quelques instants et quelques pas bruyants dans la maison plus tard, un homme du même âge apparaît dans son short d'été et son débardeur aussi blanc que ses cheveux. Sa moustache entourée de rides se met à bouger lorsqu'il nous aperçoit. La femme s'empresse de lui chuchoter quelque chose à l'oreille. J'essaye de me concentrer pour écouter, avant de me rendre compte que c'est peine perdue : ce n'est pas la même langue.

Peut-être qu'ils vont appeler la police.

Putain.

L'homme, un certain André, nous regarde de haut en bas en silence. Je me sens tout à coup si minuscule, comme un rat de laboratoire. Puis, contre toute attente, il affiche un large sourire sur son visage.

— Entrez donc ! Vous avez de la chance, on vient de faire un feu.

Je peux enfin relâcher mes muscles et souffler un bon coup.

Comment est-ce possible ?

— Merci mille fois, dis-je en souriant.

Voyant que je suis complètement trempée, je tapote mes baskets sur le paillasson pour espérer dégager l'eau qui s'y est logée. Après quelques instants, mes chaussures sont toujours si poisseuses que je préfère les enlever, ainsi que mes chaussettes, avant d'entrer dans la maison de ces chaleureux inconnus.

— Ne vous en faites en pas, dit la femme avec un sourire plus large qu'il ne devrait l'être. Au passage, je m'appelle Odette. Et voici mon mari, André.

Pieds nus, nous nous retrouvons tous dans l'entrée, en commençant par faire les présentations avant de se réfugier près du feu. C'est la meilleure chose qui pouvait nous arriver ce soir. Un point en moins pour le groupe des "aventuriers" qui remercie un million de fois André et Odette. En tout cas, plus personne ne tremble et nous reprenons peu à peu nos couleurs. 

C'est tout ce dont nous avons besoin.

La porte se ferme et un clic retentit. Le verrou est à nouveau en place, mais je ne pense pas que nos destins soient autant scellés.

                  ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce quatorzième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Si vous étiez à leur place, vous seriez aller dans la forêt, dans la maison d'André et Odette ou vous serez restés au château abandonné ?

Quelle est votre première impression sur ces deux nouveaux personnages ?

À la place d'André et Odette, auriez-vous accueilli le groupe ?

Ça faisait très longtemps que je n'avais pas posté de chapitre. Ça fait trois mois que je suis en plein dans les révisions et les examens. Il ne me reste plus que des oraux, donc le plus dur est passé ! Alors, j'en profite pour vous dire quelque chose qui vous fera peut-être plaisir...

Je vais essayer d'inscrire Pêche Cramoisie au Wattys 2023

Et vous savez bien qu'il faut que l'histoire soit entièrement postée avant le 8 août pour être éligible. Je ne promets rien, mais je donnerai tout ce que j'ai. ❞

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top