Chapitre 12.2

𝘘𝘜𝘌𝘓𝘘𝘜𝘌 𝘊𝘏𝘖𝘚𝘌 𝘋𝘌 𝘍𝘓𝘐𝘗𝘗𝘈𝘕𝘛
└                                                  𝘼𝙖𝙧𝙤𝙣

Après deux bonnes heures de marche - parce que Erinn et Théa s'arrêtaient toutes les cinq minutes pour regarder tout un tas de fleurs farfelues -, nous nous stoppons enfin à seulement quelques mètres de notre tout premier lieu d'exploration. Nous arrivons à le voir au loin comme un mirage au creux de la forêt, un bâtiment qui ne devrait pas être là. Et pour dire, c'est bien la végétation qui a repris le dessus sur ce château abandonné. On dirait presque qu'il commence à se faire engloutir par les orties et le lierre.

Les bras croisés, à côté de Ruben, nous regardons avec un grand sourire les filles s'exalter devant la façade.

Pourtant, il ne paye pas de mine, avec ses millions de buissons sortant par les dizaines d'immenses fenêtres des deux étages. Il y a bien des années que la majorité des vitres se sont effondrées en milles morceaux. Heureusement, celles du rez-de-chaussée vont bien, elles sont simplement entièrement barricadées par des planches en bois. Visiblement, nous ne sommes pas les bienvenus ici.

Ce serait compréhensible, rien qu'en observant le toit gris sur le point de s'effondrer.

Pourtant, c'est tout ça qui rend ce petit château si idéal.

— Idéal, chuchote Théa.

Elle a les yeux pleins d'étoiles, alors je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'elle observe en particulier. Sûrement les petites tiges de lierres qui ont réussi à se faufiler au fil des années entre les briques rouges et jaunes, jusqu'à pousser tout le long du mur.

Ruben prend la parole. J'arrive à voir son pull poisson dépasser légèrement de son sac à dos lorsqu'il se tient fièrement, les poings sur les hanches, face à l'horizon qu'il contemple de façon mystérieuse et courageuse, à l'allure d'un aventurier.

— Comment est-ce que c'est possible que quelqu'un ait abandonné cette merveille ?

— Je suppose que c'est le cycle de la vie, lâche Théa.

Quand on pense, dès que quelque chose devient trop inutile ou trop encombrant, soit on l'abandonne quelque part, soit on s'en débarrasse.

— J'emmerde le cycle de la vie, alors. Je vais de ce pas m'y installer et le chérir jusqu'à la fin de mes jours.

— Imagine s'il est infesté de rats ou de fourmis, dit Erinn.

Il baisse la tête pour réfléchir un instant et la relève comme s'il avait percé tous les mystères de l'univers.

— Je deviendrai leur ami !

— Ou leur roi ! ajoute Théa en enroulant son bras dans le dos de Ruben jusqu'à son épaule. Mais, attention, y'a intérêt à ce que tu sois un bon roi. Pas le petit con de service qui exploite ces pauvres petits rats.

Théa se détache, tandis que Esther prend enfin la parole.

— Je pense que c'est plutôt lui qui se ferait utiliser. Après tout, c'est bien Ruben qui termine tous vos plats à la cantine.

Ils se regardent tous en silence.

— Quelqu'un lui a vendu la mèche, lâche Erinn.

— On sait tout de qu'il s'agit, je réponds.

Les regards se tournent vers Théa qui, instinctivement, se cache derrière le corps maigre d'Esther qui se transforme aussitôt en une garde du corps menaçante. Ruben et Erinn, à leur tour, tentent de faire tomber la barricade en vain, sous les rayons du soleil qui tapent sur la devanture du château. Une vague de chaleur passe sur nos corps, tandis que tout le monde rit à pleines dents. Et moi, ça me rend vraiment heureux.

Devant ce spectacle, j'ai l'impression d'avoir bu un sérum de vérité.

— Vous savez que je vous aime ?

Pas d'Aaron je-m'en-foutiste.

Tout le monde s'arrête.

Comme si j'avais dit la chose la plus improbable possible.

Sans m'y attendre, Erinn se jette dans mes bras, avant que Esther et Théa s'y joignent, suivi de Ruben qui tente de tous nous porter - un échec. Beaucoup trop d'émotions, c'est peut-être l'effet de notre premier urbex. M'enfin, j'aime bien qu'ils me tiennent chaud comme ça. C'est dans ces moments-là que je me sens vraiment là.

Nous réussissons à entrer dans le château à l'aide d'un gros coup de pied de Ruben contre la porte en bois coincée depuis le temps. Elle grinçait et refusait qu'on découvre tous ses secrets, si bien que je ne pouvais pas m'empêcher de regarder autour de nous si la police des lieux abandonnés ne nous avait pas repéré.

C'est moi qui pose le premier pied à l'intérieur.

Et c'est aussi bien qu'on l'imaginait. Aussi beau et angoissant qu'on espérait. On se croirait dans une sorte de jeu vidéo en réalité augmentée. Comment ne pas être ébahi ? Ruben et moi restons immobiles et complètement silencieux.

— Je crois qu'on les a perdus, lâche Théa.

Avec nos lampes torches bon marché, on éclaire le couloir sombre qui nous fait face. Son plancher qui craque sous nos pieds est couvert de gros amas de poussières, de petites branches et de végétation. Ruben me fait remarquer, en pointant avec sa lampe, que certaines plantes ont été tellement écrasées qu'elles sont aplaties contre le sol. Des tas de personnes ont dû venir ici pour les mêmes raisons que nous.

On s'empresse d'arriver au hall d'entrée en passant par une seconde porte au bout du couloir. C'est une immense salle où la lumière provenant du haut plafond nous fait éteindre nos lampes.

Autrefois, des gens fortunés devaient danser là.

Peut-être en sirotant un petit verre de champagne, dans leur costume coûtant un bras, en discutant des aléas de la vie. D'autres monteraient par l'un des deux escaliers en colimaçon de chaque côté de la pièce. J'imagine bien Théa et Ruben, en costard, en train de déguster leur whisky avant de montrer leur talent sur Just Dance - ou son équivalent de l'époque.

Erinn marche doucement jusqu'à une des colonnes dispersées un peu partout dans la pièce, et se penche pour lire quelque chose dessus à l'aide de ses lunettes rondes.

— "Quiconque entre est maudit à jamais", accueillant.

Théa s'empresse de la rejoindre en sautillant de joie. On n'entend que ses pas craquant les branches et emportant les saletés du carrelage en carreaux.

— Wow, ouais.

— Vous savez que c'est probablement des gens comme nous qui ont laissé des mots aux prochains ? dis-je en me rapprochant d'elle jusqu'à bien voir l'écriture. Histoire de faire peur. C'est un peu ce qu'on cherche là, vous pensez pas ?

Erinn hausse les épaules.

Esther, quant à elle, tape contre mon épaule en souriant.

— Ça compte pas comme un truc flippant, hein, on l'a trouvé ensemble.

Il va falloir trouver mieux.

Se séparer, c'est évidemment toujours la meilleure chose à faire dans un film d'horreur.

Et c'est exactement ce qu'on fait. Deux petits groupes : celui des aventuriers et celui des vloggeurs qui ne vloguent pas. C'est Ruben et moi qui créons le premier groupe, frissonnant de péripéties, tandis que Théa et Esther préfèrent vagabonder paisiblement dans le second. Je ne comprends pas pourquoi elles ne préfèrent pas traquer des fantômes qui rôdent dans le château. Mais bon, ça me fera une marge d'avance sur Esther et l'objet flippant. Heureusement, il y a Erinn pour me faire honneur en nous accompagnant.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les vloggeurs montent les escaliers, alors que les aventuriers restent au rez-de-chaussée. Ça y est, Esther n'est plus là, je peux me concentrer sur tout ce qui m'entoure, en espérant trouver n'importe quoi d'angoissant.

Le hall d'entrée est composé de deux portes jaunes qui se font face. Elles sont si grandes que même Ruben ne peut pas toucher leur sommet. On se rapproche de l'une des deux en bien meilleur état que celle extérieure.

— Vous savez ce que j'ai envie de visiter en premier ? demande Ruben.

— La cuisine, répond aussitôt Erinn.

Il essaye d'ouvrir la porte en tirant comme un malade sur la poignée glissante.

— J'ai une réputation, à ce que je vois.

— C'est sûrement là-bas qu'il y a tous les trucs glauques... comme un poulet zombie congelé.

Erinn fait signe à Ruben de se décaler, puis lui explique que ce n'est pas en tapant dessus comme un bourrin qu'il va réussir quoi que ce soit. Au mieux, il va définitivement la bloquer. Elle tourne la poignée vers le bas en y mettant tout son poids, soufflant, et un clic retentit. La porte s'ouvre doucement vers un long couloir flippant. D'un côté se trouve un mur de briques poussiéreux où des araignées ont fait leur nid. De l'autre, de grandes fenêtres barricadées de planches en bois qui ne laissent passer que quelques fins rayons de soleil.

Si c'était un objet, ce serait parfait.

Chaque pas résonne dans un écho et, quand on ne bouge plus, le silence devient assourdissant. J'essaye de regarder à travers une des failles. Entre les feuilles des buissons gigantesques, j'arrive à apercevoir l'endroit où nous nous faisions un câlin quelques instants plus tôt - ce serait vraiment simple de nous observer sans qu'on ne le sache.

On avance un peu à l'aveugle, sans savoir si c'est le bon chemin vers la cuisine. Mais, miraculeusement, après quelques minutes de marche intensive et de râleries de la part d'Erinn qui aurait préféré choisir l'autre groupe, on s'en sort triomphant.

Ruben ouvre une porte battante en grand.

Il entre comme un roi, tandis que j'inspecte rapidement la pièce du regard.

— Très déçu qu'il n'y ait rien à manger ici.

— Ne pars pas perdant, répond Ruben. T'as pas encore fouiner entre les meubles poussiéreux ou vérifier le contenu des paquets qui n'a peut-être pas été entièrement mangé par les rats.

Erinn tire la langue de dégoût.

— Dégueu.

La grande cuisine est bien plus éclairée que le couloir, si bien que nos lampes perdent toute leur utilité. Adieu, urbex terrifiant. La prochaine fois, on viendra en plein milieu de la nuit.

La première chose sur laquelle je m'attarde, c'est une vingtaine de poêles en bronze accrochées au mur comme si c'était une exposition. Il y en a tellement que je me demande si elles ont toutes été utilisées au moins une fois dans leur vie. Ce serait pas étonnant que ce soit pas le cas. Il y a tellement de petits meubles et de petits accessoires de cuisine, autant au sol qu'au mur, que je m'y perds.

Erinn reste silencieuse en marchant doucement à l'intérieur de la cuisine. Elle pose son doigt sur la table en bois au centre de la pièce qui laisse sa peau grise de poussière. Je pense qu'un brin de ménage ne ferait pas de mal à ce château. Quant à Ruben, il fouine à l'intérieur de chaque placard de façon cacophonique et bien trop frénétique.

— C'est un peu drôle, commence Erinn. Nous sommes en plein été et nos vacances sont tournées autour de l'horreur et de l'épouvante.

— C'est parce que tu nous as convertis, répond Ruben, essoufflé.

À notre grand malheur, il n'a rien trouvé de spécial, hormis de jolies assiettes en porcelaines et des couverts argentés ornés de spirales et de fleurs. C'est pas ça qui me fera gagner mon pari.

— Comme si j'étais la gourou des films d'horreur.

Elle l'est.

Erinn regarde vraiment beaucoup de films d'horreur.

Ça ne l'empêche pas de flipper à la première occasion. Je me souviens d'un soir à l'époque du collège où nos parents nous avaient laissé seuls à la maison. Au milieu de la soirée, nous avons entendu un énorme fracas au rez-de-chaussée. Ni une, ni deux, Erinn a débarqué dans ma chambre sur la pointe des pieds pour me demander d'aller voir ce que c'était. Elle a ensuite décrété que l'intérieur de mon placard était l'endroit le plus sûr pour s'y cacher. Quant à moi, j'ai fini par descendre. C'était juste notre chienne, Papaye, qui avait fait tomber un vase - j'étais obsédé par les papayes lorsque je lui ai donné ce nom.

— Avec tout ça, je suis devenue un peu parano.

Elle s'assoit sur la table, condamnant son jean à devenir gris. Je finis par m'accroupir au sol en mosaïque abîmée pour observer de plus près le grand tapis qui recouvre la majorité de la pièce.

Les motifs de cheval sur leur deux pattes arrière attirent mon attention.

— C'est-à-dire ? demande Ruben.

Un peu glauque, la tête de certains animaux a été gribouillée à la main.

Je me rapproche du tapis.

— Le premier jour, lorsqu'on a acheté des chips pour Aaron à la station service, le type de la caisse nous a bien foutu les jetons. Il était bizarre, nous observait et était assez insistant. Il voulait absolument qu'on aille à l'arrière boutique. On aurait dit qu'il allait nous faire du mal, mais j'exagère peut-être.

Je relève brusquement la tête et me cogne contre la table.

Pas le temps d'avoir mal, je me répète ce qu'elle vient de dire.

— Ça va ? me demande-t-elle en se levant.

Ruben vient à côté de moi. Je réponds que ça va en massant mon crâne.

— Merde, j'aurais dû vous accompagner, lâche Ruben.

— Tu pouvais pas le savoir. Personne ne pouvait.

Rapidement, on se retrouve tous assis sur le tapis glauque de la cuisine pour écouter Erinn nous balancer tout ce qu'elle a sur le cœur. Elle a les jambes enroulées de ses bras pâles. Ruben est en tailleur et a laissé tomber son sac dans un coin de la pièce.

— Aussi, c'est pas extraordinaire, mais j'ai cru voir quelqu'un nous observer depuis la forêt lorsque j'étais seule à la station service. C'était avant que tu viennes me rejoindre, Ruben.

Elle soupire.

— C'est juste une petite remarque. Je l'ai vu à peine un instant. Et puis, je pense que c'est surtout ces vacances qui me rendent parano à force de se raconter des histoires.

— Si tu revois quelque chose, tu nous le diras, hein ? demande Ruben, inquiet.

Je ne dis rien.

— Vous en faites pas, répond-elle en souriant. Je disais ça comme ça. Prenez pas cette tête aussi sérieuse.

Pourtant, c'est difficile de ne pas le prendre au sérieux.

Cette pensée me hante le reste de la visite du rez-de-chaussée. Lorsque Erinn découvre une salle autrefois utilisée pour de la couture et qu'elle passe derrière les mannequins aux robes déchirées, je ne peux pas m'empêcher de regarder par la fenêtre pour être certain que personne ne rôde autour de nous. Lorsque Ruben et Erinn discutent en fouinant dans les placards, je reste tendu en espérant que personne ne soit caché à l'intérieur. Lorsqu'ils courent dans les couloirs en faisant autant de bruit qu'un éléphant au galop, j'essaye simplement de les rattraper.

Théa avait sûrement raison.

Je ne traque plus les fantômes, je traque quelqu'un.

Erinn mérite plus sa place d'aventurière que moi au nombre de portes qu'elle a réussi à ouvrir. Mais celle-là est différente. Cette fois-ci, nous devons sortir nos lampes torches de nos sacs pour éclairer un escalier de pierres qui mène vers le bas. Impossible de distinguer quoi que ce soit là-bas. Tout ce dont je suis sûr, c'est que c'est...

— Flippant, dit-elle.

Ruben passe le premier. Il éclaire chaque marche une par une pour avancer avec prudence et appréhension. C'est moi qui ferme le pas.

Une fois en bas, il n'y a qu'une petite pièce.

Je pense que c'est un ancien cachot.

Nos pas résonnent contre le sol en pierre effiloché, tandis que Ruben se retient de sauter pour ne pas se cogner la tête contre le plafond bas. En face de nous, une cellule entourée de barrières noires dont la petite porte grinçante est restée ouverte. Ruben s'empresse d'y entrer et de faire semblant d'y être enfermé en agrippant les barres et suppliant qu'on le fasse sortir de là - ce qui fait bien rire Erinn.

Je finis par lui rendre sa liberté et entre dans le cachot. À l'aide de ma lampe, je remarque qu'il est quasiment vide. Il n'y a que des chaînes cassées sur le sol et accrochées au mur.

Et puis, entre deux briques, un petit poignard rouillé par du sang.

Je souris à nouveau.

Quelque chose de flippant.

                  ┐

𝘕𝘋𝘈

└                        

❝ Merci d'avoir lu ce douzième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Aimez-vous ce premier lieu d'urbex ? Est-ce que vous arrivez à bien le visualiser ?

Lequel des deux groupes auriez-vous choisi ?

Quelle était votre pièce préférée du rez-de-chaussée (hall, couloir, cuisine, salle de couture ou cachot) ?

Quel était l'objet le plus flippant ?

Un demi-chapitre sort chaque mardi à 18h00. ❞

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