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𝘚𝘈𝘕𝘎 𝘌𝘛 𝘊𝘖𝘕𝘛𝘙𝘌𝘚𝘈𝘕𝘎
└ 𝙏𝙝𝙚𝙖
— Les filles !
Je me retourne sous les cris d'Aaron, le deuxième arrivé. Il s'élance aussitôt vers nous pour s'arrêter au bord du ponton, remettre doucement ses lunettes un peu sales qui étaient dans sa poche et se retourner à plusieurs reprises en zieutant les alentours.
De notre côté, on reste statique dans l'eau du lac en attendant quelques mots de sa part.
— J'ai donc gagné.
— Techniquement... non, je le rectifie.
Il lève un sourcil en se penchant vers nous comme si je venais de dire une abomination. Aaron ne se cache pas de nous observer comme des petits moucherons, avec une envie irrésistible de nous écraser, tandis qu'il remonte doucement ses lunettes au plus proche de son visage.
— Ah bon ? s'indigne-t-il.
— Nous sommes les premières, nous avons gagné.
— On fait aussi partie du pari, ajoute Esther avec les bras croisés à moitié cachés par l'eau.
Aaron hausse les épaules avant de s'asseoir en tailleur contre le rebord du ponton.
— Si vous le dîtes.
La tête baissée vers les écorces de bois, il attend quelques instants avant d'ouvrir à nouveau la bouche. Comme hésitant. Il cherche ses mots, bafouille, avant d'enfin aligner des phrases correctement formulées – lui qui a l'habitude de tout réussir à la perfection.
— Désolé... Cette histoire de réservation m'a stressé et je suis crevé. Vous vous rendez compte ? J'arrive pas à croire que j'ai conduit autant de kilomètres en si peu de temps. Et... la seule chose dont j'avais envie quand on est arrivé devant le camping, c'était de me reposer. Ne pas conduire avant un long moment. Donc quand Erinn a commencé à me reprocher de ne pas avoir réservé, c'était la goutte de trop. C'était même pas indiqué.
Il soupire.
— Mais je sais que ça n'excuse rien, c'est une dispute de frangin un peu stupide.
— Un peu, répète Esther.
Aaron projette avec sa main un peu d'eau du lac vers le visage d'Esther qui, étonnement, ne lui balance pas un ouragan à la gueule. Elle se contente de rire.
— Tu devrais plus en parler à Erinn qu'à nous, je réponds.
— T'as raison, dit-il en se tournant vers l'horizon comme pour chercher sa sœur. Mais, comme elle n'est pas encore là, je m'entraîne sur vous.
Esther nage un peu jusqu'au bord du ponton et tend son bras à Aaron.
— Et tu veux... t'entraîner pour la réconciliation ?
— Pourquoi pas !
Il paraît si heureux, si euphorique à l'idée d'être aidé par son amie et si impatient de donner le meilleur de lui-même pour réparer la situation. Certes, il a commis une erreur, comme sa sœur, mais ça ne veut pas dire pour autant que c'est une mauvaise personne. Il en faut beaucoup pour être qualifié de mauvais. J'ai déjà assisté à plusieurs de leurs disputes et il a déjà assisté aux miennes. Les avis s'opposent, la situation s'envenime jusqu'à trouver un point de conciliation. Je suppose que ce sont des choses qui arrivent, des choses auxquelles on ne peut pas vraiment échapper.
Ce qu'il ne sait pas, mais que je sais, c'est ce que manigance Esther avec ce petit sourire malicieux. Je le connais bien. Et je suis persuadée qu'elle est sur le point de faire une connerie.
Elle avance doucement sa main vers Aaron qui la prend – innocemment. Pourtant, c'est cette innocence qui l'entraîne dans sa chute... littéralement. Il se retrouve la tête la première dans l'eau froide du lac.
Une vengeance à la Esther.
— J'espère que notre réconciliation ne sera pas aussi glaciale.
෴
Deux ombres s'approchent au loin.
C'est Ruben qui se met à courir lorsqu'il se rend compte qu'il s'agit de nous, les énergumènes autour du ponton, tandis que Erinn traîne péniblement des pieds.
Au final, nous avons tous fini par sauter dans le lac avec nos vêtements, pendant que nos maillots de bain restaient au chaud au fond de mon sac. Un par un, nos habits se sont imbibés d'eau. Et ce pendant tout l'après-midi.
Sous le soleil tapant, nous nageons, jouons et participons à des tas de petits concours – comme celui de la personne qui reste le plus longtemps en apnée. Esther fait des longueurs avec Aaron. Erinn et moi discutons sur le ponton, les pieds nus dans le vent qui vient chatouiller nos orteils. Ruben s'amuse à faire des bombes en sautant dans l'eau qui nous éclabousse. Esther boit une bière sur le sable, suivie par Ruben qui vient discuter avec elle. Je fais la sirène. Je ris. Ils rient. Aaron et moi tentons de danser sur le bois grinçant et brûlant accompagné de la playlist de Ruben. Erinn boit elle aussi une bière et se met à chantonner en rythme avec Esther. Ces petits moments-là uniques me donnent une raison de me lever chaque jour.
Assise solitairement au bord du ponton, Aaron vient me rejoindre pour regarder l'horizon silencieusement. Tous les autres sont partis chercher du bois dans la forêt et des outils de bricolage au camping-car pour construire je-ne-sais-quoi – sûrement un abri anti-alien.
— Merci.
— À propos de ? je demande à Aaron.
Il balance ses pieds.
— J'ai parlé à Erinn... avant ma bière. Et j'ai bien fait.
— De lui avoir parlé ou de ne pas avoir bu ta bière avant ? dis-je avec un petit sourire en coin.
Il rigole avant de prendre son air narquois à la Aaron.
— De lui avoir parlé. Tu sais très bien qu'une bière ou trois dans mon estomac ne change pas grand-chose à mon comportement. J'ai une bonne descente, soyons honnête. Mais ne sois pas jalouse, Madame "je me mets à chanter super fort dès le premier verre".
Je croise aussitôt les bras.
Avant de me remémorer quelque chose.
— Je le suis pas, Monsieur "j'ai déjà offert mes propres lunettes à un inconnu dans la rue juste après avoir bu du whisky en lui expliquant qu'elles sont magiques".
— C'est un très long nom de famille.
— Ça, tu peux le dire.
Aaron soupire.
— Mais... merci beaucoup, à toi et à Esther. Je me sens libéré d'un poids.
— Le pouvoir des mots, je lâche comme si je venais de dire la chose la plus profonde et intelligente qu'aucun être humain n'ait jamais prononcé.
Il boit une gorgée de sa bière.
— Je pense que t'es pas loin de te transformer en cette madame.
— Et je pense que t'es pas loin de te joindre à moi.
Je regarde l'horizon, tous les deux silencieux, en écoutant les chansons de Ruben défiler dans sa playlist "Vamos a la playa" – une classique pour la plage. Le lac immense, bien plus grand que dans mes attentes, me fait réaliser à quel point nous sommes minuscules dans cette forêt. Juste des petits points qui possèdent chacun une histoire. Et je suis tellement heureuse d'écrire la mienne avec Aaron, Esther, Erinn et Ruben.
Aaron me tape gentiment l'épaule.
— Je te propose d'aller construire leur chariot, avant qu'on se métamorphose définitivement.
— Leur chariot ?
Il me pointe du doigt ce qu'il se passe derrière mes épaules.
Erinn, les genoux contre l'herbe, tient de ses deux mains deux longs bâtons de bois. Pendant ce temps, Ruben tape frénétiquement dessus avec un marteau. À côté, Esther est assise et parle sereinement. De là où je suis, je ne vois ni clou ni chariot, ce qui aurait pu me rendre perplexe si Aaron n'avait pas dit le mot "construire".
Je me redresse et longe le ponton aux côtés d'Aaron, sans prendre la peine d'enfiler nos chaussures. C'est l'herbe chaude qui nous accueille en premier, avant qu'on s'insère dans le groupe si concentré qu'on ne nous remarque à peine.
— Je savais pas que tu avais un talent pour le bricolage, dis-je à Erinn.
Elle jette un regard vers moi et, distraite, en fait tomber les planches.
Ruben me menace aussitôt avec son pistolet formé par son index et son majeur. Quant à moi, je lève les mains en l'air.
— Besoin de bois, aboie-t-il.
— C'est comme si c'était fait.
C'est aux côtés d'Aaron et d'Esther que j'entame la quête la plus importante de ma carrière : celle de trouver des bâtons de bois parfaits pour le chariot de Ruben. Nous cherchons durant de longues minutes en fouinant tant de recoins de la forêt, alors que le ciel s'assombrit peu à peu. Mon téléphone n'a plus de batterie, aucune idée de l'heure qu'il est. La seule chose dont je suis sûre, c'est que nous avons passé tout l'après-midi autour de ce lac.
Un bâton, un second, un troisième.
Nous revenons les mains pleines sous les applaudissements de nos bricoleurs.
Ruben a toujours adoré construire toutes sortes de choses avec ses mains de géants. Et ma chambre en est témoin. Tant de petits objets qu'on a fabriqué ensemble après que Ruben m'ait entraîné là-dedans, dont son premier vase toujours exposé sur mon bureau. Le premier avant qu'il entre dans sa phase poterie. Et puis, quand il était tout petit, il s'amusait à construire des montagnes de bouchons en liège, parce qu'il y en avait toujours qui traînaient un peu partout dans la maison. C'est sûrement pour ça qu'il a insisté pour apporter des outils pendant le voyage.
Lorsqu'il pose la dernière pièce, une photo de nous cinq collée sur la façade, il se redresse pour contempler son œuvre un instant.
— Un beau bébé, déclare-t-il en essuyant la sueur de son front.
Il n'attend pas une seconde avant de...
— On le teste ?
Les mains agrippées à la poignée, il s'apprête à partir. Erinn s'insère rapidement dans le chariot sous les conseils de Ruben, avant qu'ils ne partent ensemble au loin.
Nous n'attendons pas un instant de plus pour les suivre, partants à la recherche d'un coin où nous pourrons mettre à l'épreuve la vitesse de notre bolide. L'endroit idéal ? Une pente. Mais, avant d'y arriver, Erinn doit supporter le poids de nos regards envieux. Le supplice n'est pas long, puisque le hasard fait en sorte qu'une clairière parsemée de fleurs jaunes se mette sur notre chemin – sa pente est digne des meilleurs films d'action.
Aussitôt, Ruben s'élance et pousse le chariot. Il glisse doucement vers le champ, puis roule à toute allure, au rythme des rires effrénés d'Erinn. Les fleurs sont si hautes qu'on dirait presque qu'elle flotte, prête à prendre son envol.
Et tout le monde teste le petit chariot, made by Ruben.
Jusqu'à la nuit tombée.
Nous retournons tous à la caravane, exténués.
Et, une fois dans mon lit, je me laisse à nouveau rêver.
෴
Maman apparaît.
Elle porte sa longue robe rouge et ses baskets qu'elle a toujours su assortir à merveille. Nous sommes en plein été, au point culminant de notre randonnée. Quant à moi, je fais une vingtaine de centimètres en moins. C'est le jour de mon anniversaire et j'ai huit ans. Je cours dans tous les sens, ma mère me suit en souriant. Je sens ses mains chaudes m'attraper, me porter et me faire tourner avec cette sensation extraordinaire de planer.
Le lac ruisselant la colline est à portée de vue. J'ai l'envie irrésistible d'y plonger la tête. Peut-être que j'y verrai tous les poissons des eaux du monde.
D'un pas accéléré, je cours jusqu'à la source d'eau, mais une force me retient aussitôt. C'est elle qui me serre de ses bras mates. Si fortement, comme si j'allais m'envoler. Je peux même sentir ses longs cheveux bouclés tomber sur ma peau pour la caresser délicatement.
"Maman, je peux aller me baigner ?"
"Est-ce que tu sais nager ?"
"Pas encore", je réponds en boudant.
"Alors, un autre jour. Il faut savoir nager pour affronter le monstre du lac."
Je m'imagine déjà affronter une bête féroce tapie au fond de l'eau, recluse dans le but d'attaquer par surprise les moins prudents d'entre nous. Elle pourrait prendre la forme d'un dragon, du monstre du Loch Ness ou d'un piranha à forme humaine. Tous capables de me trancher en un seul coup de dents. Mais, dans les bras de ma mère, je suis parfaitement protégée.
J'observe les alentours en même temps que je me raconte mes futures aventures. Rapidement, je suis distraite par une pêche brillante sur un arbre terne.
Elle sort du cadre.
Comme si elle m'appelle.
Avec sa couleur cramoisie.
Je m'approche du pêcher et tente de toucher ma trouvaille, avant de réaliser que je suis trop petite. Et réclamer qu'elle vienne à moi comme par magie ne fonctionne pas. C'est ma mère, ma sauveuse, qui vient l'attraper. Elle l'observe un instant et croque légèrement dedans. Avant qu'elle ne me la passe pour que je goûte à mon tour, la pêche tombe.
Ma mère aussi.
Et elle refuse de se réveiller.
Que faire ? J'aimerais l'aider, lui empêcher le pire, mais j'en suis incapable. Je ne suis qu'un enfant qui pleure toutes les larmes de son corps. Pourtant, je m'accroche. Pas cette fois. Je tends ma main vers ma mère. Je vais la sauver. J'y suis presque.
Mais celle qui se réveille brutalement, c'est moi.
Et il fait noir.
Seule une petite veilleuse à côté du lit de Ruben me laisse voir où je suis. Tout le monde dort à poings fermés, même Esther qui est agrippée autour de mon ventre. Elle semble si paisible que je rêverais d'être dans le même état qu'elle. Pourtant, c'est tout l'inverse. Lorsque je pose ma main sur ma poitrine, je n'arrive qu'à sentir mon cœur qui bat à cent à l'heure – prêt à exploser.
D'un pas léger, je marche dans le camping-car à la recherche d'une activité qui me laissera éveillée toute la nuit. Pas question de replonger là-dedans. J'ouvre le robinet et asperge frénétiquement d'eau mon visage. Les mains de chaque côté de l'évier, je regarde par la fenêtre.
Un, deux, trois respirations.
Il est difficile de distinguer quoi que ce soit de l'extérieur, à l'exception d'un arbre un peu trop proche de la vitre. Le reste n'est que du vide. Comme si nous n'étions nulle part. Je me penche pour bien observer, fredonnant une petite chanson dans ma tête.
Quelqu'un passe.
Mon cœur s'emballe.
Et la musique s'arrête.
Je reste figée quelques instants, me gratte les yeux et me rapproche au mieux de la vitre pour voir si la forme humaine est encore dans les parages. Négatif. Mes yeux ne s'arrêtent pas de faire des aller-retours entre chaque fenêtre du camping-car. Mon cœur bat la chamade. Je piétine entre les corps de mes amis. Mon pouls s'accélère. Je jette souvent des coups d'œil vers eux. Mes poils s'hérissent.
Si bien que je prends un couteau dans le tiroir, mendiant pour une nouvelle apparition.
Allez, sors de ta cachette.
Si j'étais un personnage de film d'horreur, je serais déjà sortie du véhicule de façon héroïque pour protéger mes amis. Mais, après analyse de nombreux films regardés avec Erinn, j'ai pu conclure qu'il n'y a que deux types de personnes qui sortent d'une voiture garée dans une forêt au beau milieu de la nuit parce qu'ils ont entendu du bruit : celui qui meurt et le héros.
Et je doute d'être le héros.
Alors, je ne peux que trembler à l'idée de tourner cette poignée et manquer à plusieurs reprises de faire tomber le couteau sur mes pieds nus.
Peut-être que la personne est partie.
Mais que fait-elle au milieu de la nuit dans cette forêt ?
Je m'assieds sur le sol, le cœur battant à mille à l'heure et un couteau à la main.
Je n'ai pas dormi de la nuit. Difficile quand mes paupières frissonnent à l'idée de fermer les yeux. Par peur de perdre mes amis, par peur de cet inconnu, par peur de revoir ma mère. Impossible de rêver, je refuse d'y retourner.
Après tout, c'est cet autre monde qui a tué maman le lendemain de mon anniversaire, lors d'une noyade en faisant de la voile. Et depuis, j'ai appris à nager.
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𝘕𝘋𝘈
└
❝ Merci d'avoir lu ce onzième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Que pensez-vous de ce chapitre ?
Que pensez-vous de l'amitié entre Théa et Aaron ?
Comme Ruben, aimez-vous fabriquer des choses ? Comme quoi ? Pour ma part, j'aimerais vraiment apprendre la poterie, ce serait super chouette.
Que pensez-vous du nouveau cauchemar de Théa ? Et de son rapport avec le titre ?
Est-ce que les scènes du chapitre sont bien visuelle ? Laquelle avez-vous préféré ?
À votre avis, qui est près du camping-car ?
Un demi-chapitre sort chaque mardi à 18h00. ❞
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