Chapitre 10.1

𝘈 𝘓'𝘈𝘙𝘙𝘐𝘌𝘙𝘌 𝘋𝘜 𝘝𝘌𝘓𝘖
└                              𝙍𝙪𝙗𝙚𝙣

Après la soirée horreur, une longue sieste d'Aaron et une grande frustration de ma part pour ne pas avoir pu raconter mon histoire, nous sommes repartis sur la route aux alentours de trois heures du matin. Quant à moi, j'ai bien dormi jusqu'à six heures.

Attention ! Il ne faut pas croire que l'on va se retrouver dans les transports pour toute la durée de notre périple. Il faut bien que Aaron se repose, puisque je suis incapable de prendre le relais avec mon poignet aussi mou qu'une quenelle périmée. Il faut aussi qu'on sorte pour respirer l'air frais – non le renfermé d'adolescents du camping-car. Et moi, j'ai besoin de ma pause clope. 

Souvent, lorsque je prends soin de ma cigarette quotidienne à l'extérieur du véhicule, Erinn m'accompagne et c'est agréable. Parfois, elle ne fume même pas avec moi. Elle est juste là pour discuter avec moi. À chaque fois, j'essaye de ne pas projeter la fumée sur son visage. 

Enfin, y arriver serait difficile. Vous comprenez... parce qu'il faudrait baisser la tête pour l'atteindre. 

Elle me tuerait pour avoir dit ça. Si c'était Aaron, il aurait simplement fait un doigt d'honneur et aurait continué son chemin d'un air indifférent. Mais Erinn, il faut s'en méfier.

Pendant que Aaron et Esther discutent à l'avant du camping-car roulant sur une départementale, Erinn est plongée dans un livre et Théa dans sa sieste. À pas de loup, je m'avance de la rêveuse et m'empresse de prendre un selfie avec elle dont la bouche est ouverte et les yeux fermés.

C'était une tâche fastidieuse. 

Comme j'ai eu la brillante idée de le faire avec mon appareil photo instantané, j'avais l'impression de le prendre à l'aveugle. Et comme je n'ai pas un milliard de papiers photos, parce que ça coûte super cher, j'ai prié pour que tout aille pour le mieux. Pour conclure en beauté, l'impression faisait un bruit si strident que l'entièreté du camping-car a regardé dans ma direction, sauf la principale intéressée.

— Encore une "photo au mauvais moment" ? me demande Esther, retournée depuis son siège,  tenant un énième paquet de chips à la main.

Aaron, sans quitter les yeux de la route, en prend une avec sa main droite pour qu'elle disparaisse aussitôt dans son estomac. 

— Je ne vois pas de quoi tu parles Je n'accepte pas ce genre d'accusation sans preuve, d'abord.

— Qu'est-ce qu'il y a dans ta main ? lance-t-elle en souriant.

Je m'empresse de cacher la photo imprimée dans mon dos. 

— C'est de l'acharnement.

Je lui tire la langue et me dirige vers la table ronde en face d'Erinn qui est plongée dans son roman avec ses petites lunettes rondes qu'elle porte de moins en moins. D'habitude, c'est lentilles de contact. Elle préfère ça mais, moi, je trouve ses lunettes cool. Erinn lève les yeux en me voyant avec une photo dans les mains comme celle d'un criminel recherché, me sourit, me salue et retourne dans son histoire.

En voulant m'asseoir sur le siège en face d'elle, je remarque le carnet de bord.

Je le prends, vole sa place à l'occasion et le pose délicatement sur la table comme si c'était une antiquité. Autant en prendre soin. Sinon, comment est-ce que les archéologues découvriront la façon dont un groupe de cinq ados crado vivaient dans un camping-car ? 

J'ai l'impression que ce cahier sera le genre de choses que j'aimerais feuilleter, plus tard, reclus dans mon fauteuil rouge près de la cheminée, tandis qu'un feu crépiterait à l'intérieur pour réchauffer toute ma maison. Et... il y aurait un chien à côté de moi. Je me remémorerais ces superbes vacances d'un petit air nostalgique en buvant un – ou trois – verres de whisky.

Théa et Esther ont vraiment eu une bonne idée.

Elles ont vraiment écrit des tas de conneries et ont fait des tas de dessins dans les marges des pages, comme celui d'un éléphant qui se fait une manucure ou celui d'un soleil portant des lunettes de soleil. Je pense que c'est Erinn qui a fait celui-là : un bikini qui danse sur une montagne enneigée. 

Je souris longuement, je ne saurais dire combien de temps en fouinant dans ce carnet.

C'est à mon tour d'y mettre ma touche.

Je sors de mon sac à dos toutes les photos que j'ai prises depuis notre départ et les colle une à une avec un petit mot accompagnateur – ce qui prend quatre double pages.

"Regardez la grosse bouée", Erinn et Aaron prenant la pause devant la bouée écrevisse au moment de l'achat.

"Dur, dur, les transports :/", Esther et Théa qui dorment dessus pendant qu'on voit Aaron dans le fond en train de conduire, les yeux plissés vers la route comme ceux d'un grand-père devant son téléphone.

— C'est bien la première fois que je te vois écrire dans le carnet de bord, dit Erinn en posant son livre sur ses genoux pour regarder ce que j'ai écrit.

— J'ai été quelque peu occupé... J'étais co-pilote.

Elle croise les bras contre la table.

— Et... que s'est-il passé pour que ce soit plus le cas ? Le voyage n'est pas terminé. Pourquoi n'êtes-vous pas aux co-commandes du véhicule ?

Je colle une énième photo.

— J'ai pris ma retraite bien méritée, je réponds en me concentrant sur la glu qui s'est accrochée à mes doigts.

— À ton âge, ça se comprend.

En cette matinée, j'ai l'occasion de voir le soleil se lever progressivement pour éclairer la peau pâle d'Erinn remplie de petites tâches de rousseurs sur le nez et quelques-unes sur ses joues. Habituellement, je suis le genre de personne à rester au lit jusqu'à midi, à ne rien faire jusqu'à quinze heures et à me motiver seulement au beau milieu de la nuit. Une sorte de paresseux fermement accroché à son arbre. Aujourd'hui, je suis debout avant les premiers rayons de la journée et je peux enfin les voir envahir peu à peu la pièce.

Erinn appuie sa tête contre sa main, et ses boucles d'oreille en forme de fleurs se mettent alors à valser. Son piercing au septum brille de mille feux. Elle regarde par la fenêtre sans un mot, tandis que ma "playlist pour travailler" tourne en boucle – la seule idéale pour la matinée.

Lorsque j'ouvre la fenêtre, une vague d'air frais et une ribambelle de sons extérieurs envahissent le camping-car. Mes musiques sont étouffées par le bruit de gravier contre lequel les roues nous déplacent. Certains oiseaux chantent sans que je sois capable de les reconnaître – à demander à Aaron qui s'y connaît en piaf. Et le dernier son, c'est Erinn qui fredonne Night Drive de Pool Shop. Je la reconnais, parce que c'est sa musique préférée.

Je sors mon appareil photo instantané.

Je réussis à la capturer sous la lumière du soleil.

Elle sursaute comme si j'avais appuyé sur la détente d'un pistolet.

— Je t'ai vu, dit-elle sans se retourner.

— Ça valait le coup. Tu regardes quoi ?

Elle pointe du doigt l'extérieur.

— Les arbres, la route, les graviers, les petites feuilles de toutes les couleurs dans la forêt qui longe la route... Viens voir.

Je m'assois sur une valise à côté d'Erinn pour regarder dans la même direction qu'elle. 

— Parfois, si tu regardes attentivement, tu peux voir un animal passer. C'est très furtif, juste une seconde ou deux. Il passe sa tête, court ou vole entre les arbres et tu ne le verras qu'une fois. C'est là toute la beauté du truc. Je pense que les gens ne sont pas assez attentifs à ce qu'ils ont droit devant leurs yeux.

Quand Erinn parle, je trouve que la chose la plus furtive à observer est le balancement de son doigt contre la vitre ou son visage serein, si bien que j'oublie de regarder ce qu'elle me montre.

— J'espère être assez attentif, dans ce cas.

— Pourtant, tu viens de louper un écureuil.

Elle rit doucement, ce qui sort Théa du monde des rêves – comme par magie. Je profite du lapse de temps de râlerie de sa part pour ajouter une nouvelle note au carnet de bord. Et, lorsqu'elle arrive vers nous à moitié réveillée, une sorte de demi-zombie demi-humain, je lui montre fièrement sa photo. Ce qui a pour but d'ouvrir entièrement ses yeux et de la faire exploser de rire.

— QUAND ? Non, non, je suis pas censée dormir la bouche ouverte.

— Tu ronflais, je mens.

— La mort, la mort, dit-elle en courant vers Esther et Aaron avec les yeux cachés par ses mains.

Puis je tourne le carnet pour montrer à Erinn la photo que j'ai prise d'elle. Ce moment ne sera certes jamais le même, sous un air de Night Drive et un soleil matinal éclatant, mais on arrive bien à voir son petit sourire. 

À vrai dire, elle a le même à cet instant, lorsqu'elle lit la légende.

"J'ai réussi à capturer un écureuil."

Je n'ai jamais été aussi impatient qu'au moment où nous nous sommes enfin arrêtés devant le camping. Comme si nous venions d'atterrir dans une faille spatio-temporelle où une minute équivaut à une heure. 

— Tout le monde est prêt ? demande Esther tournée vers nous avec un grand sourire aux lèvres.

Et tout le monde applaudit.

Dès qu'elle sort du véhicule pour réserver une place au camping, je pique son siège pour me retrouver à côté d'Aaron qui semble vraiment fatigué. Je lui tapote doucement l'épaule en lui demandant si tout va bien, et il me répond simplement qu'il a hâte de faire une énorme pause. Impossible de ne pas m'en vouloir. Je sais que ce n'est pas entièrement de ma faute, je n'ai pas décidé de casser mon poignet pour ne pas conduire, mais je me répète qu'il ne serait pas dans cet état si je l'avais aidé ne serait que la moitié du temps.

Au moins, c'est fini.

Il va pouvoir se reposer.

Je pose mon coude contre la portière et observe par la fenêtre ce fameux camping qui semble vraiment paradisiaque. Une longue route de gravier est entourée d'herbes fraîchement coupées où sont installés des camping-cars de tous styles, certains d'un blanc basique ou d'autres pimpés – comme celui inspiré du van dans Scooby Doo.

Certains groupes ont installé une table pliable sur le gazon pour prendre leur petit déjeuner sous les rayons du soleil. Certains enfants jouent entre eux avec des pistolets à eau, d'autres à chat ou à se rouler par terre. J'arrive à voir au loin des gens qui font du vélo, un père qui s'amuse avec sa fille et des ados qui discutent.

— Hâte d'y aller ? me demande Aaron.

Sans décoller ma tête de la vitre, je lui réponds.

— Vraiment trop hâte, ça a l'air parfait.

— On a regardé sur leur site avec Erinn, et ça a l'air super clean. Y'a beaucoup de familles, mais aussi des gens de notre âge. De toute façon, on ne sera pas trop proche d'eux car l'endroit est suffisamment grand pour que chacun ait sa place.

Aaron se met aussitôt à regarder fixement la fenêtre. Lorsque je réalise que c'est parce que Esther est en train de revenir, je trépigne d'impatience. Mais, rapidement, on remarque dans son visage dénué de bonheur que quelque chose cloche. Je me décale de la vitre pour l'ouvrir sous les instructions d'Aaron, et il se rapproche aussitôt de moi pour parler à Esther.

— Un problème ?

Esther arrive en face de la fenêtre du camping-car, se baisse pour être à notre hauteur et remet en place l'une de ses mèches roses. Elle se gratte la peau autour des ongles en jetant un coup d'œil au camping, avant de prendre une grande inspiration, le regard vers nous.

— Plus de place.

— Comment ça ? lance Erinn qui, de l'autre côté de la pièce, a tout entendu.

— Ils m'ont dit d'un air super condescendant qu'il fallait réserver en avance. Et là, il y a trop de monde pour nous laisser entrer. Pourtant, les cons, ils auraient pu mettre l'info sur leur site. Je leur ai dit que c'était pas marqué, mais ils ne m'écoutaient déjà plus.

Un grand silence.

Et des regards de droite à gauche.

Esther ouvre la porte principale et nous rejoint dans le camping-car. 

Rapidement, notre petit groupe s'installe au milieu de la pièce pour réfléchir à un plan d'action. Entrer par effraction ? Envahir le camping et faire une révolution pour avoir tout le terrain pour nous seuls ? Assassiner l'une des familles pour avoir une place qui sera en plus gratuite ? Tout ce que j'arrive à voir dans cette mare d'hypothèses catastrophiques, c'est l'air dépité de tout le monde, surtout celui d'Esther et de Théa qui n'ont pas dit un mot depuis l'annonce.

J'aimerais tellement leur remonter le moral, ne serait-ce qu'un instant.

Théa était la première personne à réellement me parler lorsque j'étais nouveau au lycée, alors que ça me foutait la trouille d'entamer la discussion avec qui que ce soit. Elle m'a toujours soutenue, m'a fait rencontrer des gens géniaux que je peux appeler mes amis aujourd'hui et me fait toujours sourire, même quand j'ai aucune raison de le faire. C'est grâce à elle que je me sens un peu plus à ma place tous les jours, et je ne pouvais que rêver de ce bonheur où mon pouls s'emballe dès que je sais que je vais voir mes amis. Quant à Esther, elle a pris une place si importante dans nos vies en si peu de temps que je me verrais mal faire un long chemin sans elle. C'est tout le monde ou personne. Et dans ce tout le monde, il y a Esther. 

Aucun des deux ne méritent d'être dans cet état.

Je me lève brutalement.

— Ils font trop chier. Vous savez quoi ? Je vais aller leur parler ! Insister, même si c'est pour rester des heures devant ce putain de camping. Peut-être qu'on pourra grappiller une petite place en expliquant que rien n'était écrit sur leur site. Leur faute, pas la nôtre

— S'il te plaît, répond Aaron après avoir fini son verre d'eau. J'en peux plus de conduire.

Erinn, accoudée contre la table ronde et jouant avec sa boucle d'oreille, réagit.

— Je pense pas que ce soit une très bonne idée.

— Comment ça ? je lui demande.

— Ce que je veux dire, c'est qu'on a déjà parcouru tellement de chemin, qu'on est fatigués et qu'on a tous besoin de repos. Surtout Aaron qui ne va pas attendre bêtement devant l'entrée, éveillé, car c'est le seul à pouvoir conduire ce camping-car. Personne n'est prêt à insister. Même si toi tu en es persuadé. Ça ne servirait à rien de se battre pour ne rien avoir au final, autant garder cette énergie pour faire quelque chose de nos vacances.

Quant à Esther, elle regarde attentivement la scène.

— Alors, tu proposes quoi ? intervient Aaron.

— Je sais pas... Une idée me trotte dans la tête. C'est stupide, mais j'aime bien l'aventure, c'est le but de notre voyage. Et on a déjà fait du camping plusieurs fois avant ! Pourquoi ne pas augmenter un peu le niveau ? Il y a des forêts un peu partout, ce sera bien plus immersif que dans un camping avec des enfants qui crient et des mamies qui crient sur les enfants.

Théa sort immédiatement son téléphone de sa poche et, lorsque je me penche discrètement au-dessus de son épaule, je vois qu'elle ouvre une carte des alentours. Erinn a raison, nous sommes entourés de forêt.

Et l'une d'elle, pas trop loin, a même un lac en plein milieu.

— Ça me va, lâche Théa. Seulement si on fait attention et qu'on ne s'engouffre pas trop profondément.

— On fait ça alors, conclut Aaron.

Dans un boost d'énergie spectaculaire, il retourne à son poste de conducteur pour les quelques kilomètres restants, représentant environ une vingtaine de minutes de voiture. Quant à moi, je m'installe à côté de lui. Il lance le moteur et tous les sourires éblouissants réapparaissent sur le visage de mes amis.

Nous sommes bien la troupe des aventuriers, Théa a bien choisi notre nom.

J'admets que l'idée de me retrouver dans une forêt ne m'enchante pas particulièrement – sûrement à cause des centaines de films d'horreur vus avec Erinn. Mais, comme tout le monde semble en accord avec cette idée et que je sais que nous serons prudents, je me sens bien mieux d'un coup. Impossible qu'il y ait un problème avec un groupe pareil.

Le camping-car s'éloigne alors de la route principale.

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𝘕𝘋𝘈

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❝ Merci d'avoir lu ce demi-dixième chapitre, j'espère qu'il vous a plu !

Que pensez-vous de ce chapitre ?

Que pensez-vous de ce nouveau point de vue, celui de Ruben ? Quel est le point de vue que vous attendez le plus à présent ?

Quel est votre ressenti sur la scène de photo entre Erinn et Ruben ?

Avez-vous vu la mini référence à Ambertume ?

Auriez-vous préféré qu'ils passent leurs vacances dans le camping ou dans une forêt ?

Et... avez-vous l'impression de regarder attentivement ?

Un demi-chapitre sort chaque mardi et chaque vendredi. ❞

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